Celle qui écrit sur les pierres

Edith Bruck raconte sa traversée de l’enfer. Bouleversant.

On ne ressort pas indemne d’un tel livre. De ceux qui vous marquent
au fer rouge comme Si c’est un homme dont il est presque le pendant
féminin ou L’Espèce humaine de Robert Anthelme.

Edith Bruck, écrivaine de langue italienne, prend la plume, plus de 63
ans après l’avoir couché pour la première fois sur le papier, pour se
raconter, évoquer l’indicible, ce quotidien banal d’une jeune fille
juive hongroise de treize ans vivant à la campagne que la haine
antisémite va briser à jamais. En un instant, alors que le pain lève,
elle voit le monde se refermer sur elle comme un soleil obscurci par
une soudaine éclipse. Le pain sera perdu, oui. Le courage de survivre,
jamais.

Tout est là : la chosification de l’être, devenu le matricule 11152, la
disparition des êtres chers, assassinés et balayés d’un « Allez, allez,
cesse de pleurer, ta mère est allée à gauche, hein ? On l’a brûlée ! » par
Aliz, sa kapo.

Les camps se succèdent : Auschwitz, Dachau, Christianstadt,
Bergen-Belsen avec ces passages poignants comme celui dans le
camp des hommes à Bergen-Belsen. « Certains d’entre eux disaient, de
leur ultime regard « Non, non, non ! » D’autres balbutiaient leur nom et
leur origine, certains encore réussirent à dire : « Raconte-le, si tu survis,
fais-le pour nous aussi » Suffoqués de sanglots, nous faisions signe que
oui, oui, oui. ». Viennent ensuite les marches de la mort, la survie en
compagnie de Judit, cette sœur magnifique qui l’appelait affectueusement « Ditke » et dont les bras se transformèrent en
étreinte de survie. Entrée enfant dans l’antichambre de la mort,
Edith Bruck en ressortit femme.

Puis, le retour à la vie, la nécessité de témoigner, l’amitié avec Primo
Levi et le suicide de ce dernier vécu comme une trahison.

Décidé, à l’inverse d’une autre amazone de la Shoah disparue
récemment, Ruth Klüger, à témoigner, Le Pain perdu est une véritable
leçon de courage, d’une beauté littéraire inouïe qui lui valut le succès
en Italie et jusqu’à l’émotion du pape. On finit tout petit devant une
telle magnanimité, devant une si grande sagesse. Et puis cette
couverture qui vous happe, vous poursuit encore et encore. Un livre
précieux qui doit trôner dans chaque bibliothèque aux côtés des
plus grands. Un livre à mettre dans les mains des plus jeunes. Edith
Bruck était née Steinschreiber, celle qui écrit sur les pierres. Ici, sur
les tombes de la mémoire, le Pain perdu s’y grave en caractères
indélébiles.

Par Laurent Pfaadt

Edith Bruck, Le Pain perdu, traduit de l’italien par René de Ceccaty,
Aux éditions Le Sous-Sol, 176 p.