Christophe Prime revient sur l’engagement des Etats-Unis
durant la seconde guerre mondiale
Bien
avant d’avoir prononcé cette fameuse formule, Madeleine Albright, enfant juif
tchécoslovaque ayant fui son pays avant la seconde guerre mondiale et devenu
l’une des plus importantes secrétaire d’État des Etats-Unis du siècle passé,
mesura combien son pays d’adoption fut la nation indispensable à la victoire
des Alliés sur les forces de l’Axe notamment le Troisième Reich et le Japon.
C’est ce que raconte Christophe Prime, historien du mémorial de Caen dans un
livre absolument remarquable, résultat d’un travail de cinq années qui s’appuie
sur des archives officielles mais également sur des correspondances, des films
et la presse pour croiser histoires singulières telles celle d’Eugène Sledge
qui consigna ses souvenirs et grande Histoire. Un livre qui observe la guerre à
la fois depuis un bombardier B17 Flying Fortress dans le ciel européen
qu’au bout d’une baillonnette de la jungle de Saipan ou dans le lit d’une mère
d‘un soldat du Kansas.
Astucieusement,
à la manière d’un historien anglo-saxon, Christophe Prime analyse l’engagement
des Etats-Unis sur le temps long et fait remonter le début de cet engagement en
1933. Franklin Delano Roosevelt vient d’être élu à la présidence des Etats-Unis,
quelques mois après Adolf Hitler. Visionnaire, il met alors en place,
progressivement, une véritable économie de guerre qui se matérialisa notamment,
dès mai 1940, par le CDAAA (Committee to Defend America by Aiding the Allies)
visant à aider les alliés et notamment la Grande-Bretagne.
Jusqu’au
fatidique 7 décembre 1941 et l’attaque de Pearl Harbor que traite presque heure
par heure notre auteur tout en démontant la thèse ayant longtemps prévalu et
selon laquelle Roosevelt aurait su mais aurait laissé faire pour entériner son
choix d’entrer en guerre.
Bien
évidemment, le livre ne fait pas l’impasse sur les grands théâtres d’opération
que furent l’Europe de l’Ouest, le Pacifique et l’Afrique du Nord avec
quelques-unes des grandes batailles du conflit comme Midway, les Ardennes ou
Arnhem. Des efforts dans la formation, l’armement et la structuration de
l’armée américaine opèrent une révolution permettant de « mettre sur
une pied une armée en avance sur son temps capable de mutualiser ses forces, à
un niveau très supérieur à celui des autres armées » selon Christophe
Prime.
Malgré
ces considérations fort pertinentes qui le rapprocheraient d’un John Keegan, la
plus-value de ce livre est presque ailleurs tant ce dernier brille par son
exhaustivité. Il emmène le lecteur du Homefront aux champs de l’Amérique
profonde, de l’intégration des minorités dans les différents corps d’armée à la
course à l’atome. Des secteurs jugées insignifiants prennent soudainement toute
leur importance sous sa plume comme ce courrier qui remonte le moral des
troupes.
Pendant
longtemps, comme il le rappelle, la seconde guerre mondiale a été la
« good war » en comparaison avec celles qui allaient suivre et
notamment l’engagement des Etats-Unis au Vietnam. Une guerre avec cependant,
ses zones d’ombre que la propagande, à grand renfort de cinéma, a voulu gommer
et que l’auteur aborde. Les viols de femmes notamment en France – pourtant
sévèrement réprimés – et surtout l’internement de citoyens américains d’origine
japonaise, les Nisei, ces enfants des premiers émigrants nés à
l’étranger, dans des camps notamment à Tule Lake en Californie sont ainsi
traités. Cela n’empêcha d’ailleurs pas d’autres Nisei de s’illustrer
avec bravoure sur le front occidental, certains d’entre eux libérant même le
camp de Dachau en avril 1945.
Au final, le livre de Christophe Prime a tout de l’ouvrage de référence et restitue avec objectivité l’engagement d’une nation ayant contribué à la victoire finale sur le nazisme et le Japon. Un livre en somme déjà indispensable. Madeleine Albright n’aurait pas dit mieux.
Par Laurent Pfaadt
Christophe Prime, L’Amérique en guerre 1933-1946, Chez Perrin, 624 p.
A lire également :
Eugène B. Sledge, Frères d’armes, traduit par
Pascale Haas et préfacé par Bruno Cabanes, coll. Tempus, éditions Perrin, 576
p.
Fantômes,
le très beau roman de Christian Kiefer (traduit de l’anglais par Marina Boraso,
Albin Michel, 2021) qui évoque le destin des Nisei durant le conflit
Avec
cette sélection de polars, Hebdoscope vous propose d’embarquer pour un
Paris-Rome qui risque bel et bien de faire quelques arrêts aux Etats-Unis, à
Marseille, à Berlin et à Sao Paulo. Et impossible de descendre. Pour le meilleur
et le meilleur.
Loriano Macchiavelli Les jours de la peur, coll. Trains de nuit,traduit de l’italien par Laurent Lombard Les éditions du Chemin de fer, 192 p.
Trains
de nuit, c’est le nom de cette nouvelle collection des éditions du chemin de
fer (eh oui!). Et pour nous servir de premier conducteur, le maître du polar
italien, Loriano Macchiavelli, 90 ans au compteur et créateur de l’immortel
Sarti Antonio, ce détective opiniâtre qui a la fâcheuse tendance à toujours
vouloir aller aux toilettes. Et pour cause, le brave homme est atteint d’une
colique. Mais cela n’empêche pas sa répartie qui a le don d’énerver. Surtout
ces élites de la ville de Bologne qu’il vient emmerder avec ses questions. Car
voyez-vous, en ce milieu des années 1970, une série de meurtres et un attentat
ayant détruit le centre de transmission de l’armée ont excité sa curiosité. On
lui a bien dit de se mêler de ses affaires, de passer à autre chose mais
voyez-vous Sarti Antonio est tenace. Alors il va voir ces invisibles qui se
cachent dans les oubliettes de la ville et ces derniers lui racontent bientôt
une autre histoire.
Avec
un nom pareil, Loriano Machiavelli, pas étonnant que ce livre soit
machiavélique à souhait. Les jours de la peur constitue la première
enquête d’un détective devenu un mythe dans la lignée du barcelonais Pepe
Carvalho ou du grand maître Maigret. Monument du polar noir transalpin qui fête
son demi-siècle d’existence, Les jours de la peurmêlent magnifiquement grande littérature et polar comme des
pâtes al dente mélangées à une incroyable sauce…bolognaise bien
évidemment.
James Grady, Le dernier grand train de l’Amérique, traduit de l’anglais (américain) par Clément Martin Rivages, 300 p.
Et
si on prenait L’Empire Builder, ce train reliant Seattle à Chicago en compagnie
de leurs passagers ? Il y a là un banquier, une hackeuse, une vieille
dame, un militaire ou un financier. Apparemment, personne ne se connaît même si
chacun a une bonne raison de se trouver ici, dans ce train transportant un
coffre-fort rempli de billets.
Pendant
près de quarante-sept heures, les révélations succèdent aux mensonges et aux
manipulations. Jusqu’au crime. Variation moderne, sociale et écologique du Crime
de l’Orient-Express, le dernier roman de James Grady, le génial créateur
des Six jours du Condor constituera dans ce huis-clos haletant, votre
compagnon de voyage idéal. Le livre est également une incroyable photographie
de cette Amérique fracturée où se succèdent, à travers les vitres, un
capitalisme effréné, un racisme assumé et un dérèglement climatique nié. Alors
un conseil, épargnez-vous les couchettes ou sièges inclinables car vous vous
apprêtez à passer une nuit blanche et votre voisin cache peut-être ses
véritables intentions.
Marie Capron, Priya, le silence des nones, Viviane Hamy,
352 p.
Vous reprendrez bien un peu de pastaga ? Eh oui, vous ne rêvez pas, notre train vient de s’arrêter à Marseille. Parmi le flot de passagers qui monte à bord, un homme débonnaire et en surpoids. C’est un Américain et lorsqu’il se met à parler au bar de ce train qui file, avec son accent mi-marseillais, mi-écossais, ce qu’il nous raconte n’est pas très gai. Il se dit agent de la CIA, enfin ancien agent, et en matière de drogue, il en connaît un rayon. Malgré son expérience, l’homme n’en revient toujours pas de ce qu’il a vu. Puis, il commence à divaguer en parlant de cette nana, Berenice, la fille d’un caïd de la French connection, phytothérapeute. On retourne à notre siège et on se met à lire le journal. En page 16 s’étale un fait divers sordide. Plusieurs nonnes du carmel de Montmartre sont mortes dans des circonstances atroces. Elles se sont dévorées entre elles. La commissaire Priya Dharmesh, d’origine réunionnaise, que vous connaissez bien pour l’avoir croisé dans La fille du boucher, est sur le coup mais tout porte à croire qu’il y a de l’arme chimique dans l’air.
Les
heures passent, vous avalez les pages de ce page-turner et vous comprenez que
les deux affaires sont liées. Alors, vous vous précipitez à nouveau dans le
wagon bar mais l’Américain a disparu. Vous questionnez la barman, il ne sait rien. Une chose à
faire : vous calmer, revenir vous asseoir et terminer cet excellent polar
qui vous emmènera aux confins de la folie et de la manipulation en compagnie de
notre chère Priya.
Fabiano
Massimi, Les démons de Berlin, traduit de l’italien par Laura Brignon, Le livre
de poche, 512 p.
Vous
vous réveillez. A travers la vitre du wagon vous distinguez un immense
bâtiment, celui du Reichstag. Nous sommes en février 1933. Le train arrive en
gare de Berlin et vous suivez le passager qui se trouve devant vous :
Siegfried Sauer, ancien commissaire de Munich venu comme vous dans la capitale
allemande tout juste conquise démocratiquement quelques jours plus tôt par les
nazis et Adolf Hitler. Hitler, Sauer le connaît bien pour avoir enquêter sur sa
nièce dans L’ange de Munich, sa première enquête et une chose est
certaine, il ne le porte pas dans son cœur.
Siefried
Sauer n’est pas là par hasard. Plusieurs femmes ont été retrouvées mortes,
leurs visages brûlés à l’acide et sa propre femme, Rosa, a disparu. D’autant
que les victimes ressemblent étrangement à Rosa. Le temps lui est donc compté.
Il doit voir ses contacts. C’est pour cela qu’il marche vite et que, bientôt,
vous le perdez dans la brume de ce mois de février glacial. Vous croisez
quelques chemises brunes et vous vous en remettez finement à Fabiano Massimi,
l’une des plus impressionnantes plumes transalpines en matière de polars
historiques qui marche assurément, avec ce deuxième opus mêlant brillamment
fiction et faits historiques et qui avance comme un incendie, dans les pas du
grand Philip Kerr.
A
lire également : Fabiano Massimi, L’ange de Munich, traduit de l’italien
par Laura Brignon, Le livre de poche, 672 p.
Joe
Thomas, Brazilian Psycho, traduit de l’anglais par Jacques Collin, Points,696
p.
Et
si la prochaine station était le Paradis ? Pas celui qu’on croit, non.
Celui de Paraisopolis, la célèbre favela de Sao Paulo. Douze millions
d’habitants, des anonymes par milliers, une mégalopole tentaculaire rongée par
la corruption et la violence. Tel est le décor du roman de Joe Thomas, qualifié
de chef d’œuvre par David Peace, l’auteur de la tétralogie du Yorkshire, titre
qui vaut assurément toutes les recommandations. Brazilian Psycho figure
d’ailleurs dans les sélectionnés du prix du polar 2025 et tiendra son lecteur
en haleine sur près de 700 pages menées à un rythme effréné.
Avec
sa multitude de personnages centrés autour de deux inspecteurs de la police
civile, Mario Leme et Ricardo Lisboa enquêtant sur la mort d’un directeur d’une
école anglaise, ce roman choral construit de main de maître par Joe Thomas qui
vécut dix ans dans la mégalopole brésilienne oscille comme un métronome entre
l’avenue Paulista et ses gratte-ciels de la finance et les favelas, entre
violence d’extrême-droite et l’aide aux plus pauvres. Criminelle, politique,
sociale, l’enquête menée par les deux hommes plonge dans les ténèbres d’une
ville passée de Lula à Bolsonaro et qui se referme lentement sur ses
personnages avec en arrière plan l’histoire du Brésil, son football et
l’influence des Etats-Unis notamment. Le train vient de s’arrêter. Avant
d’atteindre le paradis, il va vous falloir traverser l’enfer. Alors, allez-vous
descendre ?
Stephen King, Holly, traduit de l’anglais (américain) par Jean Esch Albin Michel, 528 p.
Et
si votre voisine de siège se nommait Holly Gibney ? C’est une Américaine
tout ce qu’il y de plus normale avec un accent charmant. Il vous semble que
vous l’avez déjà vu. Vous lui demandez. Elle sourit mais non, impossible. Et
puis comme le trajet est long, vous engagez la conversation et l’écoutez
raconter une drôle d’histoire. Elle a rencontré dernièrement Penelope Dahl dont
la fille Bonnie a mystérieusement disparu. Penelope Dahl lui a alors demandé de
mener l’enquête. Or il semblerait que tout mène au 93 Ridge Road de cette
petite ville du Midwest dont il serait pieux et charitable pour citer un
célèbre écrivain italien, de taire le nom et où vivent les époux Harris, des
citoyens bien installées et sans histoires. Mais avec Stephen King, vous savez
pertinemment que les apparences peuvent s’avérer…diaboliquement trompeuses.
Stephen
King ? A cet instant, vous percutez. Oui, vous vous souvenez. Vous avez vu
Holly Gibney dans Mr Mercedes et L’Outsider. Et en matière
d’horreur, elle sait de quoi elle parle. Vous devinez vite que cette histoire
ne se passera pas comme prévu et dépassera avec talent, les frontières de
l’entendement. Vous voulez changer de place. Impossible, c’est plus fort que
vous. Vous voulez connaître la fin de l’histoire. Il va donc falloir entrer
dans la maison du 93 Ridge Road.
Plusieurs
ouvrages reviennent sur la chute de la Troisième République entre mai et
juillet 1940
A
chaque printemps, l’histoire de France se met à paniquer, à suer, à bégayer. A
chaque printemps, un choc post-traumatique vient frapper notre mémoire. Celui
d’une défaite cinglante, inattendue, violente. Celui d’une démocratie
confisquée. Celui d’une République, pour reprendre les mots de la grande
historienne Michèle Cointet qui signe un nouvel ouvrage sur cette question,
assassinée. Voilà donc pourquoi, plus de soixante-dix ans après les faits,
cette question continue de nous hanter. Celle d’un meurtre. Prémédité, aucun
doute là-dessus et savamment élaboré. Les coupables ont été certes désignés,
arrêtés et jugés. Pour autant des zones d’ombre subsistent. Comme un cold case
qui n’a pas révélé tous ses secrets, toutes ses zones d’ombre.
Notre
premier enquêteur est un historien, fonctionnaire du Sénat, Hugo Coniez qui
signe là son premier ouvrage chez Perrin et reprend, en quelque sorte, une
enquête laissée dans les rues de Bordeaux où le gouvernement s’est réfugié le
15 juin, par l’avocat Gérard Boulanger, dans son ouvrage passionnant, A la
mort la gueuse ! (Calmann-Levy, 2006). Car c’est bien d’elle qu’il
s’agit. De la gueuse, cette république honnie par les maurassiens et autres
séides de l’extrême-droite, cette putain démocratique protectrice des juifs
qu’il faut abattre. Déjà, l’avocat parlait de liquidation. Dans le dos,
froidement. Des coups de feu tirés par ces parlementaires et militaires qu’Hugo
Coniez dévoilent dans un brillant jeu de masques. Notre fonctionnaire, expert
en assassinats politiques sur la moquette feutrée de la Haute assemblée, sait
de quoi il parle et nous emmène dans ces officines, ces antichambres où le
drame s’est joué en suivant, au jour le jour, les criminels, militaires et politiciens, mais aussi ces messagers du
désastre et parmi eux le plus illustre des Français. Pas de miracle, la victime
était déjà morte malgré quelques soubresauts et un coup de grâce le 10 juillet
1940. La mort de la IIIe République est comme une intrigue à la Agatha
Christie avec son crime, ses suspects et son implacable et machiavélique
mécanique qu’Hugo Coniez dévoile avec talent en insistant sur tel détail qui
nous avait échappé ou sur tel épisode oublié en bon Hercule Poirot de
l’histoire qu’il est.
Et
lorsque ce dernier laisse place à Miss Marple, la mystérieuse affaire de style
se transforme en jeu de glaces dans lesquelles se reflètent militaires et
politiques. Michèle Cointet, grande spécialiste de l’histoire de France durant
la seconde guerre mondiale, ancienne élève de René Remond et autrice de la Nouvelle
histoire de Vichy (Fayard, 2011) reprend à son tour l’enquête. Et il faut
bien dire que celle-ci est brillante. Dans cet essai qui court comme un
thriller historique, à la fois savant et intelligent et où ne subsiste aucun
temps mort, Michèle Cointet débarrasse les faits de ses oripeaux idéologiques
pour restituer la vérité dans sa plus cruelle nudité. Car, oui, il y a bien eu
un crime perpétré à Paris, à Bordeaux et à Vichy où la victime a été
« exécuté » les 9 et 10 juillet 1940.
Le crime ayant été démontré, notre détective convoque alors dans le salon de l’histoire, les principaux protagonistes et expose : « Bénéficiant de la reconstitution critique et claire des faits précédemment exposés, du recul du temps, de la fin de la censure, en parti compréhensible et involontaire des acteurs-victimes, ainsi que de l’apaisement des passions apporté par le temps, l’historien examinera les responsabilités comparées des militaires et des dirigeants politiques dans l’armistice et dans la destruction de la IIIe République ». Agatha Christie s’avoure les biscuits de la comtesse de Portes, la maîtresse de Paul Reynaud, l’un des personnages de ces deux livres. Passant de ce maréchal qui voulut le pouvoir comme « un couronnement de sa vie », à ces politiques qui « laissèrent mourir la République » en souhaitant un armistice républicide, Michèle Cointet pointe alors du doigt un homme, cet ancien président du Conseil qu’elle désigne comme l’assassin : Pierre Laval. Le jugement est clair, implacable. De quoi permettre enfin à l’histoire de dormir tranquille.
Par Laurent Pfaadt
Hugo Coniez, La Mort de la IIIe République, 10 mai – 10 juillet 1940 : de la défaite au coup d’État Chez Perrin, 368 p.
Michèle Cointet, La République assassinée, mars-juillet 1940, Bouquins Aux éditions Robert Laffont, 336 p.
Un
Burke peut en cacher un autre. Non pas Edmund, fervent soutien des colons
américains et père du libéral-conservatisme mais plutôt Peter, professeur
d’histoire culturelle à l’université de Cambridge. Voilà près de vingt ans et
sa Renaissance européenne (Seuil, 2000) que nous n’avons pas lu celui
qui est certainement le père de l’histoire culturelle et appartient à cette
génération d’historiens qui défrichèrent les sentiers de la culture mais
également ceux de l’économie et des sciences sociales pour expliquer une
histoire longtemps cantonnée à sa dimension politique.
Car au fond qu’est-ce que l’histoire culturelle s’interroge Peter Burke ? Pour comprendre, il nous propose un retour aux sources de cette notion avec les pionniers Jacob Burckhardt et Johan Huizinga à la fin du 19e siècle qui travaillèrent sur l’influence de l’art pour montrer le caractère multidimensionnel d’une histoire culturelle servant à appréhender les équilibres sociaux qui structurent l’histoire de l’humanité. Présentant les différentes interprétations idéologiques (marxisme, constructivisme, etc.) et écoles de pensée avec en particulier une partie fascinante sur la mémoire dans un exposé à la fois érudit et pédagogique, le livre contribue à nous éclairer sur cette notion et surtout à nous offrir des clés de compréhension pour notre époque tiraillée par de nouveaux défis où plus que jamais la culture est à un nouveau tournant de son histoire.
Par Laurent Pfaadt
Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? Traduit de l’anglais par Christophe Jaquet, avant-propos d’Hervé Mazurel, Chez Folio histoire n°340, 304 p.
Deux
livres explorent l’emprise psychologique qu’exercèrent Hitler et le nazisme sur
les soldats de la Wehrmacht
Il
serait erroné de voir dans le nouveau livre de Lionel Duroy, auteur notamment
du très beau Eugenia (prix Anaïs-Nin, 2019) qui s’aventurait déjà dans
les affres de la seconde guerre mondiale, une biographie ou même un essai. En
se glissant dans la tête de Friedrich Paulus, le maréchal de la VIe armée
allemande, celui qui restera pour l’histoire le vaincu de Stalingrad, il
compose un livre hybride pour tenter de comprendre comment ce militaire
brillant pétri de culture et de raison, a pu se laisser abuser par ce Führer
qu’il suivit jusqu’au désastre.
Lorsqu’il
arrive sur les bords de la Volga dans la ville portant le nom de Staline en
juillet 1942, Friedrich Paulus est convaincu qu’Hitler remportera une nouvelle
victoire. Ayant redonné à l’Allemagne un nouvelle fierté placée entre les mains
de ce général sans expérience ni généalogie, le Führer exige en retour une
obéissance totale. Paulus aurait dû pourtant écouter ses fantômes que Duroy
convoque astucieusement et notamment sa femme qui agit comme une pythie
l’avertissant des dangers du nazisme. L’hubris et l’emprise psychologique du
Führer allaient malgré tout conduire Paulus dans une impasse. Son devoir
d’obéissance se mua alors en « aveuglement » et « docilité »
alors qu’il sait qu’Hitler se trompe sur la stratégie à mener à Stalingrad.
Encerclé par l’Armée rouge, il refusa de désobéir au Führer et de percer ce
double piège psychologique et militaire qui se refermait lentement sur lui et
ses hommes. L’auteur décrit ainsi parfaitement les conséquences des décisions
d’un Paulus enfermé dans ce labyrinthe mental qui finit par ouvrir les portes
de l’enfer aux hommes de la VIe armée. « Vous vous adressez,
aujourd’hui, à des hommes déjà morts » dit-il quelques jours avant de
capituler.
Les
pages qui suivent, celle de l’effondrement physique mais surtout mental de ce
chef brisé et au libre-arbitre piétiné se succèdent au son d’un adagio
littéraire assez émouvant. « On m’enferme seul dans un
compartiment – je ne m’en plains pas, j’aspire au silence, à la
solitude. »
Les mots de Lionel Duroy
dessinent ensuite un corps-à-corps avec ce démon intérieur, à l’image d’un
Dionysos déchiré par ses chiens qui se nomment ici Hitler, Keitel et Goering.
Ce démon qui lui enleva son propre fils. « Sommes-nous devenus des
criminels ? » s’interroge Paulus en citant les mots de Sophie
Scholl, l’une des figures de la Rose blanche, ce mouvement de résistance à
Hitler, qui fut guillotinée le 22 février 1943. « C’est une jeune fille
de vingt ans qui le dit, encore une enfant, quand j’en ai cinquante-trois et
n’ai rien vu venir » affirme ainsi Paulus avec les mots de Duroy.
Prisonnier
des Russes, il rencontra Heinrich Gerlach, auteur de mémoires sur la bataille
qui fait figure de conscience en lui opposant son aveuglément à obéir aux
ordres, aveuglement qui sacrifia des centaines de milliers d’hommes. Paulus
tenta d’exorciser sa culpabilité en témoignant à Nuremberg contre Keitel et les
autres dirigeants du Troisième Reich. Il ne fut pas condamné mais vécut avec
cette autre condamnation, celle d’une culpabilité perpétuelle devant
l’histoire.
Si
Friedrich Paulus obéit au Führer jusqu’à la capitulation, il refusa cependant
de commettre exactions et massacres à l’égard des populations civiles et
notamment d’appliquer la fameux kommissarbefehl, cet ordrequi
exigeait l’exécution systématique de tous les commissaires politiques capturés
même si les recherches récentes ont eu tendance à nuancer cette posture. Ce ne
fut pas le cas de nombre de soldats de la Wehrmacht qui se rendirent coupables
de crimes. Car comme le rappelle Omer Bartov, professeur d’histoire
contemporaine à Brown University dans son livre, aujourd’hui réédité et qui
constitua un jalon dans la compréhension des crimes d’une nation en armes
fanatisée, la Wehrmacht fut d’abord l’armée d’Hitler et plus encore dans les
territoires de l’Est où se jouait une sorte de lutte eschatologique pour la
survie de la race allemande permettant ainsi toutes les exactions et exigeant
une obéissance absolue. Omer Bartov explique ainsi que si la discipline fut
durement réprimée, elle permit la violence la plus débridée.
L’apprentissage collectif de la violence combinée à la sévérité de la discipline dans le maintien de la cohésion des troupes et à l’endoctrinement conduisirent les soldats de la Wehrmacht dans une double impasse meurtrière et psychologique, ce que Bartov désigne comme « un monde irréel, mystique, nihiliste, qui n’avait pas grand-chose à voir avec leur expérience réelle du front ». Une impasse qui, à Stalingrad, enferma généraux, officiers et soldats. « Cette lutte pour la vie, ce face-à-face avec la mort, est d’un héroïsme inhumain. Ici à à Stalingrad ondoie maintenant une mer du meilleur sang allemand […] Ici il ne s’agit plus de l’individu, ici il s’agit du tout » écrivit ainsi un lieutenant qui marcha avec Paulus dans cet abîme ouvert par leur Führer.
Par Laurent Pfaadt
Lionel Duroy, Sommes-nous devenus des criminels ? Vie du maréchal Paulus Chez Mialet Barrault, 176 p.
Omer Bartov, L’Armée d’Hitler, La Wehrmacht, les nazis et la guerre, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Ricard, préface de Philippe Burrin, le goût de l’Histoire Les Belles Lettres, 360 p.
La guerre de Sécession vue par Régis de Trobriand, officier français engagé dans l’armée de l’Union
A
l’instar de ces aristocrates libéraux comme le prince de Joinville, troisième
fils du Louis-Philippe, convaincus par la cause abolitionniste d’un Abraham
Lincoln, le comte Régis de Trobriand, originaire de Bretagne, s’engagea dans la
guerre de Sécession au sein de l’armée de l’Union, marchant ainsi dans les pas
d’un certain marquis de Lafayette. Nommé colonel à la tête du 55e régiment
de la milice de New York à l’été 1861 avant de devenir brigadier-général en
1864 puis major-général l’année suivante, il participa personnellement à
l’affrontement qui opposa les armées de l’Union aux troupes de la confédération
menées par le général Lee.
Ses
mémoires nous emmènent ainsi au sein de l’armée du Potomac et racontent au plus
près cette guerre qui déchira les États-Unis. Car l’homme ne fit pas de la
figuration, bien au contraire. Au milieu des combats, dans les états-majors où
l’on croise les généraux Meade ou Hooker ou parmi la troupe, Régis de Trobriand
décrit avec précision et force, manœuvres militaires et humeurs des fantassins.
Le lecteur, bien aidé par les notes de Vincent Bernard, peut-être le meilleur
connaisseur français de cette période historique, arrive sans peine à
recontextualiser. Il suit, grâce à un récit enlevé, vivant, notre frenchy sur
les champs de bataille du fleuve Rappahannock durant la bataille
particulièrement éprouvante de Fredericksburg en décembre 1862 et sur ceux de
Chancellorville (1-2 mai 1862) où « le diable lui-même ne s’y
reconnaîtrait pas », un diable qui ressembla au terrible
« Stonewall » Jackson qu’il crut, à tort, mort. Dans ces pages,
Trorbiand est une sorte d’Emile Driant enfermé dans le bois des Caures, prélude
de la bataille de Verdun en février 1916.
Arrive
alors Gettysburg. Essentiellement factuel, son récit ne laisse en rien
transparaître l’importance historique qu’allait revêtir la fameuse bataille.
Cela n’empêche pas un récit emprunt de poésie. « A l’aube du jour,
lorsque j’ouvris les yeux, le premier objet qui frappa mon regard fut un jeune
sergent étendu sur le dos, la tête appuyée sur une pierre plate en guise
d’oreiller. Sa pose était naturelle, gracieuse même. Un genou légèrement relevé,
les mains croisées sur sa poitrine, le sourire aux lèvres, les yeux fermés il
semblait dormir et rêver de celle qui attendait son retour là-bas dans les
montagnes vertes. Il était mort. Blessé, il avait dû choisir cette place pour y
laisser s’envoler son âme. »
Quelques dix ans plus tard, presque jour pour jour après Gettysburg, Rimbaud écrivit une autre saison en enfer. Et celle-ci n’était pas bleue.
Par Laurent Pfaadt
Régis de Trobriand, Un officier français dans la guerre de Sécession, mémoires présentées par Vincent Bernard Passés composés, ministère des Armées, 416 p.
A lire également :
Vincent Bernard, La guerre de Sécession, la Grande guerre américaine, 1861-1865, Passés composés, 2022, 448 p.
Julie Anselmini est professeur de littérature française à l’université de Caen Normandie. Autrice de nombreux ouvrages et publications sur l’oeuvre d’Alexandre Dumas, elle a signé l’édition de Création et Rédemption, le dernier roman de l’auteur des Trois Mousquetaires
Création
et Rédemption est le dernier roman d’Alexandre Dumas, publié en feuilleton
juste avant sa mort. Pouvez-vous nous parler de sa genèse ?
Dumas
a entrepris l’écriture de ce roman alors qu’il s’était exilé à Bruxelles, après
le coup d’État de
Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851. Boulevard de Waterloo où il s’est
installé, il fréquente différents proscrits dont Alphonse Esquiros, un
« quarante-huitard » très engagé politiquement, et par ailleurs très
versé dans l’illuminisme et les sciences occultes. C’est en collaboration avec
ce personnage haut en couleur que Dumas conçoit le début du roman. Le projet en
est ensuite abandonné jusqu’au milieu des années 1860. C’est n’est que
vieillissant et affaibli sur le plan de sa santé, qu’il le remet sur le métier
et en reprend, seul, la rédaction, qu’il mènera à son terme en 1868.
Les
éditeurs n’ont pas respecté les choix initiaux de Dumas en commençant par le
titre Le Docteur mystérieux et la Fille du marquis alors que Création
et Rédemption était le titre souhaité par Dumas. Pourquoi ?
Le
roman, tel qu’il est publié en feuilleton dans le journal Le Siècle,
entre décembre 1869 et mai 1870 (soit quelques mois avant la mort de son
auteur), se compose de trois grandes parties, dont seule la dernière est dotée
d’un titre, « Rédemption ». Deux ans environ après la mort de Dumas,
Michel Lévy, l’éditeur de ses œuvres complètes, choisit de publier Création
et Rédemption sous la forme de deux volumes, choix auquel président
probablement des raisons purement volumétriques et matérielles. Pour ce qui est
du titre du premier volume, Le Docteur mystérieux, cette formule est
l’une des périphrases utilisées par Dumas au sujet de son héros, Jacques Mérey,
dans le premier chapitre du roman ; quant au titre du second volume, La
Fille du marquis, on peut penser que l’éditeur l’a choisi parce qu’il est
« accrocheur ». Il correspond en outre, bien sûr, au rang
aristocratique de l’héroïne, Éva,
dont le véritable nom est Hélène de Chazeley.
Ce
roman s’inscrit dans la dernière période de la vie de Dumas où l’époque de la
Révolution française et de la Terreur imprègne nombre de ses derniers écrits.
On pense également à la trilogie de Sainte-Hermine. Pourquoi ?
L’action
de certains romans tardifs de Dumas se déroule pendant la guerre civile de
Vendée (Les Blancs et les Bleus) ou lors de l’installation du Premier
Empire (Le Chevalier de Sainte-Hermine). S’agissant de la Révolution et
de de la Terreur, c’est en fait la période la plus massivement représentée dans
les romans historiques de Dumas, et cela, dès le début de sa carrière. Dès
1826, en effet, l’une des toutes premières nouvelles de l’écrivain, Blanche
de Beaulieu ou la Vendéenne, met en scène les amours contrariées d’une
aristocrate et d’un républicain, pendant la Terreur ; puis Dumas
consacrera à la période de la Révolution la vaste fresque des Mémoires d’un
médecin (1846-1855), comprenant Joseph Balsamo, Le Collier de la reine,
Ange Pitou et La Comtesse de Charny. D’autres romans de Dumas encore
sont consacrés à la Révolution : Le Chevalier de Maison-Rouge, Ingénue,
René Besson…
Est-ce
parce que derrière le contexte historique, se cache, comme une valise à double
fond, un message politique, celui de la scission entre le peuple et les élites
de l’Ancien Régime ?
L’époque
de la Révolution a passionné Dumas – comme Hugo ou Michelet – parce qu’il
s’agit d’un séisme qui a fracturé violemment la France en deux mondes, l’Ancien
Régime et le monde moderne, séparés par ce que Chateaubriand nomme, dans les Mémoires
d’outre-tombe, un véritable « fleuve de sang » ; la France
moderne est née de manière violente, dans ce creuset sanglant, et c’est cette
genèse que Dumas, comme ses contemporains, tente de comprendre – et de
comprendre par les moyens qui lui sont propres : ceux de la fiction. Comme
le dit Hugo, le XIXe siècle a grandi à l’ombre de la guillotine…
Mais ce que pense et figure aussi Dumas à travers son dernier roman
« révolutionnaire », c’est justement la réconciliation possible de
ces deux mondes et le dépassement des luttes violentes et des clivages : à
la fin de Création et Rédemption, on assite à un mariage qui symbolise
une alliance entre deux camps, à un « happy end » qui a une portée
sentimentale mais aussi politique.
Au-delà
de ses grands romans mondialement connus, Création et Rédemption
témoigne-t-il d’une redécouverte permanente de l’œuvre d’Alexandre Dumas et
pourquoi ?
Force
est de constater que Dumas, malgré son immense célébrité, reste surtout connu
pour quelques titres seulement : Les Trois Mousquetaires, Le Comte de
Monte-Cristo, La Reine Margot… Ce sont aussi les œuvres qui ont été le plus
souvent adaptées, notamment à l’écran, et cette dimension
« transmédiatique » contribue à leur notoriété. Mais l’œuvre
dumasienne est un monde bien plus vaste, varié et même contrasté ! On y trouve
des contes fantastiques tels que La Femme au collier de velours, de
savoureux récits de voyage (Le Corricolo, par exemple), de nombreuses
pièces de théâtre (avec Henri III et sa cour ou Antony, Dumas a
été l’un des inventeurs du drame romantique, aux côtés de Hugo !), une
vaste autobiographie inachevée, Mes Mémoires, et de nombreux romans qui
n’ont pas la même « aura » que ceux précédemment cités… Rien
d’étonnant, donc, à ce que le travail des éditeurs et des chercheurs
permette régulièrement de mettre en lumière de nouveaux pans de l’œuvre
dumasienne.
Régulièrement,
plus de cent cinquante ans après sa mort, de nouvelles versions éditoriales de
l’œuvre de Dumas surgissent. Peut-on encore s’attendre à de telles
« surprises » ?
Avec
Dumas, rien d’impossible ! Comme il a souvent travaillé avec des
collaborateurs (Auguste Maquet, le plus connu, mais aussi Paul Lacroix, Gustave
de Cherville et d’autres encore), la question de l’attribution des œuvres est
néanmoins parfois difficile…
Si
vous ne deviez emmener qu’un seul Dumas sur une île déserte, lequel
choisiriez-vous (excepté Création et Rédemption) ?
La question est vraiment très difficile pour moi ! Car l’œuvre dumasienne est un vaste « tout » que je préfère embrasser dans son ensemble plutôt que par morceaux. Mais, si je devais absolument choisir, je crois que ce serait Le Vicomte de Bragelonne. D’abord pour une raison pragmatique : c’est l’un des plus longs romans de l’écrivain, ce qui m’assurerait donc de longues journées de lecture heureuse sur mon île déserte ! Mais ensuite et surtout parce que je considère comme un chef-d’œuvre ce beau roman nimbé de mélancolie, qui raconte la fin de l’épopée des Mousquetaires, dont l’étoile s’obscurcit à mesure que monte à l’horizon le soleil de Louis XIV. C’est une sorte de Recherche du Temps perdu à sa manière.
La
Bibliothèque du Beau et du Mal, petit bijou littéraire venu des bords de la
Baltique est assurément l’un des grands romans de ce printemps
Il
est des bibliothèques qui renferment des livres et des livres qui contiennent
des bibliothèques. Telle est La Bibliothèque du Beau et du Mal d’Undinė
Radzevičiūtė, écrivaine lituanienne récompensée par le prix du Livre européen
en 2015 et qui sera, à n’en point douter, l’une des invitées d’honneur de la
saison de la Lituanie en France qui se tiendra du 12 septembre au 12 décembre prochain.
Une
bibliothèque comme un être vivant qui respire. Celle que Walter, excentrique
bourgeois valétudinaire, a hérité de son grand-père Egon et s’apprête à léguer
à son neveu Axel, l’est à plus d’un titre. Et d’abord parce qu’elle contient
des ouvrages réalisés en peau humaine à l’image de ce livre du marquis de Sade
dont la couverture est tirée du corps d’une aristocrate guillotinée.
Une
bibliothèque comme un animal acculé. Par cet autodafé civilisationnel qui se
rapproche inexorablement du savoir pour consumer la laideur et purger le beau
comme on nettoie une race de ses impuretés sans se douter que la beauté se
niche parfois dans le mal.
Une
bibliothèque comme un jeu de tarot en forme de tatouages. Avec ses figures, ses
atouts (la vierge byzantine, les fleurs Blossfeldt, le dieu mort) joués
par des personnages comme insérés dans un tableau de Cranach avec leurs
trognes, leurs vices, leurs beautés. Cela donnent l’Allégorie de la justice,
les Trois grâces, la chute de l’homme ou le vieil homme séduit
par les courtisanes.
Une
bibliothèque comme un sablier brisé. Où le temps semble s’être retiré de ces
rayonnages où l’auteur tire ces quelques chefs d’œuvre pour nous embarquer dans
son récit magistral : Le Parfum de Patrick Süskind, Le Nom de la
Rose d’Umberto Eco, Le Ruban blanc de Michael Haneke, Sherlock
Holmes, Mikhaïl Boulgakov, Fritz Lang. Autant de mouvements d’une sarabande
jouée par un violoncelle aux notes macabres et drôles qui raconte ce Crime
et châtiment passéd’un livre à la destinée d’un homme.
Et
sur le trône de cette bibliothèque, Walter, alchimiste de chair et de papier
devenu ce roi vampire qui a vaincu Dieu. Un roi dont la morsure apporte cette
immortalité des lettres et des images « reçue comme un héritage ou
perçue comme une contrainte. »
Le lecteur, sitôt entrer dans ce livre magnifiquement traduit par Margarita Le Borgne, ne peut jamais en ressortir. Donc prenez votre fil d’Ariane car il est fort à parier que vous ne trouverez jamais la sortie et finirez par être emprisonné dans un livre. Cela tombe bien, on a La Bibliothèque du Beau et du Mal dans la peau.
Par Laurent Pfaadt
Undinė Radzevičiūtė, La Bibliothèque du Beau et du Mal, collection littérature étrangère, traduit du lituanien par Margarita Barakauskaité-Le Borgne Aux éditions Viviane Hamy, 352 p.
On
en présente désormais plus les Black Keys, phénomène musical planétaire aux six
Grammy Awards et aux tubes retentissants comme Lonely boy et Wild
child. Legroupe de blues rock américain originaire de l’Ohio est de
retour avec un douzième album studio coécrit avec Beck et Noël Gallagher, l’ex
leader d’Oasis. Et il faut bien dire que la touche rythmique pop
britannique est immédiatement perceptible, dès le premier titre, This is
nowhere, mais plus encore avec le premier single que le groupe diffusa, Beautiful
People ou On the Game.
Cet album s’apparente bel et bien à un voyage musical dans le temps avec des incursions plutôt réussies dans la soul et le rap notamment dans Paper Crown avec le rappeur américain Juicy J. La Memphis des années 60, le Midwest des années 70 et bien entendu la Manchester des années 90 se succèdent avec bonheur sur la platine. Ainsi, I Forgot to Be Your Lover, reprise de William Bell et Booker T. Jones, particulièrement réussie, devrait assurément figurer dans le best of du groupe et dans les set list de leurs concerts. Si l’amateur du blues rock habitué aux guitares flamboyantes de Dan Auerbach patientera avant de retrouver l’atmosphère de Delta Kream (2021) ou d’El Camino (2011) dans Live till I die ou Fever tree, il découvrira avec fascination et plaisir une nouvelle facette de ce groupe si unique.
Par Laurent Pfaadt
The Black Keys, Ohio Players Nonesuch/Warner Records
Les Black Keys seront en concert les 12 et 13 mai au Zénith
de Paris à l’occasion de leur tournée européenne avant de rejoindre l’Amérique
du Nord à partir de juillet.