Archives de catégorie : Cinéma

Next Door

Le public du Festival Augenblick 2021 ne s’y est pas trompé en
primant ce 1er film de Daniel Brühl qui offre une partition à la
lisière de la tragi-comédie. Révélé dans Good by Lenin puis
Inglorious Basterds de Tarantino, la star du cinéma allemand a aussi
participé au film plus confidentiel de Julie Delpy, 2 Days in Paris, et
à l’univers Marvel de Captain America. L’amoureux de son art qui ne
connaît ni les frontières géographiques ni celles des genres au
cinéma a nourri de son expérience son personnage plein
d’autodérision qu’il joue dans Next Door qu’il a réalisé et dont il a
signé le scénario avec Daniel Kehlmann.

Next Door Daniel Brühl, Peter Kurth
© 2021 Amusement Park Film GmbH / Warner Bros. Ent. GmbH / Reiner Bajo

Il y a dix ans, Daniel Brühl a eu l’idée de ce film quand il vivait à
Barcelone. Il était dans un bar à Tapas quand un homme baraqué l’a
dévisagé avec un air à la Sergio Leone puis lui a adressé la parole.
L’idée est née que cet homme était un ouvrier qui l’observait dans
son appartement, sur le principe de Fenêtre sur cour de Hitchcock. Puis Daniel Brühl est venu vivre à Berlin où nombre de quartiers
connaissent la gentrification depuis la chute du mur, avec
notamment des petits restaurants qui ne payent pas de mine,
vestiges d’une Allemagne de l’Est condamnés à disparaître, avec des
Berlinois déçus par les promesses non tenues des politiciens.

C’est dans un de ces restaurants que Daniel, un acteur riche et
célèbre va patienter, en attendant le chauffeur de taxi qui le
conduira à l’aéroport pour aller à Londres où un casting décidera s’il
aura le prochain rôle qu’il espère, dans un Marvel. Mais un homme l’a
suivi, son voisin dont il fait la connaissance et dont il ne sait rien,
tandis que Bruno, cet homme mystérieux, sait absolument tout de
lui et de sa famille. L’attente de Daniel va virer au cauchemar.

Pour son personnage, Daniel Brühl avait d’abord pensé à un
architecte ou un homme politique mais c’est le métier d’acteur dont
il savait le mieux parler. Tant mieux pour nous, spectateur qui a vu
les films auxquels il est fait référence. Amusantes aussi sont ses
postures de comédien connu et reconnu, voulant à la fois être
discret et vexé quand un couple lui demande de prendre une photo
alors que c’est d’eux seuls qu’il s’agit. Et quand Bruno lui propose de
lui faire répéter ses dialogues pour le casting, Daniel est déconcerté
face à cet homme qui lui donne la réplique tout en le jugeant. Bruno
a connu les méthodes de la Stasi dont il a été lui-même victime alors
qu’il espionne à son tour Daniel et son entourage. Aujourd’hui, les
outils technologiques permettent de tout savoir sur les autres et en
même temps, tout le monde est avide de tout savoir sur son voisin.
Cependant, que sait Daniel de ses proches et que sait-il de lui-
même ? Entre les deux personnages, la tension est palpable avec des
rebondissements inattendus. Dans le huis clos du restaurant comme
dans un saloon de Western, les deux hommes se toisent,
s’invectivent. La raison de l’acharnement de Bruno contre Daniel est
terrible et dérisoire, le symptôme de deux mondes qui cohabitent et
s’ignorent. Peter Kurth confère à Bruno une force de présence
impressionnante. Daniel Brühl le voulait absolument pour le rôle. 24
heures après avoir reçu le scénario, Peter Kurth l’a appelé pour dire
« oui » et il lui a dit de le rejoindre dans son bar, à l’Est. Ce qu’a fait
Daniel Brühl  : « J’y étais ! J’étais dans mon film ! » Et l’alchimie entre
eux a opéré.

Par Elsa Nagel

Un film de Daniel Brühl

On est fait pour s’entendre

Copyright Julien Panié/Jerico films/Perefilms/France3 cinema

Enfin un film qui parle avec justesse de la surdité, loin de la
caricature de La famille Bélier qui n’a fait rire que les entendants !
Lui-même souffrant de déficience auditive, Pascal Elbé a pointé du
doigt les difficultés au quotidien que rencontrent les malentendants
dans une comédie charmante et non dénuée d’humour.

Antoine, un professeur bougon et malentendant, se fait incendier
par Claire, sa voisine, parce qu’il écoute la musique trop fort et laisse
son réveil sonner indéfiniment. Elle, c’est Sandrine Kiberlain. Avec
Pascal Elbé ils forment un couple détonnant, elle, en impulsant son
rythme peps de jeu et lui par son côté flegmatique et lunaire qui lui
vont très bien pour ce rôle. Pascal Elbé a voulu que la femme dont il
tombe amoureux dans son film ait le même âge que lui, et non 20
ans de moins, et pour aller encore contre les faux-semblants
glamours, il joue lui-même le rôle du malentendant, et témoigne de
sa déficience, lui, l’élu « acteur le plus sexy du monde » comme le
révèle le numéro d’octobre du magazine Glam’mag ! Il l’a constaté,
dans les débats qui suivent les projections en avant-premières, son
film libère la parole, a la vertu de décomplexer les malentendants qui
font leur coming out en public. Car, malheureusement, on rit des
sourds, et ce mal est associé au mieux à un Professeur Tournesol, au
pire, aux personnes vieillissantes qui se déconnectent de la société.
Elles agacent car font répéter et finissent par renoncer à faire
répéter puis s’isolent. La surdité est souvent synonyme de solitude
et la jolie idée du film est la rencontre entre Antoine et la petite fille
de Claire, murée dans son silence, depuis que son père est mort. De
cette rencontre improbable naît un film sensible qui débouche sur
une comédie romantique.

Pascal Elbé n’a pas voulu plomber son sujet préférant jouer la carte
de la tendresse et de la cocasserie. Une réunion en salle des profs,
avec une Claudia Tagbo à cran, donne lieu à un dialogue qui part en
vrille, désopilant, dont le moteur est la confusion entre « rapport » et
« porc ». Tout malentendant aussi se reconnaîtra dans la scène où
Antoine et Claire, dans un restaurant bruyant, peinent à échanger
une conversation cohérente. Une situation qui sent le vécu, comme
s’en explique le réalisateur : « Voilà, c’est ma vie… Si les situations
créées sont souvent drôles, il faut quand même tout de suite
rappeler à quel point c’est épuisant. La malentendance, au quotidien,
c’est un peu un travail d’équilibriste où vous faites le funambule avec
ce que vous percevez et ce que vous ne percevez pas. C’est dur à
vivre. » C’est précisément sur le fil qu’évolue Antoine, du déni de son
handicap à l’acceptation, en passant par la honte. Un parcours que
ceux qui sont concernés connaissent bien – l’incompréhension des
autres pensant que vous ne les écoutez pas, l’audiogramme pour
mesurer l’audition, les prothèses auditives très couteuses, les piles
qui s’épuisent au très mauvais moment, le réveil aussi puissant que
l’assaut du GIGN avec son faisceau lumineux qui vous vrille le crâne !
Tout est juste, jusqu’à l’ultime dialogue du film que nous ne
dévoilerons pas. On est fait pour s’entendre devrait être vu par tous
pour comprendre ce que vit au quotidien une personne
malentendante. Vu les chiffres, tout le monde sera concerné, soit
pour connaître quelqu’un qui l’est ou le devient, soit pour ne plus
entendre soi-même. Mais rappelons-le, c’est aussi un film qui fait
rire, une vertu en ces temps tristounets !

Par Elsa Nagel

Un film de Pascal Elbé

10 millions de personnes ont des problèmes d’audition, soit 16 % de la population française. Après 50 ans, une personne sur trois ont des difficultés auditives. En France, selon l’OMS, près d’un million d’enfants naissent chaque année atteints de surdité. 6% des 15-24 ans sont concernés par la déficience auditive incapacitante (Challenges, 08/02/2021).

Augenblick

Heureux retour de ce Festival de films de pays germanophones
après la pause forcée de 2020. Avec sa bande annonce joyeuse aux
accents pop, Augenblick veut dépoussiérer l’image austère d’un
cinéma en langue allemande. Il fait la part belle aux échanges
transfrontaliers en notre région où le dialecte et le bilinguisme
sont essentiels. Avec ses jurys jeunes européens, jury lycéens et
jury étudiants, la jeunesse est au cœur d’un dispositif qui privilégie
le dialogue entre les pays. Le festival 2021 propose une sélection
riche par son nombre de films et leur diversité avec des projections
sur tout le territoire alsacien et l’occasion de rencontrer
réalisateurs et comédiens.

Hanna Schygulla dans Lili Marleen de R. W. Fassbinder

Elle faisait l’affiche de l’édition 2020, annulée pour cause de covid.
Hanna Schygulla est aujourd’hui l’invitée d’honneur de ce 17e
festival. Une rétrospective lui est consacrée avec quatre films de
Fassbinder et De l’autre côté de Fatih Akin, en présence de l’acteur
Baki Davrak. Elle animera le 13 novembre une master classe suivie
de la projection des Faussaires de V. Schlöndorff. Sera également
présent le réalisateur André Schäfer avec le documentaire qu’il lui a
consacré : Hanna Schygulla – une égérie libre, une exclusivité du
festival, en partenariat avec Arte. Le 14 novembre à 18h, au
MAMCS, l’actrice allemande présentera trois courts métrages
qu’elle a réalisés. La soirée alternera projections vidéo et chansons
par son amie et artiste italienne Etta Scollo.

Ich bin dein mensch de Maria Schrader fera l’ouverture du festival
(Prix Ours d’argent de la meilleure interprétation pour Maren
Eggert à la Berlinale 2021). Ce film fait partie des six films en
compétition dont trois seront accompagnés par les équipes. L’acteur
Daniel Brühl sera là, avec Next Door, son 1er long métrage, plein
d’autodérision, la rencontre entre une star du cinéma (D. Brülhl) et
un homme de condition modeste de l’Est (Peter Kurth). La
comédienne Katharina Lehrens accompagnera le film Seule la joie
de Henrika Kull où deux prostituées tombent amoureuses l’une de
l’autre. Enfin, Arman T. Riahi viendra présenter son film Fuchs im
Bau, sur des méthodes d’enseignement non conventionnelles dans
une prison pour adolescents à Vienne. de Dietrich Brüggemann
est un film sur l’amour et sa difficulté à durer. Wanda, mein Wunder
de Bettina Oberli mêle secrets de famille et relations
intrafamiliales sous le regard d’une jeune polonaise.

Le documentaire s’invite dans cette nouvelle édition avec cinq
films dont In Case You qui traite du harcèlement sexuel pendant un
casting de comédiennes. La réalisatrice Alison Kuhn présentera
son film (Prix Meilleur documentaire au Festival Max Ophüls
2021). Out of place sur l’exil en Roumanie de trois adolescents jugés
trop difficiles pour les centres éducatifs allemands sera également
accompagné par la réalisatrice Friederike Güssefeld. Hors
compétition, projection gratuite au cinéma St Exupéry dans la limite
des places disponibles de  Die Blumen von gestern, sorti en 2017 en
Allemagne, en Autriche et en Suisse, mais resté inédit en France
malgré ses nombreuses distinctions et prix. La projection sera suivie
d’un échange avec le réalisateur Chris Kraus qui continue de
revisiter l’histoire allemande de façon originale et sur un ton léger.

La compétition de courts métrages est également, comme avec les
documentaires, une nouveauté cette année. Au nombre de 11, ils
témoignent de la vitalité et de la grande diversité des films et des
genres. Répartis en deux programmes d’1h et demi, Olivier Broche
qui les a choisis, comédien et homme de théâtre, sélectionneur de
scénarii de courts métrages pendant 15 ans à Canal +, nous les
présentera avec passion et enthousiasme.

Les petits et les adolescents sont loin d’être oubliés avec une
sélection de huit films jeunesse dont La Taupe coiffée et autres petites
histoires qui regroupe huit courts métrages en VO non sous-titrés,
visibles dès 3 ans. Mais aussi, dès 14 ans, Le mur qui nous sépare,
d’après une histoire vraie, est une histoire d’amour dans l’Allemagne
de 1986, à Berlin, de part et d’autre de la ville divisée, avec la venue
du réalisateur Norbert Lechner.

Le tombeau hindou

Focus sur Fritz Lang avec Debra Paget sur l’affiche de cette 17ème
édition d’Augenblick, dans son rôle de Seetha, dans Le Tombeau
hindou. Il serait dommage de bouder son plaisir et ne pas voir ou
revoir ce film sur grand écran, ainsi que Le Tigre du Bengale avec
lequel il forme un dytique. Le diabolique Dr Mabuse sera également
projeté. Ces trois films de Fritz Lang feront l’objet d’une rencontre
avec le critique de cinéma Bernard Eisenschitz.

Copieux ? Vous avez dit copieux ? Trois avant-premières encore
sont à noter, ainsi qu’une séance spéciale placée sous le signe de
l’écologie, avec la présence du réalisateur Niklaus Hilber pour son
film Bruno Manser – La voix de la forêt tropicale, à la rencontre des
Penans, peuple nomade de la jungle de Bornéo … Ou comment le
cinéma germanophone nous emmène au cœur de la Malaisie !

Elsa Nagel

Comme pour les éditions précédentes, Augenblick propose au 15-20
ans, un concours de la meilleure critique pouvant porter sur tout film
de la programmation et dont le gagnant se verra récompensé par un
séjour à Berlin. A noter que la langue de la critique peut être le
français comme l’allemand.

17e Festival – du 9 au 26 novembre 2021

Freda

Un film de Gessica Généus

© Nour Film

Très populaire à Haïti, Gessica Généus, met son talent au service
de son pays où elle est restée vivre quand ceux qui le peuvent
choisissent la fuite. Comédienne, chanteuse, elle a créé sa propre
société de production et réalisé une série de portraits de grandes
figures contemporaines de la société haïtienne ainsi que Douvan
jou ka leve (Le jour se lèvera) (2017), lauréat de nombreux prix et
projeté dans le monde entier. Freda raconte par le biais de la fiction,
et en langue créole, le destin de femmes qui se battent pour leur
survie, chacune à sa manière.

La maman s’appelle Jeannette et elle tient une toute petite épicerie
à Port-au-Prince, dans un quartier populaire où les dommages
causés par le séisme de 2007 sont encore visibles. Elle a trois
enfants, Moïse, Esther et Freda. Moïse n’a qu’un rêve, émigrer au
Chili. Sa sœur Esther, la belle Esther, fréquente tout homme qui peut
lui donner de l’argent, le pasteur puis un homme d’affaires, incarnation du pouvoir corrompu qui règne à Haïti. Peu importe
pour Esther, il la demande en mariage et elle l’épouse. Dure sera la
désillusion ! Quant à Freda, double de Gessica Généus, elle assiste à
l’état de déliquescence du monde où elle a grandi et où un avenir
meilleur est difficile à imaginer. Le film a été projeté dans un quartier
cossu de Port-au-Prince avec un appel de fonds pour aider la
population démunie, une projection chargée d’émotion. Le film a été
tourné en 2019 et n’aurait pu l’être sans la protection des habitants
des quartiers où la réalisatrice a posé sa caméra et qu’elle connaît
bien pour y avoir elle-même grandi

Avec un regard proche du documentaire, mêlant des images
d’archives de manifestants descendus dans la rue, en 2017, pour
réclamer de meilleurs salaires et une baisse des taxes, le film a été
tourné à hauteur d’hommes, de femmes plutôt, avec une restriction
du champ à l’image de l’espace étroit dans lequel évoluent les
personnages et qui renvoie à la réalité du pays. Une chambre
porte les stigmates de la violence qui s’est jouée avec un mur en
parpaings mal ajustés, l’échoppe de Jeannette est si petite que l’on y
tient debout avec peine et elle donne sur la rue où les femmes
sortent leur chaise en plastique pour s’y asseoir et faire salon.
« Nous ne vivons pas à l’intérieur de nos maisons d’abord parce qu’il
y fait trop chaud et qu’il n’y a pas l’espace suffisant. Du coup nous
vivons dehors. C’est notre culture. C’est pour cela que la caméra est
souvent de l’autre côté de la rue quand nous filmons la maison de
Jeannette. Parce que dans notre pays, il y a toujours quelqu’un
d’assis en face de chez vous et qui vous regarde. On observe les
voisins, nous sommes un peu intrusifs, il n’existe pas de réelle
intimité… » Même l’océan est filmé de très loin, comme une
échappée inatteignable. Et les paroles de la chanson d’Aznavour que
fredonne Freda résonnent pleines d’ironie : « II me semble que la
misère serait moins pénible au soleil. »    

Mère courage, femmes sacrifiées dans une société où l’homme règne
en potentiel prince charmant tout puissant et qui use des femmes
comme d’objets de plaisir, particulièrement celles à la peau claire. 
Elles sont les plus convoitées et abusent de crèmes blanchissantes
comme le fait Esther. Gessica Généus porte un regard sans
concession sur la société haïtienne patriarcale et il est glaçant,
cependant que les artistes souffrent de leur condition. Esther
comme Freda ont un petit ami artiste, l’un est chanteur et l’autre
artiste plasticien. L’un n’est pas assez riche pour trouver grâce aux
yeux de la belle et l’autre est obligé de quitter Haïti pour faire sa vie.
Il emmènerait bien Freda mais elle est obligée de s’occuper de sa
mère, et elle fait des ménages en plus de suivre des cours à la fac. Le
film décrit une société en souffrance mais ses personnages ne sont
pas traités avec misérabilisme, au contraire, ils sont dignes et forts
de l’envie de vaincre la fatalité, envers et contre tout. Freda porte le
nom d’une déesse de la mythologie vaudou, une des raisons pour
lesquelles les spectateurs haïtiens craignent de voir le film. Pour
notre part, laissons-nous envoûter !

https://youtu.be/SK2BaJHtT9s

Par Elsa Nagel

CANDYMAN

Près de trente années après la sortie du magnifique Candyman de
Bernard Rose, Hollywood a décidé de donner son feu vert à une
nouvelle adaptation de la célèbre légende urbaine. A l’époque, le
film avait été suivi de deux séquelles de qualité inégales, en 1995
et 1999.

Le film de Bernard Rose était basé sur la nouvelle The Forbidden de C
live Barker, publiée en 1985. Il avait été récompensé à trois reprises lors du dernier Festival du Film Fantastique d’Avoriaz en 1993, avec le prix de la Meilleure Actrice (inoubliable Virginia Madsen), le Prix du Public, et enfin le Prix de la Meilleure Musique (Philip Glass). Au cœur du genre, le film allait vite devenir culte. Imaginer une relecture aujourd’hui s’avérait donc à la fois ambitieux et risqué, car cela impliquait de ne pas décevoir les fans du personnage, et d’ancrer l’histoire, plus moderne, dans un contexte social malheureusement toujours d’actualité. Le nouveau Candyman devait trouver sa voie tout en étant respectueux du film original, sans oublier d’aborder des thèmes sociaux toujours aussi prégnants. 

Ces contraintes n’ont pas effrayé Nia DaCosta. Dès les premières images la réalisatrice donne le ton. Son générique est magnifique, il inverse les perspectives d’une manière originale et plonge immédiatement le spectateur dans le Fantastique. Nia DaCosta construit une ambiance lourde, mais subtile. Elle connaît le genre, le respecte. Elle a voulu l’illustrer tout en exprimant la colère de la population noire mise à l’écart par la communauté blanche. Des Blancs qui ont construit des banlieues mal famées dans les faubourgs des villes, pour ensuite les raser lorsqu’elles posaient trop de problèmes. Les ghettos d’alors ont été oubliés, désertés, leurs habitants exilés en d’autres endroits, imaginés par les mêmes édiles (majoritairement blancs). Puis ils ont été reconstruits non loin de là, sous une séduisante apparence, mais avec toujours le même but, rassembler au même endroit une population bien ciblée.

Anthony McCoy est un jeune artiste en mal d’inspiration. Confortablement installé dans un nouveau quartier de Chicago avec Brianna, sa copine directrice d’une galerie d’art, il n’a rien peint d’intéressant depuis deux années. Lors d’une soirée avec Troy, le frère de Brianna, il apprend la légende du Candyman. Troy leur raconte les événements sanglants qui ont secoué le quartier de Cabrini Green en 1977, avec la croisade meurtrière d’une jeune étudiante blanche, Helen Lyle. Croisade s’étant conclue avec la mort de la supposée meurtrière. L’histoire résonne particulièrement dans l’esprit d’Anthony. Le jeune homme va alors entreprendre des recherches approfondies sur cette histoire fantastique. Et finalement découvrir sa véritable origine. 

Nia DaCosta ne fait  pas de de son film un énième bain de sang prévisible. Il y a bien sûr deux-trois scènes avec projection d’hémoglobine, la légende urbaine l’impose. Les effets gore sont simples, classiques et arrivent au bon moment. Mais c’est dans son pouvoir de suggestion du surnaturel que la réalisatrice démontre qu’elle était la bonne personne pour faire revivre la légende du Candyman. Elle joue avec l’esprit d’Anthony et donc avec celui du spectateur. Il n’y a pas de scène gratuite, et le message politique présent dans l’histoire l’est plus que dans le film original. Mais il ne faut pas oublier que ce message était déjà là dans le Candyman de 1992.  

Les cinéphiles seront ravis de retrouver de manière fugace mais intelligente les deux personnages-clefs du film de Bernard Rose. Virginia Madsen apparaît au détour d’une photographie d’article de presse, et prête sa voix dans un témoignage d’archives, tandis que Tony Todd, l’inoubliable premier Candyman, prête ses traits lors d’une conclusion poétique et porteuse d’espoir. Le générique de fin est très beau. Moins optimiste, il rappelle que l’histoire se répète, encore et encore. Mais il est permis d’espérer…

Par Jérôme Magne

Les Intranquilles

un film de Joachim Lafosse

Les Intranquilles : Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah
Copyright LUXBOX

Après un détour par l’exploration des liens filiaux dans Continuer,
adapté du roman éponyme de Laurent Mauvignier, Joachim
Lafosse revient à l’espace clos du foyer familial non plus miné par
des rapports d’argent, comme dans L’économie du couple, mais par
la bipolarité, cette maladie qui fait alterner dépression et états
d’exaltation. Damien Bonnard et Leïla Bekhi s’aiment et se
déchirent et impressionnent par leur interprétation à fleur de
peau.

Quand Joachim Lafosse évoque la dépression, il cite deux films
majeurs Une femme sous influence (A Woman Under the Influence) de
John Cassavetes et Two Lovers de James Gray. Ses Intranquilles
racontent une période de la vie d’un couple et de leur enfant, un film
inspiré par la propre vie du réalisateur et par le livre de Gérard
Garouste : L’Intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. La
1ère séquence donne le ton. Le père, Damien, laisse les commandes
de son bateau à son petit garçon et le laisse seul au milieu d’un lac
tandis qu’il plonge et rejoint la rive lointaine à la nage. Séquence clef
qui met le spectateur dans un état d’inquiétude qui ne le lâchera
plus, intranquilité que Joachim Lafosse a vécu quand il était enfant.

Gabriel, l’enfant, a une maturité acquise à force d’être sur la
défensive et de vouloir se protéger ainsi que sa mère. Ils font bloc
tous les deux, non pas contre mais avec Damien qui fait peur et peut
se montrer aussi dangereux en période de crise qu’il peut être
charmant et drôle. Une virée en voiture avec ses parents qui
chantent à tue-tête une chanson de Bernard Lavilliers, moment de
complicité heureuse et amoureuse, témoigne que les souvenirs
d’enfance sont précieux, ceux qui évoquent le bonheur qui s’est
enfui. Joachim Lafosse a distillé ces moments rares. Tension et
émotion habitent son film. Damien Bonnard et Leïla Bekhti ont gardé leur prénom, comme pour approcher une vérité de leur
personnage. Ils campent des forces en présence. Les comédiens
portent le film, elle, mère courage, le corps/cœur lourd, n’ayant plus
le temps de s’occuper d’elle, lui, agité, le regard fiévreux, en
déséquilibre. Damien est peintre et elle est restauratrice de meubles
anciens, elle est aussi celle qui veille sur lui, se bat pour qu’il accepte
de se soigner. Joachim Lafosse a apprécié que ses interprètes
comprennent qu’il ne s’agissait pas d’un « film sur la maniaco-
dépression mais plutôt d’une interrogation sur la capacité et les
limites de l’engagement amoureux. » Le nom de la maladie est très
tardivement prononcé et Leïla n’est jamais dans une position
victimaire.

Comment concilier les agissements hors de contrôle de Damien
avec une vie de couple et de famille ? Comment garder intact l’élan
artistique dans les périodes de crises ? Pour Joachim Lafosse, si Van
Gogh avait été accompagné, peut-être aurait-il réalisé des tableaux
encore plus extraordinaires. Peindre en état de crise ne produit pas
forcément des chefs-d’œuvre. Comment contrôler l’intranquilité
sans la subir et au contraire en faire une force ? Le film n’apporte pas
de réponse. Alors que le personnage de Damien, jusqu’à la veille de
la préparation devait être un photographe, comme l’était le père du
réalisateur, il est devenu un peintre du fait qu’il avait fait les Beaux-
Arts. Les tableaux qu’il exécute à l’écran sont le fait de sa propre
contribution, conjuguée au talent de Piet Raemdonck, l’auteur des
tableaux qui sont comme des représentations de l’univers mental de
Damien, une réalité revisitée qu’il s’approprie à défaut d’avoir prise
sur le réel qui le déçoit. Le contraste est poignant entre la gestuelle
magnifique du peintre comme s’il dansait et le zombie qu’il devient
après un séjour en hôpital psychiatrique. Cruelle est cette seule
solution après une énième crise poussée à son paroxysme. Le film
est empreint de bout en bout de cette intranquilité et le tournage
s’en est nourri. Le film a été tourné chronologiquement et la fin s’est
écrite sur le plateau. L’amour a dit son dernier mot.

Par Elsa Nagel

Escape Game 2 : Le monde est un piège

Escape Game 2 : Le monde est un piège.

Un film d’Adam Robitel.

Adam Robitel revient ici avec la suite de son film
précédent, Escape Game, film d’ouverture de la 26ème
édition du Festival International du Film Fantastique de
Gérardmer, en 2019. Deux ans et demi se sont écoulés
depuis la sortie de celui-ci –la pandémie a décalé la sortie
de cette suite d’une année mais on n’a pas oublié que sa
fin laissait grandement supposer une histoire à venir.

Les recettes au box-office mondial ont parlé : avec 155
millions de dollars pour un coût de production de 15
millions de dollars, Sony a vite compris l’opportunité de
doubler la mise, et sauté sur l’occasion de mettre une suite en boite. Le spectateur retrouve donc les deux survivants
du film précédents, Zoey et Ben, avec le même metteur en
scène aux commandes.

Tous deux sont s’en sont sortis, mais pas tout à fait
indemnes. Leurs traumatismes précédents sont toujours là,
se sont même aggravés, et s’accompagnent désormais de
cauchemars très réalistes. Ben a choisi de passer à autre
chose, tandis que Zoey reste bloquée sur des sentiments
complexes, d’un côté une peur de l’avion toujours aussi
insurmontable, de l’autre une envie de revanche
dévorante. Et la thérapeute qui la suit ne parvient pas à
l’apaiser. La jeune fille est résolue à faire payer les
responsables de la mort de ses partenaires de « jeu », qui
se cachent derrière la mystérieuse organisation Minos.

Le film s’ouvre sur les événements du premier épisode, qui
nous expliquent le pourquoi du jeu. Zoey est restée en
contact avec Ben, qu’elle parvient à convaincre de l’aider à
démasquer Minos. Sa thérapeute la prenant pour folle, elle
n’a d’autre solution que de faire face à ses démons. Elle
décide de rejoindre New York avec Ben, pour se rendre au
siège de Minos. Alors évidemment, rien ne se passera
comme prévu. Arrivés sur place, Zoey et Ben ne trouveront
qu’un immense entrepôt vide et délabré. Mieux, les deux
survivants seront attendus, pour être forcés à participer à
de nouvelles épreuves aussi implacables qu’à sens unique.

Mais cette fois-ci ils n’ont pas répondu à une invitation,
c’est leur statut « d’ex-champions » qui a fait d’eux des
cibles de choix. Car Minos est un peu comme un
programme informatique, cherchant à s’améliorer au gré
de mises à jour régulières. Et qui d’autres mieux que des
survivants pour tester de nouvelles épreuves ?

Le film d’Adam Robitel base donc son histoire sur de
nouvelles énigmes, et sur un tandem désormais familier. A
celui-ci il va associer d’autres personnages, peut-être ici
moins bien écrits. Mais les épreuves n’en sont pas
moins impressionnantes et recèlent leur lot de surprises.
Moins nombreuses que dans Escape Game, elles sont
parfois plus recherchées. Et le retour d’un personnage de
l’opus précédent relancera la dynamique, juste au bon
moment. La nouveauté du premier film n’est plus là, il a
fallu imaginer d’autres stratagèmes, et développer le lien
unissant Ben à Zoey, car sans eux, pas de films. Cela, le
réalisateur l’a bien compris.

Cette suite n’est pas dénuée d’intérêt. Elle laisse toutefois
un sentiment partagé. D’un côté le plaisir de retrouver les
protagonistes de la première histoire, de nouveau mis à
l’épreuve, de l’autre le sentiment qu’il manque un petit
quelque chose. Il est vrai que l’attrait de la nouveauté n’est
plus là, et que l’on aurait bien voulu assister à une ou deux
épreuves de plus. Mais le final du film, en lien avec celui du
précédent, nous laisse supposer que Zoey et Ben ne sont
pas au bout de leurs peines, et que les spectateurs
pourraient encore avoir le plaisir d’être les témoins de leurs
mésaventures, à l’avenir…

Jérôme MAGNE

The Deep House

Un film d’Alexandre Bustillo et Julien Maury

Depuis 14 ans, Alexandre Bustillo et Julien Maury réalisent des
films ensemble. Pour leur sixième collaboration, ils reviennent sur
grand écran avec une histoire de maison hantée, originale, car
tournée au fond d’un lac !

Les deux metteurs en scène sont fans de genre. Depuis leur tout
premier film, A l’intérieur, en 2007, ils n’ont cessé de prouver leur
amour du genre, faisant fi de tous les obstacles mis sur leur passage.
Pour donner vie à un cinéma qui leur ressemble, à la fois extrême et
proche de nous. Dans chacune de leurs œuvres le spectateur peut en
effet créer un lien avec l’un ou l’autre des personnages, aussi barrés
soient les événements auxquels ils sont confrontés. Et Dieu sait si les
deux compères n’ont pas leur pareil pour les placer dans des
circonstances à la fois extraordinaires et violentes. Livide, Aux yeux
des vivants, Leatherface et Kandisha ont succédé à A l’intérieur, et tous
ont eu à cœur d’inviter les spectateurs dans le grand train fantôme
de l’Horreur.

The Deep House n’est pas différent. Le film s’ouvre sur la ballade d’un
jeune couple, Ben et Tina, au fin fond de la forêt ukrainienne. Ils sont
venus visiter un sanatorium abandonné depuis longtemps, supposé
hanté. Car Ben ne rêve que d’une chose, faire décoller sa chaîne YouTube en filmant la découverte d’un lieu vraiment flippant. Filmé
caméra au poing, la visite du vieil hôpital leur procure bien quelques
frissons, mais rien de bien original. Ben en veut plus. Quelques mois
plus tard il tombera sur une info évoquant un endroit secret dans le
Sud de la France, un endroit reculé qui aurait été le théâtre d’un
drame il y a bien longtemps. Son sang ne fait qu’un tour. Il doit y aller.

Sur place sa première réaction est d’être déçu : le spot secret est
devenu un joli petit coin à touristes. Mais sa rencontre avec Pierre,
un villageois du coin un brin inquiétant, lui redonnera espoir. En
échange de quelques billets celui-ci leur proposera de les guider vers
une autre partie du lac, à quelques kilomètres de là. Là bas, au fond du lac, se trouverait une vieille maison en parfait état de
conservation…

Alexandre Bustillo et Julien Maury sont de très bons techniciens.
Leur manière de filmer la grande bâtisse immergée le démontre une
fois encore. Pour The Deep House, les deux cinéastes ont tenu à
filmer en « réel », c’est-à-dire en plaçant les comédiens sous l’eau,
plutôt que de tout filmer sur fond vert, en tournant au ralenti. Et le
résultat est là ! En procédant ainsi, ils nous permettent de croire à ce
qui arrive à Ben et Tina. Lorsque ces derniers pénètrent dans
l’immense maison et en parcourent les nombreuses pièces nous
sommes à leur côtés et ressentons la même claustrophobie. Les
réalisateurs jouent avec l’obscurité, le sable et l’eau trouble, et
chaque nouvelle pièce apporte son lot de frissons. Pas de jump scares inutiles, mais plutôt une peur savamment construites sous les
yeux des spectateurs.

Avant de découvrir le terrible secret de la maison engloutie, les deux
plongeurs font se faire des petites frayeurs, et s’opposer lors de
prises de bec liées à leur différence de tempérament. Pour
interpréter ces deux aventuriers souvent cachés derrière leur
masque de plongée, il fallait trouver des comédiens au visage
expressif et au regard intense, capable de traduire à l’écran
l’ensemble des émotions qui allaient traverser leur personnage.
Dans le rôle de Ben, James Jagger (fils de Mick) avait toutes les
qualités requises, après avoir connu une certaine reconnaissance
grâce à la série Vinyl, produite par Martin Scorcese et Mick Jagger. Il
donne à son personnage un côté effronté, jusqu’au boutiste, qui
s’oppose à Tina qui, bien que partageant son goût pour l’aventure,
est bien plus posée et prudente que lui. Dans le rôle de Tina, nous
retrouvons la mannequin-comédienne Camille Rowe, récemment vue dans le Rock’n Roll de Guillaume Canet et Je voudrais que
quelqu’un m’attende quelque part d’Arnaud Viard, et le toujours
impeccable Eric Savin n’a eu aucune difficulté à traduire toute l’ambiguïté du mystérieux Pierre.

Dans le dernier tiers du film, Alexandre Bustillo et Julien Maury
accélèrent le rythme, il leur faut arriver vite à la révélation finale.
C’est peut-être là le petit point faible du long-métrage, qui avait
parfaitement su nous embarquer avec lui jusque là. Mais ne boudons pas notre plaisir. The Deep House est une vrai proposition de cinéma
de genre, accomplie, maîtrisée et sincère. Le duo de réalisateurs confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui.

Par Jérôme Magne


Drunk

Un homme libéré (magistral Mads Mikkelsen)

Drunk
Un film de Thomas Vinterberg

Le COVID est parvenu à repousser les sorties cinéma jusqu’au 19
mai 2021. Ce jour-là, les cinéphiles de l’Hexagone ont pu respirer à
nouveau, et se précipiter dans des salles obscures on ne peut plus
prêtes à les accueillir après de longs mois passés à peaufiner leur
réouverture. Auréolé de nombreux prix, le dernier film de Thomas
Vinterberg arrive enfin sur nos écrans, et le moins que l’on puisse
dire c’est qu’il offre une grande bouffée d’oxygène à ses spectateurs.

Les récompenses glanées par le film un peu partout sont
nombreuses, nous nous contenterons donc de ne citer que les plus
marquantes à nos yeux. Le César 2021 du Meilleur Film Étranger, et
l’Oscar 2021 du Meilleur Film International. Avec ce palmarès, le
film était donc fermement attendu par le plus grand nombre, rares
étant en effet les spectateurs ayant pu le visionner lors de sa brève
sortie, juste avant le second confinement en octobre dernier.

Drunk parle d’un cap, d’une crise existentielle que vont traverser quatre enseignants d’un lycée danois. Martin (Mads Mikkelsen),
Tommy (Thomas Bo Larson), Peter (Lars Ranthe) et Nikolaj (Magnus
Millang) forment un quatuor d’amis très soudés. Collègues depuis de
nombreuses années au sein du même établissement, ils ont laissé
leur quotidien les anesthésier peu à peu, la monotonie de leur petite
existence bien rangée ayant fait disparaître les ambitions qu’ils
avaient pu caresser dans leur jeunesse. Nikolaj est le plus jeune
d’entre-eux (les trois autres sont bien installés dans leur
cinquantaine). A l’occasion de son quarantième anniversaire, il
propose à ses amis de mener une expérience : démontrer la thèse
d’un chercheur norvégien selon laquelle il manquerait à l’homme
depuis sa naissance 0,5 gramme d’alcool par litre de sang dans le
corps afin de vivre pleinement son existence.

Empêtrés dans leur morne quotidien (en particulier Martin), sans
joie mais pourtant pas désagréable, les quatre comparses vont se
mettre d’accord pour tenter de prouver scientifiquement cette
théorie. Ils se donneront donc pour objectif de maintenir (sans la
dépasser) leur alcoolémie à 0,5g/l tout au long de la journée jusqu’à
20h00, tous les jours de la semaine sauf le week-end. Et de noter
scrupuleusement les effets de ce traitement dans un rapport
documenté.

Thomas Vinterberg (Festen, La Chasse, Kursk, pour n’en citer que
quelques uns) ouvre son film sur un groupe de jeunes participant à
une course autour d’un lac, dans laquelle le but est de parcourir la
distance tout en buvant les bouteilles de bières portées dans une caisse par les différentes équipes. Comme entrée en la matière,
difficile de faire plus direct. Les cinéastes d’Europe du Nord sont
connus pour leur côté sans fard ni fausse pudeur, Thomas
Vinterberg ne fait pas exception ici. Après cette introduction, il va
nous présenter ses quatre personnages principaux avec tout le
réalisme dont il est capable. Sa caméra s’intéressera au plus près de
la vie du quatuor, le metteur en scène cherchant à créer un lien fort
entre celui-ci et les spectateurs.

Martin a de gros problèmes de confiance en lui, et manque donc
d’autorité devant ses élèves. Transformé par l’ingestion régulière
d’une petite quantité d’alcool tout au long de la journée, il va se
(re)découvrir et parvenir à une forme d’équilibre dans sa vie
professionnelle et personnelle. Ses amis feront le même constat. Ce
serait donc véridique, une petite et régulière ingestion d’alcool
rendrait la vie plus vraie, plus réelle ? Mais le groupe décidera de
pousser un peu l’expérience, qui avait pourtant donné certains
résultats. Il s’agira d’atteindre le taux d’alcoolémie maximal pour
chacun. Au départ réticent, Martin se joindra à la suite de l’expérience, qui bien évidemment n’aura pas une fin heureuse.

Drunk est un film attachant, dans le sens où il fait preuve d’une grande humanité dans sa description de ce groupe d’amis. Alors bien
sûr, c’est peut-être le personnage de Martin qui retiendra la plus
l’attention des spectateurs, mais les trois autres ne sont pas oubliés
pour autant. Chaque personnage a droit à ses petits moments de
« gloire », chacun dans sa matière respective. L’attachement du
réalisateur à ses personnages est bien réel, il ne les idéalise pas, pas
plus qu’il ne les méprise. La sincérité de Drunk fait mouche en ce
sens où les événements auxquels nous assistons sont à la portée de
tous. Chacun assimilera la film à sa manière, impossible d’y être
indifférent.

Thomas Vinterberg a une fois encore réuni plusieurs de ses
collaborateurs les plus fidèles. Thomas Bo Larson signe sa quatrième
participation à un long-métrage du cinéaste danois, tandis
qu’Helene Reingaard Neumann (épouse du metteur en scène) et
Mads Mikkelsen apparaissent pour la seconde fois sous sa caméra.
Inoubliable bad guy (Le Chiffre) dans Casino Royale il y a une
quinzaine d’année, ce dernier a eu pour devise d’aborder plusieurs
genres. Après avoir été salué pour son interprétation glaçante du
personnage d’Hannibal Lecter dans la série Hannibal, il a été capable
d’alterner des rôles plus discret (voir son personnage de Lucas dans
La Chasse, du même Vinterberg). Les cinéphiles sont d’ailleurs
impatients de voir sa vision de Gellert Grindenwald dans la suite des
Animaux Fantastiques, suite au récent départ du génial Johnny
Depp.

Jérôme Magne

25ES JOURNÉES CULTURELLES EUROPÉENNES 2021

L’EUROPE, UNE PROMESSE

Après avoir dû annuler les JCE:2020 à cause du Covid-19, les
organisateurs lancent une deuxième tentative : du 2 au 16 mai 2021,
des artistes venus d’Europe et d’ailleurs se pencheront sur le thème
« L’Europe, une promesse ». La crise du coronavirus nous a montré de
manière dramatique la fragilité de l’idée d’une Europe unie et
ouverte en temps de crise. Il est plus important que jamais
d’examiner avec un œil neuf les promesses de l’Europe – le sujet
initial des JCE:2020 – et de chercher des inspirations pour une
nouvelle Europe basée sur la solidarité et la coopération.

L’Europe, que représente-t-elle ? Quelles espérances portent encore
notre continent ? En luttant contre la pandémie, l’Europe a-t-elle
remis en question ses propres promesses ? L’Europe, est-elle prête à
se battre pour faire respecter les droits fondamentaux et les droits
de l’Homme ? Est-elle capable de les protéger contre les menaces
permanentes ? Après 70 ans d’intégration économique, politique
et surtout culturelle, l’Europe se divise-t-elle ? Nous voulons
réfléchir ensemble sur ces questions et éclairer « L’Europe, une
promesse » par le biais de l’art et de la culture.

Pour de plus amples informations, consultez le site web www.europaeische-kulturtage.de