Festival Musica 2024

C’est le rendez-vous incontournable de la rentrée culturelle à Strasbourg et dans la région avec à son programme des œuvres inattendues et la découverte de nouveaux compositeurs et de remarquables interprètes à leur service.


C’est au Maillon qu’ont eu lieu les premiers rendez-vous dans un patio où se croisaient les « Anciens et fidèles de ce festival qui en est à sa 42ème édition et de plus jeunes ou nouveaux  spectateurs, les premiers plutôt décontenancés par le fait que le public quelque peu livré à lui-même  ne devait que se référer au plan distribué dans le programme de la soirée pour effectuer une déambulation qui le  conduisait à aller écouter un groupe de chanteurs, à être interpellés par de brusques éclats sonores et à détecter les messages inscrits sur différents panneaux,  propositions de treize artistes, prélude  et hommage  au compositeur néerlandais Louis Andriessen, dont l’œuvre « DE STAAT» fait l’objet  de la première partie du concert donné dans la grande salle vers laquelle les musiciens ont introduit le public. Cette œuvre peu interprétée a été composée en 1976 par Louis Andriessen, pour mettre en question les rapports de la musique et du politique, s’appuyant pour étayer cette thèse sur les écrits de Platon soutenant dans la « République » que des liens existaient entre les modes musicaux et l’état de la société et que pour ne pas le bouleverser  il fallait se garder de toute innovation ce qu’Andriessen réfute.

Ce sont les ensembles Asko Schönberg et Ensemble Klang sous la direction de Clark Rundell qui interprètent avec brio et conviction  cet « Etat de musique », les musiciens  se répondant parfois en parfaite symétrie et par blocs constitués par les deux pianistes, les deux harpes, les cors avec leur forte résonance, les trompettes et les trombones renforçant l’énergie que déploie une partition aux riches et multiples propositions que soulignent les groupes des haubois, des altos et des deux guitares, la basse et l’électrique, les textes étant chantés par les sopranos Els Mondelaers et Bauwien van der Meer et les mezzo-soprano Michaela Riener et Anna Trombetta Cette remarquable interprétation était suivie en deuxième partie d’une oeuvre  d’Oscar Bettison, un élève  d’Andriessen « The slow weather of dreams » composée en 2024.

Ce sont les mêmes ensembles que nous retrouvons pour le concert intitulé « LA PERSEVERANCE » traduction de « De Volharding » nom donné à une formation fondée en 1971 par Louis Andriessen et Willem Breuker, pour jouer dans les rues et sur le terrain des luttes sociales et se situant au croisement de la fanfare et de la musique contemporaine.

Quatre œuvres au programme

« Dance works » de Steve Martland, nous offre une musique très rythmée comme le soulignent les balancements du chef d’orchestre, de la pianiste et du guitariste, tous très impliqués.

Julia Wolfe dans “Arsenal of democracy” présente une partition où se succèdent sons aigus, bégaiements, accélérations et fortes montées en puissance.

Dans « Nautilus » d’Anna Meredith, on voit le chef Joey Marijs quitter son pupitre pour s’installer près de la batterie et de la grosse caisse et s’adonner à mettre en valeur cette partition marquée par la répétition.

Dans la dernière partie nous découvrons avec « Mis for Man, Music, Mozart ce qu’a produit la collaboration d’Andriessen avec le réalisateur Peter Greenaway, une sorte de ciné-concert où s’entrecroisent des images de corps nus qui dansent avec des images de chair sanguinole, pour évoquer d’une certaine façon une
« création » de l’homme, homme de chair, de paille, épouvantail le tout accompagné de cette musique répétitive, soulignant l’expressivité et l’étrangeté des images.

Deux grands moments ce dimanche 22 septembre, le matin avec le récital de piano de Ralph van Raat interprétant « THE PEOPLE  UNITED WILL NEVER BE  DEFEATED » Une œuvre signée Frederic  Rzewski  écrite en 1975, à partir d’un chant révolutionnaire chilien  dont les paroles furent écrites par les Quilapayùn et la musique par Sergio Ortega en  soutien à Salvador Allende, un chant qui nous tient particulièrement à cœur car nous en connaissons l’histoire et avons eu bien des occasions de le chanter lors de manifestations au cours desquelles il a galvanisé nos espoirs, d’autant  que  le compositeur y a adjoint  deux succès populaires le chant révolutionnaire italien
« Bandiera Rossa » et l’hymne antifasciste « Solidaritaslied ».

L’interprétation des trente-six variations qui en sont ici proposées souligne le côté engagé, la détermination des adeptes de la liberté. Le pianiste fait varier les rythmes pour mettre en évidence les moments de lutte, la joie d’être unis pour triompher et ne se départit pas d’un jeu ininterrompu et très expressif qui remporte l’enthousiasme du public à qui il accorde deux rappels.

Ce même jour, l’après-midi nous avions l’occasion avec le concert intitulé « CAVACAR » de retrouver une formation toujours très appréciée à Musica, l’Ensemble L’Imaginaire pour l’interprétation de trois morceaux écrits par le compositeur brésilien Sergio Rodrigo. Les trois musiciens, la flûtiste Keiko Murakami, le saxophoniste Olivier Duverger et la pianiste Carolina Santiago Martinez se révèlent d’une grande virtuosité pour mettre en valeur ce travail élaboré à partir de la transposition des sonorités et des rythmes qui caractérisent au Brésil l’usage d’une petite guitare, le cavaquinho.

Après le jeu subtil de la pianiste dans « Cobra arco-iris » pour piano seul nous sommes, comme toujours émerveillés par le talent de Keiko Murakami que nous connaissons bien. Dans ce morceau intitulé « Cosmogrammes pour flûte basse seule » elle développe un jeu très retenu, une tension faite de souffles mesurés, variés, étonnants qui nous tiennent en haleine .

Dans le troisième morceau « Cavacar » les trois interprètes se retrouvent autour du piano, jouant à frapper les cordes faisant alterner temps forts et accalmies, attentif, chacun à ce que proposent ses partenaires.

Le concert « RESONANZ» nous donne à entendre un ensemble de dix-huit cordes. Il est placé ce jour sous la direction de Peter Rundel pour, en première partie, une pièce de François Sarhan, en création mondiale, entre délicatesse et frénésie, monte en puissance, puis s’apaise d’un coup, offrant des battements répétitifs, des claquements de mains, une écriture qui s’enjolive, emplit l’espace, pratique le flux et le reflux à l’image des vagues. Création mondiale également pour « Residue » composée par Joanna Bailie qui demande à l’orchestre à cordes d’interpréter une partition qui nous plonge dans la rêverie et la méditation.

Enno Poppe avec « Wald » construit une musique bavarde, remplie d’échanges vifs, marqués par des coups d’archets, des éclats, des sons du quotidien, soulignant un empressement parfois frétillant, plein d’allégresse.

La soirée du 27 septembre est une de celles qui nous aura sans doute le plus touchés puisque nous avions la possibilité d’assister à deux représentations dans le cadre de la programmation du Maillon. D’abord « LA SOURCE» qui nous confrontait à des révélations faites par la lanceuse d’alerte Chelsea Manning concernant les guerres menées  par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.

Un dispositif vidéo quadri frontal fait que nous ne cessons d’être entourés de visages de femmes, d’hommes de tous âges, de toutes origines, visages immobiles au regard fixe, visages projetés parfois en très gros plan. Derrière le rideau semi opaque se tient l’orchestre qui, sous la direction de Nathan Koci interprète la musique de Ted Hearne dans la mise en scène de Daniel Fish. C’est une œuvre complexe qui ne ménage ni nos yeux ni nos oreilles pour nous mettre au fait des exactions commises pendant ces guerres, alternance de voix graves, cris, martèlements, explosions, images de combats, de tueries, photos projetées de plans, de rapports. Nous sommes cernés, submergés, agressés, fascinés par cette mise en demeure de ne pouvoir échapper à ce qu’il faut bien appeler « les horreurs de la guerre ».

Certains dans le public disaient qu’ils auraient préféré s’en passer.

Quant à nous il nous parait utile et nécessaire que de telles œuvres puissent être créées et diffusées. Leur inventivité ne fait que rendre plus prégnant la force du témoignage qui les habite.

Avec « ALL RIGHT. GOOD NIGHT » une autre confrontation nous attendait, celle avec la disparition, une disparition qui se joue sur deux tableaux celui d’un avion, celui d’une mémoire.

Un spectacle conçu par Helgard Haug, membre fondatrice du collectif Rimini Protokoll pour ce qui est du texte et de la mise en scène auquel s’adjoint la composition musicale de Barbara Morgenstern interprétée par l’orchestre Zafraan Ensemble. C’est en entremêlant  deux histoires terribles et émouvantes que cette œuvre est conçue, celle de la disparition  de l’avion de la Malaysia Airlines le 8 mars 2014 et  les débuts de la démence dont son père est atteint. Les musiciens  tiendront les rôles des passagers prêts à l’envol et de différents personnages au gré d’un récit qui suit le déroulement du temps qui s’écoule entre la catastrophe, encore aujourd’hui inexpliquée et l’annonce officielle 6 ans après de sa disparition, émaillé d’annonces de recherche, de trouvailles de débris, de témoignages, de refus de la  cruelle réalité chez certaines familles, des fantasmes que cela suscite chez d’autres, le presque impossible deuil à faire pour ceux qui ont perdu un proche dans cet accident. Et en totale concomitance  l’irréversible diminution de la conscience du père, qu’on se refuse à voir, contre laquelle se mettent en place des stratégies pour la masquer, sauver les apparences mais  qui  ne peuvent, à la fin  aboutir qu’à l’irrémédiable. La contribution d’une scénographie, parfois à contretemps des drames en cours, signée Evi Bauer, comme cette plage où se prélassent des vacanciers au bord d’une mer houleuse qui rapporte quand même quelques débris supposés appartenir à l’avion disparu et surtout l’apport de la musique où vibraphone, batterie, contrebasse soulignent avec intensité une dramaturgie qui va du côté du réalisme, interpellant fortement nos capacités à  réaliser l’irréalisable, à accepter l’inacceptable, à refuser de se soumettre aux évidences quand elles sont pour nous mortifères.

Un spectacle très émouvant dans lequel les musiciens se sont révélés excellents comédiens.

Deux grands noms de la musique contemporaine sont à l’honneur dans ce Festival, Stockhausen avec »Sirius » et Schönberg auquel un film et un concert  sont dédiés.

Ce soir-là dans un Palais des Fêtes dont le plafond a été étoilé pour la circonstance nous sommes plongés dans une œuvre majestueuse, «  SIRIUS » de Karlheinz Stockhausen écrite en1975-1977, créée  à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis et qui nous  propose une sorte de voyage dans le cosmos. Un dispositif particulier place musiciens et chanteurs aux quatre points cardinaux, le public lui-même placé suivant ces orientations. Sur les podiums s’installent au Nord la basse, Damien Pass, en face, au Sud, la soprano, Sophia Körber , à l’Est, la trompette, Paul Hübner et à l’Ouest, la clarinette basse, Johanna Stephens-Janning , visages maquillés, les  hommes en toges, les femmes en robes  de cérémonie à la romaine .

Une bande-son fait retentir des bruits d’avion qui décolle, des borborygmes puis s’élève la voix puissante extraordinairement basse du chanteur,  que l’on le voit s’appliquer à des regards perçants,  tournés vers le ciel ou dirigés vers la femme, à des gestes larges, comme ceux d’un prédicateur, doigt tendu en signe d’avertissement, à l’auditoire ou à la femme en face  à qui il s’adresse parfois avec véhémence, (on aurait aimé  avoir le livret pour comprendre leurs échanges) et qui lui répond sans retenue, apprêtant sa voix à d’étonnants registres. La bande-son continue à déverser des bruits de vent, de pluie diluvienne tandis que la trompette entame un magnifique solo avant de laisser la clarinette basse s’engager à son tour dans l’interprétation d’une mélodie nuancée et audacieuse.

Quand les sons de décollage reviennent envahir l’espace, nous savons que le temps est venu de quitter, non sans mal, le monde utopique dans lequel ce spectacle d’une très grande qualité artistique nous a plongés.

L’autre grand compositeur de la musique contemporaine, Arnold Schönberg était à l’honneur ce dimanche après-midi à la Cité de la musique et de la danse puisque le film d’Andreas Morell, produit par Arte  lui était consacré et nous permettait de découvrir comment ce pionnier de la musique contemporaine avait mené sa vie et son œuvre.

Un peu plus tard, au cours du concert donné par le Quatuor Diotima, c’est son « Quatuor à cordes n° 2 de 1907-1908 qui sera interprété . Ouvrant d’abord de larges horizons, la partition revient sur des tourments intérieurs sur lesquels elle semble méditer avant d’entamer un mouvement plus vif, plus sautillant et qu’ intervienne la  soprano Axelle Fanyo, à la voix puissante et nuancée  pour chanter un poème de Stefan George écrit en 1907.

Deux œuvres précédaient celle-ci, le Quatuor no 1 « Bobok » de François Sarhan de2002, au rythme syncopé, tout en contrastes où  se développe le jeu  tout en finesse et virtuose des interprètes, (violon, Yun-Peng Zhao et Léo Marillier,  alto, Franck Chevalier, violoncelle, Alexis Descharmes )

Le Quatuor à cordes no3 d’Helmut Lachenmann « Grido » de 2001 qui offre une musique très particulière avec frottements des cordes, cordes pincées, des sonorités parfois à peine audibles, tout en subtilité et en finesse.

De remarquables interprétations et un après-midi riche en émotions artistiques.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Lacrima

La théâtralisation d’un atelier de haute couture est en quelque sorte une aventure car il est   loin d’être un lieu coutumier pour une telle entreprise. C’est pourtant là que Caroline Guiela N’guyen a décidé de nous entraîner pour nous conter la fabuleuse confection de la robe de mariée de la princesse anglaise dont il nous restera à trouver quelle elle est en fait. Mais là n’est pas la question.


© Jean-Louis Fernandez

 Cette plongée dans la vie d’un atelier en pleine et constante effervescence constitue l’intérêt principal de cette création.

Quand le rideau s’ouvre nous sommes immédiatement au cœur de l’action, comme le prouvent les éléments du décor, sous une lumière blanche, apparaissent les tables de travail, les mannequins  qui portent déjà de magnifiques robes, celle de la mariée, blanche, brillante  extrêmement élégante et une rose tout aussi magnifique.

Et aussi le drame tout de suite, la première d’atelier épuisée, dépassée a avalé des cachets et meurt, malgré l’intervention des secours. 

Comment en est-on arrivé là ?

Le récit sera l’objet de cette représentation qui va montrer le cheminement complexe qui mène de la joie extrême à la négation de soi.

Tout commence en effet par cette annonce venue de Londres, c’est la maison de couture Beliana à Paris qui a été choisie pour exécuter la robe de mariage de la princesse.  Marion, la première d’atelier  (magnifique interprétation de Maud Le Grevellec) et toute son équipe se sentent honorées par ce choix, mais comprennent vite la responsabilité qu’elle leur fait endosser en entendant les exigences prononcées avec autorité et sans ménagement par le responsable de la cour en charge de faire exécuter au mieux et dans des délais relativement courts cette extraordinaire commande et ce en gardant le secret absolu sur cette réalisation.(Vasanth Selvam ). Marion souscrit à tout et met son monde au travail. On suit l’évolution de cette réalisation, les discussions entre Paris et Londres pour des mises au point nécessaires mais toujours impératives.

On apprend que pour cette robe sublime, le dos devra être brodé et que la longue traine sera  le fameux voile en dentelle d’Alençon, une vraie pièce de musée qui va nécessiter d’être restauré.

Habilement, la metteuse en scène nous propulse grâce à la vidéo auprès des dentellières  qui vont faire l’objet d’une émission  de radio qui leur permet de dire ce qu’est cet art de la dentelle ,la passion qu’elles éprouvent pour ce travail délicat et le perfectionnisme qu’il exige. 

De même, nous suivrons en vidéo dans l’atelier de MumbaÏ en Inde le travail minutieux d’Abdul, le brodeur de perles courbé sur son ouvrage, les yeux au plus près du tissu qu’il tient précautionneusement (Charles Vinoth lrudhayaraj).

C’est ainsi que la pièce met en valeur le travail professionnel, le savoir-faire de ceux qui restent souvent dans l’ombre et méritent toute notre admiration quand leurs travaux nous sont révélés.

A la manière des séries que nous suivons à la télévision, nous devenons témoins de l’évolution  de cette mise en chantier de la confection de la robe, de la fatigue, de l’angoisse qu’elle suscite  chez la directrice de l’atelier soumise à une pression constante et des tensions que cela  déclenche, scènes de ménage entre Marion et Julien (Dan Artus) son mari  devenant jaloux, soupçonneux et violent, arrivées impromptues de la fille frustrée de ne plus voir sa mère toujours occupée ,indisponible, des moments de pur réalisme qui ponctuent cette représentation. Et pour rester dans le réalisme on aborde  les problèmes de santé  liés à des travaux délicats, difficiles  qui épuisent la vue des dentellières comme celle du brodeur et visites médicales  à l’appui on met en évidence que  ceux qui s’adonnent sans compter à réaliser  de superbes objets peuvent se mettre en danger sans que les commanditaires en aient la moindre connaissance.

La dernière scène qui reprend la première en est la criante illustration, nous montrant comment la conscience professionnelle  mise à mal par un incident technique pousse Marion au suicide. Ainsi,  aura -t-elle payé de sa vie la splendeur qu’elle aura accepté de créer en dirigeant une équipe expérimentée et laborieuse.

Une véritable leçon de vie portée  par des comédiens à l’engagement indéniable  qu’ils soient professionnels ou amateurs  puisque Caroline Giuela Nguyen se plaît à les diriger ensemble réussissant  ainsi à créer  ce théâtre  qu’elle veut populaire.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 24 septembre au TNS

En salle  jusqu’au 4 octobre