Un dragon dans le moteur

Les 24h du Mans fêtent leur centenaire. Retour sur une légende française 

Que dire des 24h du Mans ? Qu’au même titre que le béret, la baguette, le Tour de France ou Edith Piaf, la course fait désormais partie du patrimoine français. A l’occasion de son centenaire, de nombreux livres viennent célébrer cette épreuve mythique, ce dragon à la fois terrible et envoûtant qui conjugue vitesse et endurance, intrépidité et patience et forgea dans le goudron brûlant sarthois les légendes de ces guerriers modernes et de leurs montures. Parmi les nombreux livres célébrant cet anniversaire, celui de Gérard et Julien Holtz, Basile Davoine et surtout Denis Bernard, grand connaisseur de la course, tient évidemment lieu d’ouvrage de référence.


Les 24 h du Mans c’est un peu Game of Thrones sur la route, chaque famille tentant de supplanter ses rivales pour maîtriser tels les Targaryen, le dragon du Mans. Tout au long de son histoire, les spectateurs assistèrent, de père en fils, aux règnes des Ford, des Ferrari, des Porsche, des Audi, des Alpine, des Toyota avant de contempler leurs disgrâces face à de nouveaux prétendants passés maîtres dans les coups d’état mécaniques et autres pronunciamentos nocturnes. Leurs batailles épiques constellèrent cette grande histoire comme ce duel de titans en 1970 qui vit onze Ferrari et vingt-et-une Porsche se livrer un combat incertain qui ne laissa que seize voitures sur le champ de bataille. Du départ en courant que vint abolir un Jacky Ickx, « Monsieur Le Mans », au kit de survie du spectateur en passant par les grands constructeurs, l’évolution des casques, du volant ou la gestion du sommeil, le livre n’omet rien de ces grands duels homériques.

Leurs montures, animaux fantastiques, changèrent d’aspect, au fil de ce siècle riche en mutations comme le montrent Denis Bernard et Christian Papazoglakis dans leur dernière bande-dessinée baptisée 100 ans d’innovations. « Il a le râle terrifiant du monstre sorti d’un mythe que les hommes n’ont pas encore inventé » écrivit le troisième compère des aventures dessinées des 24h, Youssef Daoudi, à propos de la Porsche 917, ce dragon rugissant frappé d’une collerette orange du logo Gulf et qui trône sur ce bestiaire de feu et de métal, entre une Cadillac 1950 surnommée « le monstre », une double torpille Nardi Bisiluro ou la Nissan Deltawing LM12 pareille à un vautour noir. Ces différentes innovations et prototypes traduisent en réalité l’audace d’inventeurs et d’ingénieurs qui allèrent avec le V8, les freins à disque, le moteur central arrière ou le diesel, révolutionner l’industrie automobile. 

Leurs généraux se nommèrent Barnato, Shelby, Ickx, Rodriguez, Gendebien, Hermann, Pescarolo, Pirro, Capello, Buemi ou Vanina Ickx, 7e en 2011 et qui fut certainement la femme la plus performante sur le circuit. Certains triomphèrent, d’autres furent vaincus. Car les 24h du Mans sont à la fois Austerlitz et Waterloo, parfois dans la même journée, parfois dans la même heure. De nombreux pilotes et champions de F1 participèrent aux 24h du Mans, peu en vainqueurs comme Fernando Alonso avec Toyota qui reste avec Graham Hill, l’un des deux seuls champions du monde de F1 à avoir remporté l’épreuve reine des WEC, et beaucoup mordant la poussière, la cendre et l’asphalte. Car les 24h du Mans choisissent avec parcimonie leurs champions. Ils doivent frôler la mort, sentir le souffle du dragon pour entrer dans la légende. 

Reste l’atmosphère, cette sensation unique d’un circuit qui excite tous les sens, ceux qui pilotes qui vont au bout de leurs limites ou ne parviennent jamais à quitter la course même lorsque celle-ci est terminée. Ceux des spectateurs ensorcelés par cette nuit qui tombe lentement en ce mois de juin sur le circuit, transformant ce dernier avec ses stands éclairés ou ces phares qui fendent l’obscurité en une « avenue de lumières » selon les mots de l’écrivain Gérard de Cortanze, auteur d’un magnifique ouvrage sur la course. Des phares pareils aux yeux de ce dragon versatile et capricieux.

Crash 1955

Avec ses détails et ses anecdotes, le livre de Gérard et Julien Holtz, Basile Davoine et Denis Bernard devrait ravir aussi bien les néophytes que les passionnés d’une course qui représente bien plus qu’une simple compétition, et permettre à tous de dompter le dragon. Le temps d’un instant en tout cas.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Gérard Holtz, Julien Holtz, Basile Davoine, Denis Bernard, 24h du Mans, 1923-2023, 100 ans de Légendes, Gründ, 336 p.

Denis Bernard, Christian Papazoglakis, 24 heures du Mans – 100 d’innovations, coll. Plein gaz, Glénat, 56 p. 

Gérard de Cortanze, La légende des 24h du Mans, Albin Michel, 298 p.

Le hors-série du magazine Auto-heroes consacré aux 24h du Mans, 24 histoires qui ont écrit la légende, 2021.

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