Les livres à emmener à la plage

Comme chaque année, Hebdoscope vous propose une sélection d’ouvrages à emmener durant vos vacances. Cette année, cette sélection sera placée sous le signe de la chaleur, brûlante, moite, torride.


Arturo Perez-Reverte, Sidi, Seuil, 320 p.

On l’attend chaque année. Comme un bon vin. Et il faut dire que le cru 2023 est particulièrement réussi. Après le Siècle d’or et l’Espagne napoléonienne, le grand auteur espagnol nous emmène, dans son nouveau roman, dans les ruelles brûlantes de la Valence de ce XIe siècle à la rencontre du véritable Cid. L’Espagne est alors en proie en doute : les Maures menacent tandis que les différents souverains se livrent une guerre fratricide sans merci. Banni par le roi de Castille Alphonse VI qui craint son ambition, l’irrésistible et incroyable chef de guerre Ruy Diaz passe alors au service des musulmans et se taille, avec sa belle Chimène, un royaume à la mesure de son talent. Il deviendra Sidi.

Comme à chaque fois, la prose de l’un des plus grands auteurs espagnols contemporains est addictive et des champs de bataille aux palais de Saragosse, il nous conte l’histoire passionnante d’un homme pétri d’honneur dans un monde qui n’en possède pas et d’une civilisation – l’Espagne médiévale – façonnée par le métissage. Débarrassant Ruy Diaz de ses oripeaux légendaires, il lui redonne sa dimension historique tout en l’inscrivant dans une trame romanesque dont il a le secret. Il y a un petit côté western à suivre cet outsider médiéval s’affranchissant de l’ordre établi. Alexandre Dumas n’aurait pas fait mieux.

Thibault Raisse, L’inconnu de Cleveland, 10/18, 208 p.

Poursuivant sa série des grandes affaires criminelles de l’Amérique en partenariat avec le magazine Society, ce nouvel opus nous emmène dans une banlieue de Cleveland dans l’Ohio durant cet été torride de 2002. Parmi les maisons qui s’alignent et se ressemblent, personne ne prêta attention à celle de Joseph Chandler. Il faut dire que le retraité ne suscitait aucun sentiment ni commentaire. Ses voisins et ex-collègues le décrivaient comme solitaire. Autant dire un Monsieur Tout le monde ordinaire dont le suicide ne souleva aucune passion. 

En Amérique, plus qu’ailleurs, il se trouve toujours quelqu’un pour ressusciter n’importe quel mort surtout quand il y a de l’argent à récupérer. Et l’absence d’empreintes dans la maison va mettre la puce à l’oreille d’un détective privé chargé de retrouver ses héritiers. Car l’homme ne s’appelle pas Joseph Chandler et n’est pas celui qu’il paraissait. Thibault Raisse, journaliste indépendant spécialisé dans les faits divers, nous embarque dans sa Lincoln continental pour cette enquête fascinante qui ne vous laissera aucun répit Un livre que vous lirez d’une traite, de préférence lors d’une nuit étouffante…

Frank Herbert, La maison des mères, Dune, Robert Laffont, 624 p.

Il ne pleut toujours pas sur Dune. Peu importe car la planète désertique regorgeant d’épice n’est plus qu’un lointain souvenir. Tout ce qui a existé appartient désormais aux livres d’histoire, à ces chroniques tenues par la princesse Irulan. Le totalitarisme des Honorées Matriarches s’est répandu sur la galaxie. Mais une seule force lui résiste encore : l’ordre des Bene Gesserit auquel a appartenu en son temps Dame Jessica, la mère de Paul Atréides et dirigé aujourd’hui par Darwi Odrade. Mais il est écrit que l’histoire est un éternel recommencement et déjà, un autre enfant suscite, une fois de plus, l’espoir d’une humanité menacée. Achevant le cycle de Frank Herbert dans cette très belle collection collector, La Maison des mères offre un final féministe éblouissant de clairvoyance et de métaphysique. Indispensable lecture donc avant la poursuite, à l’automne prochain, de la saga réalisée par Denis Villeneuve.

« Herbert a créé un univers, et son œuvre restera. Les astronautes ne s’y sont pas trompés : après avoir cartographié Titan, la plus grande des lunes de Saturne, ils ont donné à ses plaines le nom des planètes citées dans le cycle de Dune. Arrakis existe désormais, c’est une basse plaine de l’hémisphère Sud. Un jour, sans doute, une sonde se posera sur Dune » écrit ainsi Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2021, dans la postface de ce dernier tome d’une édition appelée, elle-aussi, à rester.

Michael Mann & Meg Gardiner, Heat 2, Harper Collins, 704 p.

Heat veut justement dire chaleur en anglais. La chaleur de ce feu auprès duquel bon nombre de personnages de Michael Mann consumèrent leur vie. Il y a 28 ans sortait ainsi sur les écrans peut être le plus grand film de braqueurs, d’un réalisme à couper le souffle si bien qu’il inspira nombre de braqueurs à commencer par Redoine Faïd. Réunissant deux monstres sacrés du cinéma, Al Pacino et Robert de Niro, il valut à Michael Mann le statut de réalisateur culte. Et voilà que 28 ans plus tard, ce même Michael Mann publie ce roman passionnant, noir, en compagnie de Meg Gardiner, autrice canadienne de polars, à la fois prequel et suite de l’histoire commune de nos deux héros. 

Le roman s’ouvre sur la scène finale de l’aéroport de LA et se concentre sur la traque de Chris Shiherlis, le bras droit de McCauley. Interprété par Val Kilmer, il avait eu la vie sauve grâce à sa petite amie Charlene qui l’avait prévenu que la police l’attendait. Road trip nerveux et haletant – une scène finale d’anthologie – Heat 2 effectue des va-et-vient entre l’avant et l’après confrontation McCauley/Hanna et notamment à Chicago en 1988 où Hanna tente d’arrêter un certain Otis Wardell, personnage central du roman et auprès de qui les malfrats de Scorsese et de Palma font figure d’enfants de chœur.

 « Tout ce qui a pu prendre une place dans ta vie, tu dois pouvoir t’en débarrasser en trente secondes montre en main dès que tu as repéré un seul flic dans le coin » avait lancé McCauley à Hanna dans leur scène mythique. Bien entendu avec sa dimension cinématographique et ses scènes grandioses, le lecteur a immédiatement l’impression de se retrouver derrière la caméra. Cela tombe bien puisqu’il se murmure qu’Heat 2 pourrait bien être adapté à l’écran. On en transpire d’avance.

Jean-Paul Delfino, Guyanes, Héloïse d’Ormesson, 592 p.

Une jungle moite, étouffante, oppressante. Jean-Paul Delfino aime la Guyane et cela se sent. Il n’y a qu’à lire les passages qu’il consacre à cette terre, celle de ce Maroni qui « cheminait, en bon père tranquille, sûr de sa toute-puissance, gras d’une boue arrachée aux berges de la jungle » et traverse ce bout de France où se croisent bannis et aventuriers. L’auteur d’Assassins ! (2019) et d’Isla Negra (2022) compose un roman liant trois destins comme le Maroni agrège ses affluents : Clara, épigone de Louise Michel, révoltée de la Commune de 1871 et expédiée au bagne, Mané un esclave brésilien en fuite en route vers la Guyane, cette terre promise dont rêve également Alphonse, aristocrate désargenté et endetté.

Tous rêvent de l’or de la Guyane : celui qui se trouve dans le fleuve et suscite la convoitise d’orpailleurs sans scrupules, celui qui brille dans les yeux d’Alphonse, bien décidé à faire fortune ici. Celui enfin de ce soleil de liberté que convoite Clara et qui tentera tout pour, une fois de plus, la ravir. Mais la Guyane est également une terre de colère et nos héros en feront l’amère expérience.

Jean-Paul Delfino a construit tout au long de ses quelques 600 pages, la grande saga qui manquait à la Guyane, cette terre qui n’était vue que par la métropole et qui suscite toujours autant de fantasmes. Ces derniers plongent avec Delfino leurs racines littéraires dans les feuilletons du XIXe siècle et courent sur le siècle suivant. Parfois, on y décèle du Papillon, d’autres fois du Maurice Denuzière. En produisant avec brio une alchimie mêlent petite et grande histoire sculptée par une écriture à la fois raffinée et exhalant d’odeurs et d’images cinématographiques, l’auteur compose une formidable fresque qui devrait enchanter non seulement les amoureux de la Guyane mais également ceux qui rêvent de prendre le large. Cela tombe bien puisque le jury du Prix du livre de la plage de la ville des Sables-d’Olonne en partenariat avec Le Figaro Magazine et présidé par l’académicien Jean-Christophe Rufin ne s’y est pas trompé en couronnant Guyanes. Comme si l’auteur de Rouge Brésil, Prix Goncourt 2001, avait voulu que Just et Colombe puissent rencontrer Mané sur le fleuve de l’histoire.

Andrzej Sapkowski, La trilogie Hussite, Bragelonne, 3 tomes

Une histoire de bûchers et d’armures brûlantes. Une histoire de foi et de magie dans laquelle dansent les flammes de l’enfer. Vous voilà dans la trilogie hussite d’Andrzej Sapkowski, le créateur du Sorceleur, une saga transformée en succès planétaire par Netflix (The Witcher) dont la troisième saison est en cours de diffusion.

Fruit d’un impressionnant travail de documentation qui fait de la trilogie Hussite, la grande œuvre d’Andrzej Sapkowski, les trois livres racontent les aventures entre 1420 et 1430 de Reinmar von Bielau, surnommé Reynevan, un savant doublé d’un espion et d’un magicien. Alliant grande histoire et magie, la trilogie hussite prend place dans cette Europe centrale du XVe siècle secouée par les premières contestations du catholicisme, entre seigneurs de guerre et Inquisition où l’on croise une papauté encore divisée et le célèbre prédicateur Jan Hus. Doublée d’une histoire d’amour entre Reynevan et Adèle, elle ravira tous ceux qui adorent quand la magie et les démons hantent l’histoire réelle.

Ce troisième tome, Lux Perpetua, vient ainsi clore ce monument de la fantasy, certes moins connu que Le lion de Macédoine de David Gemmell ou Le Livre de cendres de Mary Gentle mais tout aussi brillant. Une œuvre que le célèbre auteur de fantasy, Joe Abercrombie a qualifié de « fantastique récit débordant d’humour noir, de sexe, de mort, de magie et de folie ». Heureux donc ceux qui ne connaissent pas encore la trilogie Hussite parce qu’il est désormais temps pour vous de vous d’y entrer.

En complément de la trilogie, ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur l’histoire du mouvement hussite liront avec intérêt l’excellent livre d’Olivier Marin, La réforme commence à Prague, histoire des hussites, XVe-XXe siècles chez Passés composés.

Mathieu Geagea, Dunkerque 1944-1945, Passés composés

C’est une plongée dans une fournaise que nous propose l’historien Mathieu Geagea. Celle de Dunkerque. Pas celle de 1940 où il a fallu évacuer près de 340 000 soldats alliés et qui a donné naissance à un mythe et au film de Christopher Dolan. Non, Mathieu Geagea nous propose de découvrir la Dunkerque de 1944-1945, celle de l’après débarquement, celle de cette guerre perdue pour le Troisième Reich. Dans un récit enlevé qui se lit d’une traite, le lecteur se retrouve au milieu de ce siège absurde et méconnu. Les Allemands menés par un personnage sadique comme tiré d’un roman d’espionnage, le vice-amiral Friedrich Frisius qui n’hésita pas à pendre les déserteurs aux balcons de l’hôtel de ville, ont décidé de résister aux troupes alliées. Celles-ci menées par la 1ère brigade blindée tchécoslovaque va ainsi assiéger la ville jusqu’à la capitulation du 9 mai 1945 faisant de Dunkerque la dernière ville française à rendre les armes. 

Le lecteur est ainsi plongé dans ce huis clos où les hommes meurent de faim et où surtout transparaît ce qu’Erich Maria Remarque sublima dans son livre, cette inutilité d’une résistance tout juste capable de sacrifier des vies humaines au nom d’un fanatisme criminel. 

Niklas Natt och Dag, 1795, Sonatine, 496 p.

Après 1793 et 1794, 1795, nouvel opus de la série de l’auteur de polars historiques Niklas Natt och Dag nous emmène une fois de plus dans la Suède du roi adolescent Gustave IV. Alors que ce dernier attend de pouvoir monter sur le trône, la situation politique et sécuritaire du royaume se dégrade. L’homme fort du royaume, Gustaf Adolf Reuterholm, paranoïaque, voit des complots partout et s’emploie à les briser par tous les moyens. Son attention se porte tout particulièrement sur une femme, Anna Stina qui posséderait une lettre révélant l’identité de conspirateurs. Reuterholm lance immédiatement ses sbires de la police pour capturer cette femme. 

Comme toujours, dans cette histoire suédoise, il y a hic, un poil à gratter. Ou plutôt deux : Jean Michael Cardell, ancien militaire manchot et Emil Winge, brillant juriste tuberculeux. Wyatt Earp et Doc Hollyday à la mode suédoise en cette fin de 18e siècle. Non seulement, notre duo de choc qui a fait ses preuves lors de leurs enquêtes précédentes va retrouver avant Reuterholm Anna Stina mais va également devoir contrecarrer les plans de Tycho Ceton, le Moriarty de cet autre royaume pourri. Ce nouveau thriller historique dans le chaudron bouillant d’une ville et d’un royaume au bord de l’abîme est décidément du même bois que les précédents opus de la saga. D’un bois dont on fait les meilleurs brasiers.

James Lee Burke, Les Jaloux, Rivages, 423 p.

Délaissant un temps Dave Robicheaux et le bayou de Louisiane, James Lee Burke, l’un des maîtres du polar américain nous convie cet été à Houston au Texas, « la capitale mondiale du meurtre » en compagnie d’Aaron, l’un des membres de la famille Holland. Nous sommes au début des années 50. Les Etats-Unis viennent d’entrer dans la guerre froide et traque les espions soviétiques tandis qu’au Texas, la folie de l’or noir commence à édifier d’immenses fortunes notamment celle de la famille Harrelson. Son rejeton, Grady, désigné plus beau mec du lycée, coure les filles et notamment Valérie Epstein, cette fille « aux cheveux qui sentent le vent » dont il espère ne faire qu’une bouchée. Manque de pot, celle-ci croise un jour la route de notre Aaron. Le coup de foudre est immédiat. Mais l’empathie et l’idéalisme de notre jeune héros vont vite se fracasser sur la dure réalité de ces rapports sociaux dominés par Grady Harrelson et ses comparses. Aaron va devoir payer le prix de l’amour car il ne sait pas qu’il a mis le pied sur un serpent à sonnettes, espèce courante dans ces contrées texanes.

Publié en 2016, Les Jaloux, troisième aventure de la famille Holland et 39e roman de l’immense Burke ajoutent une nouvelle pierre à sa cathédrale littéraire où le bien et le mal se livrent un combat permanent. Et il faut bien dire que dans cette cathédrale, à côté de la grande nef de la Louisiane, cette chapelle texane avec ses fresques noires et de sang sur lesquelles dansent mafieux, Cadillac roses et femmes de rêves, est particulièrement réussie.

A lire également en poche Une cathédrale à soi de James Lee Burke : 

Joyce Carol Oates, Nuit, néon, Philippe Rey, 368 p.

Préparez-vous à passer une nuit sans sommeil, chaude, éclairée uniquement par un néon bleu autour duquel tournent des moustiques à rendre fou. Avec cette nouvelle série de neuf nouvelles, Joyce Carol Oates nous emmène une fois de plus au cœur de cette nuit noire qui sommeille en chacun de nous et où brille, parfois faiblement, le néon d’une résistance.

Infatigable spéléologue de l’âme humaine, Joyce Carol Oates s’attache dans ces nouvelles à explorer les vies de neuf femmes aux beautés façonnées par des tortures physiques ou psychologiques mais qui ont également su trouver une forme de résilience pour vivre et

Par Laurent Pfaadt