La marche de l’histoire

Raconter l’histoire à travers la musique. C’est le pari réussi d’Hélène Daccord

Tout le monde a en tête le célèbre violoncelliste Mstislav Rostropovitch jouant devant un mur de Berlin tagué et devenu obsolète après avoir symbolisé la division du monde en deux systèmes, en deux idéologies, après avoir marqué la frontière avec un totalitarisme que le célèbre musicien avait, comme tant d’autres, avant et après lui, fui. En interprétant Bach, il envoyait un message au monde entier car « jouer ses œuvres, c’était se rapprocher du divin. C’était revenir à la vie. C’était réconcilier les deux Allemagne » écrit ainsi Hélène Daccord.


De tout temps la musique a constitué une arme politique, géopolitique, un puissant soft power. C’est ce que nous montre en quinze épisodes, Hélène Daccord, dans ce livre passionnant qui couvre les trois derniers siècles. De la querelle franco-italienne à propos de l’opéra-bouffe au voyage du New York Philharmonic en Corée du Nord en 2008, cette opération de « diplomatie symphonique » à l’image de celle du ping-pong au début des années 1970 en passant par la querelle du la en mai 1855 et la guerre froide, l’auteur montre parfaitement que « tout comme la géographie (…) la musique a d’abord été utilisée par les Etats comme arme sur le champ de bataille. Sa scène ne peut toutefois s’y limiter. Elle réconcilie, agresse, célèbre, influence et rayonne ». 

La musique comme arme de guerre au même titre que les canons et les missiles comme lors du siège de Leningrad où les Soviétiques firent, après de rocambolesques péripéties, jouer la 7e symphonie de Chostakovitch pour montrer leur résistance et leur détermination. En face, les Allemands, grands amateurs de musique et admirateurs d’un Wagner adulé par le Führer et qui fut l’un des étendards du printemps des peuples en 1848, utilisèrent la musique dans les camps, et notamment dans celui de Theresienstadt (Terezin) pour à la fois masquer l’horreur de la Shoah et comme instrument de mise en mort. Mais dans le même temps, elle permit aux déportés de garder espoir et de vaincre, dans les camps ou en exil, notamment à Hollywood, l’hydre nazie.

Non seulement, telle une symphonie avec ses mouvements andante – comme dans les salons de Nadia Boulanger à Paris en compagnie d’Aaron Copland, Leonard Bernstein ou Philip Glass – et ses mouvements allegro comme dans le premier de la Troisième symphonie d’un Beethoven raturant sa dédicace à Napoléon après que celui-ci se fut couronné empereur, le livre d’Hélène Daccord revient à la fois sur ces épisodes historiques mais évoque également leurs instruments, musiciens et lieux, tels les opéras, ces « lieux géopolitiques » qui confèrent à un pays comme la Chine par exemple, un rang de superpuissance.

Ainsi le musicien acquit au XIXe et plus encore durant la guerre froide, un rôle équivalent à celui d’un diplomate. C’est avec son Va, pensiero tiré de l’opéra Nabucco que Giuseppe Verdi contribua à forger en partie l’unité nationale de l’Italie. C’est un Américain, Harvey von Cliburn, qui remporta en pleine guerre froide, le premier concours international de piano Tchaïkovski à Moscou, avant de se muer en « messager » de paix durant la guerre froide. Le livre d’Hélène Daccord nous montre ainsi avec passion et érudition, que le musicien ne se contenta pas, à l’image d’un Mstislav Rostropovitch, d’interpréter la marche de l’histoire mais l’accompagna et parfois même la dirigea.

Par Laurent Pfaadt

Hélène Daccord, Quand la musique fait l’histoire,
Passés composés, 256 p.