Narcisse au Capitole

Robespierre et Danton demeurent les acteurs majeurs de la
Révolution française. Pour le meilleur mais aussi pour le pire
comme nous le rappelle l’historien Loris Chavanette dans un
ouvrage passionnant

En France, depuis Clovis jusqu’aujourd’hui, des monarchies aux
républiques présidentielles, les grandes aventures historiques, celles
qui opèrent des changements radicaux demeurent individuelles.
Cependant, il arrive que des épopées collectives se glissent dans
quelques interstices de notre histoire. Emerge alors un couple. Ce
fut le cas durant la Révolution française où en l’espace de cinq
années (1789-1794) et même de moins d’une année si l’on se
concentre sur l’épisode de la Terreur, les visages de la France, de
l’Europe et peut-être même du monde furent irrémédiablement
changés. Car « deux ans, c’est long en révolution » nous rappelle Loris
Chavanette, spécialiste reconnu de la Révolution française et du
Premier Empire et auteur de ce livre remarquable tant par le prisme
historique qu’il adopte que dans la merveilleuse langue qu’il déploie.

Le temps d’un quinquennat donc. Celui où deux figures, deux
monstres au sens propre comme au figuré se sont admirés avant de
se dévorer. Maximilien de Robespierre et Georges Danton furent
avant tout des avocats provinciaux (Arras et Arcis-sur-Aube) et
surtout des enfants des Lumières, ce qui conditionna leurs rapports
à la monarchie notamment. Engagés dans la Révolution dès le 14
juillet, ils connurent une ascension qui les propulsa grâce à un
charisme diamétralement opposé sur le devant de la scène, sur cette
Convention dont ils furent les premiers élus en nombre de voix.

D’une plume alerte, l’auteur convoque ainsi de nombreuses sources,
intimes ou plus officielles, comme l’historiographie pour
déconstruire intelligemment les mythes qui ont longtemps prévalu.
Sans certitude, il est possible que la première rencontre entre les
deux hommes eût lieu en juin 1790. Et derrière ce décor, l’histoire de ce duo devenu duel prend alors l’aspect d’un trio avec Camille
Desmoulins, « ferment de cette union » et scribe de leurs légendes, voire d’un quatuor avec la femme de ce dernier, Lucie. Un quatuor
qui entonna à quelques mois d’intervalle, leur requiem sanglant.

A travers ce miroir se lit donc l’histoire et les dérives d’une Révolution qui échappa à leurs auteurs. Les pages relatant les
massacres de septembre 1792, la mort du roi et la fin des Girondins
sont certainement les plus passionnantes de l’ouvrage. Loris
Chavanette y montre tantôt les doutes, tantôt l’aveuglement de ces
deux hommes « ces frères d’armes et non frères d’âmes » gagnés par
l’hubris. Finalement, Danton et Robespierre se sont pris pour des
dieux et, comme l’a rappelé à juste titre Anatole France, ils avaient
soif. Mais dans ce miroir tâché de sang où brilla l’éclat de la
guillotine, ils n’ont été que des Narcisse et « à n’éprouver jamais le
moindre sentiment de culpabilité quand on fait couler autant de sang,
c’est peut-être le signe d’une plus grande culpabilité encore que le crime
lui-même » écrit ainsi à juste titre Loris Chavanette.

La Roche tarpéienne est toujours proche du Capitole. Pour Danton
et Robespierre qui ne manquaient pas de se référer à l’antiquité, cet
adage se vérifia. Dans l’oubli de leur sépulture, ils en tirèrent une

éternité merveilleusement restituée dans ce livre.

Par Laurent Pfaadt

Loris Chavanette, Danton et Robespierre, le choc de la Révolution,
Chez Passés composés, 480 p.