Justice n’est pas vengeance

Il restera dans l’histoire comme le grand chasseur de nazis, celui qui se battit pour offrir une justice aux six millions de juifs assassinés lors de la Shoah, celle-là même que leur refusèrent Alliés et pape, permettant ainsi à de nombreux bourreaux de fuir parfois à l’autre bout du monde.


Comme son titre l’indique, justice n’est pas vengeance. Et pourtant, Simon Wiesenthal, né en Galicie (aujourd’hui en Ukraine) en 1908 aurait pu nourrir un sentiment de vengeance puisqu’il perdit 89 membres de sa famille notamment sa mère assassinée dans le camp d’extermination de Belzec. Revenu des camps de la mort notamment de Mauthausen, Simon Wiesenthal décida alors de créer en 1947 le centre juif de documentation sur les crimes nazis qui s’établit à Vienne au début des années 60 et constitua des milliers de dossiers sur ces criminels qui vivaient parmi nous ou s’étaient réfugiés à l’étranger notamment en Amérique du Sud.

Les mémoires de Wiesenthal se lisent comme un véritable roman d’espionnage notamment lorsqu’il narre les traques des grands criminels nazis, d’Adolf Eichmann, l’architecte de la solution finale, de Franz Stangl, le commandant du camp de Treblinka, ou de Karl Silberbauer, le SS qui arrêta et déporta Anne Frank et sa famille. Le hasard, les méthodes utilisées à la limite de la légalité et de la moralité donnent assurément du piquant au livre. Wiesenthal fut prêt à tout pour parvenir à ses fins comme lorsqu’il paya le gendre de Franz Stangl, bien décidé à se venger de la fille de ce dernier qui l’avait quitté, pour lui révéler l’endroit où se cachait l’ancien commandant de Treblinka.

Pour autant, le livre reste une autobiographie et Wiesenthal, soucieux de médiatiser sa quête et d’édifier sa propre légende, s’arrangea parfois avec la réalité. Et le lecteur, s’il trouvera du plaisir à lire les innombrables chasses de nazis relatés par notre héros, ne doit pas tout prendre pour argent comptant. Ainsi lorsque Wiesenthal exagère le rôle du réseau Odessa, mythifié dans le roman de Frederick Forsyth (Le Dossier Odessa, 1972) ou son action dans l’arrestation d’Adolf Eichmann qui, selon Isser Harel, le directeur du Mossad qui enleva Eichmann en Argentine, fut insignifiante. Cependant Justice n’est pas vengeance offre aux lecteurs, notamment aux plus jeunes qui connaissent peu cette période, une belle leçon de courage et d’abnégation et l’espoir, à l’heure où d’autres crimes de guerre sont commis, que l’impunité de ceux qui les commettent ne dure jamais.

Par Laurent Pfaadt

Simon Wiesenthal, Justice n’est pas vengeance
Chez Robert Laffont, coll Arion, 672 p.