Archives de catégorie : Ecoute

CD du mois d’avril

Mahler 4, Orchestre philharmonique du Luxembourg,
Miah Persson dir. Gustavo Gimeno
Pentatone

Lentement mais sûrement, l’Orchestre philharmonique du
Luxembourg poursuit son ascension dans les hautes sphères
musicales européennes comme en témoigne ce nouveau disque
consacré à la quatrième symphonie de Mahler. Celle-ci est ici
interprétée avec une ferveur communicative mais également avec
une certaine maturité qui fait plaisir à entendre. La brillance de
l’orchestration mahlérienne n’est jamais aveuglante et
l’interprétation ne verse jamais dans la démonstration.

Le chef et son orchestre évitent ainsi parfaitement le piège d’une
succession d’effets sonores dans cette symphonie surreprésentée
par les bois et les cuivres. Au contraire, les équilibres sonores sont
respectés et la musique gagne en fraîcheur. Dans le troisième
mouvement, le souffle mahlérien oscille merveilleusement entre
murmure et plainte. Et même si la voix de Miah Persson dans ce
quatrième mouvement qui clôt la symphonie est assez éloignée du
chant d’enfant voulu par Mahler, l’ensemble est incontestablement
une réussite.

Les légendes sont de retour

Stravinsky © Getty Images

Deuxième volume de la formidable série de concerts de la BBC

Ceux qui adorent les surprises,
surtout musicales, ne
devraient pas être déçus. Le
premier coffret des BBC
Legends nous avait enchanté
et il faut dire que ce second
volume est à la hauteur de son
prédécesseur. Car réécouter
ces légendes de la musique du
20e siècle a quelque chose
d’intemporel et de proprement
stupéfiant car l’auditeur redécouvre dans ce piano, avec ce violon et
cette baguette, des œuvres, des accords qu’il croyait connaître et qu’il
finit par redécouvrir comme si le compositeur venait de les achever la
veille.

Les BBC Legends sont d’abord une formidable série d’archives et
une incroyable machine musicale à remonter le temps. En
écoutant la symphonie Haffner de Mozart dirigé par Toscanini en
1935, on a un peu l’impression de se retrouver dans ces années,
l’oreille collée au transistor en attendant comme des milliers
d’autres auditeurs, le concert à venir.

Trésors inépuisables, les concerts de musique classique
enregistrés par la BBC représentaient un passage obligé pour
chaque grand artiste qu’il soit compositeur, chef d’orchestre ou
soliste de renom. Ce deuxième coffret se fait ainsi une nouvelle
fois l’écho de ces légendes. On ne boude pas son plaisir en
écoutant Igor Stravinsky diriger son Agon plein de fougue ou
William Walton, son concerto pour violoncelle accompagné de
l’archet bondissant du grand Pierre Fournier au festival
d’Edimbourg en 1959. Et lorsque retentit les notes de la sonate
pour piano et violon de Haydn par Benjamin Britten et Yehudi
Menuhin, on touche au sublime.

Il y là aussi les géniaux créateurs d’œuvres désormais
incontournables de la musique : le concerto pour violon de
Chostakovitch avec David Oïstrakh, accompagné pour l’occasion
d’un autre grand connaisseur de la musique du génie soviétique, le
chef Guennadi Rojdestvenski, déjà présent dans le premier
volume et que Prokofiev surnommait « super-génie ». De
Prokofiev, il en est d’ailleurs question avec Richter, main de fer dans un gant de velours, dans une huitième sonate de Prokofiev
absolument prodigieuse.

Tous ces mythes ne sauraient éclipser certains artistes que
l’histoire de la musique a trop tôt oublié comme la pianiste
britannique Myre Hess et son toucher si délicat dans le concerto
de Schumann, qui montre, s’il faut encore le prouver, que l’on peut
transmettre des émotions et révéler son incroyable talent sans
martyriser l’instrument.

Entre le caractère épique d’un Thomas Beecham dans Sibelius, la
sensibilité d’Arthur Rubinstein dans les Impromptus de Schubert
ou l’empreinte indélébile d’un Carlo Maria Giulini à la tête du
Philharmonia Orchestra dans Brahms, ce deuxième coffret des
légendes de la BBC égale assurément le premier volume et
constitue un pur moment de bonheur. Le dernier disque écouté,
on se demande déjà : à quand le troisième ?

BBC Legends: Great Recordings from the Archive,
Vol. 2, Ica Classics, 2018

Laurent Pfaadt

CD du mois

Voici un merveilleux
disque pour
commencer les
célébrations
Debussy. La
violoniste Fanny
Robilliard et la
pianiste Paloma
Kouider réunies
grâce à l’association
Musique à Flaine,
nous offrent ce
merveilleux disque
consacré à Claude
Debussy, Karol Szymanowski, Reynaldo Hahn et Maurice Ravel.

Dès les premières notes, l’auditeur sait qu’il est parti pour un voyage
musical extraordinaire. En compagnie de ces deux muses, aux jeux à
la fois aquatique et aérien, on passe d’univers musicaux différents
avec un plaisir dont on a peine à se défaire sitôt la musique
terminée. Avec Debussy, leurs interprétations parfaites dans les
nombreux changements de rythmes, sont à la fois pétillantes et
bondissantes.

Dans les mythes de Szymanowski, le clavier de Paloma Kouider
devient ce marbre dont on bâtit les monuments appelés à durer. Et
dans le nocturne de Reynaldo Hahn, compositeur de plus en plus
prisé de la nouvelle génération de solistes, le dialogue est plus
tendre, plus sensuel. Enfin avec Ravel, les deux musiciennes
parviennent grâce au toucher félin de Paloma Kouider et au
murmure si léger du violon de Fanny Robilliard à restituer
parfaitement toute l’évanescence de la musique du compositeur
français. Du plaisir à l’état pur.

Laurent Pfaadt

Fanny Robilliard-Paloma Kouider,
Debussy, Szymanowski, Hahn, Ravel,
Evidence

CD du mois

Le nouvel opus du
compositeur et
pianiste français
Olivier Calmel,
Double celli,
Immatériel, met à
l’honneur le
violoncelle et
l’intègre dans cette forme de jazz de chambre qu’il développe depuis
plusieurs années. Aidé pour l’occasion de quelques prestigieux
interprètes comme le violoncelliste Xavier Phillips et l’altiste
Fredéric Eymard qui a accompagné quelques grands noms du jazz
comme Charlie Haden ou Lucky Peterson, Olivier Calmel signe des
compositions aussi ébouriffantes que passionnantes.

Au gré des morceaux, on passe ainsi de la sérénité de morceaux
classiques très jazzy comme la chambre qui rit à des rythmes plus
entraînants où la czardas tzigane vient défier ce jazz (le hongrois qui
déraille). Parfois des réminiscences tirées de Steve Reich ou
d’Alberto Iglesias interpellent l’auditeur. Mais à chaque fois, les
morceaux d’Olivier Calmel racontent une histoire. Car c’est aussi
cela le style Calmel, faire dialoguer des genres musicaux différents
et créer une alchimie. Un style unique à découvrir.

Laurent Pfaadt

Olivier Calmel, Double Celli,
Klarthe records

CD du mois

Jacob Salem, c’est un
conte musical à base
de rock and roll, celui
d’un petit serviteur à
la cour d’un lointain
royaume africain
devenu guitariste.

Cette histoire, le
musicien burkinabé
nous la chante à
travers son nouveau
disque où histoire
politique croise
révolte sociale. Comme tant d’artistes africains, il a mêlé ses racines
au rock et au blues pour en faire le Rock Mossi, ultime variante de
cette rencontre entre les deux bords de l’Atlantique, à l’instar des
touaregs ou de Boubacar Traoré.

Le disque qu’il nous délivre est un petit bijou. Grace à sa rencontre
avec le guitariste anglo-suisse André Somkieta Courbat, Jacob
Salem provoque le dialogue musical entre Houston et
Ouagadougou, entre deux cultures, celles du blues-rock et de cette
musique traditionnelle burkinabaise. Avec cet album, Jacob Salem
marche assurément sur les traces de ses illustres aînés. Avec sa
guitare, il est déjà devenu un prince.

Laurent Pfaadt

Jacob Salem, Nanluli,
Montflery Music

Dans la tête de John Adams

Berliner Philharmoniker
Philharmonie
John Adams © Kai Bienert

Magnifique
rétrospective du
compositeur
américain par les
Berliner
Philharmoniker

John Adams est
certainement l’un
des plus grands
compositeurs
vivants. Grâce à ce
voyage dans l’univers musical du génie
américain, testament de la résidence du compositeur à Berlin en
2016-2017, ce coffret grave pour l’histoire, la rencontre entre les
Berliner Philharmoniker et le compositeur.

On y découvre ainsi les différents univers musicaux que traversa
John Adams et qui sculptèrent son œuvre et son travail de
composition. Ainsi, Harmonielehre, composée en 1985, s’il est un
hommage à Arnold Schönberg, inscrit Adams dans le minimalisme
de ces années en le rapprochant clairement d’un Philip Glass ou d’un
Steve Reich, et plonge l’auditeur dans un véritable tourbillon sonore.

La courte pièce Short ride in a fast machine est plus explosive,
presque spatiale. Quant à City Noir, cette symphonie-hommage à
Darius Milhaud, avec sa forte dominante des bois et des cuivres –
une constante chez Adams – elle apparaît sous la baguette experte
de Gustavo Dudamel, comme un monstre musical qui, cependant, ne
rechigne pas à danser sous la férule du saxophone alto de Timothy
McAllister. Avec cette direction où le chef vénézuélien transforme
les Berliner en Simon Bolivar Orchestra, John Adams marche ici sur
les traces d’un Leonard Bernstein qui aimait tant mêler esthétiques
musicaux hétéroclites. Il faut dire que Dudamel connaît
particulièrement bien son affaire pour avoir créé l’œuvre en 2009.
L’oratorio The Gospel According to the Other Mary, nouvel exemple de
mélange des genres réussi, complète le coffret.

La grande réussite de cette rétrospective tient beaucoup à la
plasticité du Berliner Philharmoniker qui est parvenu, sous la
houlette de chefs tels que Gustavo Dudamel et surtout Sir Simon
Rattle, à s’ouvrir définitivement à la musique contemporaine et à
sortir de sa rigidité légendaire. Ici, on mesure ainsi toute sa plasticité
sonore qui lui permet de donner corps aux œuvres de John Adams.
Mettant en exergue certains instruments phares du compositeur
comme la trompette ou la clarinette dans City Noir par exemple,
l’orchestre n’écrase jamais l’œuvre de son poids romantique. Ce
dernier sait également utiliser son formidable son pour exalter la
brillance de la musique d’Adams grâce à des percussions et des
cuivres alertes notamment dans Harmonielehre. Il faut dire que les
chefs convoqués pour l’occasion et sensibles à la musique du
maestro, veillent. Le maestro lui-même n’hésite pas à prendre la
baguette pour diriger son deuxième concerto pour violon,
Shéhérazade 2, en compagnie de Leila Josefowicz dans une version
nettement plus mordante que la version gravée sur le disque et
dirigée par un autre adepte de la musique du compositeur
américain, David Robertson.

Cette justesse dans l’interprétation permet ainsi de tirer toute la
quintessence du message philosophique de chacune des œuvres du
compositeur. Ce voyage dans la psyché humaine prend ainsi, en
voguant dans la tête de John Adams, une dimension ontologique. Et
on parvient brièvement à toucher du doigt son génie.

John Adams Edition, Berliner Philharmoniker,
dir. John Adams, Kirill Petrenko, Sir Simon Rattle,
Gustavo Dudamel, Alan Gilbert,
Berliner Philharmoniker label, 2017

Laurent Pfaadt

Interview d’Anouar Brahem

« La signification de la musique va au-delà de la simple signification des mots »

Brahem © Marco Borggreve

Le tunisien Anouar
Brahem est
certainement l’un
des plus grands
interprètes du oud
au monde. Album
après album,
composition après
composition, il trace
une œuvre singulière qu’il fait varier au gré de ses rencontres musicales. Son nouvel
album, Blue Maqams constitue une nouvelle incursion dans l’univers
du jazz. De passage à Paris, nous l’avons rencontré.

D’où vient ce titre, Blue Maqams ?

J’ai pensé à plein de choses différentes. Maqams sont les modes, les
schèmes musicaux. C’est juste un titre qui n’explique pas la musique
de l’album. Blue renvoie à la couleur bleue, apaisante, couleur de
l’infini, du ciel et de la mer. Ce disque m’a semblé plus apaisé que le
précédent. En donnant un titre à l’album ou à mes morceaux, je
cherche à donner à l’auditeur une clef pour ouvrir sa propre
imagination car chacun perçoit la musique selon sa propre
sensibilité. Ce qui me parait important c’est de permettre à
l’auditeur de fabriquer grâce à la musique ses propres images. Mon
intention n’est pas d’expliquer, de conditionner.

Mais même inconsciemment, vous orientez tout de même
l’auditeur même s’il est libre de fabriquer son imaginaire

Oui vous avez raison. Quand on donne un titre, il renvoie à une
signification. Mais moi, j’aime l’idée qu’il ne renvoie pas à quelque
chose de figé. Quand je donne le titre Persepolis’s Mirage, je suis
certain que la quasi-totalité de ceux qui écoutent n’ont jamais été là-
bas. Dans Persépolis, il y a certes l’image de la cité antique mais il y a
aussi la sonorité particulière du mot. Et le mirage peut être réel ou
irréel. Ce qui est intéressant pour moi c’est que les titres ouvrent
plus de questions que de réponses.

Parlez-moi de votre travail de composition

Au départ, je laisse les idées venir d’elles-mêmes. Il ne s’agit que
d’idées musicales qui viennent de bribes d’improvisation, de petites
ou de longues esquisses. Mais je n’y colle pas d’images prédéfinies.
Sur cet album, il y a trois pièces qui viennent d’une improvisation.
Puis de celle-ci je tire quelque chose sur laquelle je travaille, qui se
construit, que j’élabore, que je développe, qui prend une structure.
Donc les choix que je fais sont d’abord musicaux, artistiques,
esthétiques. Je sais où je ne veux pas aller mais je ne sais pas où je
vais. Après, la pièce acquiert sa propre autonomie et dicte le choix
des interprètes. Puis, elle ne prend sa forme définitive que
lorsqu’elle est interprétée.

Vous percevez-vous comme un poète musical ?

Quand je travaille, j’ai tendance à rechercher une forme de
dépouillement, à tendre vers un univers qui se rapproche de
l’univers poétique. Et dans la création, la musique est un espace de
liberté pour moi. Cependant, ce serait prétentieux de ma part de
dire que je propose mes musiques comme des poèmes. L’idée
musicale est avant tout abstraite et j’ai le sentiment qu’il ne faut pas
en faire trop. Cela donne le sentiment d’une fragilité dans laquelle
réside le mystère et que je dois préserver. La signification de la
musique va au-delà de la simple signification des mots. C’est tout
l’intérêt de la musique.

Laurent Pfaadt

Anouar Brahem,
Blue Maqams, ECM, 2017

Nézet-Séguin transcende Mendelssohn

Nézet-Séguin © nézet-séguin 2016

Le chef
d’orchestre
canadien signe
une magnifique
intégrale des
symphonies de
Félix
Mendelssohn

Il est des compositeurs dont l’œuvre est à la fois un testament et
un manifeste. Tel fut le cas des symphonies de Felix Mendelssohn
(1809-1847) qui dirigea en son temps le Gewandhaus de Leipzig
et reste le compositeur qui effectua le pont entre le classicisme et
le romantisme. C’est le sentiment qui ressort de l’écoute de cette
intégrale. Après John Eliot Gardiner qui vient d’achever la sienne
sous le label de l’orchestre symphonique de Londres, voilà venu le
témoignage discographique de Yannick Nézet-Séguin, directeur
en autres du Metropolitan Opera. Et il a eu l’intelligence, pour ne
pas dire l’audace, de confier cette tâche à un orchestre de
chambre, le Chamber Orchestra of Europe, dont l’excellence avait
ravi Abbado, Harnoncourt ou Haitink.

Enregistrées à la Philharmonie de Paris en février 2016, ces
symphonies témoignent d’une vivacité et d’une énergie assez
incroyables. La cinquième est à la fois douce (grâce à une
magnifique flûte) et épique, l’Ecossaise avec ses cordes incisives,
affûtées et ses magnifiques bois sonne tel une tempête déferlant
depuis la Mer du Nord. Ces mêmes cordes deviennent
langoureuses, très « Trauerische », parfois mystiques dans la
seconde symphonie. A chaque interprétation, on sent le travail du
chef, patient, obstiné, n’hésitant pas pousser l’orchestre dans ses
derniers retranchements sans pour autant le brutaliser. Il
commande mais n’impose pas.  Le son est parfois poli à l’extrême
comme dans la première symphonie. Mais il n’est en que plus
brillant, plus éclatant, plus sauvage dans la troisième. De cette
lumière jaillissent des reflets tantôt dorés dans la quatrième avec
son second mouvement plein de couleurs, tantôt de bronze avec
cette cinquième solennelle.

Nézet-Séguin se mue aussi en guide qui nous entraîne dans une
véritable histoire de la musique classique où l’on perçoit aisément
toutes les influences qui imprégnèrent l’œuvre de Felix
Mendelssohn. De Bach dans la deuxième symphonie-cantate
certainement la moins connue de toutes et bien servie par le
RIAS-Kammerchor, probablement le meilleur chœur en activité et
les voix de Daniel Behle et Karina Gauvin, à Mozart ou Haydn
dans la première, à Berlioz dans l’Italienne ou à Beethoven dans la
cinquième. Le Chamber Orchestra of Europe est là derrière son
maître, libérant son incroyable énergie. On le sent prêt à suivre
Yannick Nézet-Séguin n’importe où. Cela tombe bien car les voici
au panthéon discographique.

Laurent Pfaadt

Mendelssohn : symphonies 1-5, Chamber Orchestra of Europe,
RIAS-Kammerchor, Daniel Behle, Karina Gauvin
dir. Yannick Nézet-Séguin,

Deutsche Grammophon, 2017

L’éperon de la Baltique

La nouvelle
Philharmonie de
Hambourg compte
parmi les belles
réalisations
architecturales du
moment.

Le 11 janvier 2017 a
été inaugurée la nouvelle salle de concert de Hambourg. Celle que
l’on surnomme l’Elphi, le Philharmonie de l’Elbe, attire déjà tous les
mélomanes et les curieux de l’Europe entière. Il faut dire qu’il y a de
quoi. Conçue par le cabinet d’architectes suisses Herzog & de
Meuron, Prix Pritzker 2001 et à qui l’on doit notamment le stade
olympique de Pékin, le fameux « nid d’oiseau » ou le San Francisco
De Young Museum, sa forme de vaisseau ne laisse personne
indifférent. A l’intérieur, le bâtiment trapézoïdal qui avance comme
un éperon dans le port de Hambourg, comporte deux salles de 2150
et 550 places mais également un hôtel de 250 chambres, 45
appartements de luxe et surtout, perché à 37 mètres de haut, un
immense plateau de 4000 mètres carré où les auditeurs, depuis le
foyer, ont une vue imprenable sur les rives de l’Elbe.

Côté musique car après tout nous sommes dans une salle de
concert, la prouesse architecturale s’est doublée d’une réussite
sonore. Avec son agencement en vignoble à la manière de son aînée
berlinoise et en plaçant l’orchestre au centre, la musique rayonne de
partout. On peut presque toucher le chef. D’ailleurs, c’est ce qu’ont
pu apprécier les spectateurs du concert inaugural du 11 janvier
entre mélodies de Wolfgang Rihm et Ode à la joie de la Neuvième
de Beethoven. Pour ceux qui n’ont pu être là, le premier
enregistrement consacré à l’enfant chéri de Hambourg, Johannes
Brahms, permet également de se rendre compte de ce son cristallin
qui traverse tantôt furieusement, tantôt subrepticement les
troisième et quatrième symphonies du compositeur sous la
baguette de Thomas Hengelbrock et de l’orchestre de la radio de
Hambourg rebaptisé pour l’occasion NDR Elbphilarmonie.

Près de 600 000 visiteurs ont déjà pu admirer cette prouesse
architecturale comparable aux différents musées Guggenheim de
Bilbao ou de New York. Dresser sur la proue de ce navire qui avance
vers l’horizon, vos oreilles résonneront certainement de son passé
brahmsien mais se dresseront également au-delà de cet océan qui
vous fait face et d’où nous parviennent les échos de cette Amérique
de Varèse.

Laurent Pfaadt

A écouter :
Elbphilharmonie First Recording – Brahms:
Symphonies Nos. 3 & 4, NDR Elbphilharmonie Orchester,
dir. Thomas Hengelbrock, Sony Classical.

Tigran Mansourian

Dédié à la
mémoire des
victimes du
génocide
arménien perpétré
en 1915-1916, ce
requiem du
compositeur
arménien Tigran
Mansourian
frappe d’abord par
sa beauté sonore.
Cette œuvre, fruit
d’une longue
gestation, ne vise pas à impressionner l’auditeur par des effets
sonores dramatiques mais plutôt par une simplicité lyrique qui se
transforme en chant épique. On a ainsi l’impression d’entendre
une longue plainte s’échappant d’un monastère au sommet du
mont Ararat et envoyée par ce peuple à travers les âges.

Composée selon une structure classique, l’œuvre plonge ses
racines dans la musique médiévale pour rayonner. Interpellant
Dieu, les voix du RIAS Kammerchor, certainement l’un des
chœurs les plus brillants du monde, semblent traverser cet enfer
du génocide avant de parvenir à la béatitude. Avec cette œuvre
sacrée d’une incroyable beauté, Tigran Mansourian inscrit ce
Requiem dans la droite lignée de celui de Brahms.

Requiem, ECM New series, 2017

Laurent Pfaadt