Archives de catégorie : Scène

Premières

La Suite

Barbara Engelhardt, la directrice du Maillon renoue avec la pratique du Festival Premières qui fut créé en 2005 à l’initiative du TNS et du Maillon pour faire découvrir de jeunes metteurs en scène de plusieurs pays d’Europe. De 2005 à 2014, au cours des 9 sessions qui ont eu lieu, le Festival connut un grand succès et permit de rencontrer la jeune scène européenne. Aujourd’hui, avec, une Installation, quatre spectacles, des rencontres et des tables rondes, Le Maillon offre aux spectateurs des occasions de réfléchir à comment se construit le théâtre actuel compte tenu des nouvelles normes qui pèsent sur la production et la diffusion des œuvres.


A l’instar des anciennes propositions de Premières les spectacles sont innovants, originaux, parfois déroutants. Tel fut le cas pour « Sauvez Bâtard » qui nous présente un procès pour le moins déjanté. Signé du metteur en scène belgo-grec Thymios Fountas qui, pour sa première mise en scène nous invite à suivre le parcours d’un personnage, appelé Bâtard, accusé d’un meurtre qu’il ne se souvient pas avoir commis. Certes le cadavre est sur la scène devant ses yeux mais cela n’évoque aucun geste meurtrier de sa part. Ses juges et accusateurs sont de curieux personnages, dont les costumes illustrent leurs caractéristiques, l’un tout en noir se nomme Cafard, un autre Clébard et le troisième Clochard, autant dire des marginaux qui ont du mal à mettre en œuvre ce projet de jugement auquel ils sont sensés participer. Bâtard lui-même en jogging et casquette blanche semble plutôt décontracté, d’ailleurs, ne se dit-il pas poète, et se retire dans sa chambre pendant que les autres s’énervent et disent ne plus rien comprendre. Cafard jette en l’air les feuillets du dossier, ils vont et viennent, grimpent sur l’espèce de rocher derrière lequel ils semblent presque jouer à cache- cache. La situation est loufoque accompagnée d’une musique forte qui souligne une gestuelle débridée, vive mais parfaitement chorégraphiée.

Bientôt un nouveau personnage apparaît, lui pas du tout déguisé, genre beau gosse, élancé sportif c’est Ekart, un peu poseur, se vantant de prendre des cours d’anglais ce qui détonne et amuse dans ce milieu des laissés pour compte. Il tient à faire savoir qu’il n’est pas pédé et n’arrête pas de le répéter à qui veut l’entendre. Mais le voilà qu’il tombe amoureux, chose inattendue et paradoxale, amoureux de Bâtard.

Bâtard va devenir son partenaire de jeu dans cette partie de la pièce où c’est de relation et d’amour même qu’il sera question. Rencontres, déclarations, déclamations effusions, séparations, se déclinent comme les aléas romantiques des aventures amoureuses et cela ne manque pas d’humour.

Le tout étant dit dans un langage à faire frémir les académiciens mais qui est la signature d’un monde en devenir qui ne sait trop sur quoi bâtir son avenir.

Une pièce emblématique de cette distance à prendre vis à vis des institutions, ici la justice, et des préjugés comme la honte d’être pédé, vieille rengaine toujours d’actualité.

Ainsi le loufoque qui surprend et amuse laisse-t-il habilement, par le truchement du jeu dynamique des comédiens soutenu par une musique  très prégnante,  se dessiner  le monde tragicomique des anti-héros.

Représentation du 10 novembre


Ce même soir une autre proposition vient enrichir cette suite de Premières, il s’agit cette fois de voyager vers la Lituanie en compagnie d’images et de musique. Le journaliste, réalisateur de plusieurs films, Karolis Kaupinis offre ici son premier spectacle vivant « Radvila Darius, fils de Vytautas » en s’appuyant sur les archives de la télévision lituanienne des années 1989-1991. Oy voit de jeunes enfants répéter avec application des morceaux dans l’école de musique sous l’œil attentif du maître. Et on assiste à de nombreux débats et rencontres autour des problèmes posés par la nouvelle société, le pays ayant récemment reconquis son indépendance, comme trouver un nouveau nom pour les rues ou les places, agrandir les rues au prix de la coupe de chênes centenaires et pour ainsi dire « sacrés ». Certaines images peuvent passer pour
« historiques « comme ce trou creusé en pleine rue d’où jaillit du pétrole ou cet alignement de futurs mariés sur un banc de la mairie pour un mariage collectif. Pendant que nous suivons avec intérêt et amusement ces images du passé, derrière un rideau transparent quatre musiciens plutôt jazzy accompagnent plein d’élan la diffusion de ces reportages témoins manifestes d’une recherche d’identité.

Représentation du 10 novembre


Ces « Premières » ont inscrit à leur programme la reprise ici au Maillon du spectacle qui fut l’exercice de sortie de l’Ecole du TNS pour les Groupes 46 et 47 en novembre 2022. « La Taïgac court ».
(Voir le compte-rendu dans Hebdoscope de novembre 2022) Des quatre versions présentées alors, de ce texte de Sonia Chambretto, Barbara  Engelhardt a retenu celle d’ Antoine Hespel du Collectif La Volga

On a donc retrouvé cette mise en scène originale qui met en évidence le problème actuel  et crucial du dérèglement climatique et en fait un objet scénique drôle et percutant avec des comédiens très impliqués dans ces rôles de composition, Jonathan Benéteau Delaprairie, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Felipe Fonseca Nobre, Charlotte Issaly, Vincent Pacaud, tous bien décidés à donner une grande portée à l’avertissement qu’ils nous mettent en demeure d’entendre, celui  qui nous place  devant le pire sans que nous en prenions acte . 

Un premier travail qui méritait toute sa place dans ces Premières.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 17 novembre

Radio live-La relève

Un spectacle d’une grande intelligence, très bien construit, montrant combien le journalisme peut être respectueux de la parole d’autrui et comment avec finesse et sensibilité il peut nous la faire connaitre.


©radio live production

Nous voilà immergés pour plus de deux heures dans la réalité des interviews conduites par une vraie journaliste Aurélie Charon qui se présente d’emblée comme telle, productrice à France -culture et qui nous révèle d’entrée de jeu d’où vient ce spectacle et comment il est construit.

D’abord il y a, dès 2011  avec Caroline Gillet, des documentaires sur la jeunesse diffusée à la radio (France Inter et France culture) puis en 2013 le désir de mettre en contact les jeunes avec lesquels des liens s’étaient créés et de faire avec eux une sorte d’émission en public intitulée « Radio live » pour montrer combien ces jeunes gens rencontrés dans différents pays du monde étaient plein de dynamisme, d’engagement, ayant dû souvent surmonter des situations difficiles, voir traumatisantes. L’étape actuelle intitulée
« La relève » veut faire parler aussi les jeunes générations.

Un dispositif scénique simple et pertinent évoque un studio d’enregistrement, (Alix Boillot). Côté jardin, à une petite table, un peu en retrait et dans l’ombre ont pris place les deux jeunes gens auxquels la journaliste posera des questions, autre lieu, côté cour,  celui où la musicienne et chanteuse Emma Prat s’est installée avec sa guitare électrique, plus en avant la table où Amélie Bonnin fait ses dessins, les projette ainsi que les photos sur les écrans dont un immense en fond de scène ; et sur le devant du plateau une grande télé. Sur un petit bandeau lumineux défilent des renseignements, des réflexions, comme celle-ci « En silence tout peut arriver ».

Le premier à s’avancer sur le plateau c’est Yannick Kamanzi qui commence par tracer au sol avec du scotch jaune les contours du Rwanda, son pays natal, désigner les pays frontaliers dont le Congo, précisant que c ’est sur cette frontière qu’il est né, ce qui le fait douter de son identité de rwandaise.

Peu à peu, au fur et à mesure des questions posées judicieusement par Aurélie son histoire se révèle avec le problème inévitable posé par le génocide qui a eu lieu avant sa naissance en 1994 et auquel sa famille a échappé n’étant pas présente alors dans le pays.

Cependant, cet événement dramatique dont on ne lui a pas parlé pour le préserver, l’a bien sûr rattrapé.  Sur l’écran est projeté le paysage montagneux et verdoyant du pays, sur la télé, le salon, où, dit-il, il est devenu lui-même. Ainsi les images contextualisent-elles les paroles. Cette méthode sera utilisée avec à-propos tout au long de la représentation. Pendant qu’apparait le visage de sa sœur adulte, il se met à danser.

Le principe du spectacle étant de faire se croiser la vie de différents jeunes gens, ce soir-là, c’est Hala, une jeune syrienne qui va venir répondre aux questions d’Aurélie et converser avec Yannick.

Hala trace sur le sol la carte du Moyen-Orient puis nous apprenons que sa famille est Alaouite, une communauté mal acceptée en Syrie et que son père opposant est allé en prison parce qu’il avait mis le feu à une école lui a-t-on dit, évidemment faux ! Il est opposant politique à Hafez el-Assad et c’est pour cela qu’il est en prison.

De son côté Yannick s’interroge sur le pardon car il a fini par apprendre que durant le génocide sa grand-mère a été tuée par les Tutsis et demande « où était Dieu pendant ce temps ? ».

C’est alors qu’il entame un magnifique solo de danse dans lequel avec une expressivité bouleversante il  montre avec son corps tout ce qu’il a appris et ressenti de l’horreur du génocide.

Ses révélations, sur son parcours, chacun est amené à les formuler grâce au questionnement plein de bienveillance et de curiosité de la journaliste. Elles sont accompagnées et ponctuées par les chants entonnés par la musicienne, par la projection de dessins réalisés par la dessinatrice et  par les photos de leur famille. On y verra la grande sœur de Yannick, sa mère, lui-même, enfant serré contre son père qui vient enfin d’accepter qu’il devienne danseur.

On y rencontrera les sœurs d’Hala et leur mère pour apprendre qu’après son retour d’Egypte où il avait donné une conférence sur les minorités leur père a été une nouvelle fois arrêté, torturé et qu’il en est mort. La décision de partir a été prise alors par toutes les trois, leur mère décidant de rester par esprit de résistance. Deux d’entre elles sont actuellement à Lyon.

IIlustration du « live » une jeune fille surgit sur le plateau et souligne à quel point il est important de changer de pays, nous apprenons qu’elle vient d’Ukraine et sera présente dans une des prochaines représentations.

Et puis cette photo de Sam le petit cousin de Yannick, prise lors du voyage de ce dernier dans son pays. Sam a 10 ans et on voit son interview filmée et projetée sur l’écran. Les yeux tournés vers le ciel et réfléchissant il dit qu’il faut vivre et se tourner vers l’avenir. Il est l’incarnation ce cette « relève » qui met en rapport plusieurs générations avec leurs questionnements et les réponses qu’ils font à la vie.

La radio et la scène deviennent de formidables lieux de rencontre et d’échange et nous en avons été des témoins très touchés.

La série se poursuit avec d’autres intervenants jusqu’au 18 novembre au TNS Hall Grüber

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 7 novembre au TNS

Oui

D’après Thomas Bernhard au TNS

Pour ce texte magnifique et émouvant du grand écrivain autrichien il fallait pour le porter, le faire vivre un grand acteur. Qui, mieux que Claude Duparfait pouvait incarner ce personnage sensible, excessif, bouleversé par son vécu et bouleversant par le récit qu’il vient partager avec nous spectateurs désignés comme destinataires.


Assis sur une simple chaise, un livre à la main, un grand sac poubelle à proximité, c’est dans ce décor minimaliste, laissant toute la place  au comédien  que celui-ci entame sa prestation. Il lit  un texte extrait des aphorismes de Schopenhauer à propos de la proximité, de la bonne distance, prenant l’exemple des  porcs-épics qui cherchent à se rapprocher pour avoir chaud mais qui, s’ils le font de trop près se piquent et de trop loin ont froid. Une histoire  emblématique de celle qui va nous être rapportée.

© Jean-Louis Fernandez

Il est ce narrateur qui tient à revenir sur un épisode qui a notoirement marqué sa vie. On est en quelque sorte après la catastrophe, il s’agit de se remémorer les faits, les circonstances. Cela va s’effectuer sous nos yeux, sans pathos mais non sans émotion. C’est justement toute cette capacité de Claude Duparfait à saisir et à montrer par sa gestuelle, ses mains qu’il presse l’une contre l’autre ou dans lesquelles il enfouit son visage, ses sursauts, ses regards qu’il pose sur nous, pour exprimer le tourment qui habite le narrateur au  souvenir de certains moments, ceux passés avec la jeune femme  appelée « La Persane » rencontrée quelques mois plus tôt chez l’agent immobilier Moritz, ce jour où, se sentant devenir fou, ll était allé chez ce dernier et s’était livré à une débauche de confidences sur son état de santé mentale.

Tout avait commencé là, dans le bureau de Moritz,  où un couple, les Suisses, était venu pour parfaire l’achat d’un terrain réputé invendable car trop humide et mal situé. L’homme, célèbre comme constructeur de centrales électriques s’étant entiché de ce lieu voulant y faire construire une maison pour y  passer sa retraite. Le narrateur dit qu’il fut surpris d’un tel choix mais surtout du silence de sa compagne, « La Persane ».  Devinant le désarroi de celle-ci il lui propose une promenade dans la forêt de mélèzes proche du village. Ils en effectueront plusieurs et finiront par se rendre compte qu’ils partagent la même passion pour le philosophe Schopenhauer et pour le compositeur Schumann mais aussi que le même mal de vivre les tourmente.

Prenant peu à peu conscience qu’ils se sauvent mutuellement, peut- être justement en raison de cela et, paradoxalement ils s’éloignent l’un de l’autre puis ne se voient pratiquement plus et en arrivent à une espèce de détestation. Un déséquilibre se fait jour, lui, se sentant capable de reprendre ses travaux scientifiques, elle, sombrant dans la solitude et la désespérance qui vont la conduire au suicide, acte évoqué un jour par lui sous forme d’une éventualité, d’une question à laquelle, après hésitation, elle avait répondu « oui ».

Dans cette mise en scène finement conduite par Célie Pauthe,  « La Persane » nous est révélée dans  des séquences filmées où le narrateur est vu en sa compagnie, marchant côte à côte dans la forêt de mélèzes, silencieux ou devisant, assis sur un tronc d’arbre.  Un jour, c’est là qu’elle lui révèle sa vie de femme exilée qui a délaissé ses études pour se consacrer à son compagnon qu’elle a aidé à devenir ce brillant constructeur de centrales qui maintenant veut se débarrasser d’elle et l’abandonne dans ce pays hostile aux étrangers. L’actrice iranienne Mina Kavani tient ce rôle avec humanité, sensibilité se montrant d’abord discrète, attentive puis devenant plus expansive avant de se replier sur elle-même et d’entamer le rejet de celui qu’elle aurait pu prendre pour un ami, lui adressant de graves reproches. La comédienne filmée parfois en gros plan sait parfaitement montrer ces changements d’attitudes et de postures.

Le comédien regarde ces scènes qui sont comme la mémoire vive du narrateur qui a vécu ces moments, se les remémore avec une intense émotion et il joue son visage tendu, son accablement qui le fait se mettre à genoux ou s’écrouler sur le plateau, nous rendant témoins directs de la tension dramatique que la rencontre de ces deux êtres a suscitée. Nous retrouvons dans ce spectacle simple et intense l’écriture fascinante de Thomas Bernhard qui plonge dans la complexité de l’humain, y décèle la désespérance et son possible dépassement par la rencontre avec l’autre si l’on accepte de cheminer avec lui.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 24 octobre

En salle jusqu’au 28 octobre

La danse macabre de Martin Zimmermann

Cette danse macabre lui appartient de fait puisqu’il en signe la conception, la mise en scène, la chorégraphie, la scénographie avec Simeon Meier, les costumes avec Susanne Boner et qu’il participe au jeu en y tenant le rôle de La Mort.


Depuis 2003, régulièrement invité au Maillon nous avons pu apprécier son grand talent de concepteur d’œuvres tragicomiques.

Ce qui frappe d’entrée de jeu c’est ce décor de grand désordre, de décharge, d’amas de vieux papiers traînant sur le sol et ce remuement sous les sacs poubelles ce qui nous évoque immédiatement ces SDF qui souvent n’ont rien d’autres qu’eux pour s’y abriter et y dormir.

© Basil Stücheli

Et on n’est pas loin de penser cela en voyant surgir d’un cercueil de carton puis virevolter ce personnage de la mort ricanant et claquant lugubrement des dents

Mais trêve de tragique ceux qui émergent, ils sont trois à se dégager, hirsutes et mal fagotés (costumes Susanne Boner) vont à leur tour défier cet environnement pourri et en faire un partenaire de jeu, c’est à dire de vie, car c’est à eux (Tarek Halaby, Dimitri Jourde, Methinee Wongtrakoon en alternance Eline Guenat) maintenant de virevolter et de ne pas en laisser l’apanage à la mort. Démonstration va en être faite quand, par exemple, dans la petite cabane perchée sur le sommet d’une pyramide, les occupants du lieu seront confrontés au mouvement de balancier qui la fait basculer de droite à gauche et les projette contre les murs. Il s’agit de garder l’équilibre et cela nécessite des rétablissements constants et suffisamment hasardeux pour créer un comique de situation tout en étant une sorte de représentation symbolique de cette résistance dont il faut faire preuve face aux aléas de la vie.

Deux des enfermés de la cabane basculante finissent par s’en échapper par des glissades qui les ramènent sur le plancher des vaches pendant que le troisième (Dimitri) s’exerce par toutes sortes de manœuvres et d’acrobaties à maîtriser l’espace. Une fois sorti de ce lieu inhospitalier, il pourra exprimer son mécontentement en râlant fermement et bruyamment au milieu des déchets qu’il ne cesse de repousser du pied et en projetant une de ses chaussures au milieu du public avant de la lui réclamer illico. Son numéro de clown a parfaitement fonctionné et il en profite pour renchérir avec force cris et gesticulations.

 La mort passe, sortant d’un bidon abandonné où elle s’était cachée pour donner un coup de balai et repousser quelques débris, histoire surtout de se montrer toujours prête à narguer ceux qui évoluent près d’elle. Ce que ne manque pas de faire la danseuse (Eline) enchainant les pirouettes et les contorsions ou le comédien (Tarek) qui se prend pour une diva, minaude, joue j avec ses longs cheveux, avant de s’exercer à des vocalises dignes de la Castafiore. La musique forte, rythmée, composée par Colin Vallon accompagne de façon pertinente ces exercices de « haute voltige »  sous des jeux de lumière sophistiqués (création lumière Sarah Büchel)

Tout cela frise l’absurde et ne manque pas d’humour. Les propositions se multiplient sans présenter de vrais liens entre elles et certaines improbables comme cette scène d’accouchement frisent le burlesque ou le mauvais goût selon la sensibilité de chacun, cependant elles sont menées avec brio dans un ambiance de cirque déjanté par des comédiens dont le vrai talent est de savoir dérisionner, montrant ainsi que l l’on peut célébrer la vie même si le tragique de l’existence tend à s’imposer.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 19 octobre

Le Jardin des délices

Attirés, intrigués par ce titre magnifique qui reprend celui d’un tableau du célèbre peintre flamand du Moyen-Age, Jérôme Bosch et par la connaissance que nous avons du metteur en scène, Philippe Quesne, et de sa Cie  le Vivarium Studio venu à plusieurs reprises ici au Maillon, (« La nuit des taupes » en 2016) nous avions grande envie de voir sa dernière création qu’il a montrée au Festival d’Avignon pour la réouverture de la Carrière Boulbon.


© Martin Argyroglo

Nous nous retrouvons face à un plateau quasiment vide où, côté jardin, est à l’arrêt un grand bus blanc. En fond de scène un immense tableau représente dans des tons pastel un paysage de la nature.

Tout commence quand, l’un après l’autre les protagonistes descendent du bus, certains avec des chapeaux de cow-boys et presque tous santiags au pied. (Costumes Karine Marques Ferrera). Sommes-nous dans un désert américain ?

Leur action consiste à se rendre près des gros sacs de chantier pour y prélever à grands coups de pelle et de pioche des cailloux qu’ils vont disposer en cercle au centre du plateau avant d’y installer solennellement un très gros œuf (scénographie Elodie Dauguet)

L’hommage qu’ils lui rendent a tout d’un rite funéraire puisque l’un après l’autre, il s’approche pour le toucher, le caresser, esquisser une ronde et lui offrir un petit concert de flûtes, banjo et castagnettes.

Ce premier moment achevé, celui qui paraît être l’organisateur du groupe (Gaétan Vourc’h) propose de mettre en place « un cercle de paroles » où chacun s’exprimera à sa guise. Le projet étant approuvé, on va bientôt assister à de fantasques exhibitions, les uns, lisant des textes, d’autres s’allongeant sur le sol, d’autres encore, exécutant la posture de l’équilibre sur la tête, quelques-uns se regroupant pour se constituer en tableau vivant pendant que sur le toit du bus Thierry Raynaud déclame des sonnets, que, près du bus, Sébastien Jacobs joue du violoncelle et chante. Une femme traverse le plateau, une pomme posée sur la tête, une autre posera des questions absurdes telles que « les cannibales ont-ils des cimetières ? »

Côté cour défilent sur un écran lumineux des textes surréalistes signés Laura Vasquez.

Une nouvelle séquence s’ouvre avec le démantèlement du bus auquel on arrache les fenêtres et une partie de la carrosserie pour en faire une scène de cabaret sur laquelle un des passagers se transforme en chanteur lyrique suivi d’un autre devenu magicien capable de redonner une chevelure abondante à un chauve. Beaucoup de fantaisie, d’incongruités dans ces démonstrations qui semblent improvisées et répondre à des nécessités qui nous échappent.

Parfois des silences, des temps morts comme si ce groupe ne savait ce qu’il fait là.

Alors l’orage avec tonnerre, éclairs et pluie relance le mouvement, tous se mettent à courir pour se mettre à l’abri et regagner le bus cela va de soi.

C’est encore une surprise de voir apparaître des personnages en costumes médiévaux qui déambulent en citant des textes philosophiques en vieux flamand puis  on entend « chaque pierre est un éclat du cosmos » et un homme sur le justaucorps duquel est dessiné un squelette apparaît à son tour.

Côté cour on voit parfois jaillir des flammes (l’enfer ?).

Enfin la question du départ se pose. Un triangle lumineux se dessine sur le tableau du fond, C’est comme une destination vers l’infini, vers l’espace qui manifestement convient à ces curieux voyageurs.

Ainsi s’achève  le spectacle  de Philippe Quesne qui n’a cessé de nous surprendre et de nous dérouter par son aspect apparemment décousu où les références au tableau de Bosch sont loin d’être évidentes si ce n’est justement par ce côté foisonnant et énigmatique que l’on retrouve chez l’un comme chez l’autre.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 12 octobre au Maillon

MOTHERS A SONG FOR WARTIME

Le retour de la metteure en scène polonaise Marta Gornicka marque une fois de plus l’engagement du Maillon pour les causes humaines en tension. On a encore en tête son « Magnficat » qui nous la révéla lors du Festival Premières en 2012 et qui remettait en question ie statut de la femme polonaise soumise aux diktats de la religion catholique dominante dans ce pays.


Elle aborde dans cette récente création un sujet d’une actualité brûlante, la guerre en Ukraine et d’une manière plus générale les souffrances que toute guerre ne manque pas d’engendrer.

Ce conflit se déroulant au cœur de L’Europe, à proximité de la Pologne, ce pays a vu arriver nombre de réfugiées et c’est parmi elles que Marta Gornicka a choisi les femmes qui constituent en compagnie de mères polonaises et biélorusses, le chœur qui interprète cette œuvre.

Elles nous apparaissent en groupe serré, bien droites face à nous, en tenues ordinaires, jupes, pantalons, shorts tee-shirts, l’air résolu.

Une toute jeune fille ouvre le spectacle en lisant un poème devant les spectateurs. Il est question d’une tradition ukrainienne qui évoque avec l’arrivée d’un oiseau, celle du printemps et celle de changer le monde. On pense à la paix qui, justement pourrait opérer cette nécessaire transformation puisque pour l’heure il n’est question que de guerre partout dans le monde.

Elles entament d’une seule voix un chant dont les paroles sont traduite en français et en anglais  sur un bandeau, répété, martelé, souligné par les frappes du tambour il dit »Bonne nuit », un chant de souhait comme aiment les pratiquer les coutumes ukrainiennes. Ironie, provocation, puisque repos, tranquillité sont difficilement conciliables avec la guerre.

Pour énoncer les exactions entraînées par la guerre, et ce dont elles vont faire état, les bombardements, les morts les séparations les viols, l’exil, elles se déplacent en ligne, en diagonale selon des rythmes quasiment de marches militaires, frappant du pied le sol avec énergie et du même coup galvanisant notre attention. On peut parler d’une chorégraphie militante pour ces mouvements réglés au plus juste qu’un sit in vient parfaire.  Il y a de la colère dans leurs voix qui vocifèrent, dénoncent, ironisent sur les manques de l’Europe, interpellent le public avec de grands ricanements sonores, des « ah ! ah ! ah ! répétés à l’envi.

Chacune viendra dire qui elle est et confier un bout de son histoire.

En contrepoint après avoir énoncé ce que cette guerre était vraiment elles chanteront main dans la main un chant sur l’amour, et puis les bras levés répéteront avec force ce souhait universel

« Never Again, Never Again » qui ne pouvait qu’entraîner l’adhésion du public.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 6 octobre 2023

La tendresse au TNS

Un spectacle enthousiasmant pour cette entrée dans la saison, un de ceux dont on sort avec le sourire, heureux d’avoir vécu un moment pétillant de vie, brillant, intelligent et constructif.


Conçu et mis en scène par Julie Berès de la Cie « Les Cambrioleurs » sise à Brest, ce spectacle a été créé le 16 novembre 2021 à la Comédie de Reims.

La metteure scène Julie Berès avait présenté en 2019 au TNS, dans le cadre de « L’autre saison », la pièce « Désobeir » dans laquelle le problème de l’émancipation des femmes était posé.

Elle revient avec un sujet parallèle concernant cette fois les hommes, la construction de la masculinité, comment se soumettre ou plutôt échapper aux injonctions de devoir s’affirmer en tant qu’homme.

Après un long travail d’enquête et de recherche historique et sociologique, en s’adjoignant des collaborateur-trices,  Kevin Kreiss, Alice Zéniter, Lisa Guez et la chorégraphe Jessica Noita, elle a mis au point  ce formidable spectacle.

Ça démarre à toute allure, un groupe de jeunes garçons, déboulent sur le plateau, sortant d’une sorte d’entrepôt gris, se précipitent sur les murs pour écrire à la hâte le titre « la tendresse » puis très vite encore  ils se lancent dans une danse effrénée témoignant d’une folle énergie, c’est la véritable entrée dans le spectacle au cours duquel les huit jeunes comédiens ne se départiront pas de cette splendide détermination à s’exposer, à faire passer par le langage du corps autant que par la parole dite ou chantée les contradictions qui les traversent, les mobilisent, les paralysent aussi parfois. Car il ne suffit pas de naître garçon pour devenir homme comme le démontrent dans la pièce ces scènes où l’un comme l’autre sera confronté aux injonctions multiples et ancestrales qu’on ne manque pas de lui rappeler. L’illustre à la perfection cette énumération de tout ce qu’un homme finit par acquérir comme situation enviable s’il obtempère à ces sortes de commandements omniprésents dans les traditions éducatives, souvent tenus comme des évidences, inutiles à expliciter.

Les huit interprètes, tous de formation et d’origines différentes, Bboy Junior, Natan Bouzy, Charmine Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian (en alternance avec Ryad  Ferrad) Djamil Mohamed, Romain Sheiner, (en alternance avec Guillaume Jacquemont) Mohamed Seddiki (en alternance avec Said Ghanem) danseurs, performeurs, comédiens jouent à  se remettre en question avec une sincérité, une authenticité  et un humour qui nous les rendent proches et touchants. Ils abordent toutes les grandes questions qui interrogent leur identité d’homme et la bouleversent, aussi bien leur allure physique qui se doit d’être sportive que leur mental qui doit être rassurant et sans faiblesse. Ils abordent la relation homme-femme et les parcours très compliqués et anxiogènes qu’elle engendre, chacun en faisant part à sa façon ce qui peut susciter entre eux des désaccords sur leur point de vue, et même de chamailleries, des réflexions désobligeantes, des moqueries blessantes, d’où parfois des corps à corps violents et cette impression du vécu en live qui retient toute notre attention et nous amuse tant les répliques ont d’à-propos.

Rien ne semble avoir été oublié dans ce parcours du combattant et seront évoqués la relation avec ces pères qui s’affichent autoritaires mais souvent absents, l’art de la drague, la peur des femmes, la jalousie qui révèle la violence qu’on a en soi, la crainte d’être homo ou d’être taxé de pédé, et cette recherche d’en finir avec cet affichage de la virilité qui se fait jour peut-être en raison de l’inquiétude que suscite le mouvement Meetoo, l’envie d’aller vers la tendresse, autant de thèmatiques qui, sans didactisme, seront abordées parfois en solo souvent par des démonstrations  de danses urbaines, de hip hop virtuose  et  même par les superbes performances de danse classique  de Charmine Fariborzi et Natan Bouzy.

Dans ce décor plutôt banlieusard, signé Goury où les praticables permettent des évolutions circassiennes,  sous les lumières nuancées de Kelig Le Bars, les  interprètes costumés selon leur personnalité par Marjolaine Mansot et Caroline Tavernier nous ont offert un très beau travail de groupe témoignant d’une complicité manifeste et jouissive qui a emporté l’adhésion enthousiaste du public.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 4 octobre 2023

En salle Koltès jusqu’au 14 octobre

Nouvelle saison, Maillon Strasbourg 2023/2024

Comme à l’accoutumée, elle sera extra riche en propositions diverses et variées toutes tournées vers une solide qualité artistique, toutes propices à nous conduire vers un approfondissement de notre réflexion sur le monde et à faire voyager notre imaginaire.


Nous retrouverons des artistes déjà présents au Maillon, comme la polonaise Marta Gornicka et son chant choral, Phlippe Quesne, Martin Zimmermann, Tabea Martin, Gisèle Vienne, Jonathan Capdevielle, Camille Dagen et le groupe Animal Architecte, Boris Charmatz, Marion Siéfert, le groupe « Berlin », François Gremaud  se rappeler son excellent « Giselle », Alexander Vantournhout

Ainsi se succéderont spectacles de théâtre, de danse, de musique de cirque et pour les donner à connaître par genre nous commencerons par la musique puisque la saison s’ouvre en collaboration avec le Festival Musica qui se déroule du 15 septembre au 1er octobre dans différents lieux avec trois spectacles :

« Queen of Hearts » qui évoque, la Princesse de Galles, Lady Di, son interview à la BBC dans une pièce musicale signée Jannick Giger avec instrumentistes et la voix de la soprano Sarah Maria Sun.

« Place » de Ted Hearn qui est un oratorio engagé venu des Etats-Unis.

« Dompter les Rivières» une création coproduite par Le Maillon de l’autrice Lucie Taieb qui évoque le quartier du Wacken, ses mutations et entre autres un épisode au moment de l’exposition coloniale de 1924.

Puis nous retrouverons dans « Mothers a song for wartime » la vigueur et l’engagement de la polonaise Martha Gornicka dans ce chant choral qui s’insurge contre la guerre.

A inscrire dans les spectacles proprement musicaux « Carmen » de François Gremaud qui nous avait enchanté avec « Giselle »

En abordant les pièces théâtrales, remarquons qu’elles sont nombreuses, avec pour certaines le nom connu de leur concepteur.

Philippe Quesne pour « Le jardin des délices » (se rappeler « La nuit des taupes ») s’inspire de l’œuvre de Jérôme Bosch pour nous entraîner dans un monde où l’imaginaire et la réflexion collaborent étroitement

Jonathan Capdevielle après « Rémi » en 2022 présente « Caligula » d’après Albert Camus, une lecture de l’œuvre en deux versions accompagnées de musique et de danse.

Krystian Lupa, le célèbre metteur en scène polonais revient avec « Les émigrants » une mise en scène exceptionnelle d’une durée de 4 heures d’un texte de W. G.Sebald,un auteur de la fin du XXème siècle qui montre les  conséquences dramatiques des persécutions nazies sur ceux qu’elles ont contraints à l’exil.

Camille Dagen , après « Bandes » en 2020 présente avec  le groupe  Animal Architecte « Les forces vives » d’après « Les mémoires d’une jeune fille rangée », « La force de l’âge », « La force des choses » de Simone de Beauvoir.

Notons la présence de la jeune scène européenne avec « Sauvez Bâtard », première mise en scène de Thymios Fountas sur des figures d’anti-héros.

Reprise du spectacle « La taïga court, première cérémonie » mise en scène par Antoine Hespel dont c’était le travail de sortie de l’Ecole du TNS sur un texte de Sonia Chambretto, un regard sur l’avenir incertain du monde.

« Mi vida en transito » met en scène la correspondance de deux jeunes artistes, l’un Elvio a dû rejoindre l’Argentine pendant que son ami Savino qu’il a connu en Suisse demeure encore dans ce pays.

Signalons deux spectacles de théâtre participatif mis en scène par Olivier Letellier des « Tréteaux de France » à voir en famille ou en séances scolaires : « les règles du jeu » et « La mare aux sorcières »

Un petit tour au Moyen-âge avec « Péplum médiéval »

Un regard sur les enfants avec « J’ai une épée « de Léa Drouet

Une dénonciation des violences sexuelles par la brésilienne Carolina Bianchi et sa Cie Cara de Cavalo : « La mariée » et « Bonne nuit Cendrillon ».

Des échanges de lettres entre femmes emprisonnées par Markus et Markus theaterkollektiv, des témoignages sur des vies bousculées dans « Die Brieffreundschaft »

La mise en scène de Marion Siéfert pour « Daddy « est innovante puisqu’elle propose de représenter une sorte de jeu en ligne pour dénoncer la marchandisation des corps.

Un conte moderne de Métilde Weyergans et Samuel Hercule 4’7/00 de liberté qui raconte comment  un nouvel arrivant  peut bousculer la vie la mieux réglée.

Le groupe « Berlin » présente sur le mode théâtre filmique une sorte d’enquête sur un régisseur d’orchestre durant la Seconde guerre mondiale

De très belles propositions de danse viennent enrichir cette programmation. Elles sont signées

Martin Zimmermann pour une « Danse macabre » dans laquelle se mêlent danse, cirque et théâtre

Tabea Martin  qui met en scène et en danse le problème majeur de l’exclusion dans « Geh nicht in den wald,im wald ist der wald ».

Gisèle Vienne, une grande habituée du Maillon qui se positionne aussi sur le registre de la danse et du théâtre dans « Extra life » pour évoquer les retrouvailles d’un frère et d’une sœur après une longue séparation.

 Avec « Les Chercheurs » du collectif « La fleur » nous découvrons sept danseur-euses venus d’Afrique qui montrent avec virtuosité leur façon de surmonter les obstacles qui apparaissent dans leur nouvel environnement.

Présenté avec Pôle-Sud le Maillon invite l’illustre chorégraphe Boris Charmatz  qui a conçu pour 22 danseurs et danseuses le spectacle « 10000 gestes », une performance qui se déploie sur les notes du « Requiem » de Mozart

Egalement avec Pôle-Sud Trajal Harrell du Shaauspielhaus de Zurich offre dans « The Köln concert » une prestation originale sur une musique de Keith Jarrett.

Moment particulier, celui qui évoque avec 10 interprètes sous la direction de Nolween Peterschmitt la fièvre de danse qui s’empara de la ville de Strasbourg en 1518.

Quant au cirque que la programmation n’oublie pas, nous retiendrons « Pli » de Viktor Cernicky qui est la rencontre surprenante entre un homme et 22 chaises .

« 23 fragments de ces derniers jours » de la brésilienne Maroussia Diaz Verbèke avec  trois  interprètes brésiliens du collectif « Instrumento de ver » » et trois français de la Cie « Le Troisème cirque », tous faisant preuve de multiples talents.

En fin de saison, Alexander Vanthorhout qui sait déjouer les codes avec humour et virtuosité amènera une programmation faisant la part belle à la danse et au cirque. Ce sera  « Through the grapevine », « Vanthorhout » et « Foreshadow ».

Nous avons devant nous les promesses de grands moments de découvertes et s’ouvrent ainsi de multiples chemins à parcourir pour enrichir notre réflexion et y prendre plaisir.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Festival et Salon RACCORD(S)

La Bellevilloise – 19-21, rue Boyer, 75020 Paris

Né à l’initiative des Éditeurs associés, une association qui depuis 2004 mutualise des compétences entre éditeurs de petites et moyennes tailles et travaille à faire connaître leurs catalogues tout en plaçant le livre et la lecture au centre de leurs démarches, le festival Raccord(s) fête le livre et la lecture chaque année, crée des espaces de dialogue avec d’autres formes d’art et de savoir et invite le public à découvrir les ouvrages sous une forme originale : lecture théâtrale, performance, exposition, atelier, spectacle jeunesse, danse, balade ou dégustation qui se doublent d’un salon pour rencontrer et découvrir la production des éditeurs indépendants participants. L’entrée est libre et gratuite à toutes et tous, enfants comme adultes.

Pour fêter ses dix ans d’existence, la programmation du festival se met en mouvement : concerts, lectures musicales et dansées, atelier pour les grands et pour les petits, débats, déambulations, signatures, et bien d’autres surprises. La partie salon de l’événement prend elle aussi de l’ampleur avec une sélection remarquable de 42 maisons d’édition indépendantes venues de France, mais aussi de Belgique, de Suisse, d’Italie, du Canada, et du Brésil parmi lesquels Aux Forges de Vulcain à qui on doit Le soldat désaccordé de Gilles Marchand, prix des libraires 2023, La Contre Allée et les éditions de la Peuplade dont les livres Mississippi de Sophie Lucas et Le compte est bon de Louis-Daniel Godin figurent dans la première sélection du prix Wepler 2023, Hélice Hélas qui remporta avec Nétonon Noël Ndjékéry (Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis) le prix Hors Concourt 2022, les éditions du Sonneur qui publie l’émouvant Ni loup ni chien de Kent Nerburn et bien d’autres encore qui réserveront à coup sûr de merveilleuses rencontres littéraires .

Par Laurent Pfaadt

Festival et Salon RACCORD(S) 10e édition
du 14 et 15 octobre 2023

Retrouvez toute la programmation de Raccord(s) sur les réseaux sociaux :

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CHAVAL

En cette belle après-midi du tout début de l’été nous nous retrouvons sur l’aire d’accueil des gens du voyage de Fegersheim pour assister à un moment festif à l’initiative de La Cie « Les Gladiateur-trices » que dirige Beatriz Gutierrez.


On s’installe sur les bancs à l’ombre des tonnelles montées là pour nous protéger du soleil et de la chaleur et voilà qu’un personnage à tête de cheval vient ouvrir le spectacle au cours duquel différentes saynètes nous seront proposées

Et d’abord pour se mettre en train une invitation à participer à un flash mob où ceux qui le veulent sont invités à venir danser sur la piste où évoluent déjà Béatriz et Sabine Grislin, Renato Spera et Bruno Joumé qui les ont rejointes.

Bientôt, ce sont les paroles des gens du voyage qui viennent à se faire entendre, enregistrées par l’équipe à l’occasion de leur périple dans différentes aires d’accueil, celles, entre autres, d’Ostwald ou de Dunkerque située près du Port du Rhin.  Elles évoquent une époque où d’une certaine façon la liberté de déplacement était plus fréquente et plus grande. Des témoignages qui disent ce que furent à certains moments ou à différents endroits la vie des gens du voyage quand les parents voyageaient beaucoup, avant l’ère des aires d’accueil où les contraintes sont plus manifestes.

Mais trêve de nostalgie on va passer à la prise de photo de groupe avec comme il se doit le petit jeu de la place à prendre pour être vu et non pas caché par le plus grand ou le plus balaise. Après quelques bousculades on y arrive enfin !  

Quel plaisir aussi de voir évoluer Sabine dans sa robe rouge et légère avec sa perruque foisonnante et son nez de clown.

C’est elle, juchée sur un gros bidon qui entame un chant dont le refrain sera « Je mange mon accordéon » puis qui nous présentera son petit tour de danse et une fois au sol sera relevée par deux comparses très empressés interprétés par Renato Spera et Bruno Joumé.

Vient le moment où sous forme d’un petit jeu de rôle on aborde le problème de la domiciliation car cela peut être un sujet qui fâche alors chacun y va à sa façon pour défendre l’emplacement qu’il a adopté pour sa caravane, oui mais qui empiète plus ou moins sur le territoire du voisin, d’où bisbille et petit jeu qui renouvelle la scène. Renato et Bruno s’emploie à la rendre crédible et non dramatique. Avec en prime un appel au public pour que l’un ou l’autre vienne rejouer la scène à sa façon. Une jeune fille, Lana acceptera la proposition et s’en sortira fort bien.

Un autre moment fort de ce spectacle est celui du chemin des chaises, celles-ci disposées de telle sorte qu’on peut aller de l’une à l’autre de manière suivie et sûre. C’est là que chacun à sa façon vient dire ses souvenirs. On grimpe et on avance à grands pas, tout en répétant à l’envi « Je me souviens » et ce sont ces moments de rencontre que l’on a vécus lors des passages  dans les aires d’accueil où l’on a appris à se connaitre et à cheminer ensemble  qui sont ainsi évoqués, comme une nécessité à se les remémorer, à  témoigner de leur importance, à les faire vivre Sur ce chemin des chaises, véritable pont vers l’autre, on défile allègrement pour cette restitution de la mémoire à laquelle se  sont joints Elisa Renard et Maxime de l’AFI (Association familiale laïc) partenaire.

C’est en chanson et en danse auxquels tous sont invités à participer que s’achève ce moment ludique et chaleureux, l’aboutissement de longues heures de rencontres et d’échanges de la Cie sur les aires d’accueil participant à ce projet.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

 Représentation du 22 juin 2023