L’appel de Naples

Le Musée Magnin de Dijon consacre une magnifique exposition à la collection De Vito

On pensait le sujet de la peinture italienne du XVIIe siècle épuisé, sans nouveauté. Et voilà qu’arrive pour la première fois en France les chefs d’œuvre de la collection De Vito, du nom de ce magnat italien des télécommunications, Giuseppe De Vito (1924-2015) qui accumula des toiles de maîtres napolitains avant de formaliser cette collection dans une fondation créée en 2011 et qui a aujourd’hui traversé la péninsule et les Alpes pour venir s’installer en Bourgogne.


Jusepe de Ribera – Saint Antoine abbé
© Fondazione De Vito, Vaglia (Firenze)
Photo Claudio Giusti

Et dire que le COVID faillit empêcher les amoureux du Seicento napolitain de contempler ce Ribera, ces Giordano, ces Stanzione ou ces Vaccaro. Il a fallu pour cela toute la passion et l’opiniâtreté de Nadia Bastogi, directrice scientifique de la Fondazione De Vito et de Sophie Harent, conservateur en chef du musée Magnin qui non seulement ont permis l’aboutissement de ce projet inédit tant au niveau des peintres exposés que de la nature de leurs oeuvres avec ces grands formats sortis pour la première fois de leurs écrins italiens.

A l’origine, comme le rappelle une section de l’exposition consacrée à Giuseppe de Vito, il y a un ingénieur, adepte des sciences dures qui se passionna pour la peinture napolitaine du XVIIe siècle. « Ce qui intéressa De Vito, c’est comprendre l’évolution de l’art napolitain » relate ainsi Sophie Parent. Sa rencontre avec le surintendant de Naples, Raffalleo Causa, signa le début de cette aventure artistique et conduisit à la formalisation d’une collection unique aujourd’hui visible par tous. 

A travers ces quarante tableaux répartis en neuf sections et traduisant un cheminement intellectuel et pictural parfaitement cohérent, cette collection montre le caractère précurseur de Giuseppe De Vito, attaché à la redécouverte de peintres oubliés et écrasés par la figure du Caravage notamment Massimo Stanzio ou Andrea Vaccaro. L’exposition s’attarde ainsi sur l’œuvre lumineuse de ce dernier avec notamment sa magnifique Sainte Agathe (vers 1640) et son bleu canard éclatant ou sur cette Judith tenant la tête d’Holopherne (vers 1645) d’un Massimo Stanzio dont le travail sur les étoffes à l’élégance raffinée rappelle le grand Zurbaran. 

Mattia Preti – La Déposition du Christ
© Fondazione De Vito, Vaglia (Firenze)
Photo Claudio Giusti

Malgré deux passages très brefs, Le Caravage marqua profondément de son empreinte la peinture napolitaine. La présence dans la collection De Vito de plusieurs œuvres dont le Saint Jean Baptiste enfant d’un Battistello (vers 1622) ou le Saint Jean Baptiste dans le désert (vers 1630) de Stanzione évoquent cette filiation picturale dominée à Naples par la figure tutélaire d’un Jusepe de Ribera dont le Saint Antoine abbé (1638) semble interpeller le visiteur. Car cette peinture napolitaine du Seicento qui traverse l’exposition dans toutes ses dimensions esthétiques se divisa en deux périodes : celle du ténébrisme des héritiers du Caravage et celle du baroque de la deuxième moitié du XVIIe siècle avec deux grandes figures, Luca Giordano et Mattia Preti. A ce titre, le visiteur restera très certainement pantois devant le regard terrifié et les yeux écarquillés du Saint Jean de la puissante Déposition du Christ d’il Cavaliere Calabrese(vers 1675). Ici la scène semble encore en mouvement tant la charge émotionnelle accentuée par la vue da sotto in su (de dessous vers le haut) est forte avec ce ciel d’orage qui semble contenir une colère divine prête à éclater et un Joseph d’Arimathie ployant sous le poids du Christ. Cette oeuvre « montre la capacité de Preti à mêler précision du mouvement, intensité émotionnelle, sens de la composition et virtuosité décorative » nous rappelle Sophie Harent dans le magnifique catalogue qui accompagne cette exposition à propos d’un tableau qui mérite presque, à lui seul, la visite.

Parfois, l’exposition se mue en une enquête policière dans la salle du fameux Maître de l’annonce aux bergers qui constitua la grande passion de Giuseppe De Vito et dont l’identité reste encore sujette à discussions : s’agit-il d’une seule personne, d’un épigone de Ribera ou de plusieurs mains ? Reste l’incroyable puissance de ses tableaux et notamment ce Rebecca et Eliézer aux puits (vers 1635-1640) montré seulement pour la deuxième fois. Emporté dans cette course effrénée à l’abîme pictural, le visiteur semble submergé devant tant de beautés. Il croyait tout connaître. Il n’a encore rien vu.

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Musée Magnin, Dijon, jusqu’au 25 juin 2023 puis au musée Granet à Aix-en-Provence à partir du 15 juillet 2023.

Par Laurent Pfaadt

A lire le catalogue accompagnant l’exposition : 

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 160 p.