Un ouragan de dessins

Casterman fête les 70 ans de Lefranc, le célèbre héros de Jacques Martin, avec un splendide coffret

Le dessinateur alsacien Jacques Martin donna trois enfants à la bande-dessinée : Alix, Jhen et Lefranc qu’il inscrivit chacun dans une époque différente : Alix dans la Rome antique, Jhen au Moyen-Age et Lefranc dans notre époque. Patrick Gaumer dans son ouvrage Jacques Martin, le voyageur du temps (Casterman, 2021) qui tient lieu de biographie de référence rappelle d’ailleurs la colère d’Edgar P. Jacobs lorsque celui-ci découvrit les premières aventures de Lefranc dans le journal Tintin en 1952. Selon lui, l’affrontement entre Guy Lefranc et Axel Borg rappellait trop celui entre Mortimer et Olrik. Dans une lettre restée célèbre, le créateur du Mystère de la Grande Pyramide lui demande ainsi de cesser « ce pistage ». Les deux hommes conviennent alors de se rencontrer dans un café bruxellois mais rien n’y fait : le différent doit se régler en duel. Rendez-vous est donc donné à l’aube…sur le circuit de Spa Francorchamps ! « Nous conduirons à tour de rôle la même voiture et le plus rapide d’entre nous sera déclaré vainqueur » lance Jacobs. Finalement, Jacques Martin, tout respectueux de son aîné et se sachant plus rapide, abdique, scellant ainsi une amitié durable.


Lefranc © Casterman

On aurait aimé voir cela : une course poursuite entre Lefranc et Mortimer où les héros et leurs créateurs finissent par se confondre même si le héros de Jacques Martin préféra les airs à la route. C’est ce que le lecteur découvrira dans le magnifique coffret qu’édite Casterman à l’occasion du 70e anniversaire de Guy Lefranc, journaliste au Globe, et regroupant les treize premiers albums de la série. Signant seul les trois premiers tomes, Jacques Martin fut ensuite assisté dès Le Repaire du Loup par son ami Bob de Moor qui avait déjà travaillé sur Le Mystère Borg puis par Gilles Chaillet. 

Les lecteurs jeunes et moins jeunes ont ainsi l’occasion d’entrer ou de revenir dans l’univers unique de ce héros désormais mythique du 9e art. Guy Lefranc est une sorte de Joseph Kessel arpentant le monde et luttant contre le crime personnifié par Axel Borg. Le succès fut immédiatement au rendez-vous, La Grande menace se vendant à près d’un million d’exemplaires. Hergé lui-même courtisa Jacques Martin qui rejoignit l’équipe du journal Tintin qui publia les aventures de Lefranc, reprises ensuite par les Dernières Nouvelles d’Alsace. 

OpérationThor © Casterman

L’Alsace natale de Jacques Martin traverse d’ailleurs plusieurs albums de Lefranc. Jacques Martin y puisa une partie de ses décors et notamment le château du Haut-Koenigsbourg. Bien avant Alan Lee qui s’en inspira pour Le Seigneur des anneaux, c’est Lefranc qui, à la page 11 de La Grande menace, entra en premier dans le château alsacien avec ces mots : « Quel site inquiétant ! Curieux endroit pour un rendez-vous ! » Le site reviendra bien plus tard, dans le 31e opus, La Rançon (2020), comme un hommage au travail du créateur. Avant d’en arriver là, notre héros aura parcouru le monde entier (Italie, Etats-Unis, Suisse, etc.) dans ces treize premiers tomes d’un duel sans merci avec son ennemi de toujours, Axel Borg. Quelques scènes fameuses viendront jalonner ces aventures désormais mythiques comme par exemple celle sur le pont d’un sous-marin dans Opération Thor ou l’incroyable couverture de La Cible où l’on voit un Lefranc, sabre à la main, dans la jungle du Pacifique.

Plus que ses autres personnages, Lefranc est peut-être celui qui ressemble le plus à Jacques Martin. Ce dernier mit dans ce personnage sa passion de l’aéronautique et du ski (hivernal et nautique) à en juger par la récurrence des avions et des scènes sur l’eau et dans la neige. Même physiquement, Lefranc semble être le jumeau de Martin et les divers albums trace une autobiographie avec peut-être L’Arme absolue en point d’orgue où, une nouvelle fois, l’Alsace et le mont saint-Odile sont à l’honneur. D’autres ont depuis entrepris de tracer la vie de ce héros toujours aussi jeune après 70 ans et trente-trois épisodes que ce magnifique coffret restitue à merveille.

Par Laurent Pfaadt

Jacques Martin, coffret Lefranc, 70 ans,
Aux éditions Casterman

Les espions se font des films

La Cinémathèque française célèbre avec brio les liens entre cinéma et espionnage

Un homme au chapeau mou et lunettes écaillées tenant un journal, une femme avec une poussette, un jeune homme en jogging. Rassurez-vous, vous n’êtes pas dans un square non loin de la Maison-Blanche mais bel et bien dans les couloirs de l’extraordinaire exposition que la Cinémathèque française consacre aux liens entre cinéma et espionnage. Quoique…


Pistolet d’or © Eon production

Il n’a pas fallu longtemps pour nous faire craquer, pour nous retourner tant cette exposition est un condensé de plaisir et de fascination. Top secret explore ainsi les liens quasiment originels entre l’espionnage et le cinéma. Le premier film d’espionnage naît en 1913. Il signe le début d’un genre qui séduira les plus grands (Fritz Lang, Alfred Hitchcock, John Huston ou Sam Mendes notamment). A travers une galerie d’affiches, véritable histoire du cinéma et voyage dans nos souvenirs, le visiteur entre comme à chaque fois dans la fabrication des chefs d’œuvres avec ces trésors qui nous montrent l’envers du décor comme ces lithographies de David Lynch.

L’histoire du 20e siècle a été et reste encore une source inépuisable pour le cinéma. De Mata-Hari de Georges Fitzmaurice à la série Homeland en passant par L’Homme qui en savait trop et Daniel Craig, le visiteur traverse ce 20e siècle qui fut celui des espions. De la Première guerre mondiale aux lanceurs d’alerte en passant par la seconde guerre mondiale et la guerre froide, chacun est appelé à passer tantôt à l’Ouest, tantôt derrière le miroir sans teint. « L’espion est un personnage romanesque par excellence. Entouré de mystères, il est le réceptacle de tous les fantasmes et de toutes les ambiguïtés, tantôt invisible, tantôt torturé » écrivent ainsi Alexandra Midal et Matthieu Orléan, les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue de cette dernière, véritable dictionnaire amoureux de l’espionnage au cinéma.

Bien évidemment, James Bond est présent en majesté et à au service de l’exposition. Comme un irrésistible appel, son générique plane au-dessus des salles et attire le visiteur. Grâce à de nombreux prêts de la société de production Eon Productions, les fans pourront s’extasier devant le pistolet en or de Francisco Scaramanga ou la combinaison en cuir bordeaux d’Halle Berry dans Meurs un autre jour. D’autres analyseront les codes et passages obligés cinématographiques de la célèbre franchise (bases, scènes de train, sorties de mer, etc).

Hedy Lamarr © cinémathèque française

Le cinéma permet tout y compris le retournement du plus incorruptible des espions en la personne d’un Sean Connery devenu commandant d’un sous-marin soviétique (A la poursuite d’octobre rouge, 1990) et écrivain œuvrant pour le KGB dans La Maison Russie (1990) d’un John Le Carré qui inspira de nombreux films (voir article Espions de papier). Avec Hedy Lamarr, les frontières entre cinéma et réalité finissent par s’estomper puisque l’actrice américaine qui tourna avec King Vidor et Victor Fleming inventa un système sécurisé de communications.

Le grand mérite de cette exposition est bel et bien de lancer en permanence des ponts (aux espions bien sûr !) entre fiction et réalité afin de mesurer leurs influences réciproques. Les objets de la fascinante collection de M – Stéphanie M. comme échappée d’un roman de Ian Fleming mais qui existe réellement ! – donnent une crédibilité au travail des créateurs et permettent de mesurer la vie quotidienne de ces hommes et ces femmes œuvrant dans l’ombre des États. Détecteur de mensonge, parapluie bulgare ou station d’écoute, tout est là. Ils sont complétés par des pièces de musées comme ces faux passeports de la Stasi et surtout cette incroyable machine Enigma, prêtée par le fond DGSE du musée de l’Armée.

L’espion, au cinéma comme dans la vraie vie, évolue. Il n’est plus celui qui défend un état, une idéologie. Mais un homme ou une femme qui agit selon sa propre conscience au service de l’humanité tout entière. Et naturellement le cinéma s’en fit l’écho avec ces nouveaux héros des temps modernes que sont les lanceurs d’alerte (Jason Bourne, Edward Snowden et Chelsea Manning). Nul doute qu’ils continueront à émerveiller les spectateurs en devenir qui, en sortant de cette exposition magnifique, ne manqueront pas de regarder derrière leur épaule pour voir s’ils ne sont pas suivis.

Par Laurent Pfaadt

Top secret : cinéma et espionnage, La Cinémathèque française
jusqu’au 21 mai 2023

Catalogue de l’exposition : Top Secret, cinéma & espionnage, Flammarion, 288 p.

La cinémathèque propose comme d’habitude une vaste programmation en lien avec l’exposition à retrouver notamment ici :

https://www.cinematheque.fr/cycle/le-cinema-d-espionnage-2e-partie-1006.html

Espions de papier

La littérature fourmille d’espions qui ont, souvent, été portés à l’écran. Tous les services de renseignements, tous les régimes ont été servis. Petit tour d’horizon…secret bien évidemment.


Lorsqu’on évoque les espions sortis des pages des livres pour devenir des mythes du cinéma hollywoodien, un nom vient immédiatement à l’esprit : James Bond. Les aventures de l’agent de sa Majesté ont largement dépassé le cadre que lui avait assigné son créateur, Ian Fleming, pour non seulement survivre à ce dernier mais également vivre sa propre existence avec d’autres écrivains tels que Jeffery Deaver, Sebastian Faulks et William Boyd.

John Le Carré

L’œuvre de John Le Carré (1931-2020), espion devenu maître espion littéraire, reste à ce jour, une référence, peut-être même LA référence pour tous les amoureux de la littérature d’espionnage. Les cinéphiles se souviennent encore des nombreuses adaptations de ses romans. Citons entre autres L’espion qui venait du froid (1965) avec Richard Burton, La Maison Russie (1990) avec Sean Connery et Michèle Pfeiffer ou La Taupe (2011) avec Gary Oldman et Colin Firth. Telle une galaxie centrée autour de sa trilogie, l’œuvre de Le Carré, disparu il y a près de deux ans, traduit sur un demi-siècle, l’évolution de l’espionnage, de la guerre froide à un monde multipolaire. Mais surtout il relate, dans ses nombreux romans, les désillusions et les difficultés des espions à trouver leur place dans un monde qu’ils ne comprennent plus et les dépasse. La dernière pierre de son immense édifice, L’espion qui aimait les livres (Seuil), ne fait pas exception. A travers le personnage de Julian Lawndsley, un ancien trader devenu libraire, John Le Carré offre à ses lecteurs une sorte de testament de son œuvre.

Si James Bond s’incarna dans quelques acteurs de renom comme Sean Connery ou Daniel Craig, il fut un autre espion qui n’eut pas à rougir du traitement que lui réserva Hollywood : Condor. Cet agent de la CIA propulsé malgré lui dans le grand jeu naquit dans l’imaginaire de l’écrivain James Grady avant de prendre les traits de Robert Redford. Dans Roulette russe, l’écrivain américain revient sur la genèse de Condor lorsque, passant devant une maison d’où personne n’entrait ni de sortait, le jeune journaliste sans le sou qu’il était se posa les questions suivantes : « Et si c’était une planque de la CIA ? Et si, en revenant travailler après le déjeuner, je trouvais tout le monde mort au bureau ? » De ces questions naquit un mythe littéraire, Condor, résumé dans trois romans et dans Roulette Russe qui nous montre, comme Le Carré, un Condor vieillissant qui doit s’adapter au monde post 11 septembre.

Le KGB, lui, ne fut pas en reste même s’il mit du temps à révéler tous ses secrets y compris et surtout littéraires. S’il peine encore à trouver un écho à la hauteur de son talent, Julian Semenov (1931-1993) devrait aisément sortir son héros Maxim Maksimovich Isaev alias Max von Stierlitz, espion à la solde de Staline en pleine seconde guerre mondiale, de l’ombre littéraire que le rideau de fer a porté sur lui. Son roman Ordre de survivre se situe quant à lui en mai-avril 1945. Stierlitz vient d’être démasqué par Müller, le chef de la Gestapo qui souhaite l’utiliser pour sauver sa peau. Après La Taupe, Semenov emmène une nouvelle fois son lecteur dans un Troisième Reich à l’agonie. Les petits bijoux de Semenov devraient sans aucun doute faire de nombreux transfuges.

Et la France dans tout cela ? Il lui manque assurément son grand espion littéraire. Il y a bien eu le personnage d’OSS 117 crée par Jean Bruce mais celui-ci n’était qu’un agent américain d’origine française. Après l’énorme succès éditorial que rencontra la saga – près de 265 romans – OSS 117 fut incarné au cinéma par Jean Dujardin dans un registre proche de la comédie et de la dérision. La faute à une littérature française qui a toujours considéré les romans d’espionnage comme de peu de valeur, des « romans de gare » mâtinés d’érotisme et symbolisés par la pléthorique production d’un Gérard de Villiers et de son SAS Malko Linge, agent de la CIA.

Ne s’assoit donc pas qui veut à la table du grand jeu littéraire…

Par Laurent Pfaadt

A lire : 

John Le Carré, L’Espion qui aimait les livres, Seuil, 240 p. Tous les romans de John Le Carré sont disponibles au Seuil et en poche chez Points.

James Grady, Roulette russe, Rivages, 180 p. qui s’intègre dans une série composée des Trois jours du Condor, Les Six jours du Condor, Derniers jours du Condor (Rivages).

Julia Semenov, Ordre de survivre, Editions du Canoë, 640 p. La taupe, Des diamants pour le prolétariat et Opération Barbarossa sont également disponibles chez Canöe et 10/18.

Bible marseillaise

Nouvelle édition du dictionnaire de l’OM

Que tous les fans de l’Olympique de Marseille se rassurent : la nouvelle édition du dictionnaire de leur club favori est enfin arrivée !

Avec ses cinquante nouvelles entrées qui viennent s’ajouter aux 1200 déjà existantes, ce livre passionnant prolonge ainsi une histoire déjà plus que centenaire. Des grands personnages du club (Magnusson, Diouf, Boksic, Payet) aux grands matchs – les finales de Munich et de Bari bien évidemment mais également Liverpool en 2007 avec ce but incroyable de Mathieu Valbuena à Anfield ou la demi-finale de la coupe de l’UEFA à Bologne en 1999 – le livre regorge d’informations, de souvenirs et d’anecdotes savoureuses comme ce coup de sang d’Eric Cantona (déjà !) lors d’un match de charité face au Torpedo Moscou ou l’éventualité d’une venue de Johan Cruyff en 2014. Bref des moments de plaisir concentrés dans cet ouvrage appelé à devenir le livre de chevet de tout supporter olympien qui se respecte !

Par Laurent Pfaadt

Dictionnaire officiel de l’Olympique de Marseille,
nouvelle édition, Hugo Sport, 2022