Biface

Expériences au sujet de la conquête du Mexique 1519-1521

de Bruno Meyssat

Un spectacle sur la conquête du Mexique par les Espagnols au
16ème siècle ne pouvait manquer d’attirer attirait notre attention.
Nous nous y sommes rendus, prêts à entendre et peut-être à voir la
représentation des exactions commises alors contre les peuples
autochtones. Et là, surprise, pas de narration continue, de scènes
mimées s’enchaînant pour décrire les probables situations mais, le
jeu souvent elliptique des comédiens (Philippe Cousin, Paul Gaillard,
Yassine Harrada, Frédéric Leidgens, Mayalen Otondo) qui, apprend-
on en lisant le livret distribué à l’entrée du spectacle, se sont
adonnés, après de nombreuses lectures sur le sujet, à traduire leur
ressenti en se livrant à des improvisations qu’ils nous proposent in
fine. Cela s’appelle  » L’écriture de plateau « . Pour ce faire, ils
s’approprient les objets disparates qui sont posés, a priori pour nous,
de façon aléatoire sur le plateau. Il y a là, entre autres, des chaises,
un banc, des tapis, une cage en osier, une table de camping. Ils vont
s’en emparer pour réaliser des séquences de jeu censés évoquer les
violences de cet épisode historique sans les représenter vraiment.
C’est ainsi que nous sommes déroutés et interrogatifs : Pourquoi
agissent-ils de cette façon ? Que veulent-ils nous signifier ?

Heureusement nous voyons s’afficher les textes qui nous servent de
piste, nous éclairant même sur le titre  » Biface « . En effet, il s’agit,
d’une part, des extraits de lettres envoyées par Cortès à Charles
Quint ainsi  que des récits de Bernal Diaz del Castillo un militaire de
l’expédition et, d’autre part, de témoignages exprimant le point de
vue des Aztèques recueillis et transcrits par des prêtres espagnols.
Certains textes sont récités ou lus par les comédiens. On y entend
même le nahvalt, la langue des Aztèques.

Nous découvrons que, dans un premier temps, chacun des groupes
est sidéré par l’autre, admiratif. Les Espagnols  sont surpris par
l’incroyable beauté de la ville de Mexico, son organisation. Quant
aux Aztèques ils sont médusés par ce qu’ils n’imaginaient même pas,
ces hommes blancs, montés sur des chevaux et munis d’engins qui
crachent du feu.

Mais cela ne dure pas. Bientôt, les Espagnols voyant du sang sur
leurs autels comprennent qu’il s’agit  de sacrifices humains et
considèrent les Aztèques comme des suppôts de Satan. Les éliminer
devient pour ces catholiques une sorte d’obligation. De plus
convoitises et pillages complètent ce noir tableau. La ville de Mexico
sera entièrement brûlée, l’empereur Motecuhzoma poignardé.

Tout cela, dit le metteur en scène Bruno Meyssat est
irreprésentable.

Sur le plateau on mesure la difficulté pour les comédiens à
s’exprimer sur ces événements et la nôtre à repérer des gestes, des
déplacements pertinents bien que notre imaginaire puisse travailler
en voyant, entre autre,  Mayalen Otondo revêtir une robe mexicaine,
un homme se faire enfermer dans une cage, un autre traverser la
scène en galopant et hennissant comme un cheval et des poutres
calcinées  qui disent assez  l’incendie qui a détruit Mexico…

Les musiques espagnoles du XVème siècle et celles contemporaines
de Morton Feldman, Giacinto Scelsi, Anton Webern accompagnent
judicieusement le regard porté sur ce moment de l’histoire,
emblématique de ceux nombreux qui suivront pour faire ce que les
Européens qualifieront d' » oeuvre de civilisation « .

Par Marie-Françoise Grislin

Représentation du 26 janvier au TNS