La maison d’édition allemande Müller und Schindler réédite de nombreux manuscrits médiévaux dans des versions de luxe 

« Regardez, oui, il s’agit bien du livre des étoiles de Samarkand d’Ulugh Beg d’après l’astronome Abū al-Husayn al-Ṣūfī. Les calligraphies sont à l’or fin. Appréciez ce Pégase ou ce Dragon ». Des livres inestimables devant lesquels rois et empereurs ont courbé l’échine. Des marchands arabes. Des clients européens fortunés prêts à tout pour acquérir ces précieuses reliques. Tout rappelle une aventure d’Indiana Jones. Cependant dans celle-ci, les Allemands ne sont pas là pour piller ces trésors mais au contraire pour les copier et les protéger. Et justement les Indiana Jones de cette incroyable aventure sont allemands et se nomment Charlotte Kramer et Alexander Wilhelm.

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Lors de notre rencontre à la foire internationale du livre d’Abu Dhabi au Proche-Orient, un marché qu’essaie de pénétrer la maison d’édition Müller und Schindler spécialisée dans la reproduction en très haute qualité de manuscrits médiévaux, on a eu un peu l’impression de revenir dans le passé, de toucher l’histoire. Et pour cause : devant nous se tient L’Evangéliaire du couronnement de Vienne devant lequel tous les empereurs du Saint Empire Roman Germanique ont prêté serment. Arrive alors notre Indiana Jones, Charlotte Kramer, la présidente de Müller & Schindler fondé en 1965 par le Dr Rolf Müller avec la famille Schindler et qu’elle dirige depuis près de vingt-deux ans. D’un geste assuré, elle ouvre la protection en plexiglas qui renferme le précieux recueil et, un sourire aux lèvres, nous lance : « Allez-y posez votre main ». Harrison Ford n’aurait pas fait mieux. 

Cette rencontre littéraire du 3^e type entre passé et présent est parfaitement assumée par la présidente : « la volonté d’unir le passé et le présent, la tradition et l’innovation, et de réaliser des éditions et des projets interculturels distingue Müller und Schindler depuis des années et est devenue son leitmotiv ».

Le merveilleux catalogue de Müller und Schindler ressemble ainsi moins à une brochure de la prochaine vente de Sotheby’s qu’à une bibliothèque universelle, celle dont ont rêvé les souverains les plus éclairés de l’histoire de l’humanité. Les heures d’Etienne Chevalier et les quarante-sept miniatures de Jean Fouquet côtoient L’Aratea Vaticana ou le Psautier royal de la Sainte-Chapelle sur lequel pria peut-être Saint Louis. Les adeptes de magie noire, d’atlas astronomiques, d’Hagganah médiévaux ou d’illuminations islamiques sont autant de rayonnages de la bibliothèque Müller und Schindler et lui confère assurément une dimension universelle. Plus encore, elle montre l’alliance magnifique entre le savoir et l’art à une époque où le livre imprimé est si déprécié. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à ouvrir le Stein Quadruptich de Simon Bening, chef d’œuvre de l’art flamand ou le Golden Calendar d’Hildesheim, autre pièce exceptionnelle de l’illumination saxonne pour se rendre compte que nous avons entre les mains de véritables musées portatifs.

Et lorsque Charlotte Kramer ne met pas ses gants pour tenir dans ses mains ces trésors de l’humanité presque millénaires, elle a l’œil rivé sur un écran d’ordinateur. L’idée principale de Müller und Schindler est là : inscrire ses pas dans la démarche des rédacteurs de ces merveilles en alliant à la fois les techniques du 21^e siècle notamment des digitalisations et des imageries en très haute résolution et un travail fait main réalisé par des artisans, permettant ainsi de recréer les intentions et la vision des auteurs de l’époque. Ici, on essaie donc de ressusciter l’âme de ces ouvrages. Avec toujours le même leitmotiv : unir le passé et le présent. Dans cette optique, Charlotte Kramer qui est également la présidente de Faksimile Verlag, une maison d’édition bavaroise associée aux travaux de Müller und Schindler, veille en permanence à allier dans une même démarche science et recherche. Et comme dans la série des films de Spielberg, la passion non pas de l’archéologie mais des livres anciens s’est transmise, ici en l’occurrence, de père et fille puisque Charlotte Kramer n’est autre que la fille du Dr Manfred Kramer, une sommité dans le domaine des éditions en fac-similé qui dirigea pendant de nombreuses années, les éditions Faksimile Verlag.

En reproduisant ainsi ses exemplaires à moins de mille exemplaires, parfois à 600 et moins, la maison d’édition réalise un travail incroyable de passeur de mots et de trésors et surtout fait œuvre de démocratisation. Certes, Le Livre des merveilles du monde de Jean de Mandeville ou le Willehalm de Wofram von Eschenbach ne sont pas pour toutes les bourses. Et si le coût est jalousement gardé, il ne reste cependant pas inaccessible pour le commun des mortels. « Certains achètent une Mercedes. D’autres préfèrent avoir Le livre des Miracles ou The Golden Bible of Mercy surtout quand celle-ci est signée par le pape François » rappelle Alexander Wilhelm, vice-président chargé du marketing et du développement de Müller und Schindler.

Et n’en déplaise à Sean Connery se réjouissant d’avoir fracassé une copie d’un vase Ming sur la tête de son fils et non l’original, les copies de Müller und Schindler méritent assurément de figurer dans chaque bibliothèque. Et devant cette copie du Livre des étoiles de Samarkand d’un Ulugh Beg, ce sultan timouride qui fit construire à Samarkand et Boukhara en Ouzbékistan quelques madrasas parmi les plus belles du monde ainsi que son fameux observatoire, on se dit que l’éclat de cette étoile littéraire signée Müller und Schindler, aurait assurément conquis le regard avisé du sultan. 

Par Laurent Pfaadt

Pour consulter le merveilleux catalogue de Müller und Schindler : https://www.muellerundschindler.com/