Archives de catégorie : Ecoute

Ben Harper

Wide Open Light, Moludor

C’est l’album d’un retour aux sources. Celui d’une musique acoustique qui a fait sa renommée, il y a bientôt trente ans, une musique devenue presque minimaliste débarrassée de ses oripeaux superflus. Mais également celui d’un concentré d’émotions tiré de cette voix folk chevrotante à nulle autre pareille et chantant si bien l’amour. 


Le 18e album du chanteur californien, sorte d’album de photos collectées durant toutes ces années, avance ainsi sur les routes de l’amour, de sa déception à sa gloire en passant par son attraction dans un songwriting assumé et brillant. Yard sale (« vide-greniers »), premier single dévoilé et interprété avec son ami Jack Johnson, donne ainsi la mesure de cette atmosphère. Pareil à un vide-greniers, il y a dans l’amour des choses dont on voudrait se débarrasser, des choses que l’on oublie, des vieilleries à jeter mais également des merveilles cachées qui ne demandent qu’à être révélées. Sa guitare, inimitable, résonne magnifiquement dans ce Giving Ghosts enregistré en live et brille comme une lumière bienveillante dans cette douce nuit musicale. Dans Thank You Pat Brayer, c’est un au revoir instrumental et non un adieu que Ben Harper nous délivre.

Son duo avec Shelby Lynne dans 8 minutes constitue certainement l’un des plus beaux moments de l’album. Même si Ben Harper prévient dans un Trying Not To Fall In Love With You aux accents presque bréliens : « and the nights seems so long, and the days, how they linger in, on and on » (« et les nuits semblent si longues, et les jours, comme ils s’attardent, encore et encore »), il sera difficile de résister à ce nouveau disque. Alors, ne résistons pas.

Par Laurent Pfaadt

Ben Harper présentera son nouvel album au festival Jazz in Marciac, le 28 juillet 2023 pour un concert qui s’annonce une fois de plus extraordinaire.

Dejan Lazic

Quelle magnifique découverte que celle de la musique croate. Agé d’une quarantaine d’années, Dejan Lazic est un pianiste et un compositeur croate reconnu. Comme pianiste, il a joué avec de nombreux orchestres prestigieux comme ceux de Budapest, de Birmingham ou de Bamberg sous les baguettes d’Ivan Fischer, de Vladimir Ashkenazy et de Kirill Petrenko. En compagnie de ce dernier et du London Philharmonic Orchestra, il a ainsi signé une interprétation remarquée du deuxième concerto de Rachmaninov chez Channel Classics en 2009.


On sait moins qu’il est également un compositeur de talent. Et ce concerto pour piano et orchestre dans le style istrien créé en 2014 au festival d’Aspen puis révisé en 2021 vient ainsi confirmer toute l’étendue de ce talent. Dans cette œuvre, il rend un très bel hommage à la fois à cette gamme pentatonique istrienne composée de rythmes asymétriques mais également au sopila, ce hautbois croate typique de la musique de son pays. Cela donne une œuvre pleine de caractère libérant une multitude de couleurs mélodiques.

Placées sous le signe de l’Istrie, du nom de cette province à cheval entre l’Italie et la Croatie, les autres œuvres présentes sur ce disque rendent également un magnifique hommage à cette musique classique croate méconnue et pourtant extrêmement mélodique et belle. Avec L’Istrian suite de Natko Devčić (1914-1997) et l’hymne populaire d’Ivan Matetić Ronjgov (1880-1960), l’auditeur se voit offrir un magnifique voyage musical dans cette Europe orientale que les compositeurs croates, hongrois ou polonais magnifièrent en œuvres universelles. Une belle découverte donc.

Par Laurent Pfaadt

Istrian Rhapsody, Dejan Lazic, Ivan Matetic Ronjgov, Natko Devcic, Münchner Rundfunkorchester, dir. Ivan Repusic, BR Klassik

72 seasons

Metallica est de retour ! Le onzième album studio du groupe de heavy metal le plus célèbre du monde baptisé 72 saisons renvoie aux 18 premières années (72 saisons) de notre vie qui font ce que nous sommes et auxquelles nous revenons toute notre vie d’adulte. Elles « façonnent notre vrai ou faux moi » selon James Hetfield, guitariste et chanteur du groupe. Les titres de ces nouveaux morceaux traduisent d’ailleurs cette idée majeure, celle d’atteindre, de franchir, de transgresser ces limites que nous fixent la société, nos parents, notre inconscient. « Too far gone ? », « Chasing light » ou « You must burn ! » rappellent cette forme d’asservissement à l’enfance. « Room of Mirrors » renvoie également à cet inconscient que chaque adolescent se construit dans le regard des autres avant de devenir un homme.


Sept ans près Hardwired… to Self-Destruct sorti en 2016, Metallica remet ainsi le couvert avec des morceaux pleins de rythme et de fureur. Plus de quarante ans ont passé depuis la formation de ce quatuor de légende, les chevelures ont grisé mais la fougue et le plaisir de jouer sont demeurés intacts. Musicalement, les 12 titres de ce nouvel album sont une nouvelle fois, une pure merveille. Quelques fois, notamment dans le titre éponyme, avec cette mesure qui bat, on a l’impression d’effectuer un voyage dans le temps, palpant ce cœur qui se déchaîna depuis Kill em All. D’autres morceaux, plus lents comme Crown of Barbed Wire ou Inamorata rappellent ces marches funèbres qui sont désormais la signature du groupe.

Metallica sera en France, dans ce pays qui l’a aimé dès ses débuts, pour deux concerts exceptionnels au stade de France, les 17 et 19 mai. Préparez-vous ainsi à pénétrer cette Lux aeterna, la lumière noire éternelle de cet immense groupe de musique dont l’aura a définitivement dépassé le cadre du heavy metal. L’occasion d’entendre Master of Puppets popularisé par la série Stranger Things, For Whom the Bell tolls, Enter Sandman et bien entendu les titres de 72 seasons. Un concert et un album que vous n’oublierez pas de sitôt et qui ravira autant les fans de toujours que les nouvelles générations !

Par Laurent Pfaadt

Metallica, 72 seasons
Blackened Recordings/Universal Music

Ercole Bernabei

Le madrigal fut un genre musical polyphonique très à la mode aux 16e et 17e siècles. Essentiellement vocal, il associait des voix qui pouvaient cependant être remplacées par des instruments tels que le lirobe, ancêtre du violoncelle, ou la basse de viole dont les musicalités rappellent la voix humaine. Les plus avertis connaissent ainsi ceux de Giovanni Pierluigi da Palestrina qui en composa plus de 130 ou ceux de Claudio Monteverdi. C’est d’ailleurs dans cette Italie baroque, celle d’un autre compositeur romain, Ercole Bernabei (1622-1687) que nous plonge ce très beau disque.


Protégé du cardinal Flavio Orsini de la puissante famille des Orsoni qui donna papes et condottiere et à qui il dédie ces madrigaux, Ercole Bernabei est quelque peu oublié aujourd’hui. Avec ce disque, il est ressuscité de la plus belle des manières. Ces madrigaux, enregistrés pour la première fois, manifestent une incroyable beauté musicale. Il y a indubitablement quelque chose de céleste dans les voix de cristal de Myriam Arbouz et Marine Fribourg. Associées à la douceur de leurs homologues masculins, leur complémentarité est stupéfiante. L’ensemble Faenza est en appui, modulant son accompagnement avec intelligence. Le clavecin distille avec passion ses incursions et brille dans les toccata de Simonelli et passacaille de Pasquini tandis que théorbe et guitare, tels des oiseaux posés sur les branches de ce jardin musical, sont là pour nous rappeler la douceur du sud de l’Europe et de la vie artistique romaine.

Ces interprétations restituent ainsi à merveille l’atmosphère de ces palais romains où se retrouvaient prélats et puissants et où le théorbe de Bernabei devenait, à l’instar du pinceau d’un Pierre de Cortone, mort l’année de l’impression de ces quinze pièces, l’instrument d’un soft power qui ne disait alors pas encore son nom. Sans savoir que quelques 350 années plus tard, l’humanité finirait par se souvenir du compositeur et non du commanditaire grâce à ce disque merveilleux.

Par Laurent Pfaadt

Ercole Bernabei (1622-1687), Concerto madrigalesco,
Faenza dir Marco Horvat, EnPhases

Mendelssohn

Le quatuor Van Kuijk, célébré dans le monde entier, achève son intégrale des quatuors de Mendelssohn. Ce deuxième opus est indiscutablement dans la même veine que le premier et témoigne d’une remarquable maestria musicale, faîte de force et de sensibilité.


Si l’opus 44 n°2 est profondément vivifiant grâce à un rythme exaltant et une énergie assez incroyable où les musiciens ne font qu’un, le 3e est remarquable d’intelligence musicale. Mais le point d’orgue de ce disque réside indiscutablement dans cet opus 80 qui ouvre cet enregistrement, cette jeune fille à la mort mendelssohnienne composée d’une traite durant l’été 1847, cet été où Felix perdit sa sœur Fanny. Une œuvre en forme de cri de désespoir scandé par les archers en forme de chœur antique, emportant tout sur son passage dans cette tragédie musicale. L’apothéose d’une intégrale appelée à faire date. 

Par Laurent Pfaadt

Mendelssohn, Complete String Quartets vol.2, Quatuor Van Kuijk,
Outhere

Prokofiev

Du côté d’Amsterdam, le vent Milstein s’est à nouveau remis à souffler. Non celui de Nathan Milstein qui illumina le Concertgebouw, un soir d’octobre 1950 en compagnie de Pierre Monteux mais celui de Maria. Si aucun lien de famille ne lie les deux Milstein, Maria s’est certainement un peu inspiré de son homonyme pour nous livrer ce très beau disque qu’elle consacre aux deux concertos de Prokofiev.  


« La musique de Prokofiev est d’une fantaisie et d’une richesse sans bornes. La première fois que j’ai entendu le Premier Concerto dans l’enregistrement d’Oïstrakh, il a fait sur moi une impression indélébile. Les deux concertos sont extrêmement différents et illustrent des périodes distinctes de la vie de Prokofiev. Le climat poétique et céleste du Premier Concerto est une invitation dans un pays de rêve. Quant au Deuxième, il crée une sonorité grave et sombre dès la mélodie initiale » estime ainsi la violoniste franco-russe qui enseigne à Amsterdam et dont le grand-père, Iakov Milstein, fut professeur de piano au conservatoire Tchaïkovski de Moscou. 

Alliant à la fois virtuosité et sensibilité, son interprétation se veut à la fois subtile et tranchante, dans un style que n’aurait certainement pas renié le compositeur. La soliste est magnifiquement accompagnée par le PHION Orchestra d’Arnhem, très en verve. Un disque qui vaut vraiment la peine d’être rangé au côté de l’autre Milstein.

Par Laurent Pfaadt

Prokofiev, Violin Concertos, Maria Milstein, PHION Orchestra,
dir. Otto Tausk, Channel Records

Wolfgang Amadeus Mozart

La Messe du couronnement en ut de Mozart est l’une des œuvres sacrées les plus connues du compositeur. Commandée par l’archevêque de Salzbourg, le prince Colloredo-Mansfeld, l’œuvre est empreinte de ce désarroi que ressentit à cette époque le compositeur et qu’il transforma en joie. Dans cet enregistrement, l’Akademie für Alte Musik de Berlin, ensemble de musique de chambre de renom, a parfaitement su retranscrire cette émotion sous la conduite du chef Howard Arman et accompagné une nouvelle fois brillamment par le chœur de la radio bavaroise.

Mozart ne fut pas appelé Amadeus (« qui aime Dieu ») par hasard et cette interprétation d’une beauté rare vient transcender la dimension divine de l’œuvre. Le lyrisme qui s’en dégage, transcendé par des voix sublimes en particulier celle de Katharina Konradi dans cet Agnus Dei à vous donner des frissons, ajoutée aux couleurs vocales de Sophie Harmsen, donne ainsi à l’œuvre une puissance évocatrice proprement stupéfiante. L’ensemble et son chef, après le Requiem et la Grande messe en ut mineur poursuivent ainsi avec brio leur exploration du répertoire sacré du génie autrichien.

Par Laurent Pfaadt

Wolfgang Amadeus Mozart, Coronation Mass, KV317 ; Vesperae solennes de Dominica KV 321, Chor des Bayerisches Rundfunks,
Akademie für Alte Musik, dir Howard Arman
BR Klassik

Tchaïkovsky

Délaissant un moment ce Chostakovitch dont il a entrepris d’enregistrer l’intégrale des symphonies, Le London Symphony Orchestre et son principal chef invité, Gianandrea Noseda ont décidé de rester dans cette Russie qui ne s’appelait pas encore URSS pour s’atteler à deux figures du répertoire russe : Tchaïkovsky et Rimsky-Korsakov.


Monument de la musique symphonique romantique et pièce maîtresse de l’édifice musical tchaïkovskien, la cinquième est de loin la plus belle symphonie du compositeur, tout emplie de drames et d’émotions. Fidèle aux origines, d’une pureté presque parfaite, la version du chef italien est magnifique. Exaltant le lyrisme inhérent à l’œuvre grâce à des cuivres brillants qui donnent une impression de puissance sans exagération et manifestant un sens du tempo parfait, son interprétation est de très grande qualité et s’inscrit indiscutablement dans celle du grand Mravinsky réalisée en 1983 et gravée chez Erato. Avec ce disque supplémentaire, Gianandrea Noseda s’affirme un peu plus comme l’un des grands interprètes du répertoire russe en digne héritier des Mravinsky et Jansons.

La suite Kitezh plonge quant à elle l’auditeur dans une atmosphère de légendes et d’aventures. Grâce à son chef, le LSO est plus qu’un orchestre, c’est un conteur. On a hâte de les entendre sur les Tableaux d’une exposition de Moussorgsky. Un disque qui devrait trouver sa juste place dans la discothèque de tout passionné de musique russe.

Par Laurent Pfaadt

Tchaïkovsky, Symphony n°5, Rimsky-Korsakov, Kitezh Suite,
London Symphony Orchestra, dir. Gianabdrea Noseda
LSO Live

Joseph Haydn

C’est un Joseph Haydn arrivé à sa maturité qui composa en 1788 les quatuors de l’opus 54. Celui-ci demeure encore aujourd’hui comme une sorte d’absolu pour toute formation musicale.


La montagne était donc difficile à gravir pour le quatuor Psophos, ensemble français fondé en 1997. Pour autant l’ascension de ce monument fut facilitée par leur illustre aîné, le quatuor Ysaÿe, auprès de qui il s’est formé et qui a laissé non seulement une interprétation d’anthologie en 2006 mais également un enregistrement remarqué de l’opus 54.

Celui que propose le quatuor Psophos témoigne d’une incroyable beauté, presque iréelle. Ses mouvements apparaissent comme des neiges éternelles musicales, empreintes de sérénité, de légèreté et de sensibilité. Avec en guise d’apothéose l’adagio du n°2, véritable révélation mais également un apaisant allegretto du n°1 ou un largo du n°3 avec ses airs de vent. Pareil à du miel, cette musique nous apaise, nous enchante.

Léger comme un nuage posé sur le toit du monde musical que le quatuor Psophos a indéniablement atteint. On attend avec impatience l’ascension d’un nouveau sommet.

Laurent Pfaadt

Haydn, Opus 54, Quatuor Psophos,
Enphases

Brahms Symphonies 1-4

Avec le Concertgebouw d’Amsterdam et le Chamber Orchestra of Europe, le London Symphony Orchestra fut l’un des orchestres favoris du chef néerlandais Bernard Haitink, disparu il y a tout juste un an et qui est resté dans les mémoires pour ses interprétations de Bruckner et de Beethoven.


Le Brahms que donne à écouter ce magnifique coffret composé d’enregistrements de 2003 et 2004 au Barbican, est absolument grandiose. C’est un Brahms des origines, trempé dans le romantisme de son temps. Il y a là tout le génie du compositeur : une écriture musicale épique, rythmée que jamais Haitink ne trahit. Et s’il pousse parfois les cuivres notamment dans la troisième symphonie, c’est pour mieux mettre en valeur l’instant d’après, des bois lumineux. Sa première symphonie contient ce qu’il faut de l’héritage beethovénien. Cette intégrale symphonique inclut également une très belle version du double concerto avec Gordan Nikolitch, violon solo du LSO et Tim Hugh qui ont tous d’eux laissé un enregistrement mémorable du triple concerto de Beethoven avec Maria Joao-Pires (LSO live, 2019).

Avec Haitink, jamais d’emballement, pas de fougue surjouée mais toujours une puissance naturelle, sous-jacente, qui se manifeste au moment le plus opportun. L’ouverture tragique est d’ailleurs à l’image de cette conception. Le LSO se transforme ainsi sous la conduite du chef néerlandais en une sorte de quadrige divin tenu par un dieu de l’Olympe que rien ne perturbe. Un génie, un immense orchestre et un chef de légende réuni pour notre plus grand plaisir.

Par Laurent Pfaadt

Bernard Haitink, Brahms Symphonies 1-4, London Symphony Orchestra,
LSO label