Scream VI

Un film de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett

Un an à peine après son retour, Ghostface revient semer la mort, mais quitte le cocon douillet de la petite ville californienne (et fictionnelle) de Woodsboro, pour l’animation perpétuelle de la Big Apple.

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Commencée il y a 26 années sous la caméra du regretté Wes Craven, la célèbre franchise revient dans les salles obscures pour la sixième fois, pour le plus grand bonheur des amateurs de whodunit et de meurtres à l’arme blanche. Pour varier les « plaisirs », les scénaristes ont décidé de planter l’histoire dans l’univers foisonnant de la ville qui ne dort jamais. À chaque coin de rue New York offre au récit un cadre idéal, propice à la suspicion et l’angoisse. Véritable fourmilière géante, la ville est ici un personnage à part entière, qui ne laisse aucun répit à ses supposés héros.

L’ouverture du film est tellement classique : la sonnerie d’un téléphone ! Au-delà de la figure imposée, cette première scène démontre la sincérité des réalisateurs. Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett sont parfaitement conscients du poids de l’histoire : il y a les éléments incontournables, et ceux dont on peut s’affranchir. Dans la catégorie des premiers, le téléphone (et sa sonnerie, si possible bien stridente) en est un, les gentils héros/survivants des épisodes passés en sont un autre, de même que les nouveaux venus, forcément suspects, même s’ils ont l’air totalement sincères et inoffensifs. Les ingrédients principaux ne changent pas, mais la recette subit à chaque nouvel opus de subtiles variations. Certaines sont heureuses, d’autres non.

Les commentaires méta sur le genre sont bien là, ils ouvrent même le bal, avec le personnage de la prof de fac qui attend patiemment son rendez-vous au bar d’un restaurant banché de la ville. Celle-ci est (évidemment) enseignante de cinéma, avec une spécialisation sur le sous-genre du slasher. Pour sa seconde collaboration avec le duo de metteurs en scène (elle incarnait le personnage principal de leur sympathique comédie d’horreur Wedding Nightmare il y a 3 ans), Samara Weaving apparaît le temps de quelques scènes introductives bien développées, avant de devoir tirer brutalement sa révérence.
Le premier meurtre surprendra par son issue. Et la suite plus encore ! Le concept de tueurs multiples, copycat ou non, a déjà été utilisé au cinéma. Il est ici employé avec une grande ironie, qui sera constante tout au long de l’histoire (jusqu’à la scène post-générique). Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett ne se contentent pas de faire un film dans le film, ils dépassent à certaines occasions le cadre rigide du sous-genre, sans lui manquer de respect. Certains fans n’ont évidemment pas été d’accord avec l’usage qu’ils font des armes à feu (Ghostface ne peut que se servir d’une arme blanche, selon eux, alors imaginez-le armé d’un fusil à pompe !!!), et certains personnages importants ont parfois l’irritante capacité de ressusciter, et pourtant, ce sixième épisode de la saga est une réussite.

Soumis à un cahier des charges assez strict, Scream VI s’en sort avec les honneurs. Les rebondissements sont nombreux, les mise à morts aussi, et le concept du slasher prend parfois de la hauteur -évidemment pour souffler le chaud et le froid- pour le plus grand bonheur de son public.

Certaines scènes se distinguent, comme celles, anxiogènes, se déroulant dans le métro bondé de New York, ou dans un ancien cinéma de quartier abandonnée, véritable sanctuaire à la mémoire des sanglants événements des films précédents. Le concept de famille est développé de manière intéressante, puisqu’au-delà du duo composé des sœurs Carpenter, Samantha (Melissa Barrera) et Tara (la comédienne Jenna Ortega, la « Mercredi » de la série Netflix du même nom), Mindy (Jasmin Savoy Brown) et Chad (Mason Gooding, fils du comédien Cuba Gooding Jr) sont à nouveau de la partie, formant avec les deux héroïnes une bien étrange famille de survivants, depuis les tragiques événements du précédent film. La psychologie complexe de Samantha est à nouveau scrutée à la loupe, ses liens avec le tueur originel refaisant surface dès les premières scènes.

Petit plus du film, déjà utilisé l’année dernière, Scream VI fait en effet revenir le personnage de Billy Loomis en deux occasions, offrant aux nostalgiques de la première heure de quoi raviver d’agréables souvenirs. C’est donc naturellement lorsque Samantha est mise à rude épreuve que le visage familier de Skeet Ulrich réapparaît, lui permettant de trouver les ressources de se défendre et faire face à son agresseur. Issu du passé, Billy Loomis lui explique que sans lui la jeune femme ne serait peut-être pas celle qu’elle est aujourd’hui. Elle ne peut renier ses origines, pas plus qu’elle n’est responsable des tueries de l’époque. Le personnage de Samatha donne une orientation un peu différente au concept d’héroïne développé dans les quatre premiers films. Elle n’est en effet ici pas uniquement la jeune femme en détresse de l’histoire, elle est aussi la fille d’un homme très perturbé, dont les pulsions meurtrières ont marqué la petite bourgade de Woodsboro il y a un quart de siècle. Une dernière petite précision, ne quittez pas trop vite la salle au moment du générique, un petit clin d’œil vous attend juste après, illustrant parfaitement l’ironie du concept et le recul qu’a le film sur lui-même…

Jérôme Magne

Le Bleu du Caftan

Un film de Maryam Touzani

Adam, le précédent film de Maryam Touzani, a remporté une trentaine de prix à travers le monde mais sorti au début du Covid, il n’a pas rencontré le public qu’il méritait. Déjà Lubna Azabal s’y imposait et dans Le Bleu du Caftan, elle irradie par sa présence aux côtés de Saleh Bakri, acteur palestinien au regard plein d’humanité et Ayoub Missioui, un jeune marocain qui devrait connaître un bel avenir. Co-écrit et produit par Nabil Ayouch, Le Bleu du Caftan qui a raflé entre autres le prix du jury au festival du film de Marrakech et le prix FIPRESCI à Cannes, est un film sensible sur la question de l’homosexualité vécue comme un tabou et brise les clichés sur la femme dite opprimée en terre musulmane.


Dans la vieille médina de Salé, ville marocaine sur l’Atlantique, un tailleur perpétue la tradition de la confection du caftan, longue robe brodée de fil d’or portée à l’occasion des fêtes. Halim est un maalem, un maître artisan. Film très sensuel, le tissu entre ses mains prend corps, épouse le corps. Il est dit que l’âme du maalem est dans le caftan qu’il a confectionné, ne comptant pas ses heures. Le film est un hommage à cet artisanat qui se perd et prend son temps pour montrer les gestes, l’aiguille qui travaille le fil d’or qui prend forme en des circonvolutions, boucles et boutons.  

Mais les temps sont durs ! Difficile de concurrencer la couture industrielle avec machines quand un caftan nécessite des semaines de travail. La femme de Halim, Mina, tient la boutique et s’occupe de la vente. Youssef, un jeune apprenti, se présente à leur service. Chacun cache un lourd secret dont l’amour aura raison dans cette société de non-dits où les personnages évoluent.

L’idée de son film date des repérages pour Adam. La rencontre d’un homme, un coiffeur, a été déterminante, ravivant chez la réalisatrice des souvenirs de couples croisés quand elle était petite puis adolescente, comprenant après-coup leur relation tissée de non-dits pour sauver les apparences. Comment ces couples vivaient-ils leur secret ? Comme l’amour inconditionnel scellait-il leur relation de manière indéfectible ? Halim parle peu et cache son homosexualité. Les cabines individuelles du hammam offre un abri à ses désirs. En un seul plan, Maryam Touzani revisite l’image des backrooms. Rien n’est montré, tout est dit. Mina devine l’attirance de Halim pour Youssef. Elle sait depuis toujours l’amour de son homme pour les garçons. Mais Le Bleu du Caftan est plus riche, plus subtil que ce pitch réducteur. L’Amour circule entre les trois personnages au-delà des rapports préétablis et établis. Un moment où ils dansent tous les trois sublime leur relation à la fois amoureuse, fraternelle voire filiale. Mina est la femme de Halim mais elle est aussi la mère qui remplace celle qu’il a perdue quand elle l’a mis au monde, la sœur, l’amie complice. C’est Mina qui l’a demandé en mariage, c’est elle qui initie leurs étreintes. Elle est entrepreneuse, rebelle dans une société où il est mal vu qu’une femme s’attable à un café, révoltée contre l’ordre établi qui est une entrave à la liberté d’aimer en public. En creux se dessine le portrait de cette femme si pleine d’amour pour Halim et qui ne veut que son bonheur et lui dira « Donne-toi le droit d’aimer », comme un Sésame pour l’avenir. Maryam Touzani espère changer les regards sur l’homosexualité qui n’est pas un tabou qu’au Maroc. Elle croit au pouvoir du cinéma, à celui des histoires racontées avec vérité et conviction. On veut le croire avec elle.

Elsa Nagel