Le ghetto de Minsk

C’est en lisant l’ouvrage de Richard Rashke, Les évadés de Sobibor (1983) que j’entendis pour la première fois parler du ghetto de Minsk. Plusieurs déportés se trouvaient alors dans la ville notamment Alexandre Petchersky, officier juif de l’armée russe et leader de la révolte. Je découvris également que le ghetto fut secoué par la résistance d’une partie de la population juive.


Toute le monde connait le ghetto de Varsovie, celui de Lodz et d’autres en Pologne. Mais de Minsk, peu de traces. Car la ville, coincée entre Ukraine et Russie, capitale d’une Biélorussie fermée semble restée prisonnière d’un passé soviétique qui a longtemps minoré, caché l’Holocauste.

Lorsque la Wehrmacht, les Einsatzgruppen et leurs supplétifs notamment lituaniens conquièrent Minsk dans la foulée de l’invasion de l’URSS, le 28 juin 1941, ils y installent un ghetto qui compta jusqu’à sa liquidation en octobre 1943, près de 100 000 juifs et fut l’un des plus importants des territoires de l’Est.

Hersh Smolar, un juif communiste, se trouve à Minsk à ce moment. Il a réussi in extremis à faire évacuer sa femme et son fils. Passé un moment de sidération, il organise avec d’autres, l’embryon d’une résistance baptisée Organisation secrète de combat et fait le choix de s’allier aux partisans notamment ceux du commandant Diadia Vossia qui se trouvent dans les forêts environnantes. En compagnie du narrateur, le lecteur pénètre alors dans le dédale des rues de ce ghetto qui fait 200 hectares où Smolar et les autres juifs réunis dans cette armée des ombres se réunissent en secret, fabriquent des faux-papiers, se procurent des armes et surtout évacuent les enfants. Ces enfants justement « qui, dans le ghetto, avaient cessé d’être des enfants ». Ils ont dix, douze ans et servent de messagers ou de guetteurs. A 17-18 ans, ils sont les meneurs de la résistance. Cette résistance qui est également le fait de femmes magnifiques, ces amazones du ghetto emmenées par un personnage de roman, Emma Radova, cette « jolie jeune femme aux cheveux sombres, aux yeux noirs dans un visage rond » qui périra sous les coups de la Gestapo.

Rythmé, parfois angoissant, souvent rayonnant de courage, le récit d’Hersh Smolar s’apparente à un thriller où se livre une lutte entre le bien et le mal incarnée par le docteur Koulik qui fit de son service de maladies infectieuses à l’hôpital un sanctuaire pour les juifs persécutés et le Schärführer SS Ribe surnommé « le Diable aux yeux blancs ». Organisés, les juifs polonais et russes, occidentaux et orientaux travaillent en bonne intelligence, les uns ayant l’expérience de la clandestinité quand les autres apportent la connaissance du terrain.

Le livre avance comme guidé par une lumière que l’on croit parfois éteinte notamment lors des grands massacres de 1942 où, entre le 28 juillet et le 1er août, les Allemands exécutent près de 25 000 personnes. « La destruction, les mares de sang sur le sol, la désolation et le malheur, tout cela jetait un linceul de désespoir sur tous et sur chacun. Personne n’avait de paroles de réconfort à offrir, nulle part » écrit Hersh Smolar.

Pourtant, la résistance se poursuit. Avec les mots de Smolar, elle est admirable, mythique. C’est David contre Goliath, des juifs affamés et persécutés contre un régime tout puissant. L’Organisation secrète de combat est démantelée début 1943 et le ghetto liquidé en octobre. Alexandre Petchersky est là : « Les femmes et les enfants ont été transportés à la gare par des voitures. Les hommes ont marché. Sur la route nous sommes passés devant le ghetto (…) On pouvait entendre des gens se dire au revoir, certains pleuraient. Tout le monde savait ce qui les attendait ».

Hersh Smolar ne fut pas envoyé au camp d’extermination de Sobibor. Il survécut à la guerre avant de quitter la Pologne et d’émigrer en Israël. Grâce à son témoignage si précieux, le courage des hommes, des femmes et des enfants des ghettos porte un nom : Minsk.

Par Laurent Pfaadt

Hersh Smolar, Le ghetto de Minsk,
Chez Payot, 360 p.