Faux frères

Pendant longtemps, Ferrari et Maserati se sont livrés une lutte sans merci sur les circuits et en dehors. C’est ce que montre le livre passionnant de Serge Bellu

Ferrari vs Maserati, c’est un peu Romulus contre Remus dans l’automobile. Un cheval cabré chassé par un trident. Deux marques nées dans le même berceau et qui se sont affrontées pour le contrôle de l’Italie lors d’un duel qui a passionné des générations entières.


Maserati Khasmin

L’histoire de leur lutte commence quelques mois après l’entrée en guerre de l’Italie en 1914, lorsque les frères Maserati donnent naissance, à Modène, à la marque automobile qui portera leur nom. Ce n’est qu’au début d’une autre guerre que l’autre empereur de l’automobile italien, Enzo Ferrari, fonda sa propre marque et engagea ses deux premières voitures.

A la fin de la seconde guerre mondiale, le fracas des armes fut remplacé par le rugissement des moteurs des bolides des deux constructeurs qui ne cessèrent de s’affronter sur les pistes et dans les cœurs des Italiens et des amateurs de belles voitures. Serge Bellu, auteur de nombreux ouvrages sur l’automobile convoque une fois de plus brillamment images d’archives et défilés de mode automobiles pour nous retracer cette passion destructrice qui constitua en même temps le moteur d’un formidable dialogue mécanique d’où sortirent quelques-unes des plus belles voitures du siècle.

« Enzo Ferrari préférait les pilotes aux touristes. Il ne cachait pas son mépris pour les sportives d’opérettes apprêtées pour le concours d’élégance » écrit ainsi Serge Bellu. Pour il Commendatore, il fallait avec Jean Guichet, Eugenio Castellotti et Michael Schumacher gagner à n’importe quel prix. Ainsi à la Mille Miglia de 1956 qui fut en son temps l’une des courses d’endurance les plus célèbres du monde, il remporta avec sa 290 MM une victoire écrasante, reléguant la Maserati 300S à une humiliante 28e place. Cet affrontement constitue d’ailleurs l’un des nombreux duels qui séquencent, tels des matchs de boxe, l’ouvrage. Rien n’y fit, ni la mécanique, ni les meilleurs pilotes tels Fangio ou Siffert. L’aventure de Maserati en course automobile prit ainsi fin en 1965 « après cette ultime et piteuse démonstration » rappelle ainsi l’auteur.

Cependant la marque au trident ne s’avoua pas vaincu et tel un rétiaire, lança son filet sur le terrain du style et de l’élégance. Pour cela, elle se dota de quelques-uns des plus grands esthètes du 20e siècle afin de sculpter des modèles de légende comme l’Indy (Virginio Vairo) ou la Khasmin signée du carrossier légendaire Bertone. Là encore, Ferrari se dota des armes adéquates pour se défendre avec, en secutors assumés, Mauro Forghieri et surtout un Gian-Battista Pinin Farina dont le règne de cinquante ans permit à Ferrari de remporter ce duel à jamais légendaire. Comme un vieux boxeur fatigué, Maserati se lança alors en vain dans quelques combats perdus d’avance notamment face à BMW avant de renoncer et de vivre sur sa légende. Une légende demeurée cependant vivace et qu’entretient avec brio ce très beau livre.

Par Laurent Pfaadt

Serge Bellu, Ferrari, Maserati, le duel, Glénat, 2022