Le Sheikh Zayed Book Award dévoile ses nominés

Le  Sheikh  Zayed  Book  Award est l’un  des  plus  importants  prix  
consacré  à  la littérature et à la culture arabes. Par le passé, il a
récompensé des auteurs tels qu’Amin Maalouf ou l’algérien Waciny
Laredj. Cette année parmi les nominés, sept auteurs sur neuf sont
des femmes. Parmi ces derniers dans la catégorie reine, celle
consacrée à la littérature figurent Alawiya Sobh, auteur de Maryam
ou le Passé décomposé (Gallimard, 2007), magnifique fresque sur la
condition des femmes arabes, avec cette année Aimer la vie (non
traduit), Ezzat El-Kamhawi, récompensé par la médaille Naguib
Mahfouz, le Goncourt égyptien pour la Maison du loup (non traduit)
en 2012, et qui publie le Hall des passagers (non traduit) et Iman
Mersal, poétesse et romancière égyptienne dont Sur les traces
d’Enayat Zayyat, publié chez Actes Sud, sera dans toutes les librairies
françaises d’ici à quinze jours.

Signalons également Gabriel Martinez-Gros, professeur émérite
d’histoire de l’Islam médiévale à l’université de Nanterre, pour 
L’Empire  Islamique:  VIIe  –  XIe  siècle  publié  en  2019  par l’excellente
maison d’édition Passés Composés et qui est nominé dans la
catégorie culture arabe dans une autre langue.

Les autres nominés sont :

Catégorie Jeune auteur :

• Laylat Yalda (La Nuit de Yalda) de la romancière égyptienne Ghada
Al-Absi, publié par Dar Al Tanweer en 2018

• Ma Tarkto Khalfy (Ce que j’ai laissé derrière moi) de la romancière
palestinienne Shatha Mustafa, publié par Nofal/Hachette Antoine
en 2020

• Eshkalyat Al Thaat Al Saredah Fee Al Rwayah Al Nesaayah Al
Saudiah (Les problèmes du récit de soi dans le roman féministe
saoudien (1999 – 2012) (Critical Study) Une étude critique du Dr.
Asma Muqbil Awad Alahmadi, publié par Arab Scientific Publishers
Inc. en 2020.

Catégorie Edition :

• La Bibliotheca Alexandrina (Egypte)

• Dar Al Jadeed (Liban)

• Unionsverlag (Suisse)

Catégorie Culture arabe dans une autre langue : 

•  L’Empire  Islamique:  VIIe  –  XIe  siècle  de  Gabriel  Martinez-Gros,  
publié  en  2019  par Passés Composés 

•  Arabic Poetics: Aesthetic Experience in Classical Arabic Literature de Lara Harb, publié par CUP en 2020 

•  Arabic  Oration:  Art  and  Function  de  Tahera  Qutbuddin  publié  
en  2019    par  Brill Publishers, 2019 

•  The Republic of Arabic Letters: Islam and the European
Enlightenment de Alexander Bevilacqua publié en 2018 par Harvard
University Press 

Catégorie Traduction : 

•  Impostures  de  Al-Hariri,  traduit  de  l’Arabe  vers  l’anglais  par  
Michael  Cooperson  (Library of Arabic Literature in 2020) 

•  Asr  Elmany (A  Secular  Age)  de  Charles Taylor, traduit de  
l’anglais  vers l’arabe  par  Naoufel Haj Ltaief de Tunisie, (Jadawel
Publishing, Translation & Distribution in 2019) 

•  Noor men Al Sharq (Kayf Saadat Oloom Al Hadarah Al Islamiah
Ala Tashkeel Al Alam Al Gharbi) (Light from the East: How the
Science of Medieval Islam Helped to Shape the Western  World) de
John Freely, traduit de l’anglais vers l’arabe par Ahmed Fouad Basha
d’ Egypte, (National Center For Translation in 2018) 

Par Laurent Pfaadt

Fantômes

Le gaman est cette notion japonaise qui veut dire « supporter ce qu’on
ne peut maîtriser ». Supporter ce qu’on ne peut maîtriser. Mais que
maîtrise-t-on au juste ? Cette question, cette impuissance nichée au
fond du cœur de la famille Takahashi traverse comme une flèche
empoisonnée le sublime livre de Christian Kiefer, finaliste du Grand
prix de littérature américaine pour Les Animaux (Albin Michel) en
2017.

Personne ne maîtrise son destin, trop grand pour les Wilson, ces
paysans fruitiers, trop écrasant pour les Takahashi, leurs ouvriers
japonais, surtout quand il est paré des oripeaux de la haine et du
racisme. Dans Fantômes, l’auteur expose ainsi celui que subirent les
émigrés japonais et les citoyens américains d’origine japonaise au
lendemain de l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941. Ce
drame, déjà esquissé par James Ellroy et Joy Kagawa (au Canada),
trouve enfin sa place dans la littérature américaine. Humiliée,
déclassée, la famille Takahashi se retrouva ainsi internée dans le
camp de concentration de Tule Lake en Californie alors que leur fils
Ray se battait sur les champs de bataille européens. Mais que le
retour du héros fut tragique…

Christian Kiefer rend ses personnages, tous les personnages de ces
deux familles terriblement attachants. Kimiko Takahashi d’abord,
cette fleur de cerisier fanée par le destin et son mari, Hiro, enfermé
dans sa pudeur culturelle que l’on veut pousser à la révolte, Homer
Wilson, patriarche au bon cœur et sa femme Evelyn, prisonnière du
poison du conformisme et du racisme qui finira par corroder son
cœur. Mais il y a surtout Ray, le fils Takahashi, beau comme un
samouraï des temps modernes qui allait emprunter malgré lui la voie de la guerre alors qu’il n’aspirait qu’à aimer Helen, la fille des Wilson.
De cet amour impossible et de leur fruit défendu dont ils furent tous
deux privés, Christian Kiefer tire, à travers la voix du narrateur,
parent des Wilson, un chant, celui des fantômes qui hantent le cœur
de ses personnages dans une litanie sans fin. Un chant aux échos de
souffrances qui entre dans nos têtes pour ne jamais en ressortir.
Jesmyn Ward, la double lauréate du National Book Award, a parlé à
juste titre de « roman qui chante » car c’est bien de cela qu’il s’agit. Au
fil des pages de ce livre qu’elle ouvre et referme, c’est bel et bien la
voix de Ray que l’on perçoit, omniprésente, comme celle d’un ange
perché contemplant le sombre théâtre de cette tragédie que
personne n’a voulu mais qui est quand même advenue. Alors
pourquoi ? Parce qu’on a laissé faire. Parce qu’on a baissé les yeux
quand il fallait les garder grand ouverts. Parce qu’on a laissé la
guerre, toutes les guerres, envahir nos cœurs. Aujourd’hui comme
en 1942 ou en 1968, l’avertissement de Christian Kiefer n’a ainsi
rien perdu de sa force.

Ici, aucun manichéisme, simplement l’histoire d’une amitié devenue
haine car écrite par d’autres que ceux qui la vivent et racontée par
un narrateur à l’âme pulvérisée par la guerre et l’injustice. Mais ce
que nous disent Evelyn et Kimiko est ailleurs. Tous, au feu comme
dans l’antichambre de la mort, se retrouvent  un jour ou l’autre sur le
chemin de la vérité. Ils y croisent les fantômes de leurs vies et de
leurs actions passées pour y assumer leurs responsabilités. Car ces
fantômes demeurent, jusqu’à notre dernier souffle, en nous. 

Par Laurent Pfaadt

Christian Kiefer, Fantômes
Chez Albin Michel, 288 p.