Voyages au bout de la nuit

Alexandre Saintin retrace dans un livre passionnant, le parcours de ces intellectuels séduits par le nazisme

C’est peu l’arbre ou plutôt les arbres qui cachent la forêt. Car évoquer la collaboration intellectuelle, et l’admiration littéraire envers le régime nazi se résument bien souvent à quelques noms : Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle et Robert Brasillach auxquels on adjoint parfois Jacques Benoist-Méchin, Ramon Fernandez et Lucien Rebatet. Des hommes qui, par haine, idéologie ou opportunisme ont cru dans le régime nazi.

Pour comprendre cet engouement qui conféra parfois à de la fascination, Alexandre Saintin a lui-même entrepris ce voyage historico-littéraire. Il en a ramené un ouvrage à tous points de vue passionnant, une galerie de portraits qui, au-delà des convertis et des antisémites, se veut plus clair-obscur qu’il n’y paraît sans pour autant atténuer les responsabilités individuelles et collectives. En scrutant les récits de voyages et les productions de ces intellectuels – pour la plupart hommes de lettres, journalistes, professeurs d’université – avant et pendant la guerre, l’historien a voulu comprendre.

Comprendre tout d’abord que l’Allemagne d’Adolf Hitler engagea dès son arrivée au pouvoir la bataille des idées qui remporta des succès notoires à grands coups de voyages outre-Rhin. Ces derniers serviront ainsi à tisser des liens, créer des réseaux pro-allemands comme le groupe Collaboration qui regroupa par exemple Abel Bonnard, Pierre Drieu La Rochelle ou Pierre Benoit, et deviendront faciles à mobiliser lorsque viendra le temps de la guerre et du régime de Vichy. Mais alors comment expliquer cette attirance ? Là encore le livre offre de brillantes réponses qui dessinent un spectre composite et non unique de ce vertige : volonté de détruire la « Gueuse », la République qui séduisit nombre de maurrassiens, recherche d’un pacifisme naïf pour ces hommes de bonne volonté tel Jules Romains ou antisémites notoires, héritiers de l’antidreyfusisme notamment au sein des journaux Candide et Je suis partout. La plupart d’entre eux finirent par se rejoindre dans l’aveuglement collectif de la collaboration.

L’autre grand mérite du livre est d’élargir la focale et, dans un chapitre passionnant, il s’attache à évoquer le voyage en terre du Troisième Reich de ceux qui, clairvoyants, alertèrent l’opinion sur les dangers du régime d’Adolf Hitler en regroupant surtout communistes, socialistes et chrétiens. Mais reconnaît l’auteur : « face à ce ralliement de cœur ou de raison des intellectuels allemands au régime nazi, rencontrer un homologue faisant profession de s’opposer à ce dernier fut sans étonnement une gageure pour les voyageurs français ».

Après la guerre vint l’épuration. L’ordonnance du 26 août 1944 créa l’indignité nationale, un crime qui frappa ceux qui avait collaboré avec l’occupant. Il concerna près de 50 000 personnes dont Louis-Ferdinand Céline, Lucien Rebatet qui fut condamné à mort puis gracié ou Charles Maurras exclu de l’Académie française tout comme Abel Bonnard dont le successeur se nomma…Jules Romains. Une manière de dire que l’histoire n’est pas linéaire et toujours complexe. Comme un tableau clair-obscur dans lequel entre magnifiquement le livre d’Alexandre Saintin.

Par Laurent Pfaadt

Alexandre Saintin, Le vertige nazi,
Passés composés, 320 p.

In absentia

Un livre comme un miroir. Celui de l’extermination de masse. Celui dont le reflet dévoile ce que l’homme a de plus terrible. Celui également, aux reflets déformants, qui révèle ce que nous ne voulons pas être, celui qui fait de nous ce que nous ne sommes pas mais que les autres voient.

Dans le nouveau roman de Raphaël Jerusalmy, auteur de Sauver Mozart (2012) et de La Confrérie des chasseurs de livres (2013), deux hommes se font face, se répondent et finissent par se croiser, un bref instant. Tous les deux tentent de survivre dans l’enfer des camps. Au Struthof, Pierre Delmain, écrivain devenu assistant du médecin nazi Auguste Hirt qui pratique d’horribles expériences médicales, « aide » les victimes à mourir sans souffrances en les étranglant. Il a développé une telle dextérité que les bourreaux viennent l’observer. A Paris, Saül Bernstein, dit Paul, collectionneur d’art a longtemps oublié qu’il était juif. Il était au-dessus de tout cela. Jusqu’à ce que la guerre vienne lui rappeler qu’il n’était que cela.

« La bête féroce que tu es allé chercher au fond de toi, tu la caresses. Tu lui chuchotes des paroles douces que la proie croit lui être destinées, alors que c’est à la tourmente qui se déchaîne en toi que tu t’adresses » pense ainsi Pierre Delmain, qui déshumanisé, croise alors Paul. Ce dernier se sait condamné mais refuse de devenir une bête. Il deviendra une expérience pour un médecin fou. Mais pour Pierre, demeurera ce sourire au fond des ténèbres qui viendra le hanter longtemps.

Par Laurent Pfaadt

Raphaël Jerusalmy, In absentia
ChezActes Sud, 176 p.

L’écrivain des batailles

Arturo-Reverte raconte la guerre en ex-Yougoslavie qu’il couvrit comme journaliste

Bien avant d’être l’écrivain à succès traduit dans le monde entier, créateur du capitaine Alatriste et de l’espion franquiste Falco, Arturo Perez-Reverte fut un journaliste. En 1992-1993, il couvrit la guerre en ex-Yougoslavie. Lorsqu’il arrive dans les Balkans en guerre, il a 41 ans et déjà une expérience de près de vingt ans de reporter de guerre au Liban, en Angola ou en Amérique centrale notamment. Territoire comanche s’ouvre ainsi sur le pont de Bijelo Polje : « A genoux dans le fossé, Marquez fit le point sur le nez du cadavre avant d’ouvrir en plan général. Il avait l’œil droit collé au viseur de la Betacam, et le gauche à demi fermé dans les spirales de fumée de la cigarette tenue d’un côté de la bouche ».

Dans ce récit publié en 1994 et traduit pour la première fois, le futur écrivain est déjà là. La mise en scène narrative, un récit en mouvement, une prose fluide. Le lecteur cligne des yeux comme Marquez et Barlès, le journaliste qui l’accompagne et regarde à nouveau la couverture. Oui, il s’agit bien de mémoires de guerre de l’auteur, à travers Barlès, ce personnage qui rappelle celui du Peintre des batailles. Le récit arpente ainsi les sentiers de la guerre, sur le front, ce « territoire comanche » où la vie ne tient qu’à un fil, ce no man’s land que décrivit si bien Ernst Jünger, en compagnie de ses collègues. Les portraits qu’il dresse de ces combattants de l’information sont fascinants, des plus connus comme Orianna Fallaci ou Corinne Dufka, « ces femmes qui en ont une sacrée paire », aux plus anonymes comme Marie la Portugaise, endormie nue sur un lit de fortune, ou ce milanais du Corriere della Sierra « si énorme que le gilet pare-balles ressemblait sur lui à un soutien-gorge blindé ».

Il y a indiscutablement du Hemingway dans ces pages, celui qui mêle dans un récit tant de situations et de personnages incohérents pour former un tout. Celui qui réunit dans une pièce éventrée par des obus de mortier, des histoires improbables pour tisser la tapisserie de l’humanité avec ce mélange de fatalité et de hasard résumé dans ces trois façons d’être tué : 1 – « c’est quand votre numéro sort, comme à la loterie »; 2 – quand l’expérience vous manque; 3 – la loi des probabilités.

Une fois de plus servi par la très belle traduction de Gabriel Iaculli qui a pris avec succès la suite de François Maspero, le livre se lit d’un trait. Un brin désabusé sur la réalité du monde, Barlès lance ainsi à des étudiants en journalisme voulant partir sur les champs de bataille du monde : « Les méthodes les plus sales ont été mises en pratique avec la passivité complice d’une Europe incapable de donner à temps du poing sur la table pour freiner la barbarie ». C’était il y a trente ans en ex-Yougoslavie et non hier.

Par Laurent Pfaadt

Arturo Perez-Reverte, Territoire comanche, traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli
Les Belles Lettres, Mémoires de guerre, 120 p.

Ogre

Un film d’Arnaud Malherbe

Présenté en compétition du 29ᵉ Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, Ogre était le seul film de genre français en lice. Au coeur d’une sélection de 10 titres Ogre faisait figure d’outsider, mais proposait des éléments prometteurs.

Juste avant la première projection du film à l’Espace Lac, le réalisateur était monté sur la scène le présenter à un public enthousiaste. Il avait ironisé sur le fait de passer juste après l’hommage rendu au célèbre réalisateur anglais Edgar Wright, bien connu des amateurs de genre (cf. Shaun of the Dead, Hot Fuzz, Scott Pilgrim, Last Night in Soho). Arnaud Malherbe avait partagé son émotion à se retrouver à Gérardmer, 14 années après y avoir été récompensé par le Grand prix du court métrage pour Dans leur peau (une intrigante histoire dans laquelle Fred Testot excellait). Après quelques mots sur les comédiens principaux il laissait la place à son œuvre.

Chloé et Jules, son fils de 8 ans, sont venus s’installer dans un petit village du Morvan. La jeune femme sera la nouvelle institutrice, elle est donc chaleureusement accueillie par les villageois qui se sentent oubliés de tous. Les médias, les pouvoirs publics les ont progressivement abandonnés, le village s’est vidé, et depuis quelques temps une bête sauvage rôde, massacrant le bétail. Les paysans sont en colère, et le fils de l’un d’entre eux a récemment disparu.

Très vite, le côté fantastique s’immisce dans l’histoire. La surdité de Jules est un élément qu’Arnaud Malherbe utilisera à bon escient, l’enfant choisissant parfois de ne pas porter ses prothèses auditives. Cela donnera lieu à des moments de pure frayeur, amplifiée par la proximité de la bête qui décime les troupeaux. Chloé va prendre ses marques et vite s’intégrer à son nouvel environnement. Elle tombera sous le charme du médecin du village, Mathieu.

Celui-ci est mystérieux, à la fois enjoué et inquiétant. La caméra joue de son ambiguïté, et très vite Jules décide de s’en méfier. À tel point que l’enfant se convainc facilement qu’il cache un sombre secret, une double identité. Pour lui cela ne fait aucun doute, Mathieu a beau avoir séduit sa mère, il n’en est pas moins un monstre sanguinaire quand la nuit tombe. Jules est persuadé que l’affable praticien se transforme en loup-garou la nuit venue, et parcourt la contrée pour égorger les bêtes isolées.

Avec Ogre, le metteur en scène propose une immersion dans l’imaginaire riche propre à l’enfance. Tous les fantasmes y sont permis. Il s’appuie sur son décor principal, un petit village isolé de tous, à la fois petit coin de paradis pour certains et cauchemar éveillé pour d’autres, pour donner une impression étrange, celle d’un enfermement à ciel ouvert. Les lieux sont propices au calme, à la liberté et pourtant, une ombre plane. La musique est discrète, elle sait appuyer les moments forts du récit. Le metteur en scène prend soin de bien développer ses personnages, tout en évitant les scènes inutiles. Les trois comédiens principaux sont parfaits. Ana Girardot dans le rôle de Chloé, Giovanni Pucci dans celui de Jules, et enfin Samuel Jouy dans celui de l’énigmatique Mathieu, qu’on ne parvient jamais à déchiffrer totalement.

Les explications se font rares, Arnaud Malherbe a choisi de laisser planer le doute sur son ogre. Lorsque celui-ci se montre finalement, il nous apparaît comme une figure tragique et terrifiante, dont on ne saura pas si elle est réelle, ou simplement le fruit de l’imagination de Jules.

Ogre est un film de genre attachant, empreint de poésie. Peut-être un peu trop tendre pour les amateurs de genre rassemblés à Gérardmer, ce qui explique qu’il soit reparti sans récompense. Il faut dire que cette année, la concurrence était rude dans les Vosges. La sortie en salle devrait permettre au film d’avoir la couverture qu’il mérite, et de trouver son public…

Jérôme Magne

Chemins de désirs

J’ai aimé vivre là de Régis Sauder (2020)
avec la participation et les textes de Annie Ernaux

Régis Sauder a rencontré Annie Ernaux en marge d’une projection de son Retour à Forbach : un documentaire où la maison de son enfance est vidée, métaphore d’une ville qui se vide… de son activité et sans doute un peu de son âme. De cette plume, de cette caméra qui racontent, traquent la vitalité des « quartiers »devaient forcément naître un projet partagé. C’est J’ai aimé vivre là. Là, c’est Cergy-Pontoise (210 000 habitants), ville nouvelle surgie de nulle part dans les années soixante-dix et où Annie Ernaux vit depuis vingt ans. Sorti en 2020 dans les turbulences des restrictions sanitaires, le film prolonge sa carrière en parallèle du dernier opus du réalisateur : En nous.


Les chemins de désirs sont ces itinéraires qui naissent, se gravent sous les pas des usagers, des riverains et que les urbanistes, les architectes n’avaient pas prévus. Une appropriation têtue et dynamique qui redessine les aménagements en cité rêvée. Des lignes microscopiques quelquefois – pour gagner cinq secondes –, mais surtout la vie qui s’empare des lieux : y échanger, y partager, y apprendre, y chanter et danser… Un vaste mouvement qu’insufflent les habitants à leur espace et qui innerve le film.

Au début, le RER nous mène à Cergy avec les visages de passagers que le spectateur apprendra à connaître. Vers la fin, l’usage du roller amplifiera la respiration de ces espaces urbains. Des trajectoires régulièrement ponctuées par la silhouette d’un couple qui s’embrasse comme un leitmotiv de sens et de promesses. En cinquante ans, la végétation aussi a conquis le minéral magnifiant les images de Tom Harari. Même les départs – souvent pour poursuivre des études – sont des aboutissements teintés de regrets par la crainte du déracinement.

La poésie des textes d’Annie Ernaux, lancinants, obsédants, tresse une tonalité mineure, mais résonne surtout du regard empathique envers tous ces êtres qu’elle côtoie. Des corps trop souvent saisis par le maussade rituel des courses au supermarché et le métro-boulot-dodo – scandé comme un rappel à l’ordre par cette énorme horloge de la gare qui toise la foule industrieuse.

Un film choral dont l’écrivaine serait l’aède et les habitants les choristes qui, tour à tour, lisent ses textes et se racontent avec leurs mots. Des visages, des sourires, beaucoup de complicités que fait revivre le réalisateur. Une jeunesse d’âme et un enthousiasme partagés tant par les adolescents nés là que les anciens qui ont fait souche voilà des décennies. Un terreau humain qui perpétue aussi la solidarité et l’accueil bienveillant des premières années quand la France manquait de bras – la patinoire est devenue centre d’accueil pour migrants. Tous partagent leurs lignes de vie : des coins de parc, des bords d’Oise, des bouts de jardin avec d’amicales tablées qui tissent les liens à l’écart du spectaculaire urbanistique : l’Axe majeur tourné vers celui de la Défense, la pyramide inversée de la préfecture, la place des colonnes-Hubert Renaud, la gare…

L’utopie est dans les gens qui font la ville, lui donne cette incroyable énergie comme le suggère le réalisateur qui compose ici une cartographie subjective et humaine en contrepoint des mots d’Annie Ernaux. Au fil de ses voyages, Nicolas Bouvier avait dressé ce bel Usage du monde, Régis Sauder, de film en film, dresse ce bel Usage de la Ville.

Par Luc Maechel

documentaire de Régis Sauder
image : Tom Harari, Régis Sauder
montage : Agnès Bruckert
son : Pierre-Alain Mathieu
production : Thomas Ordonneau (SHELLAC)

PIQUE DAME

PETER TCHAIKOWSKY

Von den zwölf Opern Tschaikowskys, sind nur Eugen Onegin, Pique Dame und Iolanta in den Spielpläne der westlichen Opernhäuser anzutreffen. Das Festspielhaus Baden-Baden kann sich rühmen selten gespielte Werke des Komponisten wie die Zauberin und Mazeppa aufgeführt zu haben.

Die Neuinszenierung von Pique Dame, im Rahmen der Osterfestspiele der Berliner Philharmoniker, unter der Leitung von Kirill Petrenko setzt hier Masstäbe.

Die Inszenierung wurde dem Team Moshe Leiser und Patrice Caurier anvertraut; das Bühnenbild von Christian Fenouillat, die Kostüme von Agostino Cavalca und die Lichtregie von Christophe Forey fügten sich ganz in das Konzept der Inszenierung ein.

Die ganze Handlung wurde von der Epoche Katharina der Grossen in das Ende des 19.Jahrhundert versetzt. Ein Teil der Handlung spielt sich in einem Luxusbordell ab, und zeigt, in krassen Zügen, wie die Frau nur ein Objekt der Begierde der Männer ist, ob in den aristokratischen Kreise oder in einem Freudehaus. Diese Sozialkritik nähert sich mehr der Welt Dostoiewkys als der Pouchkines.

Akzeptiert man diese Vision, kann man nur die Klarheit der Inszenierung , spannend wie ein Krimi und die fabelhafte Personenführung loben. Die Charaktere werden Menschen aus Fleisch und Blut und man kann nur Mitgefühl für sie empfinden.

Rein musikalisch kann man sich keine bessere Interpretation wünschen. 

Hermann, wird von Arsen Soghomonyan ideal verkörpert. Seine wuchtige, aber auch duktile Tenortimme wird jeder der Nuancen der Partie gerecht. Darstellerisch ist er auf dem selben Niveau und man kann hautnah sehen wie sein Wahnsinn sich fortwährend bis zum Selbstmord steigert.

Ihm ebenbürtig, Vladislav Sulimsky als Graf Tomski der die Ballade der Drei Karten im ersten sowie das Strophenlied im dritten Aufzug brillant darträgt.

Der edle Baryton von Boris Pinkhasovich scheint für die rührende Liebes erklärung des Fürsten Jeletzki wie gemessen, ein Höhepunkt des Abends, wenn sie auch zur Vergewaltigung von Lisa führt.

Die Besetzung von allen anderen Männerrollen kann als ideal gelten.

Die Sängerinnen sind auf dem selben, grossartigen Niveau. 

Elena Stikhina, die schon an den grössten Opernäusern der Welt Gast war, setzt ihre grosse, strahlende Stimme in die Rolle der Lisa ein. Sie besticht sowohl in der strahlenden Höhe wie in den zartesten Nuancen.

Aigul Akhmetshina macht aus der Rolle der Polina, ein wahres Kabinetstück. So wurde ihr Duett mit Lisa im ersten Auzug, einer der musikalischen Höhepunke des Abends. Ihr schlanker, wunderschön timbrierter Mezzo und ihr anmutiges Erscheinen warfen einen Hauch von Licht in die düstere Handlung. 

Die Rolle der Gräfin wurde von Doris Soffel souverän gestaltet. Sie sang die Arie aus Grétrys Richard Löwenherz mit einem verblüffenden Nuancereichtum und überzeugte auch spielerich, besonders am Ende des zweiten Aufzugs, als sie den im Original vorgesehenen Auftritt der Tzarin Katharina, auf burlesker Manier übernimmt.

Margarita Nekrasova setzt ihren wuchtigen Alt in der Partie der Gouvernante ein.

Kirill Petrenko, mit den fabelhaften Berliner Philharmonikern, bewies dass er dieses Repertoire liebt und dirigierte das Werk enthusiastich. 

Der Slovakische Phiharmonische Chor und der Cantus Juvenum Chor leisteten Grossartiges. Unvergesslich der Männerchor a capella, nach dem Selbstmord Hermanns.

Eine Sternstunde am Himmel der russischen Oper.

Jean-Claude HURSTEL

FESTSPIELHAUS BADEN-BADEN  OSTERFESTSPIELE
12. APRIL 2022

Le bal des cendres

un roman de Gilles Paris

Un beau jour printanier à Strasbourg dans la Salle blanche de la Librairie Kléber où les rencontres littéraires ont repris … la promesse d’un retour durable à la vie normale avec ses rendez-vous incontournables. Une promesse de vacances avec ce roman de Gilles Paris qui se passe sur l’île de Stromboli, au large de la Sicile. Il est de ces auteurs fidèles qui prennent plaisir à échanger avec leurs lecteurs. Il aime les gens, le genre humain dans ce qu’il a de complexe et explore le champ des vies et des destinées possibles dans son nouveau roman choral.

Il pousse plus loin que dans Le vertige des falaises le genre du roman à plusieurs voix, dans ce paysage des îles éoliennes. Comme dans son précédent roman, des liens se créent … secrets. La grande maison d’architecte dont les baies vitrées offraient une vue sur tout l’environnement et sur chacun des personnages a laissé place ici à un hôtel où se nouent relations de haine ou d’amour, amicales ou amoureuses. Le trauma vécu par les personnages, en se retrouvant au plus près d’une explosion du Stromboli dont ils étaient partis à l’ascension, va décider de leur vie. Le danger, la mort qui plane vont servir de détonateurs, révéler l’importance des êtres chers, la désillusion face à la lâcheté de certains. 

Il y a Giulia d’abord, la fille du patron de l’hôtel, le Strongyle. La jeune adolescente n’a jamais connu sa mère qui a disparu à sa naissance. Elle ne sait rien d’elle et n’a pas même une photo. Son père se noie dans l’alcool. Heureusement, son ami Mathéo, un ancien militaire comme lui, le soutient. Giulia a fait de Thomas son confident. Thomas est dans la douleur d’avoir perdu son amoureux, Emilio, péri en mer. Quand Lior, un océanographe, va s’installer à l’hôtel, Thomas tombe sous le charme. Et ainsi de fil en aiguille, chaque personnage en amène un autre et chacun est porteur d’une histoire forte. Les récits restent en suspens, laissant place à un autre personnage et ainsi progresse le roman, de façon addictive pour le lecteur. Gilles Paris est un auteur exigeant, amoureux du mot juste de manière à donner sang, chair et muscles à ses protagonistes, capter d’emblée le lecteur et l’entraîner. Les prénoms ont leur importance et sont porteurs de sens quand ils influencent le comportement, ainsi d’Anton, « celui qui se nourrit de fleurs » et de Lior, « la lumière est à moi ». Anton papillonne, est un homme à femmes et à hommes mais c’est aussi un chirurgien sur les zones de guerre. Dans son rapport à l’autre, c’est un sens qu’il cherche à sa vie. Lior a vécu une expérience « limite » qui lui a donné un don, une puissance énergétique lui ayant permis de ramener sa mère du royaume des ténèbres. Lior voit ce que les autres ne voient pas.

C’est tout le talent de Gilles Paris de faire coexister ce petit monde (plus de 15 personnages) et de mêler les genres, érotisme, surnaturel, thriller, espionnage. Chacune des histoires sont autant de romans en puissance et il n’est pas étonnant qu’une série soit envisagée à partir du Bal des cendres, série à laquelle Gilles Paris pourrait participer comme scénariste. Le projet est excitant, la perspective de voir évoluer ses personnages dans ces lieux où lui-même a fait deux séjours pour nourrir son roman de sensations et de visions que son style rend sensibles. La couverture du livre en donne une idée, donne envie de nous y rendre, cliché noir et blanc des années 50 avec ce pêcheur qui pourrait être Marco, l’un des personnages. Mais le Stromboli, avec ses plages de sable noir et sa silhouette menaçante n’a rien des îles paradisiaques pour vacances insouciantes, il est ce qui sommeille en nous, prêt à se réveiller, gronder, bouillonner, faire table rase du passé pour un avenir meilleur.

Par Elsa Nagel

Gilles Paris, Le bal des cendres, éditions Plon, mars 2022.

Stravinsky Ballets

Nul doute que s’il avait entendu ces ballets, il se serait levé et d’un grand éclat de voix, il aurait crié un « Bravo ! » retentissant et aurait serré le chef, Sir Simon Rattle, dans ses bras. Assurément, Serge de Diaghilev, le grand promoteur des ballets de Stravinsky, aurait été enthousiasmé par cette interprétation du London Symphony Orchestra.

L’Oiseau de feu est épique, Petrushka bucolique et le Sacre du printemps sauvage à souhait. Sir Simon Rattle connaît particulièrement bien son orchestre pour l’emmener dans l’univers du compositeur russe, en respectant scrupuleusement les équilibres sonores. Il y distille une puissance et une explosivité créatrices qui servent l’interprétation en inscrivant ces grandes œuvres du répertoire dans une fidélité à la tradition musicale russe où l’on retrouve des réminiscences de Moussorgski ou de Rimski-Korsakov.  Des interprétations qui tiennent assurément lieu de références.

Par Laurent Pfaadt

Stravinsky Ballets, London Symphony Orchestra, dir. Sir Simon Battle, LSO Live

le Rêveur d’apocalypses

Il ne se doutait certainement pas, même dans ses rêves les plus fous qu’il deviendrait, à son tour, un personnage de bande-dessinée. Et pourtant, des rêves fous, il en a eu : attaque nucléaire, voyage dans le temps, troisième guerre mondiale, manipulation mondiale, etc…De véritables rêves d’apocalypses mis au service de lecteurs de plus en plus nombreux et qui continuent, aujourd’hui encore, plus de 70 ans après leur création en 1946, à suivre les aventures de Blake et Mortimer, ses héros intrépides qu’il offrit au patrimoine mondial de l’humanité.

Le temps de ce très beau livre, le professeur et le capitaine lui ont cédé leurs places sur les planches de Philippe Wurm, auteur à qui l’on doit notamment les séries Maigret et les Rochester et dont le trait rappelle celui de son illustre maître, et qui s’est adjoint pour l’occasion les services d’un François Rivière qu’on ne présente décidément plus.

Traçant une biographie appuyée sur des faits authentiques et sur quelques libertés, les deux auteurs déroulent sous nos yeux, la vie d’Edgar P. Jacobs, de sa jeunesse à la gloire, de sa vocation de baryton au théâtre de la Monnaie à son dernier refuge, le Bois des Pauvres en passant par les grands albums : le mystère de la grande pyramide, la marque jaune ou le piège diabolique. La bande-dessinée parcourt ainsi les rues de Bruxelles où l’on croise d’autres grands acteurs de la ligne claire, Hergé en tête bien évidemment avec qui Jacobs travailla mais également Jacques Martin ou Raymond Leblanc. Sans oublier, Jacques Melkebeke, l’ami, le frère avec qui, adolescent, il se laissa enfermer dans le musée du Cinquantenaire, matrice littéraire de ses aventures à venir. Le livre est toujours palpitant, souvent hilarant notamment dans la relation de Jacobs aux femmes comme dans cette scène avec des prostitués.

Ce roman graphique est à la fois une ode à cet âge d’or de la BD mais surtout une formidable plongée dans la création avec ces personnages qui inspirèrent Jacobs comme par exemple le professeur Jean Capart devenu l’égyptologue Grossgrabenstein et qui servit également de modèle à Hergé pour le professeur Bergamote dans les Sept boules de cristal, album sur lequel travailla Jacobs. En évoquant Jacobs, Rivière et Wurm nous ramènent à nos jeunes années et à nos rêves de civilisations perdues, de vaisseaux spatiaux et d’aventures à travers le temps mais surtout à notre propre liberté d’imaginer, à défaut d’apocalypses, un autre monde.

Par Laurent Pfaadt

François Rivière, Philippe Wurm, Edgar P. Jacobs, le Rêveur d’apocalypses
Glénat, 144 p.

Un pont entre deux rives

Publication du premier livre autobiographique de Jeanine Cummins, l’auteur d’American Dirt. Attention chef d’œuvre

Une déchirure dans le ciel sont les paroles de « Til Tuesday », cette chanson que fredonnaient Julie et Tom, ces cousins inséparables. Ainsi dès les premiers mots du livre Jeanine Cummins, le lecteur, bouleversé, entre dans une histoire qu’il n’est pas près d’oublier.

Dans ce récit autobiographique qui prend, dès les premières pages, le lecteur aux tripes, Jeanine Cummins, alias Tink, cette jeune fille de 16 ans que le hasard de la mort épargna et décida de son destin d’écrivain, revient sur ce pont de St Louis, durant cette nuit du 4 au 5 avril 1991, lorsque son frère et ses cousines Robin et Julie furent les victimes d’une barbarie ordinaire. Une nuit où tout bascula. Une nuit gravée à jamais dans la mémoire de Tom, témoin du viol et de la mort de ses cousines.

Avec son exceptionnel talent littéraire, Jeanine remonte ainsi le temps pour revenir dans cette maison familiale que le drame a ravagée. Les petits bonheurs quotidiens, l’amour que se vouait les membres de cette famille qui n’aspirait qu’à demeurer dans l’anonymat furent ainsi écrasés sous la botte du destin, comme ce pied broyant la nuque d’un Tom obligé d’assister aux viols de ses cousines. Dans ces pages, il arrive souvent que l’on pleure de douleur mais également de rage devant tant d’injustices. Ces enfants deviennent nos enfants. Nous sommes leurs parents. Leur douleur est la nôtre.

Le caractère ordinaire de leurs vies, de leurs joies nous brise le cœur devant ce destin s’acharnant sur eux, sur ces deux filles pleines de bonté et assassinées, puis sur leurs proches. Et surtout Tom, ce survivant condamné à une perpétuité psychologique après avoir échoué à sauver Julie des griffes de ses ravisseurs et des flots tumultueux du Mississippi. Perpétuité alimentée par des accusations infondées. Perpétuité d’une reconstruction impossible, entouré des spectres des disparues et dont aucun traitement même celui de l’écriture de cet ouvrage avec sa sœur, ne parvint pas à atténuer la charge.

La puissance du récit de Jeanine Cummins qui rappelle celle de l’Empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevitch tient à la fois à cet étrange phénomène d’appropriation d’une histoire devenue notre histoire, mais également à cette fragilité de la vie qui peut basculer en un instant dans le chaos. Ce récit constitue également une violente charge contre l’emballement médiatique prompt à fabriquer un coupable idéal à une époque où heureusement la virulence des réseaux sociaux n’existait pas. Tom aurait-il survécu de nos jours à un tel déchaînement de violence ? On peut aisément en douter.

Construire le bonheur prend plusieurs années nous dit Jeanine Cummins. La détruire est l’affaire d’un instant. C’est certainement dans cette extrême fragilité, cette fugacité que réside la beauté tragique de ce livre.

Je ne traverse plus pour te rejoindre / Je reste debout sur les rives boueuses à te faire signe / Mais sans te voir clairement écrivit Julie peu de temps avant sa mort. Une déchirure dans le ciel prouve ainsi de la plus belle des manières que la littérature doit avant tout donner une voix à ceux qui n’en n’ont pas ou qui n’en n’ont plus. Grâce à Jeanine Cummins, celles de Julie et de Robin résonneront longtemps en nous.

Par Laurent Pfaadt

Jeanine Cummins, Une déchirure dans le ciel, traduit de l’américain par Christine Auché, Philippe Rey, 368 p.

A noter la publication d’American Dirt de Jeanine Cummins aux éditions 10/18.