Un mythe en perte de vitesse

Fin mai se tiendra la fameuse course des 500 miles d’Indianapolis dont l’étoile pâlit cependant depuis plusieurs années

Tandis qu’Monaco se déroulera la course automobile la plus prestigieuse du monde, aux Etats-Unis se tiendra celle qui fait office de référence dans le sport automobile américain : les 500 miles d’Indianapolis. Située sur le circuit de l’Indianapolis Motor Speedway non loin de la capitale de l’Indiana, cette course sur circuit ovale est, depuis 1911, une véritable institution. Ainsi chaque weekend précédant le Memorial Day, elle réunit les meilleurs pilotes d’Indycar, ce championnat regroupant des monoplaces, sorte de Formule 1 américaines.


Au cours des 122 éditions de l’épreuve, quelques grands noms du sport américain y ont forgé leur légende : A.J. Foyt, Al Unser ou Rick Mears notamment qui ont remporté chacun quatre fois la course et ont acquis le statut de héros américains. Plusieurs champions du monde de F1, Graham Hill, Emerson Fittipaldi ou Jacques Villeneuve ont également triomphé à Indianapolis. Idem dans le paddock avec de grands patrons d’écurie comme Roger Penske, Carl Haas ou Chip Ganassi. Certaines marques y ont glané leurs lettres de noblesse comme Ford ou Oldsmobile, ajoutant au triomphe de l’industrie automobile américaine des succès sportifs de prestige. Mais c’est certainement Chevrolet qui symbolise plus qu’aucune autre marque les 500 miles d’Indianapolis. Personne, pourtant, ne sait que le fondateur de la marque, Louis Chevrolet, disputa la course au début des années 20 et que son frère Gaston la remporta en 1920 sous les couleurs d’une France qui allait devoir attendre près d’un siècle (2019) pour qu’un autre de ses compatriotes, Simon Pagenaud, boive à nouveau le traditionnel verre de lait réservé au vainqueur. Mais si Chevrolet est aujourd’hui devenu un fleuron de l’industrie automobile américaine et une légende de la culture américaine, tout le monde a oublié qu’à l’origine, elle était…suisse. L’écrivain suisse Michel Layaz estime ainsi dans son livre, Les Vies de Chevrolet (ZOE éditions), que « personne ne se souvient (pas même en Suisse ou en France) que Louis Chevrolet a été le cofondateur de cette marque devenue célébrissime » avant d’ajouter : « les 500 miles d’Indianapolis vont offrir à Louis Chevrolet l’occasion d’une sorte de revanche sur le mauvais sort. En effet, en 1920, quand son frère Gaston gagne cette course déjà mythique aux USA, il la gagne sur une Frontenac, une voiture entièrement (châssis et moteur) conçue par Louis. A ce moment-là, Louis n’a pas le droit d’utiliser son patronyme puisqu’il l’a cédé pour une bouchée de pain à l’autre fondateur de la Chevrolet Motor Car Company, à savoir Billy Durant. » William Crapo « Billy » Durant qui avait fondé quelques années plus tôt General Motors.

Pour autant, comme le rappelle Sylvain Cypel, ancien correspondant du Monde aux Etats-Unis, le sport automobile et les 500 miles d’Indianapolis ne sont plus aussi populaires qu’avant et ont suivi le déclin de l’industrie automobile américaine. « Les patrons d’équipes automobiles ont connu souvent une grande notoriété, mais elle est en forte baisse, comme l’est l’industrie automobile en général. Le temps de la gloire de GM et Ford est amplement passée. Et avec elle celle du sport automobile américain. Le sport automobile est un résidu important de cette gloire passée, mais le déclin de l’industrie lourde américaine a entrainé l’automobile dans sa chute, au profit des Asiatiques, Toyota, Honda et les Coréens, et même les Européens, à un moindre degré » dit-il. Si bien que la Formule 1 dont la popularité est en constante croissance et a même le droit à sa série à succès sur la plateforme Netflix, ne fasse un retour en force avec trois grands prix cette année sur le territoire américain (Miami, Austin et Las Vegas), attirée par des investisseurs aux abois ou décidés à supplanter dans le cœur d’un public américain plus friand de baseball et de football, une Formule Indy en perte de vitesse. Et comme un symbole de ce déclassement américain, la domination du motoriste Honda, victorieux de quinze des vingt dernières éditions. Seul Chevrolet a pu, timidement, contester cette domination qui va bien au-delà du sport.

Reste le mythe, magnifiquement entretenu par la pop culture avec d’abord l’autre instrument majeur du soft power américain, le cinéma. Dès 1932, la course inspire Howard Hawks dans The Crowd Roars avec James Cagney dans le rôle-titre. Puis dans Virages de James Gladstone en 1969, Paul Newman y interprète un pilote engagé dans les 500 miles d’Indianapolis. Ce tournage allait d’ailleurs lui transmettre le virus du sport automobile puisque Paul Newman pilota plusieurs voitures (Ford Mustang et Ferrari 365 GTB) et fonda avec Carl Haas une écurie de courses, la Newman/Haas Racing, engagée en Indycar et qui recruta d’anciens pilotes de F1 comme Alan Jones, Nigel Mansell ou Sébastien Bourdais.

En France, les 500 miles d’Indianapolis ont trouvé un écho majeur dans la bande-dessinée et notamment dans les aventures de Michel Vaillant de Jean Graton qui en fit, à de nombreuses reprises, le lieu des exploits du pilote français. Plus récemment, Vincent Dutreuil et Denis Lapière sont revenus, dans le premier album de la série Légendes – Dans l’enfer d’Indianapolis – sur la fameuse course de 1966 (voir interview).

Pourtant, à l’heure où les puissances financières ont fait du sport et du divertissement des enjeux majeurs en matière d’investissement et d’image, le mythe ne suffit plus. Si tout le monde connaît Max Verstappen ou Lewis Hamilton, il n’en est pas de même avec Helio Castroneves ou Takuma Sato, pourtant multiples vainqueurs des 500 miles d’Indianapolis. Et il est fort à parier que fin mai, les yeux du monde entier, y compris ceux qui font le sport automobile mondial, ne brillent davantage pour Monaco, une vieille dame assurément plus séduisante que son aînée américaine.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Vincent Dutreuil, Denis Lapière, Dans l’enfer d’Indianapolis, Légendes Michel Vaillant, 64 p, 2022

Michel Layaz, Les vies de Chevrolet, ZOE, 128 p, 2021

A voir :

Virages de James Gladstone (1969) avec Paul Newman