Muhammad Ali

Ce fut indiscutablement l’un des évènements télévisuels de 2021. En près de sept heures, le célèbre documentaliste Ken Burns, auteur des magistraux The Civil War (Guerre de sécession) et The War (Guerre du Vietnam, tous deux disponibles chez Arte vidéos) revient sur la vie et la carrière de la légende de la boxe, the
« Greatest » Muhammad Ali. Ken Burns ne produit pas seulement un condensé de la légende sportive mais insère cette dernière dans une époque, dans un récit national fait de heurts, de bouleversements et de transformations majeurs.


Bien évidemment, les grands combats sont là. Contre Sonny Liston. Contre Joe Frazier qui fut le premier à battre Muhammad Ali lors du fameux match du siècle (8 mars 1971) dans un Madison Square Garden où toute l’Amérique s’était donné rendez-vous, des stars d’Hollywood aux ouvriers du Kentucky en passant par les politiques de Washington. Contre George Foreman au Zaïre. Contre Larry Holmes qui fut son protégé dans son antre de Deer Lake et qui finit en octobre 1980 par mettre un terme à la carrière du champion tout en retenant ses coups par respect pour son idole. Des combats devenus mythiques dans l’histoire de la boxe.

Ken Burns convoque ainsi les grands témoins, boxeurs, famille et proches pour nous conter l’histoire de cette étoile de la boxe. Analyses des combats – et le fameux jeu de jambe d’Ali qui alimenta le « vole comme le papillon, pique comme l’abeille » et de leurs conséquences sur l’entourage d’un champion qui ne bouda aucun des plaisirs du succès, le documentaire ne fait l’impasse sur rien. Mais le récit du documentariste va plus loin en glorifiant comme dans ses récits précédents, les vaincus, ceux restés dans l’ombre. En s’attardant sur les adversaires d’Ali, comme par exemple sur la mort mystérieuse d’un Sonny Liston devenu la créature de la mafia ou sur la jeunesse d’un Joe Frazier qui, enfant, ramassait le coton dans des champs de Caroline du sud, Ken Burns réussit à dépeindre à merveille l’Amérique de ces années 60-70.

Déchu de son titre pour avoir refusé de servir sous les drapeaux, Ali mit KO debout le discours patriotique qui voulut l’enfermer dans un rôle qu’il s’est toujours refuser à jouer. Muhammad Ali est alors devenu plus qu’un boxeur, dépassant les frontières de son propre pays et de sa propre condition. Il s’est ainsi érigé en chantre du tiers-monde résumé dans cette fameuse phrase : « je n’ai pas de problème avec les Vietcongs. Les Vietcongs sont des Asiatiques noirs. (…) Je ne veux pas avoir à combattre des Noirs. »

En exacerbant ses outrances, son assurance, son manque d’humilité qu’il conserva cependant devant Elijah Muhammad et l’Islam, Burns raconte de la plus belle des manières le mythe Ali. Celui d’un homme qui ne se soumet pas à la loi de ses semblables. Celui d’un homme qui, défiant les lois du corps humain, finit par être rattrapé par une maladie qui pourtant, ne le vainquit qu’aux poings. Celui d’un homme enfin qui, à la différence de ses adversaires, a tenu la fatalité à bonne garde avant de céder. « Il [Dieu] m’a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n’étais qu’un homme comme les autres, que j’avais des faiblesses, comme tout le monde. C’est tout ce que je suis : un homme. » Un homme drapé de légende qui soumit, le temps d’un round, le monde entier.

Par Laurent Pfaadt

Muhammad Ali, Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon, 3DVD,
Arte éditions