La buveuse de larmes

Aujourd’hui, plus personne ou presque ne se souvient de l’écrivain suisse Robert Walser qui fut en son temps l’un des plus importants écrivains de langue allemande, auteur notamment de l’inoubliable roman Les enfants Tanner et dont l’œuvre fut encensée par ses contemporains à commencer par Robert Musil et Walter Benjamin.


Interné dans un hôpital psychiatrique pendant plus de vingt ans, il a laissé une œuvre importante que les éditions ZOE publie depuis plus d’un quart de siècle. Avec La buveuse de larmes, le lecteur découvre ainsi des inédits, de petites brèves qui ressemblent, pour reprendre le titre de l’un de ces textes, à des esquisses au crayon. Trente-deux proses publiées entre 1925 et 1932 qui sont, comme le rappelle Peter Utz dans son introduction, « un accroissement du quotidien ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un quotidien dont le chemin va au-delà de l’horizon.

Avec cette langue qui lui est si propre, Robert Walser arpente son monde tel le voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich posté sur son promontoire littéraire. Observant ici un père et sa  fille, rendant hommage au célèbre écrivain Mor Jokäi qu’il « a lapé comme une assiette de soupe » ou à ces femmes dont il est célèbre avec pudeur et grâce la beauté, Robert Walser est un véritable magicien des mots. A chaque fois, le rêveur solitaire qu’il est transpose son lecteur dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler la Mitteleuropa d’un Schnitzler. Certes, nous ne sommes pas dans un café viennois ou au Musikverein avec Gustav Mahler mais cette mélodie des mots que distille Walser a indéniablement quelque chose du Chant de la terre et du monde.

Par Laurent Pfaadt

Robert Walser, La buveuse de larmes, traduit de l’allemand par Marion Graf
Aux éditions ZOE, 176 p.