Le cycle de l’absurde

Pour sa dernière représentation de la saison, Le Maillon a choisi la mise en piste du spectacle de sortie d’école de la 32ème promotion du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne par Raphaëlle Boitel qui dirige la Cie L’Oublié(e). Il s’agit de la reprise de la création qui a eu lieu en 2020. Un spectacle riche en propositions et qui ne laisse aucun temps mort. Les douze jeunes artistes font montre d’une énergie sans faille.


Une mise en scène qui donne à chacun la possibilité de montrer ses talents parfois sous le regard de ses comparses, parfois grâce à leur aide car manifestement le groupe est sans cesse présent.

A l’évidence certaines prestations sont plus spectaculaires que d’autres mais toutes requièrent énergie et virtuosité, et pour certaines nous parlerons de  leur aspect poétique, comme c’est le cas  pour la roue allemande sur laquelle évolue avec grâce, Cannelle Maire sans oublier les circonvolutions sur le vélo acrobatique  de Fleuriane Cornet, une actrice tout aussi talentueuse, développant de surcroit une petite histoire romantique avec un de ses partenaires séduit par ses acrobaties mais trop souvent évincé pour ne pas en paraitre dépité mais cependant persévérant , une situation pseudo comique qui ne manque pas ses effets sur les spectateurs.

N’oublions pas non plus dans ce registre la belle histoire que construit le jongleur, Ricardo Serrao Mendes en rapport direct avec une balle aux caprices impétueux qu’il essaie d’apprivoiser mais  qui le nargue dès qu’il veut  la saisir.

Les prestations s’enchaînent, des cintres descendent les cordes, corde lisse, corde volante, trapèzes qui permettent de parcourir les hauteurs à travers de belles envolées souvent impressionnantes. Comme celles de Vassiliki Rossillion à la corde volante qui nous a fait trembler. Les corps grimpent, s’enroulent, tourbillonnent pendant qu’au-dessous d’eux quelqu’un muni d’un projecteur éclaire leurs ébats. A noter le travail précis  à la machinerie de Nicolas Lourdelle.

Autant de moments remarquables avec Alberto Diaz Gutierrez au trapèze fixe, Aris Colangelo au mât chinois, Giuseppe Germini superbe fildefériste, et Andrés Mateo Castelblanco  Suarès au trapèze Washington.

Le travail de la lumière de Tristan Baudoin est à souligner car il permet de mettre en valeur la plasticité des corps, les sortant de la demi-obscurité du plateau pour nous les donner à voir surgissant, courant, se regroupant, en mouvement constant, esquissant parfois une belle chorégraphie tous avec Louise Hardouin, accompagnés par la musique d’Arthur Bison et dans les costumes signés Romane Cassard et Lilou Hérin.

Des  propositions curieuses comme ces suicidesratés avec ce bain de pied dans lequel on immerge un appareil électrique, ou cette mise autour du cou d’une corde pour se pendre ou bien encore les grands moments d’empoussiérage au cours desquels les artistes se retrouvent enfarinés et blanchis des pieds à la tête. Tout cela comme Illustration de cette référence à Albert Camus auquel la metteure en scène a emprunté le titre de sa pièce, « le cycle de l’absurde ». En effet le sens de la vie ne reste-t-il pas énigmatique cependant toujours en sursis quand nous nous mettons à agir ?  Ainsi en va-t-il des agissements que nous proposent ces artistes.

Un final particulièrement spectaculaire se déroule avec un agrès appelé « spider » spécialement conçu à cet effet par Tristan Baudouin et qui permet à six de ses camarades de propulser Erwan Tarlet dans les hauteurs grâce aux sangles qu’ils manipulent avec des poulies. Un vrai travail d’équipe pour le meilleur comme pour le pire puisque le corps à peine atteint-il le haut qu’il est rejeté en bas et ceci à maintes reprises, ce qui ne manque pas de nous paraître quelque peu cruel bien que se voulant une puissante illustration de l’interdépendance qui demeure la règle dans ce spectacle  qui signait pour ces jeunes circassiens leur sortie du CNAC  et  au vu de leur virtuosité  les promesses d’un brillant avenir.

Marie Françoise Grislin pour l’Hebdoscope

Représentation du 16 juin 2023, Le Maillon