Un
magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue
en France
Voilà
plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale
rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils
reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il
devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe
Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.
Tout
commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et
Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de
ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des
frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant
continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé
par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis,
deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en
Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à
leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs
innombrables tubes : TNT, The Jack etIt’s a long way to
the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de
l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne
s’arrêtera pas et continue toujours.
Les
albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard
rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back
in black (1980), For Those About to Rock
(We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990)
qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les
tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la
petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you
wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson
refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple
du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En
France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de
Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les
50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures.
Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à
Colmar !
Leurs
chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec
Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à
nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa
de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who
made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.
Bien
évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans
l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et
de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams,
l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses
dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par
une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.
Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.
Par Laurent Pfaadt
Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique Glénat, 288 p.
Power
Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17
août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août
2024.
Le
Musée de Cluny rend hommage aux arts français sous le roi Charles VII
Coincés
entre les primitifs flamands et une peinture italienne d’un Fra Angelico prête
à basculer du Moyen-Age à la Renaissance, les arts sous Charles VII peinèrent à
exister à l’image de son royaume divisé
luttant contre un Etat bourguignon allié à une Angleterre revendiquant le trône
de France durant la fameuse guerre de Cent ans. Organisée avec la collaboration
exceptionnelle de la Bibliothèque Nationale de France et plusieurs fondations,
l’exposition du musée de Cluny pose tout d’abord le décor politique et
artistique de l’époque. Car, si l’histoire de France, notamment sous la plume
du grand Michelet, a retenu Charles VII comme le souverain qui dut sa couronne
à la Pucelle d’Orléans, elle n’a pas fait grand cas de son goût pour les arts
et notamment pour les livres. Pourtant, le sacre du roi à Reims, le 17 juillet
1429, puis le traité de paix d’Arras (21 septembre 1435) sorti pour l’occasion
des archives nationales vinrent stabiliser le royaume de France et permirent
également, comme le rappelle Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé et
commissaire de l’exposition, « de s’adonner davantage à la commande
publique ».
Il
faut reconnaître que l’époque était à la célébration de génies. L’Ars Nova
propagé par les Bourguignons et emmené par Jan Van Eyck, Roger von der Weyden
et Barthélémy d’Eyck dont le fabuleux Triptyque de l’Annonciation de
l’église de la Madeleine d’Aix-en-Provence magnifiquement décrypté et qui vaut
à lui seul le détour, venait de révolutionner la peinture rompant avec l’art
gothique tandis que de l’autre côté des Alpes, Fra Angelico jetait les bases
d’une Renaissance qui allait tout emporter.
La
France de Charles VII élabora alors une
synthèse de ces différents courants artistiques et définit une voie picturale
propre déclinée nationalement et régionalement, et qui trouva dans la figure de
Jean Fouquet son plus éminent représentant. Et si l’exposition présente le
fameux Portrait de Charles VII du Louvre, elle s’attarde également sur
son travail moins connu d’enlumineur en particulier celui opéré dans Les
Grandes Chroniques de France.
Jean
Fouquet fut ainsi la Jeanne d’Arc artistique du roi et occupa dans le paysage
artistique, selon les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue
qui accompagne l’exposition, « une place singulière » en tant
que « portraitiste virtuose maîtrisant la perspective sous toutes ses
formes et incluant dans son répertoire des motifs directement empruntés à
l’Italie ». Jean Fouquet jeta ainsi les bases du style français. Sa
figure est omniprésente dans l’exposition même si on regrettera l’absence du Diptyque
de Melun que le catalogue convoque malgré tout. Le visiteur se contentera
de l’observer à travers la radiographie du Portrait de Charles VII qui
laisse ainsi apparaître que Fouquet commença à peindre une vierge identique à
celle du Diptyque de Melun avant de changer d’avis. Il pourra en
revanche s’émerveiller devant le Triptyque de Dreux Budé d’André d’Ypres
reconstitué pour la première fois et qui constitue le point d’orgue de cette
exposition.
Convoquant des trésors de parchemins tirés de la BNF, véritables pièces maîtresses de l’exposition, celle-ci montre avec ces bréviaires, chroniques et autres livres d’heures comme les Grandes Heures de Rohan ou le Bréviaire de Bedford d’Haincelin de Haguenau, l’incroyable finesse de l’enluminure à la française, art majeur de l’époque, avec la puissance expressive de ses pastels et ses rouges et bleus tonitruants qui concoururent avec ces monumentales tapisseries ainsi que le très beau dais royal à la mise en valeur de la représentation de la personne royale. Un reconquête artistique qui en appelait une autre.
Par Laurent Pfaadt
Les arts en France sous Charles VII (1422-1461) jusqu’au 16 juin 2024 Musée de Cluny, Paris 5e
A lire le catalogue de l’exposition : Les arts en France sous Charles VII, 1422-1461, RMN, 320 p.
A lire également :
Christian
Heck, Le retable de l’annonciation d’Aix, récit, prophétie et accomplissement
dans l’art de la fin du Moyen Age, Faton, 208 p.
Jean-Christophe
Rufin, le grand Coeur, Folio, 592 p.
Laurent
Gohary signe une passionnante biographie de l’une des figures clés de la
République romaine
Son
nom restera éternellement associé à celui d’Hannibal, le grand conquérant
carthaginois qu’il vainquit. Et pourtant, l’histoire, dans sa grande et célèbre
injustice a choisi, une fois n’est pas coutume, de ne retenir que son perdant.
Dans
ce portrait fascinant alliant érudition et rythme qui réinstalle Scipion
l’Africain à la juste place qui doit être la sienne dans l’histoire de la
République romaine, le lecteur découvre un stratège militaire hors pair qui
modernisa l’armée romaine pour faire face à la plus grande puissance de son
temps, Carthage, mais également un homme cultivé, passionné d’histoire grecque
qui se rêva en successeur du grand Alexandre.
Il
eut face à lui un Sénat hostile emmené notamment par Fabius Cunctator, l’ancien
dictateur qui sauva Rome après le désastre du lac Trasimène et un Caton
l’Ancien qui accusa Scipion de débauche pour son goût de l’hellénisme. Jouant
le peuple contre les élites auxquelles il appartenait pourtant, Scipion lui
imposa une guerre qu’il porta en Afrique en défiant Hannibal à la célèbre
bataille de Zama en 202 avant J-C. Puisant dans les sources et notamment
Tite-Live, Polybe et Appien, Laurent Gohary embarque ainsi son lecteur dans ces
batailles romaines devenues légendaires (Cannes, Magnésie, Trasimène, Métaure)
jusqu’à Zama où « se joua le sort de toute la Méditerranée et, sans
doute, de la civilisation romaine elle-même » écrit-il. Un choc des
titans à revivre à travers un récit enlevé, appuyé sur une carte et ces mots de
Polybe : « il arrive aussi que, comme le dit le proverbe, un grand
homme en rencontre un autre qui soit plus grand que lui »
Devenu l’homme fort de la République, tissant ses réseaux grâce à sa gens, mais trop intègre et soucieux de sa place dans l’histoire, Scipion ne franchit jamais le Rubicon. La République n’était pas encore ce fruit mûr prêt à tomber. Jalousé, devenu trop puissant, Scipion finit comme ces illustres grecs qu’il aimait tant : ostracisé. Un siècle et demi plus tard, un autre général victorieux saura retenir la leçon. Une leçon littéraire contée de la plus belle des manières.
Par Laurent Pfaadt
Laurent Gohary, Scipion l’Africain Realia/Les Belles Lettres, 416 p.
A lire également :
Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère), coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.
Ben Wilson signe un livre de référence sur l’histoire
millénaire de la ville
Qui
n’a jamais apprécié de boire un café au petit matin sur une terrasse et voir
une ville se réveiller avec ses livreurs, ses écoliers, ses odeurs et ses
bruits ? Plus d’un siècle après le film de Fritz Lang, voilà que
Metropolis revient nous interpeller. Mais cette histoire qui nous est racontée
n’est pas celle d’une ville inscrite dans une société dystopique et symbole
d’une civilisation décadente tirée de l’esprit du plus grand réalisateur
allemand. Plutôt celle d’une ville protéiforme qui a traversé les âges et les
civilisations pour se transformer et se réinventer.
De
son invention, il y a près de 6 000 ans, dans la mésopotamienne Uruk à celle de
la mega-cité, omniprésente qui recouvrera en 2050 2/3 du globe, Ben Wilson,
historien britannique nous propose un voyage littéraire hallucinant,
électrisant et passionnant. De Dharani, le plus grand bidonville de l’Inde aux
ruines de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale en passant par l’ancêtre
de Dubaï, la Bagdad des califes et les banlieues de Los Angeles, son ouvrage
revient sur cette incroyable invention qui connut modifications,
bouleversements et évolutions négatives et positives.
Car
nous dit Ben Wilson, les êtres humains ont eu depuis des millénaires, la
volonté de se regrouper, de se socialiser, de créer des sociétés. Celles-ci se
sont matérialisées dans ces formes que l’on nomme villes ou cités si bien
qu’avec l’évolution de l’humanité, ces créations ont parfois échappé à leurs
concepteurs et se sont émancipées des Etats qui avaient présidé à leur
édification. Pour autant prévient l’auteur, « nous sommes doués pour
vivre dans les villes (…) Et pourtant, nous sommes aussi très mauvais pour les
bâtir ». N’hésitant pas à convoquer Gilgamesh, la série des Sopranos
pour évoquer le tracé linéaire entre centre-ville et périphérie ou l’industrie
automobile qui constitue selon lui l’un des poisons de détérioration des
conditions de vie dans les villes, Ben Wilson pointe ainsi avec intelligence
les réussites et les ratés de l’histoire urbaine.
Pour autant le génie humain a conçu une invention qui a fait preuve de sa résilience et de sa capacité à se réinventer, à surprendre. Et si l’homme a modifié la ville tout au long de l’histoire, celle-ci a également transformé les hommes et les sociétés. Ainsi de Los Angeles qui, grâce à l’immigration latino, a développé un type d’urbanisme générateur de sociabilité entraînant piétonisation et gentrification. Ici réside bien le coeur d’un livre qui ne se réduit pas à une simple histoire de l’architecture urbaine mais bel et bien dans une volonté de s’inscrire dans une dimension globale et faire de Metropolis, une sorte de livre-monde. Et à l’heure du défi du changement climatique et où chaque jour 200 000 habitants, soit l’équivalent de la ville de Toulon affluent dans les villes, le livre de Ben Wilson se referme sur une perspective tout à fait salutaire en pointant, de Seattle à Santander, les ressources, les germes d’un énième renouvellement urbain pour permettre à la ville de demeurer l’épicentre de notre condition humaine. Assurément un livre à posséder dans chaque bibliothèque.
Par Laurent Pfaadt
Ben Wilson, Metropolis, une histoire de la plus grande invention humaine, traduit de l’anglais par Simon Duran Passés composés, 444 p.
L’ancien
procureur près la cour de cassation, François Molins livre ses mémoires dans un
livre profond et sensible
Il
personnifia l’État quand celui-ci vacilla. Il fut le rempart de notre
démocratie contre ceux, fanatiques ou opportunistes, qui voulurent l’affaiblir.
Un homme qui a consacré sa vie à deux causes parmi les plus nobles qui
soient : la justice et la nation.
Voilà
qu’aujourd’hui, l’homme avec toute la discrétion qui le caractérise et qui
façonne ceux qui, dans l’ombre, marquent leur temps, se livre et livre aux
citoyens de ce pays, ses mémoires, ses souvenirs et d’une certaine manière, sa
manière forcément subtile, ses leçons. Il fut des moments où l’homme se trouva
bouleversé comme lorsqu’il pénétra dans le Bataclan ravagé, brisé,
ensanglanté. Un homme qui ressentit plus de plaisir à apprendre qu’une
promotion de l’ENM l’avait choisi, lui, à l’aube de sa retraite, comme parrain
plutôt qu’à œuvrer dans un cabinet ministériel. En se retournant sur ces
quarante-six années passées à la justice, l’homme a le sentiment du devoir
accompli face à une justice qui ne s’est pas laissée domptée mais qu’il a aimé,
profondément.
François
Molins est ainsi. Il y a quelque chose de fascinant chez lui, d’attachant. Un
être d’une grande résolution lorsqu’il s’agit de défendre justice et état de
droit comme il explique à juste titre dans ses mémoires, s’abritant derrière
ces mots – Au nom du peuple français – qui sonnent comme l’épitaphe
d’une statue maniant le glaive et le bouclier. Un homme qui fut l’acteur
imperturbable de notre histoire récente avec ses combats, ses scandales, ses
victimes, ses deuils, du tribunal de Bobigny à l’affaire Cahuzac, du stade
Furiani à Bastia à l’attentat de Charlie Hebdo. Un granit républicain.
Et
un être timide, hésitant. Comme une pierre qui, sous l’effet de l’eau de la
vie, s’altère, inexorablement, entraînant fissures apparentes et souterraines.
Des fissures notamment personnelles, François Molins en connut et le magistrat
revient avec pudeur sur les sacrifices professionnels qu’il imposa à sa
famille. C’est profondément touchant et cela l’humanise un peu plus. Et puis la
politique, le plus puissant des agents corrosifs. L’homme refusa toujours de
faire de la politique. Il fut directeur de cabinet mais ne franchit jamais le
Rubicon du pouvoir. Trop peur de devoir se renier, de ne pas pouvoir revenir en
arrière. Trop peur de ressembler à l’actuel titulaire de la place Vendôme, à
cet ancien avocat devenu procureur de circonstance, et à qui il réserve sa
plaidoirie littéraire la plus acerbe, à qui il oppose un bouclier de papier
pour défendre sa justice. Pourtant il aurait fait un bon politique, un de ceux
qu’on admire, une espèce en voie de disparation. Voilà pour l’érosion.
Le livre refermé, assurément passionnant, un seul mot nous vient à l’esprit comme l’aveu d’un peuple face à l’un de ses plus ardents serviteurs : merci.
Par Laurent Pfaadt
François Molins, Au nom du peuple français, Mémoires, Aux éditions Flammarion, 368 p.
Mika présentait son dernier album dans la mythique salle
de concert marseillaise
Mika
est une sorte de papillon multicolore qui capte immédiatement la lumière et
l’irradie sur ceux qui le regarde. Car assister à un show de Mika constitue
toujours une expérience unique. La popstar est d’une énergie et d’une
générosité communicative qui transcende les générations. De 7 à 77 ans, les
spectateurs ont ainsi rempli le Dôme de Marseille pour célébrer le plus
français des chanteurs britanniques. Et il faut dire que Mika leur a bien
rendu. Il a enchaîné les titres de son dernier album Que ta tête fleurisse
toujours nommé ainsi en hommage au dernier cadeau de sa mère, un dessin, et
ses anciens tubes français et anglais, réalisant parfaitement la communion de
ses nouveaux fans – souvent les plus jeunes – spectateurs de The Voice et les
plus anciens, ceux qui ont vibré, il y a maintenant dix-sept ans (eh oui !),
sur Love Today, Grace Kelly ou Relax, Take it Easy, déclenchant
à chaque chanson, des démonstrations de bonheur et des déhanchements
incontrôlés !
Bougez
a ainsi donné le ton d’une soirée que les spectateurs ont passé le plus clair
de leur temps debout à danser. Les gradins assis, plutôt calmes et longs à se
mettre en route, ont montré la voie, ce qui n’a pas manqué de surprendre un
Mika qui a enchaîné, mi-ange mi démon, avec Sweetie Banana et Apocalypse
Calypso avant de faire résonner son timbre génial et toujours unique dans Underwater
et Happy Ending. Résultat : une pop colorée qui oscille entre
classicisme britannique et incursions psychédéliques où Mika se livre sur vie
personnelle, l’amour et la mort.
Bien
évidemment, il n’a pu s’empêcher de rendre hommage à cette autre artiste
britannique chère au cœur des Français, Jane Birkin, dans une chanson
tirée de son dernier album et écrit avant la mort de l’artiste, mais également
à cette mère disparue l’an passée d’une grave maladie avec C’est la vie, une
mère dont il s’est plu à rappeler quelques anecdotes et dans 30 secondes à
Carla de Coignac, finaliste de la Nouvelle Star en 2017 et qui composa avec lui
ce nouvel album réussi et intégralement en français. Car la musique de Mika est
une sorte de condensé de bonne humeur, de joie et son interprète, véritable
papillon multicolore tantôt rouge tantôt blanc ou jaune selon ses parures, aime
à butiner dans ses fleurs musicales tirées de cet arc-en-ciel sonore qu’il
dispense à son public.
Mika ne manque d’ailleurs pas de rappeler en chansons, ce qui constitue son ADN musical, cette ode à la différence qui infuse sa musique et transcende les générations, s’offrant même avec Big Girl(You are beautiful) un bain de foule dont le Dôme se souviendra et invitant un spectateur chanceux à venir danser un slow sur scène. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet papillon de Mika. Le public marseillais, conquis, entonna même avec lui un Moi, Andy et Paris, chanson où il évoque son compagnon c’est dire combien l’artiste est aimé ici. En guise de remerciement, Mika déploya un arc-en-ciel de son piano comme pour nous dire, dans un ultime message d’amour, que la musique est quelque part, somewhere over the raimbow. Et qu’il revient à chacun de le suivre.
Pour
son édition 2024, le festival de Nîmes accueillera une nouvelle fois quelques
grands noms de la musique
Chaque
année c’est la même chose : Nîmes et le sud de la France ont rendez-vous dans
les mythiques arènes avec les légendes internationales de la musique. Les héros
du rock, du rap de la pop ou de la chanson française remplaceront les myrmidons
et autres toréadors le temps de quelques soirées qui resteront certainement
gravées dans toutes les mémoires. A commencer par celle du 31 mai qui verra le
grand Eric Clapton clôturer sa tournée française. D’autres artistes lui
emboîteront le pas : Simply Minds à l’occasion de son Global Tour accompagné
d’un Eagle-Eye Cherry qui assurera la première partie du groupe de Glasgow,
Avril Lavigne et surtout la star britannico-albanaise Dua Lipa qui donnera deux
concerts (12-13 juin) et fera tourner les têtes des mânes des princesses de la
Gaule romaine et de jeunes filles en larmes au son de Levitating, Physical
ou Don’t Start Now.
Les
nostalgiques des années 80-90 et de leurs walkmans repenseront à leurs jeans à
trous (que portent aujourd’hui leurs enfants !) et à leur survêtements Tacchini
en écoutant Offspring, Suzanne Vega et les pionniers du rap français (IAM et MC
Solaar). Ils verront à coup sûr, les nouveaux gladiateurs de la musique (PLK,
Ninho, SCH) rendre un hommage appuyé à leurs pères passés maîtres dans l’art de
la rime acérée comme un trident. Nul doute que le Champs-Elysées de SCH
résonnera d’un écho tout particulier dans l’antique cité qui couronnera
également Ninho (6 juillet), gladiateur musical aux 160 singles d’or, 90 de
platine et 50 de diamant.
Côté français, rien que le gratin de la chanson : Sofiane Pamart, Grand Corps Malade, Slimane, Dadju, Calogero ou le groupe Shaka Ponk qui fera ses adieux après avoir triompher sur les scènes du monde entier. Ils croiseront ces autres légendes établies comme Patrick Bruel et Etienne Daho, ou en devenir comme Bigflo & Oli qui refermera un festival qui promet d’ores et déjà. Des têtes vont à coup sûr tomber dans les arènes de Nîmes, mais elles tomberont en pamoison devant cette pléaide de poètes des temps modernes. Nul doute que le public saura réserver à tous ces artistes un accueil digne d’un triomphe romain.
Par Laurent Pfaadt
Le festival de Nîmes se tiendra du 31 mai au 20 juillet 2024. Pour retrouver toute la programmation et les diverses informations de ce dernier, rendez-vous sur : http://www.festivaldenimes.com
« Dans toute la
noirceur de cette guerre, cela restera gravé dans nos mémoires comme le comble
de la noirceur. Il n’existe rien d’équivalent à cette destruction planifiée et
silencieuse d’une race. […] La race arménienne en Asie Mineure a été de fait
anéantie » écrivait Henry Morgenthau, alors ambassadeur des
Etats-Unis à Istanbul et futur secrétaire au trésor du Président Franklin
Delano Roosevelt.
Ces mots résonnent aujourd’hui
avec une froide pertinence depuis l’invasion du Haut-Karabakh par
l’Azerbaïdjan, les 19 et 20 septembre 2023. Si le conflit a aujourd’hui disparu
de nos écrans de télévisions au profit de l’Ukraine et de Gaza, la situation reste
là-bas très fragile et la crainte d’une invasion du sud de l’Arménie a poussé
cette dernière à intensifier son activité diplomatique notamment vis-à-vis de
la France ainsi que son réarmement.
Dans ces conditions, toutes les
inquiétudes relatives aux dangers encourus par le patrimoine de l’Artsakh se
justifient car le conflit se double bien évidemment d’une guerre mémorielle qui
atteindra, à n’en point douter, les bibliothèques et la culture de ce pays.
D’où l’importance de sensibiliser les lecteurs français à l’histoire et à la
culture arménienne pour qu’ils n’oublient pas que cette dernière a traversé les
âges, des civilisations de l’antiquité à l’Union soviétique en passant par les
premiers temps du christianisme et bien évidemment l’empire ottoman dont la
résurgence impérialiste et nationaliste de la Turquie d’Erdogan laisse craindre
le pire. De la relation forte entre la France et l’Arménie illustrée par le
roman de Franz Werfel et les combats de Missak Manouchian et des FTP-MOI à la
duplicité de la Russie en passant par ce devoir de mémoire qui nous oblige tous
vis-à-vis du premier génocide du 20e siècle, il est temps de pousser
les portes de ce deuxième épisode de bibliothèque arménienne.
Franz Werfel, Les 40 jours du Musa Dagh, Albin Michel
Publié il y a tout juste 90 ans,
alors que les nazis arrivaient au pouvoir et condamnèrent le livre au bûcher, Les
40 jours du Musa Dagh demeure encore aujourd’hui l’un des grands
témoignages littéraires du génocide arménien. Ecrit par Franz Werfel
(1890-1945) qui fut l’ami de Franz Kafka, le roman raconte l’incroyable
sauvetage de plusieurs milliers d’Arméniens réfugiés sur le fameux Musa Dagh
(Mont Moïse) par la marine française. Le lecteur suit ainsi avec passion cette
communauté arménienne emmenée par Gabriel Bagradian et ses amis combattants.
« Chassé de sa terre,
persécuté pour sa fidélité à sa croyance religieuse, le peuple arménien, paril
au peuple juif, a su s’adapter aux incertitudes du présent en demeurant
enraciné dans la mémoire immuable, mémoire collective où la mort elle-même est
vaincue, car le souvenir de la mort y est reçu comme un signe, comme un clin
d’œil de l’éternité » écrit ainsi dans la préface du livre, Elie
Wiesel, prix Nobel de la paix en 1986.
Certaines scènes vous marqueront
à jamais notamment celle de la rencontre entre le pasteur Johannes Lepsius,
bien décidé à sauver les Arméniens, et Enver Pacha, l’un des instigateurs du
génocide. Les 40 jours du Musa Dagh ont ainsi contribué à édifier le
mythe du courage et du martyre arménien. Assurément un classique pour
comprendre l’âme arménienne.
Gaïdz Minassian,
Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin ? Anatomie des guerres
post-soviétiques 1991-2023, Passés composés, 368 p.
On aurait tort d’oublier le
Haut-Karabakh, ce territoire grand comme la Haute-Savoie coincé entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan qui se disputent son contrôle depuis près de trente ans. Car,
à bien des égards, nous dit Gaïdz Minassian, plume bien connue du journal Le
Monde, le Haut Karabakh est un volcan.
Un volcan né à la chute de l’URSS
et dont il est devenu l’un des symboles en matière de conflit frontalier
post-soviétique et de rivalités géopolitiques entre Russie, Turquie et Iran. Un
volcan que l’on a peut-être cru gelé mais qui ne fut jamais éteint. Un volcan
qui s’est formé souterrainement depuis 1919 entre massacres, guerres
mémorielles, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et principe d’intégrité
territoriale. Un volcan enfin sur lequel dansent des dictateurs ayant lu leur
Mackinder, l’un des pères de la géopolitique moderne, et qui voient dans cette
zone allant de l’Ukraine à l’Asie Mineure, une partie du cœur du monde à
contrôler afin d’assurer leur sécurité. Un livre d’histoire mais surtout un
avertissement.
Susanna
Harutyunyan, Le village secret, traduit de l’arménien par Nazik Melik
Hacopian Thierry, Les Argonautes, 224 p.
Voilà assurément un roman qui vous marquera pour longtemps. Susanna Harutyunyan, figure majeure de la littérature arménienne nous fait entrer dans ce village secret niché sur les bords paradisiaques du lac Sevan situé à quelques 1900 m d’altitude. Ici « dans le noir profond se jouait un combat entre les sons de la nature et le silence de l’univers » écrit ainsi Susanna Harutyunyan. Personne ne connaît l’existence de ce village. Seul un homme, Harout, est chargé de sortir et de revenir de ce lieu qui accueille tous ceux qui fuient les convulsions de l’Arménie du début du 20e siècle. Il ramène avec lui des hommes et des femmes qui, cachés, ignorent tout de la position géographique de l’endroit que seuls les serpents peuplaient auparavant. Et gare à ceux qui trahissent le secret, ils sont bannis comme ceux du paradis retournant en enfer.
Une femme magnifique, « d’une
beauté éblouissante » va bouleverser cet équilibre : Nakhchoun.
Venant de Deir ez-Zor, elle est enceinte, victime d’un viol turc. La loi et
l’équilibre du village exigent que l’enfant soit tué. Mais ils sont deux, deux
jumelles à voir le jour. Le village hésite, se divise. L’équilibre est rompu.
Dans ce petit bijou littéraire
traduit magnifiquement en français qui enchevêtrent parfaitement contes
merveilleux, époques successives et portraits inoubliables, Susanna
Harutyunyan construit une sorte d’arche de Noé de pierre taillée dans les
flancs de ces montagnes devenues des personnages à part entière. Un très
grand livre sur l’altérité mais surtout sur la puissance de la vie.
Jean-David Morvan, Thomas
Tcherkézian, Missak, Mélinée et le groupe Manouchian, les fusillés de l’affiche
rouge, Dupuis, 160 p.
Les entrées de Missak et Mélinée
Manouchian au Panthéon sont venues consacrer l’engagement de ces étrangers qui
défendirent la France, notamment ceux venus d’Arménie, renforçant par la même
occasion nos liens infectibles avec l’Arménie.
Cette très belle bande-dessinée
rappelle avec force cette histoire. Elle est signée Jean-David Morvan,
scénariste prolifique qui depuis quelques années s’est spécialisé dans les
sujets historiques qu’il s’agisse de la Première guerre mondiale ou de la déportation.
Il s’est associé pour l’occasion à un jeune dessinateur bourré de talent qui
fera certainement parler de lui à l’avenir,Thomas Tcherkézian. Tous les
deux délivrent un album plein de rythme et de force qui a des airs de comic
book. Cela tombe bien, Missak Manouchian demeurera à jamais l’un de nos super
héros.
Raymond
Kevorkian, Parachever un génocide. Mustafa Kemal et l’élimination des rescapés
arméniens et grecs (1918-1922), Odile Jacob, 412 p.
Il
ne fallait laisser aucun survivant. Non content d’avoir exterminé près d’un 1,1
million d’Arméniens, le pouvoir ottoman puis turc fut bien décidé à traquer et
à tuer tous ceux qui avaient échappé à la mort et aux massacres. C’est l’objet
du livre passionnant de Raymond Kevorkian, l’un des grands spécialistes du
génocide arménien. Dans cette enquête historique, dernière brique d’une oeuvre
de plusieurs décennies de recherches et d’ouvrages, Raymond Kevorkian évoque
ainsi cette question assez peu connue. Car tout ne s’est pas arrêté en 1915,
loin de là.
La
fabrication de l’Etat-nation turc a nécessité le sang de ces minorités
arméniennes surtout mais également grecques et syriaques qui constituaient des
obstacles à l’homogénéisation de ce qui allait devenir la Turquie moderne. A
l’aide d’archives inédites, Raymond Kevorkian montre ainsi la continuité de
cette politique qui traversa les différents régimes qui se succédèrent entre
1918 et 1923. Un ouvrage percutant qui permet également de comprendre la
Turquie d’aujourd’hui.
Archavir Chiragian, La dette de sang, un Arménien traque les responsables du génocide, éditions Complexe, 332 p.
Imaginez le film Munich de Steven
Spielberg qui relate la traque et l’élimination des terroristes responsables du
massacre des athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972 et déplacez le un
demi-siècle plus tôt toujours en Allemagne et vous aurez La dette de sang.
Nous sommes en 1921-1922, le
génocide des Arméniens a eu lieu quelques années plus tôt ordonnés par les
dirigeants d’un empire ottoman qui n’existe plus. Ces derniers ont trouvé
refuge en Allemagne, en Géorgie ou à Rome. Dans les rues de Berlin des hommes
rôdent, prêts à se venger. Ils ont organisé l’opération Némésis, du nom de la
déesse grecque de la vengeance. Archavir Chiragian fut l’un des hommes de cette
opération. Il nous relate cette dernière que l’on suit pas à pas sur les traces
de Fatali Khan Khyski, président du conseil des ministres de la république
d’Azerbaïdjan et de Talaat Pacha. Un livre qui se lit comme un thriller.
Hans-Lukas
Kieser, Talaat Pacha, l’autre fondateur de la Turquie moderne, architecte du
génocide des Arméniens, traduit de l’allemand par Ulubeyan Gari, CNRS éditions,
616 p.
De
Talaat Pacha, il en est justement question dans cette biographie passionnante.
L’historien allemand Hans-Lukas Kieser dresse le portrait de celui qui fut, en
tant que Grand Vizir, l’un des maîtres de l’empire ottoman finissant mais
également en tant que ministre de l’intérieur, l’architecte du génocide
arménien.
Le
livre récompensé par les trophées littéraires des Nouvelles d’Arménie
2024 avance en clair-obscur. Côté lumière, il montre un homme
défendant une conception de la nation qui le place clairement comme un
précurseur de Mustapha Kemal. Côté ténèbres, Hans-Lukas Kieser s’attarde sur
l’élaboration du génocide des arméniens au nom d’un nationalisme meurtrier qui,
lui-aussi, allait s’avérer précurseur, en annonçant ces génocides à venir
quelques vingt ans plus tard. Un nationalisme qui déjà bénéficia de complicités
actives et passives de certains voisins de l’empire ottoman.
The
Gurdjieff Ensemble, Levon Eskenian, Zartir, ECM label
Georges
Gurdjieff (1872-1949) fut un mystique, philosophe et compositeur arménien qui
développa une méthode développement de soi visant à atteindre un état de pleine
conscience baptisé la Quatrième voie, que l’on peut rapprocher du
soufisme etpeut trouver des formes musicales.
Le titre du troisième album de Levon Eskenian et son ensemble Gurdjieff, Zartir tire son nom d’une chanson populaire arménienne, Zartir lao qui appelle à la lutte contre les Turcs. S’il s’inspire moins de la philosophie Gurdjieff, ces nouvelles compositions qui donnent la part belle aux danses sacrées relèvent plutôt des bardes traditionnels arméniens qui sillonnèrent le pays. La musique de Levon Eskenian avec sa dimension ésotérique qui semble venir du fond des âges attrape immédiatement son auditoire. Elle puise, avec ces magnifiques duduk, dans quelque chose d’ancestral qui touchera l’âme de chacun. Quelque chose de féerique qui semble sortir d’un conte, d’une histoire mille fois racontée et comme échappée d’une bibliothèque où se mêle savoir, croyances et cette langue unique.
C’est toujours un plaisir que de se rendre au concert dans la salle du Munsterhof dont la beauté visuelle le dispute à l’excellence de son acoustique.
Le soir du lundi 18 mars, invités par le Centre Musical de la Krutenau, Charlotte Juillard, violon solo au Philharmonique de Strasbourg depuis dix ans, et ses collègues et amis Thomas Gautier, violoniste, Harold Hirtz, altiste et Alexander Somov, violoncelliste, eux-mêmes solistes ou anciens solistes à l’orchestre, offraient un concert de musique de chambre, tour à tour à deux, trois et quatre voix. Dès le duo pour violon et violoncelle op.7 de Zoltan Kodaly, joué avec intensité et concentration, on pressent un concert des plus soigneusement préparés. De cette composition écrite en la terrible année 1914 et dont les quatre mouvements offrent des traits avant-gardistes d’époque, la violoniste et le violoncelliste restituent parfaitement l’atmosphère méditative et anxieuse. C’est une toute autre ambiance, plus détendue et festive, qui émane de la sérénade op.10 de cet autre musicien, hongrois lui aussi et de la même génération que Kodaly : Ernö Dohnanyi. Compositeur, pianiste et chef d’orchestre, il fut le grand-père de Christoph von Dohnanyi, chef d’orchestre contemporain des plus respectés. Si, à l’instar de Bartok et de Kodaly, Dohnanyi puise aussi une part de son inspiration dans le folklore hongrois, son écriture est en revanche bien plus traditionnelle. Sa sérénade op.10 aura, en tout cas, permis au trio violon-alto-violoncelle de faire entendre la beauté de ses instruments, flattés par l’acoustique du lieu.
La
soirée s’achevait avec un chef d’oeuvre de la musique de
chambre, le neuvième quatuor de Beethoven, l’Opus 59 n°3,
troisième et dernier de la série des Razoumovsky.
Oeuvre
d’une puissance expressive exceptionnelle, avec un allegro initial
d’un héroïsme flamboyant, un mouvement lent d’une densité
poignante, un menuetto
qui
n’en est pas vraiment un et une incroyable fugue finale, anticipant
les derniers quatuors du compositeur. Dès le premier mouvement, on
est saisi par l’homogénéité et la virtuosité de ces quatre
musiciens qui donnent l’impression d’un ensemble constitué
depuis des lustres alors que, même s’ils se connaissent bien, ils
ne sont réunis que pour l’occasion. On est aussi emporté par leur
engagement, leur enthousiasme et leur prise de risques : à
l’écoute du tempo très vif, adopté par l’altiste Harold Hirtz
à l’entrée de la fugue finale, on ne peut qu’admirer la
propreté et la clarté de son jeu, et de celui de ses comparses.
Au-delà de cette virtuosité commune, ce fut aussi et surtout une
grande interprétation de ce neuvième quatuor, dans un style assez
différent des tendances plus analytiques à l’oeuvre ces dernières
décennies et renouant avec une manière de jouer particulièrement
lyrique, usant souvent d’un très beau
legato
et rappelant, de façon étonnante, le jeu de certains grands
ensembles d’antan comme le Quatuor
Busch
(dans les années 1930-40) ou, plus près de nous, le
Quartetto Italiano.
Ainsi interprété, cet Opus 59 n°3 annonce, non seulement le
modernisme de la dernière musique de chambre de son auteur, mais
aussi le romantisme tardif d’un Johannes Brahms.
Dans
un tout autre esprit, il faut aussi féliciter la mairie de La
Wantzenau et le chef Philippe Hechler pour leur entreprise de
représenter sur scène l’opéra de Verdi, La
Traviata,
dans la transcription pour orchestre d’harmonie due à Lorenzo
Pusceddu. Pour ce faire, l’Orchestre d’Harmonie de La Wantzenau
fut mobilisé, en même temps que constitué un choeur d’amateurs,
au demeurant aguerris, et trois chanteurs solistes engagés. Dans
cette adaptation de l’opéra de Verdi, les dialogues sont remplacés
par un récit de l’action, remarquablement narré par l’acteur
Christophe Feltz. De même toutes les scènes chorales furent jouées
avec beaucoup de verve et de justesse, grâce au minutieux travail de
préparation accompli pendant six mois par l’équipe chorale sous
la direction de Gaspard Gaget, jeune chef de choeur doté d’une
déjà longue expérience. Dans une mise en scène sobre et efficace
de Lysiane Blériot, heureusement dépourvue des extravagances et
absurdités aujourd’hui visibles sur beaucoup de scènes, les deux
protagonistes Alfredo (Lee Namdeuk) et Violetta (Véronique Laffay)
emportèrent l’adhésion. Les musiciens de La Wantzenau et leur
chef, monsieur Hechler, restituèrent l’oeuvre avec justesse et
précision. Seule petite réserve concernant la sonorisation :
dans l’acoustique assez mate de la salle du Fil
d’eau,
elle était surement nécessaire, notamment pour les voix ; mais
peut-être eût-elle gagné avec quelques décibels en moins.
Quoi
qu’il en soit, ces deux représentations de La
Traviata, les
vendredi 15 et dimanche 17 mars témoignent du niveau artistique que
peuvent atteindre des musiciens amateurs sérieusement préparés et
profondément motivés.
Parmi les 4240 candidatures émanant de 74 pays dont 19 venues du monde arabe, soit une hausse de 34 % par rapport à l’an passé ce qui traduit incontestablement un regain de notoriété mais également comme le rappelle le Dr Ali Bin Tamim, secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award « la richesse culturelle et la vitalité intellectuelle du paysage littéraire arabe d’aujourd’hui », ce dernier a communiqué ses finalistes dans les différentes catégories du prix.
Parmi
ces derniers figurent quelques écrivains à surveiller. Et en premier lieu, dans
la catégorie reine, celle de la littérature, l’auteure égyptienne Reem
Bassiouney, victorieuse du prestigieux prix Naguib Mahfouz en 2020 pour son
livre The Mamluk Trilogy et qui fait figure de favorite avec son nouvel
ouvrage Al Halawani: The Fatimid Trilogy (The Sicilian, the Armenian, the
Kurd) qui raconte à travers les figures de Jawhar Al-Siqilli (Le Sicilien)
général fatimide de la fin du Xe siècle qui fonda la ville du Caire
(al-Qahirah) et la grande mosquée al-Azhar, Badr Al-Djamali (L’Armenien), cet
ancien esclave arménien devenu général et Youssef Ibn Ayoub, plus connu sous le
nom de Saladin (Le Kurde), général victorieux des croisés à Hattin en 1187, l’
histoire de cette dynastie descendante du prophète qui régna sur l’Egypte. Son
livre est intitulé Al Halawani « le confiseur », surnom donné
à Jawhar Al-Siqilli qui fut un confiseur avant d’embrasser une carrière
militaire.
Non traduite pour l’instant en français, cette incroyable histoire délicieuse comme une boîte de katayef, ces pâtisseries farcies de crème de lait ou de pistaches, séduira à n’en point douter les lecteurs français dans un proche avenir. Reem Bassiouney aura face elle l’écrivain jordanien Jalal Barjas, lauréat de l’International Prize for Arabic Fiction en 2020, avec son nouveau livre The Duduk’s Whimper et l’écrivain et journaliste libanais Hassan Daoud dont les livres notamment Cent quatre-vingt crépuscules (2010) ont été publiés en France chez Actes Sud.
Dans la catégorie jeune auteur, plusieurs romanciers et essayistes figurent parmi les finalistes. Parmi eux, Mustapha Rajouane, déjà sélectionné en 2021 et qui revient avec Vivre pour raconter : l’imagination éloquente dans Kalīla wa-Dimna (Na’eesh li-Nahki: Balaghat al-Takhyeel fi Kalila wa Dimna, Publishing and Distribution House, 2023). Il disputera le prix à deux universitaires, le yéménite Dr Alawi Ahmed Al Malgam pour La sémiotique de la lecture : une étude de l’interprétation du Diwand’Al-Mutanabbi au septième siècle (Simya’iyat al-Qira’a: Dirasa fi Shurooh Diwan al-Mutanabbi fi al-Qarn al-Sabe’ Hijri (Kunouz Al-Ma’refa Publishing and Distribution House, 2023) et le tunisien Dr Houssem Eddine Chachia pour Le paysage morisque : récits d’expulsion dans la pensée espagnole moderne (Al Mashhad al-Moriski: Sardiyat al-Tard fi al-Fikr al-Espani, Centre for Research and Knowledge, Intercommunication, 2023)
La France sera à nouveau représentée dans la catégorie culture arabe dans une autre langue où Florence Ollivry, autrice d’un Louis Massignon et la mystique musulmane : analyse d’une contribution à l’islamologie (Brill, 2023), tentera avec cet ouvrage consacré au grand islamologue français de succéder à Mathieu Tillier, couronné l’an passé. Elle aura pour concurrents deux universitaires allemands (Thomas Bauer et Frank Griffel), l’italienne Antonella Ghersetti et l’américain Eric Calderwood, auteur du remarqué On earth or in Poems : Many Lives of al-Andalus (Harvard University Press, 2023). Côté traduction, Italo Calvino dont on a fêté le centenaire de la naissance en 2023, Arthur Schopenhauer et Giambattista Vico seront à l’honneur.
Tous les finalistes du Sheikh Zayed Book Award seront une fois de plus placés sous le patronage du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi et de son centre de langue arabe présidé par le docteur Ali Bin Tamim. Chaque lauréat se verra remettre un chèque de près de 187 000 euros lors de la Foire Internationale du livre d’Abu Dhabi qui se tiendra du 29 avril au 5 mai 2024.