Et voilà ! On y est arrivé ! En cette fin janvier 2023, Gérardmer a encore vibré à l’occasion de la célèbre manifestation qui met le film de genre à l’honneur. Cette fois-ci avec un petit plus, le festival fêtant pour l’occasion un cap, le 30ème anniversaire de l’événement.
Avant d’évoquer les films en compétitions (et les autres) qui, comme chaque année, ont soulevé de vives discussions, évoquons rapidement les membres du jury longs métrages , accompagnés d’invités prestigieux. Michel Hazanavicius (célèbre depuis les deux OSS 117, The Artist, et plus récemment le féroce Coupez !) formait avec son épouse et comédienne Bérénice Béjo une présidence bicéphale, au cœur d’une équipe composée des comédiens Alex Lutz, Finnegan Oldfield, Pierre Rochefort et Pierre Deladonchamps, du rappeur Gringe, de la comédienne Anne Le Ny, du réalisateur Sébastien Marnier, et de la toujours décalée Catherine Ringer.
Le jury courts métrages était lui présidé par le magicien David Jarre, fils de Charlotte Rampling et de Jean-Michel Jarre. Il animait une équipe composée du réalisateur François Descraques, de la scénariste Frédérique Moreau, des comédiennes Ophélie Bau, Lou Lampros et du comédien Jules Benchetrit. Un plateau de qualité, que la manifestation vosgienne avait eu la bonne idée d’embellir encore en y intégrant la venue d’invités de marque tels les metteurs en scène Jaume Balaguero et Kim Jee-woon. Bien connus du public vosgien, les deux cinéastes faisaient figure de caution de prestige pour l’anniversaire de la manifestation gérômoise. Leur présence avait quelque peu calmé les râleurs habituels, même si ce ne sont jamais les mêmes, ils changent au gré de la programmation !
Et cette année, celle-ci était discutable.
Mais ils n’étaient pas seuls, loin de là ! Pour fêter l’événement, Alex de la Iglesia, Jan Kounen, Lucile Hadzihalilovic, les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma avaient fait le déplacement, sans oublier le créateur du festival, Lionel Chouchan. Lors de la cérémonie d’anniversaire dans la grande salle de l’Espace Lac, les amateurs eurent le plaisir de croiser tout ce beau monde, pour ensuite assister à de sympathiques petits messages projetés sur le grand écran avant la projection du dernier film de Jaume Balaguero, l’explosif Venus. Ce fut au tour d’Eli Roth, de David et Brandon Cronenberg, Dario et Asia Argento et de quelques autres d’y aller de leurs encouragements à la quête sans cesse renouvelée, insatiable, de Fantastique de la Perle des Vosges.
Cette année, neuf films étaient présentés en compétition. En ouverture, Blood de Brad Anderson donnait le ton, avec une histoire assez classique qui semblait ancrer le festival dans un contexte familier. On assistait au drame frappant une petite famille déjà bien abîmée, suite à la morsure du cadet par son chien possédé. Bien connu du public qui avait apprécié à l’époque ses films Session 9 (en 2004) et l’Empire des ombres (en 2011), Brad Anderson était de retour avec son nouveau film, on ne peut plus à sa place à Gérardmer. En ouvrant le festival avec Bloodles organisateurs semblaient dire aux spectateurs « voilà, vous êtes de retour en milieu connu après deux années compliquées, maintenant détendez-vous »…C’était sans compter leur malice, la programmation prenant ensuite un malin plaisir à brouiller les piste, avec des films « classiques » et d’autres nettement moins…
Aux côtés de Blood, il y avait La Montagne, du français Thomas Salvador. S’étant fait connaître en 2015 avec la sortie de son premier long-métrage Vincent n’a pas d’écailles, le réalisateur avait une approche du fantastique à part, faite d’humour, d’imaginaire et de décalage. La Montagne allait reprendre tous ces éléments, et y ajouter une bonne dose de poésie. On y découvrirait Pierre, un ingénieur parisien qui à l’occasion d’une mission dans les Alpes serait séduit par la beauté des cimes pour ne plus vouloir en repartir. Lors de ses ballades il suivrait d’étranges lueurs, qui allaient lui conférer de nouvelles aptitudes. Le film partirait avec deux prix (à l’annonce, un étonnement légitime a parcouru une partie de l’assistance), celui du Jury et celui de la Critique, avec un aspect fantastique pourtant très relatif, le film communiquant surtout une forte envie d’aller à la découverte de la montagne.
Dans un genre plus classique, Memory of Water de la Finlandaise Saara Saarela, emprunterait la voix de la politique fiction, avec un mélange dictature-complotisme que n’aurait pas renié George Orwell. On y suivrait le parcours de la jeune Noria dans un monde futuriste où la pénurie d’eau aurait forcé un gouvernement militaire à mettre en place un rationnement strict de la ressource rare. À travers son discours alternant fatalisme et espoir, ses décors de fin du monde, Memory of Water laisserait un sympathique souvenir.
The Nocebo Effect marquait le retour de Lorcan Finnegan au festival de Gérardmer, après son intrigant Vivarium en 2020. Avec une distribution prestigieuse (Eva Green, Mark Strong, qui font face à la jeune comédienne philippine Chai Fonacier), The Nocebo Effect nous invite dans le folklore philippin. Une histoire solide et réellement fantastique, à base de traumatisme enfoui et de sorcellerie somme toute classique, mais avec un petit plus appréciable, et un ancrage bien réel et sincère dans la culture philippine.
Très attendu, le film espagnol/argentin La pieta d’Eduardo Casanovaraviverait les débats, les uns farouchement pour, les autres férocement contre. Avec son espèce de huis clos mettant en scène un jeune homme étouffé par sa mère, et en faisant un parallèle avec la dictature de la Corée du Nord (si, si!), La pieta allait être sur toutes les lèvres, jusqu’à récolter trois prix, le Grand Prix, le Prix du Public et le Prix du Public Jeunes, montrant que le jury longs-métrages avait été séduit par le côté non conventionnel de l’histoire. A des années lumière du côté classique qu’offrait Blood, Memory of Water ou encore The Nocebo Effect, La pieta allait susciter de vives réactions, mais ça, ce n’est pas nouveau à Gérardmer. Il faut bien reconnaître que nul côté classique ici, dans cette vision rose bonbon d’un enfer moderne régenté par une mère abusive implacable et terrifiante.
Autre film de la sélection, plus balisé, La Tour du Français Guillaume Nicloux (Le Poulpe, Une affaire privée, Le Concile de Pierre, Les confins du Monde…) allait nous enfermer dans une tour de cité isolée du reste du monde par un épais et vorace brouillard. Les habitants de la tour tenteraient de s’organiser pour survivre, des groupes antagonistes se formant et s’affrontant au fil d’une chronologie parfois déroutante.
Avec The Watcher, film américain réalisé par Chloe Okuno, le festival resterait dans le balisé avec cette histoire de voisin voyeur, interprété par le toujours génial Burn Gorman (toujours aussi dérangeant dans ses rôles, ceux qui ont vu la série Forever se rappellent du glaçant Adam qu’il y incarnait, face à un autre immortel incarné par Ioan Gruffud). Dans le rôle de la femme espionnée, Maika Monroe revenait à Gérardmer, après y être apparue en personnage principal de It Follows, Grand Prix et Prix de la Critique en 2015. Film anxiogène assez lent aux airs de Polanski, The Watcher est en quelque sorte un film à l’ancienne mêlant thriller et fantastique. Le résultat a séduit le jury, qui lui a donné le Prix du 30ème anniversaire du festival, créé pour l’occasion.
Dans le genre expérimental et bizarre, le film allemand Piaffe d’Ann Oren était, avec La pieta, un des deux véritables ovnis de cette sélection en compétition. On y partageait le quotidien d’une jeune femme spécialisée dans la synchronisation et les bruitages de films. Déjà là, après quelques scènes, on avait perdu une partie des spectateurs. En la faisant ensuite rencontrer un botaniste un brin pervers et manipulateur, on était pas loin de perdre ce qui restait du public. Intrigant par certains aspects, Piaffe a dérouté une partie des spectateurs, ce qui ne l’a pas empêché de séduire le jury longs métrages, qui lui a décerné son Prix, ex æquo avec La Montagne. Là encore, étonnement poli de rigueur !
Dernier film de la compétition, le film d’animation Zeria de l’acteur et réalisateur belge Harry Cleven. Primé avec le Grand Prix du festival en 2005 avec Trouble, qui mettait en scène Benoît Magimel dans un double rôle face à Natacha Régnier et Olivier Gourmet. A la fois film d’animation et film de marionnettes, Zeria pouvait rebuter au premier regard, ou alors piquer la curiosité. Dans cette histoire raconté par Gaspard, dernier homme a être resté sur Terre, celui-ci s’adresse à Zeria, son petit-fils, premier être humain à être né sur Mars. Il lui raconte sa vie, en espérant que son petit-fils pourra venir le voir, alors que ses dernières forces sont sur le point de le quitter. Ce faisant, Zeria serait le premier humain n’ayant jamais connu la Terre à y remettre les pieds. Il faut reconnaître que le film était de nature à provoquer une profonde léthargie. Car passé la poésie et le côté transmission de l’Histoire, il ne s’y passait pas grand-chose. La courte durée du film (1 heure) n’empêcha pas certains spectateurs à quitter précipitamment la salle, ce qui perturba quelque peu la projection.
En parallèle à cette compétition, le festival proposait aux spectateurs une sélection parmi laquelle En Plein Feu de Quentin Reynaud, un intéressant huis clos, à la fois au cœur d’une nature embrasée et dans l’esprit d’un père traumatisé (très bon Alex Lutz, que le réalisateur avait déjà dirigé dans son précédent long, Cinquième set). Domingo et la brume était un film costaricien, sur un vieil homme qui ne veut pas céder son terrain à des promoteurs sans scrupules, et entretient une relation poétique avec la brume. Huesera, film mexicain, nous faisait partager le trouble et les visions accablant une future jeune maman à l’occasion de sa première grossesse. The Communion Girl nous transportait dans l’Espagne de la fin des années 80. Adolescente discrète, Sara tente de s’intégrer dans son nouveau milieu dans la banlieue de Tarragonne. Elle fréquente Rebe, une copine nettement plus extravertie et populaire. Les deux vont croiser une petite en tenue de communiante en rentrant de boite de nuit, et là leurs ennuis vont commencer…
Dernier film hors compétition vu, le tonitruant Venus de Jaume Balaguero (La secte sans nom, Fragile, Darkness, REC, REC 2, Malveillance, ou une certaine constance dans la qualité…). Comme à son habitude, le réalisateur espagnol n’y va pas par quatre chemins, et dispose visiblement des moyens pour le faire. Débutant comme un thriller explosif où une go go danseuse essaye de doubler un caïd de la pègre en lui volant un sac rempli de drogues, Venus prend ensuite une autre voie, plus à sa place à Gérardmer. L’occasion pour le metteur en scène de se faire plaisir, et d’alterner les scènes chocs, rarement gratuitement. La dernière partie enchaîne les morceaux de bravoure, le rythme ne laissant jamais de répit au spectateur, jusqu’à un crescendo tout en outrance. Le final prend des allures de western, montrant l’héroïne, Lucia, se rafistoler d’une éventration que l’on pensait définitive (une nouvelle manière d’utiliser une agrafeuse, associée à du chatterton), pour ensuite monter, canon scié à la main, en découdre avec les vraies méchantes du film. Sélectionné en compétition, le film aurait certainement glané l’une ou l’autre récompense, tant il avait de l’avance dans certains domaines.
La manifestation n’avait pas oublié les à coté, puisque Kim Jee woon était là pour une masterclass très suivie, que le grimoire affichait toujours complet, et que René Manzor (oui c’est bien lui, le réalisateur du mythique Le Passage en 1986, et de 36 15 code Père Noël en 1990) venait parler de son dernier livre, Du fond des âges. Sa fascination pour la mort toujours intacte, celui qui est aujourd’hui devenu écrivain était venu dans la Perle des Vosges pour évoquer la place de l’imaginaire dans nos vies, et ses manifestations dans notre quotidien. Des projections étaient en outre consacrées à la gémellité au cinéma, et deux nuits, la première Sans lendemain et la seconde Décalée, avaient été organisées afin de satisfaire les insomniaques.
Après cinq jours bien remplis, le rideau s’est levé sur Gérardmer. Lors de la cérémonie de clôture Pierre Sachot, Président de l’association du festival, pouvait déjà en faire le bilan positif (une affluence record, déjà constatée lors de la mise en vente des Pass digitaux, précieux sésame pour accéder à la réservation en ligne des séances), et nous annoncer les dates de de la prochaine manifestation.
Du 24 au 28 janvier 2024, à vos agendas !!!
On y sera, car le festival de Gérardmer est unique…
Par Jérôme Magne