Se souvenir. Ensemble

Il y a quatre-vingts ans, le ghetto de Varsovie se soulevait contre l’occupation nazie

Pendant plusieurs semaines, du 19 avril au 16 mai 1943, dans le ghetto de Varsovie, cette partie de la ville regroupant près de 400 000 juifs, des hommes et des femmes regroupés dans l’organisation juive de combat, affrontèrent l’occupant nazi qui avait, depuis l’été 1942, déporté massivement les juifs de Varsovie vers le camp de la mort de Treblinka. Des héros du quotidien, les armes à la main, sans espoir de victoire, firent ainsi naître un espoir, un feu qui ne s’éteignit jamais tandis que d’autres, regroupés dans l’organisation Oneg Sabbat, œuvrèrent dans l’ombre pour lutter contre la volonté des nazis de faire disparaître toute trace physique et mémorielle du ghetto.


Polin © Maciek Jazwiecki

Les survivants et en particulier ceux du ghetto, à commencer par Marek Edelman, perpétuèrent, après-guerre, le souvenir de cette insurrection. Ce devoir de mémoire prit alors des formes diverses. D’abord sous forme de récits. Puis les générations suivantes, parfois des enfants de survivants racontèrent, par le biais du roman, ce qui fut. Et le ghetto devint une sorte de dibbouk pour de nombreux écrivains comme par exemple pour Agata Tuszynska, l’une des plus importantes romancières polonaises. « Chaque jour, je suis dans le ghetto de Varsovie » nous affirmait-elle ainsi lors d’une rencontre en juin 2022. Le 7 décembre 1970, le chancelier Willy Brandt s’agenouilla devant le monument marquant le souvenir de l’insurrection du ghetto de Varsovie perpétuant un devoir de mémoire étendu désormais aux anciens bourreaux et à toute l’humanité. Celui-ci se matérialisa ensuite à Varsovie dans des institutions comme l’Institut historique juif qui rassemble les documents collectés d’Oneg Sabbat puis dans le Musée Polin, inauguré il y a tout juste dix ans cette année.

Chaque année à partir du 19 avril, Varsovie se pare de jonquilles. Cette tradition impulsée par Marek Edelman s’est muée depuis quelques années en un véritable travail de mémoire qui relie les différentes générations à travers le pays. Une campagne socio-éducative avec pour slogan « La mémoire nous relie » et impliquant de nombreuses écoles voit des volontaires, souvent des jeunes, distribuer dans les rues de Varsovie, des jonquilles en papier, symbole de la mémoire commune du soulèvement du ghetto. En 2023, pour la première fois, des jonquilles seront distribuées par des bénévoles dans cinq villes polonaises : Łódź qui célébrera son 600e anniversaire, Cracovie, Wrocław, Białystok et Lublin, capitale européenne de la jeunesse en 2023, afin que cette mémoire reste vivace.

Le musée Polin à Varsovie, haut lieu de l’histoire juive en Pologne consacre quant à lui jusqu’au 8 janvier 2024 une exposition à cet anniversaire. Baptisée « Une mer de feu autour de nous. Le sort des civils juifs pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie », elle montre trente-trois photos inédites du ghetto juif de Varsovie prises par Zbigniew Leszek Grzywaczewski, un pompier polonais de 23 ans, et retrouvées dans la collection familiale de ce dernier. Ces photos possèdent une valeur exceptionnelle car il s’agit des seules photos du ghetto prises par un non-allemand. Aujourd’hui, ces témoignages uniques permettent au visiteur de poser un autre regard sur la barbarie de l’écrasement du ghetto.

D’autres évènements ont commémoré et commémoreront cet anniversaire. Ainsi le 20 avril s’est tenue dans l’auditorium du musée Polin, la création mondiale par le Sinfonia Varsovia Orchestra sous la conduite de la cheffe d’orchestre Anna Duczmal-Mróz, du concerto pour piano « Pour Josima » de la jeune compositrice polonaise Hania Rani. Cette œuvre lui a été inspirée par une jeune pianiste adolescente du ghetto, Josima Feldschuh, qui réussit à s’évader du ghetto avant de mourir de tuberculose le 21 avril 1943. Durant ce concert fut également joué le concertino pour piano et orchestre que Władysław Szpilman, le « Pianiste » de Polanski, écrivit dans le ghetto. Nul doute que Wiera Gran, chanteuse et héroïne du roman d’Agata Tuszsynska et dont Szpilman était l’accompagnateur, l’entendit.

Ces notes de musique qui se sont élevées dans le ciel, avec ces jonquilles plantées dans le sol relient ainsi entre eux, ceux qui, hier et aujourd’hui, ont combattu et continuent de combattre les soldats de l’oubli.

A voir jusqu’au 8 janvier 2024 au musée Polin de Varsovie, l’exposition « Une mer de feu autour de nous. Le sort des civils juifs pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie ».

Par Laurent Pfaadt

Tous les renseignements sur la commémoration du 80e anniversaire du soulèvement du ghetto sont à retrouver sur https://www.pologne.travel/fr/serwis/actualites/commemorations-du-80e-anniversaire-de-linsurrection-du-ghetto-de-varsovie#i

Et bien entendu quelques conseils de lecture pour entrer dans le ghetto :

Samuel D. Kassow, Qui écria notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie, Grasset, 594 p. 2011

Agata Tuszsynska, Wiera Gran, l’accusée, Grasset, 416 p.

http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/lheroine-de-tous-mes-livres-cest-la-memoire/

Marek Edelman, Mémoires du ghetto de Varsovie, Liana Levi, 192 p. 2002