Archives de catégorie : Ecoute

Assoluta, Béatrice Uria-Monzon

Assoluta servait à désigner, au XIXe siècle, les voix de ces divas à la
fois tragiques et tonitruantes, à l’aise aussi bien dans les aigus que
dans les graves.

Grace à sa voix à la fois sensible et puissante, à la tessiture douce
comme le velours et solide comme l’acier, entre mezzo et soprano,
Béatrice Uria-Monzon nous convie à un magnifique voyage dans cet
opéra italien qu’elle a chanté sur les scènes du monde entier.
Quelques airs connus comme le « Casta Diva » du Norma de Puccini
ou le « Pace, pace mio Dio » de la Force du Destin de Verdi,
semblable à un vent, feront frémir les néophytes. Des redécouvertes
comme ce magnifique « La Mamma morta » d’Andrea Chénier
d’Umberto Gioradano qui brille d’une incroyable émotion raviront
assurément les puristes. Le tout bien évidemment porté par un
orchestre haut en couleur et rompu au répertoire italien. 

C’est aussi l’occasion d’apprécier ce qui se fait de mieux dans l’opéra
italien. Moins médiatisée qu’une Netrebko ou qu’une Gheorgiu,
Béatrice Uria-Monzon n’en demeure pas moins l’une des plus belles
interprètes de ce répertoire. Il faut dire que la mode est aux
sopranos puissantes, capables de contre-ut à vous déchirer les
tympans. Avec Béatrice Uria-Monzon, la musique revient à sa
source, à ces divas qui inspirèrent les maestros italiens, à ces voix
qui ne cherchent pas à impressionner mais à inspirer, à ce souffle
enivrant et ténébreux. Plus qu’un astéroïde, ce disque invite ainsi à
contempler une étoile.

Par Laurent Pfaadt

Assoluta, Béatrice Uria-Monzon, Orchestra del Teatro Lirico Giuseppe Verdi di Trieste, dir Fabrizio Maria Carminati
Chez Aparté

Concertus Musicus Wien

Les dieux rassemblés sur l’Olympe de la musique. C’est un peu à cela
que ressemble ce magnifique disque. Bien évidemment, on ne
présente plus le Concertus Musicus Wien. L’une des plus
prestigieuses phalanges baroques s’aventure une fois de plus avec
brio dans le répertoire classique avec deux œuvres emblématiques
de cette période, la 5e symphonie de Franz Schubert et la 99de
Joseph Haydn. Immédiatement, la fidélité aux œuvres saute aux
yeux. Intimité – une formation orchestrale réduite – et chaleur de
l’interprétation liée à l’utilisation d’instruments d’époque donnent
l’impression de se trouver dans un salon viennois ou londonien. 

Stefan Gottfried avait la lourde tâche de succéder au pupitre à la
légende Harnoncourt dont il fut l’assistant. Et il faut dire qu’il s’en
tire avec les honneurs. Sa direction souple et alerte met
astucieusement les œuvres en valeur, surtout la 5e de Schubert
qu’Harnoncourt affectionnait particulièrement après une Inachevée
inquiétante, mystérieuse particulièrement réussie. La captation live
dans l’écrin du Musikverein de Vienne, haut lieu de la musique
viennoise, permet surtout, grâce au chef et ses musiciens, de les lier
et de comprendre l’influence qu’eut Haydn sur le jeune Schubert. Du
grand art assurément.

A écouter également : Schubert : (Un)finished, Symphony 7, Lieder,
Concertus Musicus Wien, dir. Stefan Gottfried, Aparté

Par Laurent Pfaadt

Schubert : symphonie n°5, Haydn : symphonie n°99, Concertus Musicus Wien, dir. Stefan Gottfried,
Chez Aparté

The Life and Passion of the Christ

Augustin Pfleger (1635-1686), compositeur de Bohème sort enfin
de l’oubli. Grace à l’Orkester Nord et à son chef, Martin Wahlberg, ce
contemporain de Dietrich Buxtehude entré au service du duc du
Schleswig-Holstein revient, plus de trois siècles après sa mort, de ce
purgatoire où résonnait certainement son incroyable Vie et Passion
du Christ.

Très ancré dans la tradition musicale baroque du nord de
l’Allemagne très bien mise en lumière par l’orchestre, ce dernier
nous raconte une histoire, presque un film musical. Le caractère
fascinant et biographique assez révolutionnaire pour l’époque de
l’œuvre nous dépeint ainsi Jésus en six épisodes. Avec la beauté des
voix et du chœur Vox Nidrosiensis, on a l’impression de se trouver devant un retable en perpétuel mouvement où se meuvent les
personnages du Nouveau Testament. Les équilibres sonores sont
parfaits et l’Orkester Nord et son chef nous offrent la sensation
d’être les seuls, au fond d’une chapelle, à écouter cette musique
d’une beauté, pour l’occasion, divine. Une belle découverte donc.

Par Laurent Pfaadt

Augustin Pfleger, The Life and Passion of the Christ, Orkester Nord, Martin Wahlberg, Vox Nidrosiensis, Aparté

Homelands

Assez rare pour être souligné, ce disque s’attache à mettre en valeur
les racines musicales des grandes œuvres du répertoire et les
influences folkloriques des grands compositeurs du 19e siècle et du
début du 20e siècle. Ainsi, l’ensemble Cythera, dirigé par le chef
Mihály Zeke, remarqué pour sa Naissance de Vénus, une sélection
de musiques chorales profanes françaises avec l’ensemble Arsys,
nous emmène cette fois-ci dans la Mitteleuropa, sur les traces de
Béla Bartók, de Zoltán Kodály, d’Antonin Dvořák, d’Arnold
Schoenberg ou de Johannes Brahms.

Bartók et Kodály arpentèrent les campagnes hongroises pour
collecter les chants paysans et les intégrer à la musique dite savante.
Leurs interprétations polyphoniques par l’ensemble Cythera
accompagné merveilleusement par la pianiste Marie Vermulin
laissent entrevoir cette dimension ancestrale, tellurique qui devait
d’ailleurs conduire Zoltan Kodaly à élaborer sa fameuse méthode
d’apprentissage du chant pour les enfants. Les duos moraves de
Dvořák sont emplis d’une affection touchante tandis qu’un certain
mysticisme plane au-dessus des chants populaires de Schoenberg.
Un premier volume déjà salué par la critique d’une série dont on a
hâte de découvrir les prochains opus.

Par Laurent Pfaadt

Homelands, vol. 1, ensemble Cythera, dir. Mihály Zeke,
Paraty

Miserere

Arvo Pärt est très certainement l’un des plus grands compositeurs
vivants. Son énorme production placée sous le signe du mysticisme
et de la méditation explose littéralement dans ce Miserere. De cette
œuvre musicale composée d’après le Psaume 51, « Miserere mei,
Deus »« Ô Dieu, aie pitié de moi », tout le monde a en tête la version
d’Allegri. Mais celle d’Arvo Pärt, composée initialement en 1989 et
révisée en 1992, n’a rien à envier à son lointain modèle, bien au
contraire.

Dotée d’une puissance émotionnelle absolument prodigieuse portée
par un orchestre très inspiré et qui fait oublier la version de
référence du Hillard Ensemble, cette version du Miserere, œuvre
que Nanni Moretti utilisa dans son film Habemus Papam est
véritablement portée par la grâce. Le caractère minimaliste de son
écriture, loin d’appauvrir l’œuvre, la transcende au contraire,
produisant un effet émotionnel similaire à celui de la troisième
symphonie de Górecki. Quant à son Dies Irae, il est bienveillant,
impérieux sans être punitif.

Une œuvre à posséder assurément dans sa discothèque.

Par Laurent Pfaadt

Arvo Pärt, Miserere, Chor des Bayerischen Rundfunks, Münchner Rundfunkorchester, dir. Howard Arman
Chez BR Klassik

Shostakovich

Shostakovich, Symphonies 9 & 10, London Symphony Orchestra, dir. Gianandrea Noseda

Parmi les quinze chefs-d’œuvres que constituent les symphonies de
Dimitri Chostakovitch, les 9 et 10e tiennent des places particulières,
celles où le compositeur a manifesté  sa défiance à l’égard de Staline.

Avec ce disque, le chef italien Gianandrea Noseda poursuit, à la tête
du London Symphony Orchestra, son exploration de l’œuvre
symphonique du génie soviétique. Dans la 9e, il traduit ainsi à
merveille ce sentiment de légèreté qui provoqua la colère de Staline.
L’orchestre flirte avec un onirisme porté jusque sur des rivages
sonores rappelant Debussy, assez éloigné de l’académisme d’un
Mravinsky par exemple. La patte italienne du chef transforme ainsi
cette critique musicale en opéra bouffe. Mais Noseda reste le plus
russe des chefs d’orchestre italiens et la 10e vient confirmer que la
baguette peut se muer en sabre. Ici, point d’hésitation. L’angoisse est
là et bien là, surtout dans ce deuxième mouvement, passage obligé
sur lequel est attendue chaque interprétation de l’une des
symphonies les plus connues du compositeur mais une
interprétation de qualité qui vaut le détour.

Par Laurent Pfaadt

Shostakovich, Symphonies 9 & 10, London Symphony Orchestra,
dir. Gianandrea Noseda, LSO Label

Knut Jacques & Morgane Le Corre

Composées alors que Mozart est reconnu comme l’un des génies de
son temps, ces sonates pour quatre mains forment à elles seules une
sorte de biographie musicale du compositeur.

Grâce à une interprétation tout en douceur de Knut Jacques et
Morgane Le Corre, mozartiens remarquables réunis au sein du duo
Pégase, il nous possible d’apprécier toute la beauté à la fois intrépide
et fragile de ces œuvres. L’utilisation d’un pianoforte Anton Walter –
l’un des facteurs favoris du génie – ainsi qu’une formidable prise de
son permettent ainsi de nous plonger dans une atmosphère presque
hors du temps, mystique qui nous révèle un Mozart avec ses doutes,
ses fragilités et en même son indéniable joie de vivre. Nos
interprètes n’ont vraiment rien à envier aux plus grands. Ecoutez
l’andante de la Sonate en fa majeur KV 497 et vous comprendrez.

Par Laurent Pfaadt

Mozart Piano 4 hands, Knut Jacques & Morgane Le Corre
Paraty

Armida d’Antonio Salieri

Poursuivant sa lecture musicale d’Antonio Salieri, Christophe
Rousset et ses Talens lyriques nous emmène cette fois-ci à la
découverte d’Armida, drame musical composé en 1771 qui raconte
les amours d’Armide (Armida) et de Renaud (Rinaldo) et dont il nous
offre le premier enregistrement mondial.

Car ce disque est un véritable cadeau. Une fois de plus,
l’interprétation touche juste. Une atmosphère intime très agréable
s’en dégage grâce à l’alchimie des Talens lyriques et du chœur de
chambre de Namur. On se sent ainsi privilégié de découvrir cet
opéra comme a dû peut-être le ressentir l’empereur et sa cour. De
plus, les voix portent à merveille ce drame. Avec sa palette sonore
stupéfiante entre puissance et murmure, Lenneke Ruiten campe une
Armida très convaincante surtout dans ses arias du troisième acte
tandis que le bariton anglais Ashley Riches brille en Ubaldo. Ses
intonations rappellent celles du commandeur du Don Giovanni de
Mozart. D’ailleurs Salieri n’avait que vingt ans lorsqu’il composa cet
opéra qui devait assoir sa renommée. Un petit génie déboulant dans
la musique. Comme Mozart. Deux cent cinquante ans plus tard,
Christophe Rousset rend ainsi un peu plus justice à ce compositeur
malaimé, injustement reconnu et qui pourtant influença le génie. Ce
disque en est une nouvelle preuve éclatante.

Par Laurent Pfaadt

Armida d’Antonio Salieri par les Talens lyriques
dir. Christophe Rousset,
Chez Aparté

MAHLER Das Lied von der Erde

A l’occasion de son
85e anniversaire, l’un
des plus grands chefs
français, Jean-Claude
Casadesus célèbre
Mahler et son Lied
von der Erde dans ce
formidable hommage
musical.

Avec ce son poli par
leur chef durant
toutes ces années,
l’orchestre national de Lille délivre une interprétation tout en justesse et en émotion,
exaltant magnifiquement la dimension tellurique de l’œuvre. Dans
cette performance collective, on notera tout particulièrement des
bois de haute volée, capable de passer d’une ambiance bucolique à
un son très langoureux, très « trauerische ». Les voix n’ont aucune
difficulté à s’insérer dans ce temple musical magnifique. Et lorsque
celle de la mezzo-soprano lituanienne, Violeta Urmana prend des
airs de pythie antique, la musique semble alors passer au second
plan.

Par Laurent Pfaadt

Mahler, Das Lied von der Erde, Orchestre national de Lille,
dir. Jean-Claude Casadesus, Evidence

Alexandra Conunova

Il faut le dire
d’emblée : on a vu
arriver ce disque
avec suspicion. Un
énième Quatre
saisons de Vivaldi
venant s’ajouter à
une production déjà
saturée. Et puis, on a
écouté. Dehors, les
arbres se balançaient
dans cet automne de
confinement. Et la
magie a opéré. Indiscutablement. La faute à Alexandra Conunova, merveilleuse
interprète de ce Guadagnini de 1735 qui vous tire des frissons. La
faute à Paolo Corsi et à son incroyable clavecin, compagnon de jeu
de la soliste comme un chat avec une pelote. La faute enfin à une
prise de son remarquable signée Nicolas Bartholomée et Hugo
Scremin.

Pas de démonstration sonore mais une succession de tableaux où le
violon se fait tour à tour vent d’automne, blizzard d’hiver, pluie
printanière et bien évidemment orage d’été dans ce morceau si
connu pour ensuite se muer en arc-en-ciel. Et parvenu à la fin du CD,
on le remet au début pour que cet incroyable voyage ne cesse pas.

Par Laurent Pfaadt

Alexandra Conunova, Vivaldi – Le Quattro Stagioni
Chez Aparté