La célébration du centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns offre, comme à chaque anniversaire, l’occasion de réécouter sa musique symphonique et concertante à travers un foisonnement d’enregistrements. Parmi ce dernier se distingue incontestablement le disque de l’orchestre de la Philharmonie Südwestfalen, orchestre philharmonique de Westphalie du sud dirigé par son chef, Nabil Shehata.
Puisant dans son ADN romantique, l’orchestre offre ainsi une première symphonie de belle facture, célébrant avec brio les motifs éclatants de l’œuvre. La Bacchanale est, quant à elle, interprétée avec tout l’orientalisme musical requis. La violoncelliste Astrig Siranossian, compère de Nabil Shehata au sein du West-Divan Orchestra de Daniel Barenboïm, n’a ainsi qu’à se glisser dans l’écrin musical façonné par le chef et son orchestre pour nous interpréter un très beau concerto qui mérite d’être redécouvert et surtout, d’être rangé, grâce à cette interprétation assez inspirée, aux côtés des plus grands. Celle qu’on a découvert dans les concertos de Khatchatourian et Penderecki, dans un disque célébré par la critique, confirme ainsi avec Saint-Saëns son incroyable talent. Avec son jeu subtil et tout en couleurs, elle imprime sur ce concerto une marque indélébile qui la classe désormais au rang des interprètes de référence de l’œuvre.
Dès le livre refermé, il a fallu revoir son portrait en uniforme SS, le regarder et constater ce « mauvais assemblage des deux parties de son visage » ainsi que « la petite cicatrice sous son œil gauche, en plus du tremblement dont il souffrait dans la même zone lorsqu’il s’énervait ». Comme pour être certain de voir Eichmann et non Klement.
Impossible de lâcher ce livre avant la fin tellement il nous happé. D’Adolf Eichmann, on connaissait essentiellement le début, sa naissance dans l’histoire de l’humanité en tant qu’organisateur de la solution finale et la fin, son procès à Jérusalem. Comme l’a dit Hannah Arendt, il a personnifié la banalité du mal. Mais à quoi ressemblait ce mal lorsqu’il s’est, à nouveau, banalisé ? C’est tout le propos du roman d’Ariel Magnus, auteur d’un Eichmann à Buenos Aires de feu ou plutôt de cendres, celles d’un nazisme encore tiède que des hommes tels que Ricardo Klement – le nom d’emprunt d’Eichmann – se sont plu à entretenir dans une capitale argentine dirigée par un Juan Peron complaisant avec les anciens séides du Troisième Reich.
Là-bas, Eichmann se cache, y compris de ces enfants. Il rumine sa frustration et rêve de reconnaissance, littéraire, à défaut de celle de son Führer. Ariel Magnus excelle lorsqu’il décrit le morne quotidien d’un homme enfermé dans une sorte de schizophrénie : Klement cultive son oubli quand Eichmann ne désire qu’édifier sa légende, légende que seuls ses ennemis lui reconnaissent. Alors oui, il y a les effluves assez pathétiques du nazisme suranné d’un homme enfermé dans son antisémitisme et qui rêve de le dissoudre dans sa germanité intime. Son machiavélisme est pathétique à souhait. Mais l’incroyable talent littéraire de l’auteur réside dans cette précision presque métronomique à décrire l’obsession bureaucratique d’un homme, d’un fonctionnaire fier d’avoir réussi à bureaucratiser le plus grand crime de l’histoire. Peu importe la mort d’une personne ou d’un million, la satisfaction se trouve avant tout dans la mise en place du process. Les pages de Magnus glacent le sang car elle montre que n’importe qui, y compris le plus banal des fonctionnaires, peut se transformer en un criminel de masse. Si Eichmann est un être hors du temps, Klement peut être chacun d’entre nous.
Par Laurent Pfaadt
Ariel Magnus, Eichmann à Buenos Aires, traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud, Aux éditions de l’Observatoire, 208 p.
Les fleuves portent en eux le destin des hommes. Ils l’attirent, le bercent, l’orientent et le noient dans leurs lits. La Volga, dans ses remous tumultueux, décida ainsi de l’histoire de Jakob Bach et de ces milliers d’Allemands venus s’installer au XVIIIe siècle, sous le règne de la tsarine Catherine II, sur les bords du fleuve russe.
Jakob Bach, maître d’école dans le village de Gnadenthal près de Saratov, ne se doutait pas qu’il allait traverser ce fleuve rouge, rouge comme celui des bolchevicks, comme celui du sang de l’histoire en acceptant l’invitation à dispenser des leçons à Klara, la fille d’un certain Grimm. De cette rencontre allait naître une histoire d’amour et une fille, Anntche.
Présent dans les sélections des prix Médicis et Femina étranger, Les Enfants de la Volga confirme l’incroyable talent littéraire de Gouzel Iakhina après son magistral Zouleikha ouvre les yeux (Noir sur Blanc, 2018) traduit dans près de trente langues. Ce nouveau livre absolument magnifique, véritable barque littéraire embarquée sur ce fleuve où se croisent les dérives d’une jeune nation et les naufrages de leurs habitants, navigue en permanence entre rêves et cauchemars. Les rêves avec le réalisme magique d’une histoire façonnée par l’auteur comme dans cette scène où Bach se rend dans la ferme du père de Klara au milieu d’un décor surnaturel. Les frontières entre conte et réalité s’estompent ainsi à chaque fois que les personnages traversent le fleuve et quittent leur monde. Sur l’autre rive, ils y rencontrent fanatisme et désolation.
Des rêves mais aussi des cauchemars avec le viol et la mort de Klara, cette « vierge des glaces » devenue muse du fleuve et de Jakob. Face à cette nature bafouée, ce dernier choisit la réclusion verbale, seule échappatoire à la violence du monde et des hommes. Mais il était écrit dans ce livre que l’espoir serait amené par des enfants. Celui de Jakob et de Klara, Anntche. Puis cet orphelin, Vasska, comme porté par le fleuve. Les enfants de la Volga.
Comme dans son livre précédent, Gouzel Iakhina dessine avec ses mots, des paysages grandioses tout droit sortis d’un film. On traverse le fleuve comme on change de monde, comme on passe du rêve au cauchemar. C’est dans le miroir des eaux tumultueuses de la Volga que Iakhina a choisi de tremper sa plume mystique et de dévier, pour Jacob, Anntche et Vasska, le cours de ce fleuve et de leurs destins que nous n’oublierons pas de sitôt.
Par Laurent Pfaadt
Gouzel Iakhina, Les Enfants de la Volga, traduit du russe par Maud Mabillard, Aux éditions Noir sur Blanc, 512 p.
Une formidable exposition
explore l’influence du peintre russe Chaïm Soutine sur Willem de Kooning
De Kooning : Woman II, MOMA, New York
On ne va pas bouder notre plaisir, loin de là. Mais retrouver en Europe quelques œuvres de l’un des maîtres américains de l’expressionisme abstrait, Willem de Kooning, vaut assurément le détour. Surtout pour comprendre ses influences en partie européennes. Si onze ans séparent Chaïm Soutine de Willem de Kooning, les deux hommes ne sont jamais rencontrés, physiquement en tout cas. Artistiquement, il fallut l’intervention d’un mécène, Albert Barnes, pour que l’art de l’un des plus grands peintres de la deuxième partie du 20e siècle soit irrémédiablement transformé.
D’ailleurs, la fondation Barnes de Philadelphie qui co-organise cette exposition et l’accueillit entre mars et août 2021, a prêté une grande partie des chefs-d’œuvre du peintre russe. C’est en 1923 qu’Albert figuration et abstraction que l’on mesure aisément dans l’Homme au manteau vert (1925) du Metropolitan Museum par exemple allait marquer, après la seconde guerre mondiale, la naissance de l’american painting.
Willem de Kooning ne subit pas immédiatement l’influence de Soutine mais plutôt celles d’Ingres et de Picasso. Ses œuvres des années 40 présentes dans l’exposition comme la Queen of hearts de Washington ou les premières Woman témoignent encore de la mainmise intellectuelle du génie espagnol. De Kooning dut attendre la grande rétrospective Soutine au MOMA en 1950 qu’il vit certainement mais surtout sa visite à la fondation Barnes en 1952, au lendemain de la mort du collectionneur d’art, pour ressentir un véritable électrochoc devant Soutine. L’artiste américain fut littéralement subjugué par son travail sur la chair. Quelques années auparavant, lors d’une conférence, Willem de Kooning ne disait pas autre chose : « La chair est la raison pour laquelle la peinture à l’huile a été inventée ». Le pouvoir expressif de l’imaginaire de Soutine, sa dimension primitive portée à son paroxysme dans des chefs d’œuvres tels que Le Bœuf écorché du musée de Grenoble ou Le Bœuf et tête de veau (musée de l’Orangerie, vers 1925) pénétrèrent l’art de Willem de Kooning pour ne plus jamais en ressortir. Soutine déclencha ainsi chez le peintre américain une tempête picturale qui généra quelques chefs-d’œuvre majeurs de l’expressionisme abstrait tels que la Woman II (1952) du Museum of Modern Art qui hypnotise littéralement le visiteur avec ce visage si expressif et ces grands yeux bleutés, ou cette extraordinaire Marilyn Monroe (1954) absolument prodigieuse.
Certes l’art de Willem de Kooning poursuivit sa propre évolution mais l’influence de Soutine ne disparut jamais. Malgré un pinceau plus vif, plus tranché, les paysages peints par Soutine en 1920-1921 (Paysage à Céret ou La Route montante venue de la fondation Barnes) continuèrent à se glisser dans les œuvres tardives du peintre américain comme des séquelles inconscientes et indélébiles matérialisées dans ces roses vifs qui semblent mettre la chair à nu dans Amityville (1971) ou ces bleus marqués dans Whose Name Was Writ in Water (1975) du Guggenheim Museum.
L’inscription de la femme dans le paysage avec l’inédite Woman in a garden de 1971 venue d’une collection particulière, se lit ainsi en miroir avec la Femme entrant dans l’eau (1931). Ces deux œuvres rattachent Soutine et de Kooning à Rembrandt. Façon de dire que la peinture, comme l’histoire, existe par elle-même et choisit peut-être les peintres dans lesquels elle souhaite s’incarner.
Par Laurent Pfaadt
Chaïm Soutine / Willem de Kooning. La peinture incarnée, Musée de l’Orangerie, Paris, jusqu’au 10 janvier 2022.
A lire le catalogue Chaïm Soutine / Willem de Kooning. La peinture incarnée, Coédition Musées d’Orsay et de l’Orangerie / Hazan, 232 p.
A l’occasion du bicentenaire de sa naissance, force est de constater que Fiodor Dostoïevski ne suscite malheureusement pas l’engouement relatif à l’importance qu’il a eu sur la littérature mondiale. Car, il faut bien le reconnaître, aujourd’hui Les Frères Karamazov, Crime et châtiment ou l’Idiot font partie du patrimoine littéraire de l’humanité. Ses personnages comme Razkolnikov ou Fiodor Karamazov incarnent même à eux seuls certains comportements humains.
On ne compte plus les écrivains qui ont été inspirés par le génial russe : de Faulkner à Murakami en passant par Garcia Marquez, Orhan Pamuk ou James Joyce qui a dit de lui qu’il « est l’homme qui, plus que tout autre, a créé la prose moderne, et l’a portée jusqu’à son intensité actuelle ».
Raison de plus pour se plonger dans sa vie et son œuvre dans ce qui constitue certainement la biographie la plus aboutie de l’auteur des Possédés. Signée de Joseph Frank (1918-2013), professeur à Princeton, elle explore toutes les dimensions de l’homme et de l’écrivain : son évolution idéologique, sa « conversion » au bagne, son rapport à Dieu ou au milieu littéraire russe – sa relation avec Ivan Tourgueniev est absolument fascinante – permettant ainsi de comprendre sa psychologie et de facto, celle de ses personnages.
Dans cette version abrégée d’une édition en cinq volumes parue initialement dans les années 1970, Joseph Frank estime, dans une préface inédite de 2010, que « le génie de Dostoïevski réside dans sa capacité à inventer des situations dans lesquelles les idées dominent le comportement de ses personnages sans que celui-ci devienne allégorique ». Cette biographie nous permet donc de découvrir l’auteur derrière ses livres et de le suivre presque quotidiennement. On comprend ainsi à la lecture de ce livre pourquoi Dostoïevski a tant fasciné par exemple Ernest Hemingway car tous deux avaient comme sources d’inspiration ces expériences qui ébranlent la condition humaine : la guerre pour Hemingway, le bagne sibérien pour Dostoïevski dont il en tira le sublime Souvenirs de la maison des morts en 1862 et préfigure, d’une certaine manière, l’œuvre de Soljenitsyne. Un siècle sépare Une journée d’Ivan Denissovitch de Souvenirs de la maison des morts mais tous deux ont forgé leurs œuvres dans les tréfonds de l’âme humaine qu’ils ont découvert, disséqué et immortalisé dans des livres qui parlent de l’être au sens ontologique. Tous deux se rejoignent également dans la vision qu’ils eurent de l’évolution de leur pays.
Joseph Frank replace également Dostoïevski dans les débats politiques de son temps pour expliquer les matrices littéraires de ses œuvres. Le lecteur saute ainsi de livre en livre avec, il le faut le dire, une fascination à chaque fois renouvelée. Ainsi de Crime et châtiment lorsque l’auteur nous explique comment Dostoïevski passa de la première à la troisième personne, permettant ainsi à l’œuvre de gagner cette intemporalité. La densité de l’ouvrage – cinq volumes compressés – ne nuit pas à la lecture ni à la compréhension, bien au contraire. Et à la manière d’un prisme lumineux, il fait converger toutes les dimensions, personnelles et littéraires de cet écrivain de génie pour offrir un monument littéraire qui va bien au-delà de la simple biographie.
Par Laurent Pfaadt
Joseph Frank, Dostoïevski, un écrivain dans son temps, traduction de l’anglais par Jean-Pierre Ricard Aux Edition des Syrtes, 984 p.
Proposé par Musica et le TJP CDN ce spectacle ne manque pas d’intriguer, d’interroger car nous sommes au carrefour d’une expérience auditive et visuelle. C’est l’oeuvre de Clément Vercelletto, musicien, compositeur, expérimentateur.
Une sorte d’aventure qui se joue dans la pénombre autour d’un grand cercle d’écorces de pin et qui convoque une silhouette qui remue, se déplace pendant que résonnent des sons prégnants, aigus puis que jaillit un chant d’oiseau accompagnant les pas du marcheur. Retentit bientôt l’appel du cor des Alpes auquel se mélangent des bruitages, des grésillements, des cris, tout un paysage sonore créé par les différents instruments disséminés sue le plateau et utilisés de façon originale, flûte harmonica, orgue, appeaux dressés en totems colorés. Soudain surgit la danseuse. Ses gestes mécaniques la conduisent à jouer sur l’équilibre, le déséquilibre. Sa performance suit un rythme de plus en plus rapide, ses contorsions la mènent à se vautrer dans les copeaux pour y chercher une posture propice à l’endormissement, une manière d’habiter ce lieu insolite d’unir la vie et la matière.
La Cie « Les Sciences Naturelles » nous ont ainsi offert l’occasion d’ouvrir grand nos yeux et nos oreilles et de faire courir notre imaginaire.
Pour ce retour en salle, deux institutions ont collaboré pour nous présenter deux des spectacles inscrits dans leur programmation.
Trust me
tomorrow par le Verdensteatret
Et si pour une fois nous commencions par la fin. Il se trouve que pour ce spectacle, cela peut être éclairant. Lorsque nous sommes sur le point de quitter la salle, les artistes nous invitent à faire un tour sur le plateau pour y regarder de près une série d’installations, de petites saynètes où l’on voit rassembler des tas de petits cailloux, des mobiles, des bricolages, tout ce qui en dit long sur leurs capacités inventives que l’on a pu apprécier durant leur prestation. C’est là la marque de fabrique de la compagnie norvégienne Verdensteatret, célèbre pour ses productions originales.
Pendant une heure, en effet, nous avons quitté notre monde, oublié la salle et même ceux qui nous côtoient, absorbés par des images, des sons étranges, entremêlés. Nous sommes tantôt plongés dans une obscurité à peine trouée de quelques lueurs, tantôt on nous restitue une vision claire du plateau où pourront se produire musiciens et danseurs.
Pas vraiment de fil pour nous guider, alors on se laisse conduire à travers des propositions pleines d’illusion d’optique, de silhouettes comme simplement esquissées, difficiles à déterminer, d’un monde animal bizarre, monde onirique, surréaliste. Pourquoi résister, on se laisse entraîner, envoûter. Tout est si étrange et comme familier de nos rêves. C’est à la fois inquiétant et jouissif comme ce dernier clin d’oeil qui ne manque pas d’humour avec l’apparition des instruments de musique blancs fabriqués en matière molle.
Après cette expérience sensorielle multiple, il nous a semblé difficile de retrouver la simple, ordinaire et banale réalité.
Le retour de Mark Tompkins à Pôle Sud, remis en raison du Covid 19 était très attendu par tous ceux qui ont suivi, ici même, les étapes de sa carrière de chorégraphe, d’interprète et de pédagogue.
Conduire sa vie, reconnaître le temps qui passe et le défier, jouer avec cela, en jouir et inviter les autres à partager cette expérience, finalement commune à tous, voilà ce qu’il montre dans sa dernière création où il s’expose avec finesse et humour pour cette leçon de vie.
C’est d’abord la silhouette d’un grand gamin, torse nu qui vient à notre rencontre, disposant autour du bac à sable les petits jouets de son enfance et confectionnant avec application, tout en chantonnant et murmurant, une sorte de berceau pour y coucher tendrement une petite souris. Elle exige une histoire pour s’endormir. Qu’à cela ne tienne, il se met à raconter la célèbre histoire des « Trois petits cochons ». L’enfance est là, improbable et juste. un monde si tranquille, si doux dans lequel cependant on ne peut s’attarder.
Commence alors l’évocation du périple d’une vie mouvementée qui nécessite que notre conteur se relève, déploie sa longue silhouette et s’adonne à cet exercice de prestidigitateur qui consiste à faire surgir les moments de grâce et de douleur qui ont marqué son chemin de vie et ce à travers des chants, des danses, accompagnés par deux complices musiciens pleins d’ardeur, des seconds rôles qui prennent parfois le pas sur l’acteur, en proposant leurs propres ébats comme ce superbe corps à corps, cette simili bagarre de jeunes déchaînés. Pour cette performance ils ont quitté leurs instruments, Maxime Dupuis son violoncelle et ses objets, Tom Gareil son vibraphone et son synthétiseur ayant avec eux déjà fait la preuve de leur talent. Ainsi jouent-ils, fraternellement, ensemble, effaçant les frontières entre danse, musique et chant, manifestant l’engagement des corps, faisant fi des frontières de l’âge. Mark peut bien s’enrager aussi, recroquevillé sur lui-même contre le vieillissement qui le gagne. Il n’en reste pas là et joue à se déguiser, s’entourer de lumière, rebondir, déployant un corps encore plein d’élégance et de souplesse, adressant ainsi un pied de nez au temps qui passe. Humour et tendresse sont au rendez-vous, marques sensibles de sa vulnérabilité et de son obstination.
Ce spectacle dont Jean- Louis Badet signe une scénographie et des costumes très pertinents, fut pour nous, un moment de retrouvailles, exceptionnel, plein de réflexion et d’humanité, une véritable invitation à se réconcilier avec soi-même, à apprendre à jouir du temps qui passe.
Marie-Françoise Grislin
Représentation du 29 septembre à Pôle Sud Strasbourg
Les mercredi 13 et jeudi 14 octobre, le public de l’OPS retrouvait un chef fort apprécié à Strasbourg, l’américain John Nelson, pour un concert entièrement consacré à Berlioz, dont il est l’un des grands interprètes actuels. Il accompagnait le ténor Michael Spyres, bien connu également dans notre ville, et le très jeune altiste Timothy Ridout dont c’était la première collaboration avec l’orchestre.
Après une ouverture de Béatrice et Bénédict laissant entendre un orchestre bien sonnant, le cycle de mélodies pour ténor et orchestre composé sur six poèmes de Théophile Gauthier et intitulé Les Nuits d’été faisait résonner dans la salle Érasme la voix veloutée et puissante du bariténor Michael Spyres. L’étendue de son spectre vocal, offrant des aigus de haute volée et un grave de belle tenue, convient particulièrement à cette partition qui exige beaucoup du chanteur. Ces dernières années, Michael Spyres s’est fait connaître à Strasbourg lors des soirées et des enregistrements, mondialement salués, des Troyens et de La Damnation de Faust, sous la direction du même John Nelson à la tête d’un OPS des grands soirs. Son appropriation musicale du personnage de Faust et la qualité de sa diction avaient été particulièrement remarquées. Le soir du 14 octobre, ténor et chef s’accordent dans une belle prestation suave et chantante du cycle des Nuits d’été. Dans le contexte d’un enregistrement et d’une prochaine publication discographique chez Warner, les protagonistes auront probablement encore travaillé l’atmosphère musicale et la diction du texte, durant les séances de retouche effectuées les deux jours suivants.
Avec Harold en Italie, symphonie pour grand orchestre et alto principal, on quitte l’atmosphère chambriste pour une formation plus large. Même si les musiciens jouent maintenant sans masques, la situation sanitaire limite encore le nombre de pupitres sur scène nous privant ainsi, deux semaines plus tôt, de la seconde symphonie de Mahler sous la direction de Claus Peter Flor. Dans Harold, on commence quand même à retrouver un quatuor à cordes consistant, du type 14 – 12 – 10 – 8 – 6. Il faut, en revanche, se réjouir du maintien sur estrades des cuivres et percussions, qui apporte beaucoup de douceur et d’aération à la sonorité globale de l’orchestre sonnant très beau, comme lors du premier concert de Shokhakimov au mois de septembre, quoi qu’on ait pu lire ça ou là.
Avec Nelson et le jeune altiste londonien Timothy Ridout, la partie montagnes, est une des plus belles qui se puisse concevoir, prenante, colorée (jeu de l’altiste et celui des bois et cuivres !) et magnifiquement chantante. Les soulèvements orchestraux qui suivent, peu faciles à négocier, bénéficient d’une bonne mise en place. Le caractère processionnel de la Marche des pèlerins, titre du second mouvement, est bien restitué, avec une fois encore un jeu d’alto qui force l’admiration. Dans le troisième mouvement, La sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse, Nelson adopte un ton tour à tour endiablé et élégiaque, particulièrement enthousiasmant. Privilégiant la profondeur du chant, son tempérament ne le pousse évidemment pas du côté de la démesure et de l’explosion sonore dans l’épisode final, l’Orgie des brigands, qui n’en sonne pas moins de façon idiomatique, avec une couleur générale bien berliozienne.
John Nelson a entrepris un enregistrement intégral de l’œuvre de Berlioz, d’abord chez Erato et Virgin, aujourd’hui chez Warner. Commencé il y a vingt ans à Paris avec Benvenuto Cellini et le Te Deum, il s’est poursuivi à Strasbourg, sous forme d’enregistrement de concert, avec Les Troyens et La Damnation de Faust, en même temps qu’à Londres pour le Requiem. Interrompu entre temps pour les raisons que l’on sait, il a donc repris ici même cet automne et continuera en juin prochain avec Roméo et Juliette. Bien que d’origine américaine, Nelson inscrit sa passion pour Berlioz dans la suite de celle de grands chefs anglais du passé récent ou lointain (Colin Davis, Thomas Beecham) ou contemporain (John Eliott Gardiner). Au plan du style, c’est de celui de Gardiner que se rapproche le lyrisme et l’éloquente clarté de Nelson plus que de la froide et un peu mécanique précision de Colin Davis. Au demeurant, Nelson joue avec un orchestre moderne quand Gardiner use d’instruments d’époque, de sonorité plus perçante. Il n’empêche que l’un et l’autre emploient avec bonheur exactement le même effectif orchestral dans Harold en Italie.
Heureux retour de ce Festival de films de pays germanophones après la pause forcée de 2020. Avec sa bande annonce joyeuse aux accents pop, Augenblick veut dépoussiérer l’image austère d’un cinéma en langue allemande. Il fait la part belle aux échanges transfrontaliers en notre région où le dialecte et le bilinguisme sont essentiels. Avec ses jurys jeunes européens, jury lycéens et jury étudiants, la jeunesse est au cœur d’un dispositif qui privilégie le dialogue entre les pays. Le festival 2021 propose une sélection riche par son nombre de films et leur diversité avec des projections sur tout le territoire alsacien et l’occasion de rencontrer réalisateurs et comédiens.
Hanna Schygulla dans Lili Marleen de R. W. Fassbinder
Elle faisait l’affiche de l’édition 2020, annulée pour cause de covid. Hanna Schygulla est aujourd’hui l’invitée d’honneur de ce 17e festival. Une rétrospective lui est consacrée avec quatre films de Fassbinder et De l’autre côté de Fatih Akin, en présence de l’acteur Baki Davrak. Elle animera le 13 novembre une master classe suivie de la projection des Faussaires de V. Schlöndorff. Sera également présent le réalisateur André Schäfer avec le documentaire qu’il lui a consacré : Hanna Schygulla – une égérie libre, une exclusivité du festival, en partenariat avec Arte. Le 14 novembre à 18h, au MAMCS, l’actrice allemande présentera trois courts métrages qu’elle a réalisés. La soirée alternera projections vidéo et chansons par son amie et artiste italienne Etta Scollo.
Ich bin dein mensch de Maria Schrader fera l’ouverture du festival (Prix Ours d’argent de la meilleure interprétation pour Maren Eggert à la Berlinale 2021). Ce film fait partie des six films en compétition dont trois seront accompagnés par les équipes. L’acteur Daniel Brühl sera là, avec Next Door, son 1er long métrage, plein d’autodérision, la rencontre entre une star du cinéma (D. Brülhl) et un homme de condition modeste de l’Est (Peter Kurth). La comédienne Katharina Lehrens accompagnera le film Seule la joie deHenrika Kull où deux prostituées tombent amoureuses l’une de l’autre. Enfin, Arman T. Riahi viendra présenter son film Fuchs im Bau, sur des méthodes d’enseignement non conventionnelles dans une prison pour adolescents à Vienne. Nö de Dietrich Brüggemann est un film sur l’amour et sa difficulté à durer. Wanda, mein Wunder de Bettina Oberli mêle secrets de famille et relations intrafamiliales sous le regard d’une jeune polonaise.
Le documentaire s’invite dans cette nouvelle édition avec cinq films dont In Case You qui traite du harcèlement sexuel pendant un casting de comédiennes. La réalisatrice Alison Kuhn présentera son film (Prix Meilleur documentaire au Festival Max Ophüls 2021). Out of place sur l’exil en Roumanie de trois adolescents jugés trop difficiles pour les centres éducatifs allemands sera également accompagné par la réalisatrice Friederike Güssefeld. Hors compétition, projection gratuite au cinéma St Exupéry dans la limite des places disponibles de Die Blumen von gestern, sorti en 2017 en Allemagne, en Autriche et en Suisse, mais resté inédit en France malgré ses nombreuses distinctions et prix. La projection sera suivie d’un échange avec le réalisateur Chris Kraus qui continue de revisiter l’histoire allemande de façon originale et sur un ton léger.
La compétition de courts métrages est également, comme avec les documentaires, une nouveauté cette année. Au nombre de 11, ils témoignent de la vitalité et de la grande diversité des films et des genres. Répartis en deux programmes d’1h et demi, Olivier Broche qui les a choisis, comédien et homme de théâtre, sélectionneur de scénarii de courts métrages pendant 15 ans à Canal +, nous les présentera avec passion et enthousiasme.
Les petits et les adolescents sont loin d’être oubliés avec une sélection de huit films jeunesse dont La Taupe coiffée et autres petites histoires qui regroupe huit courts métrages en VO non sous-titrés, visibles dès 3 ans. Mais aussi, dès 14 ans, Le mur qui nous sépare, d’après une histoire vraie, est une histoire d’amour dans l’Allemagne de 1986, à Berlin, de part et d’autre de la ville divisée, avec la venue du réalisateur Norbert Lechner.
Le tombeau hindou
Focus sur Fritz Lang avec Debra Paget sur l’affiche de cette 17ème édition d’Augenblick, dans son rôle de Seetha, dans Le Tombeau hindou. Il serait dommage de bouder son plaisir et ne pas voir ou revoir ce film sur grand écran, ainsi que Le Tigre du Bengale avec lequel il forme un dytique. Le diabolique Dr Mabuse sera également projeté. Ces trois films de Fritz Lang feront l’objet d’une rencontre avec le critique de cinéma Bernard Eisenschitz.
Copieux ? Vous avez dit copieux ? Trois avant-premières encore sont à noter, ainsi qu’une séance spéciale placée sous le signe de l’écologie, avec la présence du réalisateur Niklaus Hilber pour son film Bruno Manser – La voix de la forêt tropicale, à la rencontre des Penans, peuple nomade de la jungle de Bornéo … Ou comment le cinéma germanophone nous emmène au cœur de la Malaisie !
Elsa Nagel
Comme pour les éditions précédentes, Augenblick propose au 15-20 ans, un concours de la meilleure critique pouvant porter sur tout film de la programmation et dont le gagnant se verra récompensé par un séjour à Berlin. A noter que la langue de la critique peut être le français comme l’allemand.