Comme tu me veux

De Luigi Pirandello

Traduit de l’italien par Stéphane Braunschweig

Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

Être ou ne pas être Lucia, tel est le dilemme dans lequel se débat le personnage central  appelé « L’Inconnue »  dans cet opus peu connu de Pirandello, l’auteur italien dont Stéphane Braunschweig  a déjà monté plusieurs pièces que nous avons pu voir au TNS.


Tout commence, entre les deux guerres, dans les années 20 à Berlin, dans le bruit et la fureur d’un retour de cabaret où notre héroïne se produit comme danseuse, femme quelque peu dévergondée comme en témoignent les libertés que prennent avec elle les joyeux lurons qui l’accompagnent et envahissent l’appartement de son protecteur, un écrivain, Carl Salter qui essaie par tous les moyens de les mettre à la porte. Parmi eux s’est introduit un certain Boffi qui prétend la reconnaître comme épouse de son ami Bruno, lui attribuant, sans vergogne le prénom de Lucia, et bien décidé à la ramener auprès de ce mari qui la recherche depuis sa disparition dix années auparavant lorsque des soldats austro-hongrois envahissant le nord de l’Italie ont détruit sa villa et l’ont capturée.

 Elle, d’abord sûre de ne pas être celle qu’on nomme ainsi, résiste mais finit par céder car la tentation est grande de quitter sa vie épuisante et dissolue pour, semble-t-il, une vie meilleure en Italie. La voilà prête à jouer le jeu au point de douter de sa propre identité et de suivre Boffi .

Nous la retrouvons en Italie au sein de cette famille qui se persuade qu’elle est cette Lucia, enlevée disparue et malmenée lors des faits de guerre ce qui, selon eux, expliquerait ses oublis, ses hésitations à se reconnaître comme étant des leurs. 

Alors qu’elle essaie de semer le doute en eux, ils maintiennent qu’ils la reconnaissent et lui donnent chaleureusement son surnom de « Cia ». De son côté elle finit par comprendre qu’ils voulaient se servir d’elle, dans une histoire d’héritage qui pourrait revenir à sa sœur et non pas à son mari si elle était déclarée morte comme on l’a cru pendant des années. Sa réapparition rebat les cartes en faveur de ce dernier et la persuade qu’on l’a poussée dans une escroquerie qu’elle se refuse à cautionner. Leurs dénégations ne la convainquent pas. Une certaine confusion s’installe jusqu’à l’arrivée de Salter venu de Berlin avec La Folle, une pauvre fille handicapée accompagnée de son psychiatre. Ils apporteraient la preuve que c’est elle la vraie « Lucia ». Le trouble gagne l’assemblée d’autant que la pauvre fille ne cesse de crier « Léna, Léna » le nom de sa tante qui l’a élevée après la mort de sa mère. L’inconnue, devant cette assemblée médusée, expose ce qu’a été sa vie de femme légère à Vienne puis à Berlin jusqu’à ce qu’elle accepte de renoncer à elle-même pour devenir auprès de son mari soi-disant retrouvé « comme il la voulait, lui ».

Cet aveu, ce dévoilement lui servent de viatique pour décider de repartir avec Salter alors que Léna très émue se rapproche délicatement de La Folle.

La mise en scène laisse tout le loisir aux comédiens d’exprimer ces sentiments de doute, ces fausses reconnaissances,  les tensions qui en résultent et qui les font parler haut et fort dans des élans destinés à se convaincre eux-mêmes que ce qu’ils veulent croire est crédible, voire justifiable. De ce fait, le ton monte souvent, les piétinements d’impatience se multiplient comme les entrées et sorties des personnages parfois en plein désarroi confrontés aux doutes des uns et aux certitudes des autres. Il faut tout le talent et l’engagement des comédiens pour entrer dans ce jeu complexe qui doit confronter les faits et les émotions. Tous se sont révélés à la hauteur et bien sûr on a retrouvé les comédiens que Stéphane Braunschweig  sollicite habituellement Sharif Andoura, Claude Duparfait, Annie Mercier à côté  de Chloé Réjon qui campe « L’Inconnue » avec une sincérité bouleversante et, Clémentine Vignais qui joue ce rôle difficile de « LA Folle ».

Tous évoluent  dans les costumes signés comme toujours par Thibault Vancraenenbroeck, sous les lumières toujours délicatement mesurées de Marion Hewlet, et la musique finement choisie par Xavier Jacquot.

Pour situer le propos dans l’époque, les années après la première guerre mondiale, le metteur en scène propose des vidéos de Maïa Fastinger montrant des soldats sur  un champ de bataille et un discours tonitruant de Mussolini devant une foule enthousiaste, des images suffisamment expressives pour faire comprendre combien le nazisme et le fascisme marquent la vie des gens et entraînent  des séquelles  incommensurables telles qu’on les voit à l’œuvre dans cette pièce écrite en1929 par Luigi Pirandello qui vient de s’exiler à Berlin.

Une pièce  véritable source de réflexion sur l’histoire et sur la question de l’identité.

Marie-Françoise Grislin

Représentation  du 27 février au TNS