Le Prix Sheikh Zayed 2023 dévoile ses finalistes

Bien décidé à bâtir un soft power qui passe par la culture, les Emirats Arabes Unis ont déployé depuis plusieurs années de nombreux efforts dans ce domaine comme en témoignent le Louvre Abu Dhabi ou l’attention portée à l’architecture avec notamment les oeuvres de Zahia Hadid, d’Abdulmajid Karanouh et Aedas Arquitectos. En matière de promotion des lettres et de la culture arabe, le Sheikh Zayed Book Award organisé par le Centre de langue arabe d’Abu Dhabi sous les auspices du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi est très vite devenu non seulement le prix le plus doté du Proche et Moyen Orient (près de 200 000 euros) mais également l’une des principales récompenses littéraires du monde en matière de littérature et de culture arabes. « Que représente le prix ? Précisément de sortir, comme le veulent les jeunes dirigeants des pays du Golfe aujourd’hui, d’une certaine image de la région, attachée au pétrole et à rien d’autre. L’Arabie et le Golfe veulent reconquérir la place qui leur revient assez naturellement dans la culture arabe » affirme ainsi l’historien Gabriel Martinez-Gros, nommé pour la deuxième année consécutive dans la catégorie culture arabe dans une autre langue.


Pour sa 17e édition, parmi les 3151 candidatures provenant de 60 pays dont la France, les membres du jury du Sheikh Zayed Book Award ont dévoilé leurs finalistes 2023 dans les six catégories du Prix :  Littérature, Jeune auteur, Édition et Technologie, Traduction, Culture Arabe dans une autre langue et Critique littéraire et artistique.

Dans la catégorie reine, celle de la littérature, trois écrivains se disputeront le prix. Le grand poète irakien, Ali Ja’far al-Allaq, figure de la littérature arabe et membre de l’union générale des écrivains arabes, auteur d’Ila Ayn Ayyathouha Al Kaseedah (« Whereto, O Poem? » Une Autobiographie, Alan Publishers and Distributors, 2022) affrontera deux femmes : l’égyptienne Reem Bassiouney qui rêvera de succéder à Iman Mersal, couronnée en 2021, et dont Al-Qata’i : Thoulatheyat Ibn Tulun (Al-Qata’i’ – La trilogie d’Ibn Tulun, Nadhet Misr, 2022), vaste fresque sur les Mamelouks se situant à la fin du 19e et au début du 20e a été récompensée par le prix Naguib Mahfouz, et la libanaise Alawiya Sobh avec Ifrah ya Qulbi (Réjouis-toi, ô mon cœur, Dar Al-Adab, 2022), que les lecteurs français ont découvert, il y a une quinzaine d’années chez Gallimard, avec Maryam ou le passé décomposé aura à cœur de défendre les couleurs du Liban, à l’heure du centenaire de la publication du Prophète de Khalil Gibran.

Dans la catégorie jeune auteur, trois auteurs sont en liste : l’irakienne Shahd Al-Rawi pour Fawka Jisr Al Joumhoureyah (Sur le Pont de la République, Dar Alhikma en 2020), l’égyptien Ahmed Lotfi avec Al Wahl wa Al Noujoom (La saleté et les étoiles, Aseer AlKotb, 2022) et l’algérien Said Khatibi et sa Nehayat Al Sahra’a (La fin du désert, Hachette Antoine / Nofal, 2022).

Les Français seront également bien représentés notamment dans les catégories culture arabe dans une autre langue, traduction et édition. Dans la catégorie culture arabe dans une autre langue, Gabriel Martinez-Gros, déjà nominé en 2021 pour L’Empire Islamique:  VIIe  –  XIe  siècle  (Passés composés, 2019) est à nouveau présent pour son ouvrage, toujours chez Passés composés, De l’autre côté des croisades (2021) que nous avions chroniqué. « Je ne peux que m’en satisfaire et contribuer à les aider dans ce mouvement d’innovation, qui tranche avec notre monde un peu frileux et conservateur » estime ainsi ce dernier. Il est cette année accompagné d’un autre compatriote, Mathieu Tillier, professeur d’histoire de l’Islam médiéval à la Sorbonne qui a publié en 2017, L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam (Editions de la Sorbonne).

La nouvelle présence de Sindbad, éditeur de plusieurs Sheikh Zayed Book Award notamment Iman Mersal en 2021 que nous avions interviewé, dans la catégorie édition récompense à la fois l’immense travail de « passeur » de la littérature arabe en France de Farouk Mardam-Bey mais également l’ouverture artistique des Emirats arabes unis pour les différentes esthétiques littéraires diffusées par Sindbad.

Enfin dans la catégorie Traduction, la sélection de la traduction de l’essai de l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider, Voleurs De Mots : Essai Sur Le Plagiat, La Psychanalyse et La Pensée (Gallimard, coll. Tel, 2011) par l’un des meilleurs traducteurs tunisiens, Abdelaziz Chebil, vient compléter une 17e édition où la France sera bien représentée.

Son Altesse Sheikh Hazza bin Zayed bin Sultan Al Nahyan remettant le prix littérature à l’écrivain marocain Bensalem Himmich
crédits : Sheikh Zayed Book Award

Ces nominations révèlent en tout cas l’engagement du jury en faveur d’intellectuelles ayant placées la place de la femme dans les sociétés arabes au cœur de leurs œuvres. Ainsi tant Reem Bassiouney que Alawiya Sobh ont construit des portraits de femmes prisonnières des carcans sociaux de leurs pays. Quant à Jalila Tritar, nommée dans la catégorie critique littéraire et artistique pour Mara’i an-Nisaa’: Dirasat fi Kitabat al-That an-Nisaa’iya al-Aarabiya (Le point de vue des femmes: Études sur les écrits personnels des femmes arabes, La Maison Tunisienne Du Livre en 2021), elle a fait de la place de la femme dans la littérature, la matrice de son oeuvre. Une autre façon de dire que de ce côté-ci du monde, la culture a de beaux jours devant elle.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez les premiers nominés du Sheikh Zayed Book Award sur : https://www.zayedaward.ae/en/media.center/news.aspx

Plus aller plus loin, Hebdoscope vous propose de relire quelques-unes de ses chroniques consacrées à certains nominés et anciens prix :

Gabriel Martinez-Gros : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/de-lautre-cote-des-croisades/

Les éditions Sindbad (Actes Sud) : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/un-etendard-litteraire/

Iman Mersal : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/rencontre/