Cette Autriche qui a dit non à Hitler 1930-1945

Pour l’historiographie contemporaine, l’affaire semblait entendue : l’Autriche était l’autre pays du nazisme. De l’Anschluss qu’elle avait adopté à 99,75% à l’élection à la présidence de Kurt Waldheim, un ancien officier de la Wehrmacht, il ne pouvait y avoir de doutes.


Raison de plus de lire le livre de Jean Sévillia, journaliste bien connu des lecteurs du Figaro Magazine, auteur de biographies à succès de l’impératrice Zita et de Charles Ier d’Autriche, qui est allé chercher des sources inédites en français pour composer ce livre. A l’image de Franz Jägerstätter, cet objecteur de conscience autrichien exécuté par les nazis le 9 août 1943 et magnifié par le film de Terence Malick, il y eut une résistance à Hitler. Pour autant comme le rappelle l’auteur, « l’inconvénient est qu’il met en scène un résistant admirable, mais solitaire. Or des résistants, il y en a eu des centaines d’autres, qui œuvraient en réseau. »

Et le livre de nous conduire au sein des différents réseaux qui dirent non à Hitler durant ces quinze années qui changèrent à jamais le visage de l’ancien empire austro-hongrois devenu une république en 1919. Des gouvernements bourgeois conservateurs catholiques luttant contre des nazis emmenés par Kaltenbrunner et Seyss-Inquart qui posèrent les bases des réseaux de résistance à venir à l’occupation du pays par les troupes alliées en passant par la répression des patriotes autrichiens qui furent expédiés dans les camps de la mort notamment à Dachau, Jean Sévillia, avec le talent de conteur qui est le sien, offre un récit plein de rythme notamment lorsqu’il nous fait revivre dans ce chapitre passionnant intitulé « Finis Austriae », presque heure par heure, ces journées entre le 10 et le 15 mars 1938 où le destin de l’Autriche bascula à grands renforts de manipulations et de propagande. Puis lors du référendum du 10 avril, l’auteur évoque ce rapport de la Gestapo révélé par l’historien Richard J. Evans et dans lequel il est mentionné que « dans le cas d’un cas d’un vote secret, un tiers seulement des électeurs viennois auraient dit « oui » à l’Anschluss ». Si la résistance à Hitler concerna surtout les communistes, les bourgeois catholiques conservateurs et les partisans des Habsbourg, celle-ci ne fut malheureusement jamais unie.

Jean Sévillia rappelle également que s’il y eut des Autrichiens comme Franz Stangl, commandant de Treblinka et certains chefs des Einsatzgruppen parmi les pires bourreaux du Troisième Reich, d’autres Autrichiens se singularisèrent dans la résistance notamment au sein de la Wehrmacht. D’ailleurs, il conteste cette prédominance des Autrichiens parmi les bourreaux nazis qu’il qualifie de « mythe ». Que si le cardinal Innitzer et nombre de protestants soutinrent Hitler, une partie de la jeunesse catholique autrichienne se rebella contre le régime et qu’il exista des prêtres à l’image d’un Andreas Rieser qui passa sept ans dans les camps de concentration, pour porter dans la nuit nazie, une voix autrichienne de l’humanisme.

Vient alors l’heure du bilan fort intéressant. L’Autriche fut-elle victime ou complice ? « L’Autriche a été victime du nazisme, c’est un fait. Ce fait n’est pas contradictoire avec un autre fait : des Autrichiens ont été complices du nazisme. Ce qui n’exclut pas un troisième fait : des Autrichiens ont résisté au nazisme » écrit-il. Façon de remettre de l’objectivité dans un débat trop souvent caricaturé que ce livre salutaire vient éclairer de sa juste et pertinente lumière.

Par Laurent Pfaadt

Jean Sévillia, Cette Autriche qui a dit non à Hitler 1930-1945,
Aux éditions Perrin, 512 p.