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Des comètes dans le désert

La figure du Christ – Rembrandt
© Louvre Abu Dhabi

Le siècle d’or hollandais est à
l’honneur d’une magnifique
exposition du Louvre Abu
Dhabi 

C’est presque une histoire de
roman. Il existerait ici, dans un
comptoir d’Arabie, sur la
route de Jakarta à Rotterdam,
un portrait du Christ de
Rembrandt. De nombreux
voyageurs occidentaux ont
contemplé son étrange
beauté sans avoir pu le ramener. Pourtant, ce tableau
de petite taille, cette étude pour la figure du Christ qui rappelle celle
de la Hyde Collection de New York n’est autre que la dernière
acquisition du Louvre Abu Dhabi, magnifique musée posé sur la mer
et bâti autour d’un partenariat entre treize institutions artistiques
françaises et l’émirat d’Abu Dhabi.

Renouvelant en permanence ses collections et bien décidé à en faire
un carrefour des civilisations, le musée présente une exposition
fascinante sur le siècle d’or hollandais. Fruit de la collaboration entre
le Louvre parisien et la collection privée Leiden qui a accepté de
prêter quelques-uns de ses incroyables chefs d’œuvre, l’exposition
qui regroupe près d’une centaine d’œuvres suit la trace des grands
maîtres de la peinture hollandaise du XVIIe siècle, à commencer par
son plus illustre représentant, Rembrandt. D’emblée, le visiteur est
frappé par le sens du détail de ce dernier, par cette capture quasi
instantanée de moments de vie, d’attitudes physiques qui donnent
l’impression que le sujet va s’animer, s’échapper de la toile dans
laquelle il semble, un court instant, prisonnier. Les plis du cou de
l’Etude de la femme à la coiffe blanche ou les mains bleuies du portrait
de la femme assise les mains jointes
constituent ainsi de parfaits
exemples de l’art incomparable du portrait rembrandtien. Mais le
meilleur reste à venir avec cette Minerve peinte alors que
Rembrandt, installé à Amsterdam, est au faîte de sa gloire. La déesse
est là, en majesté. Sa cape aux reflets moirés semble glisser sur
l’accoudoir du fauteuil. On s’avance, prêt à retenir le vêtement divin
s’il venait à glisser hors du cadre.

L’exposition prend grand soin de montrer les influences du génie de
Leyde à commencer par Pieter Lastman et surtout Jan Lievens qui
fut son ami mais également son rival. Il y a indubitablement des
traits communs dans ces barbes et dans cette influence de l’école
caravagesque d’Utrecht mais la magie de Rembrandt prend
inévitablement le dessus, cette magie qui a, très vite, relégué Lievens
dans une ombre qu’un astucieux atelier pédagogique permet de
comprendre en analysant le jeu de lumières de ses Joueurs de cartes.
Car il faut se rendre à l’évidence, Rembrandt est unique. « Reconnu
comme l’un des plus grands conteurs de l’histoire de l’art, Rembrandt
avait un don exceptionnel pour révéler l’âme humaine dans ses peintures » 
reconnaît d’ailleurs Manuel Rabaté, directeur du Louvre Abu Dhabi. Rembrandt fut une comète dans la peinture occidentale si bien qu’il n’eut véritablement pas d’héritier digne de son art, seulement des peintres se réclamant ou disons-le imitant son génie, aussi brillantes d’ailleurs furent ces imitations.

Si ce siècle d’or avait ses astres, nombreuses furent également ses
étoiles. Sous nos yeux se succèdent ainsi scènes de la vie
quotidienne avec leurs intérieurs parfois insérés dans des niches
comme chez Gabriel Metsu, figure de proue avec Gérard Dou de la
peinture fine, peinture historique d’un Ferdinand Bol ou portraits
d’un Caspar Netscher qui ferme en quelque sorte ce siècle. Mais le
siècle d’or de la peinture hollandaise resterait incomplet sans cette
autre comète, Johannes Vermeer. Celui qui révolutionna la peinture
avec son traitement de la lumière arrive presque en apothéose de
l’exposition. Deux tableaux du génie sont ainsi montrés mais quels
tableaux. La jeune femme assise au virginal de la collection Leiden,
seule peinture de Vermeer possédée par un fond privé et la
dentellière
du Louvre sont, pour la première fois, réunies dans un
dialogue stupéfiant. Outre le fait que ces deux œuvres aient été
peintes sur le même rouleau de tissu, il y a là un lien dirions-nous
presque charnel entre les deux oeuvres. Et le visiteur, venu chercher
un trésor, en découvre alors une multitude.

Par Laurent Pfaadt

Rembrandt, Vermeer et le siècle d’or hollandais :
Chefs-d’œuvre de la collection Leiden et du musée du Louvre,
jusqu’au 18 mai 2019 au Louvre Abu Dhabi.

Rencontre, Interview

« Notre volonté n’est pas d’imiter mais de conduire »

 

 

HE Said Saeed Ghobash

Son, sous-secrétaire au
département de la culture et
du tourisme d’Abu Dhabi
nous explique la stratégie de
l’émirat.

  1. Les Emirats Arabes Unis sont
    connus pour être un lieu de
    business. Pourquoi avoir
    alors fait de la culture un
    outil diplomatique ? 

Les Emirats Arabes Unis sont
connus pour être un haut-lieu du business international et
un marché attractif pour les investisseurs. Mais c’est également un
pays possédant une importante histoire et une culture riche de
plusieurs siècles de commerce entre civilisations développées.
Aujourd’hui, devenu un carrefour culturel et géographique du
commerce et des voyages, nous voulons raconter au monde entier
cette histoire. Notre but est d’assurer un équilibre prudent entre
innovation et authenticité. Ainsi les valeurs de tolérance, de respect
et d’unité côtoient celles d’entreprenariat, d’ambition et de
croissance. L’importance de la culture comme élément de notre
identité nationale ne peut être minimisée et c’est pourquoi elle
représente une priorité majeure pour Abu Dhabi. Beaucoup a été dit
et écrit sur notre promotion de la culture mais pour nous, il s’agit
réellement d’un élément constitutif de la construction de notre
nation.

  1. Pourquoi pensez-vous que la culture est un élément
    fondamental de développement ? 

La culture englobe tellement de choses : architecture, sport, art,
artisanat, gastronomie, art de vivre et valeurs. Ces éléments sont en
mutation permanente mais demeurent essentiels au développement
des sociétés. Notre mission est de faire de l’émirat l’une des
destinations touristiques et culturelles majeures du monde. Notre
volonté n’est pas d’imiter mais de conduire. Nous voulons être les
architectes du tourisme du futur, dessinant un chemin audacieux,
innovant et original, tout en repoussant les frontières de la culture
et du tourisme pour permettre à nos citoyens mais également aux
résidents et aux visiteurs d’embrasser le passé et, en même temps,
d’entrer dans le futur. Cependant, il ne s’agit pas uniquement de
créer une industrie prospère. Des programmes sont ainsi menés
pour attirer de jeunes et brillants talents émiratis au sein de
secteurs économiques et les inciter à concevoir les solutions de
demain qui allieront croissance et respect de l’environnement. Car
Abu Dhabi souhaite construire une industrie culturelle touristique
qui soit durable et qui s’inscrive dans sa vision d’une économie forte
et diversifiée, modèle pour les autres cités du monde arabe et
référence en matière de responsabilité.

  1. Parlez-moi un peu de vos efforts pour mettre en valeur votre
    patrimoine

C’est notre mandat et notre impérieuse responsabilité de
promouvoir à la fois la richesse de notre héritage et de nourrir en
même temps une scène artistique en pleine croissance tout en ayant
à l’esprit la vitalité des cultures que nous accueillons ici, dans l’un des
lieux les plus multiethniques du monde. Nous avons actuellement
quelques-uns des sites patrimoniaux les plus importants du monde
notamment Al Ain, avec ses six oasis ainsi que les sites
archéologiques d’Hili, d’Hafeet, et de Bida bin Saud. Mais  nous
voulons également montrer le rôle qu’ils ont joué dans l’histoire du
monde. A travers eux, ils indiquent que l’histoire d’Abu Dhabi s’est
construite autour de la résistance et de l’innovation.

  1. Comment le Louvre Abu Dhabi et le site Qasr al Hosn incarnent
    ce que le Sheikh Zayed Al Nahyan disait, estimant que
    “ quiconque ne connait pas son passé ne peut pas tirer le meilleur de son présent et de son futur 

Qasr Al Hosn est emblématique en tant que référence majeure de
l’histoire et de l’héritage d’Abu Dhabi. Il raconte l’histoire de la ville
et celle de ses gens. C’est un peu le point de départ de notre histoire,
sorte de “mémoire vivante”, synonyme de la résurgence d’Abu Dhabi,
de la période du commerce de la perle et du pétrole jusqu’à
l’émergence de la mégalopole qu’elle est aujourd’hui. De l’autre côté,
le Louvre Abu Dhabi est la marque de notre ambition future en tant
que nation. C’est un site ancré dans des valeurs humaines et qui
combine une vision culturelle commune nourrie de l’expertise de la
France en matière d’art. Ensemble ces deux sites témoignent de
l’importance de notre passé et indiquent notre direction pour
l’avenir. Abu Dhabi veut ainsi être reconnu comme une force motrice
d’une Arabie moderne et comme une preuve de notre
investissement futur.

Par Laurent Pfaadt

Un bouclier contre la barbarie

Plusieurs ouvrages
reviennent sur le
pouvoir de la
musique comme
arme de résistance
dans les camps nazis.

Le camp  de
concentration de Theresienstadt ou
Terezin en Tchécoslovaquie regroupa de nombreux artistes juifs et
notamment des musiciens comme le célèbre chef d’orchestre Karel
Ancerl ou le compositeur Viktor Ullman, élève de Schönberg. Il fut
présenté par la propagande nazie comme un camp modèle mais la
réalité fut toute autre. Parmi les nombreux musiciens enfermés là-
bas, un autre chef d’orchestre, Raphaël Schächter, eut l’idée
d’interpréter le requiem de Verdi. Plus qu’une simple interprétation,
ce dernier souhaitait « prouver l’imposture, l’aberration des notions de
sang pur ou impur, de race supérieure ou inférieure, démontrer cela
précisément dans un camp juif par le moyen de la musique, cet art qui
mieux peut-être que tout autre lui semblait pouvoir révéler la valeur
authentique de l’homme »
écrivit ainsi Josef Bor dans son ouvrage
paru en 1963 et qui retrace cette fantastique aventure.

L’idée folle de Schächter se mua vite en quête. Le recrutement des
chanteurs, la collecte des instruments s’apparentèrent à des actions
de résistance. Et les déportations successives qui obligèrent
Schächter à recomposer les rangs jusqu’à la dernière minute
n’empêchèrent jamais ces hommes et ces femmes de clamer, à
travers leurs chants et leurs instruments, leur volonté de vivre, de
résister. Dans cet Hosanna lancé à la face de la barbarie et dont
l’écho parvint certainement jusqu’à Auschwitz, il n’y avait plus ni
juifs, ni chrétiens mais juste une humanité transfigurée par la
musique.

Le 16 octobre 1944, Schächter arrivait à Auschwitz pour y être
assassiné. Six mois plus tôt, une autre grande musicienne, Alma Rosé
mourait dans le même camp. Grâce à l’extraordinaire biographie que
lui ont consacrée Richard Newman et Karen Kirtley et nourrie de
plus de cent entretiens, le lecteur français peut enfin découvrir ce
personnage extraordinaire et pourtant quasi inconnu de la musique
classique au 20e siècle. Prodige du violon et fille d’Arnold Rosé,
premier violon de l’orchestre philharmonique de Vienne et grand
ami de Gustav Mahler, Alma Rosé s’activa pour défendre la place des
femmes dans la musique. Arrêtée en France et déportée vers
Auschwitz, elle poursuivit là-bas ce combat avec d’autres femmes
dont la pianiste Fania Fenelon et la violoncelliste Anita Lasker-
Wallfisch, en créant l’orchestre des femmes d’Auschwitz. Au sein de
ce dernier, Alma Rosé fit preuve d’une exigence qui ne lui valut pas
que des amis et devint très vite une personnalité du camp. Sans
doute était-elle convaincue que ces femmes produisaient quelque
chose qui allait bien au-delà de la musique.

Là-bas comme à Terezin, la musique constitua une arme de
résistance à la barbarie nazie qui décimait leurs rangs. Alma Rosé
permit ainsi à de nombreuses femmes, en les intégrant à son
orchestre, de leur éviter une mort certaine. « Le monde extérieur ne
pourrait jamais comprendre ce qu’avaient vécu les femmes de l’orchestre
– la profondeur de leur détresse, la singulière étendue malgré tout de leur
étrange chance. Grâce à Alma, elles étaient restées du côté des vivants »

écrivent ainsi les auteurs. Mais pas elle. Newman et Kirtley
reviennent d’ailleurs sur le décès de cette dernière, le 4 avril 1944,
qui a longtemps suscité une controverse avant que des analyses ne
concluent au botulisme.

Raphaël Schächter et Alma Rosé ont été tués non seulement parce
qu’ils étaient juifs mais également parce qu’avec leur musique, cette
chose inconcevable dans ces lieux de mort, ils redonnaient espoir
aux condamnés. Leurs orchestres étaient décimés par les convois et
les assassinats dans les chambres à gaz, mais à chaque fois, ils
reconstituaient leurs armées musicales. Et très vite, il devint évident
que ces armées sans cesse renouvelées ne pourraient être vaincues.

Les SS, nourris de Bach et de Beethoven, ne comprirent jamais
l’extraordinaire force de cette musique qui allait les balayer. « Ces
Juifs allaient bientôt devoir chanter le Requiem pour eux-mêmes, comme
un glas de leur propre mort. C’était sans doute ce que Eichmann trouvait
si divertissant 
» écrivit Josef Bor en évoquant le cynisme de
l’architecte de la solution finale venu écouter Raphaël Schächter et
Alma Rosé. Vingt-sept ans plus tard, Eichmann ne riait plus dans sa
cage en verre. Et son requiem était alors d’une pathétique banalité.

Par Laurent Pfaadt

Josef Bor, le Requiem de Terezin,
les éditions du Sonneur, 128 p.

Richard Newman & Karen Kirtley, Alma Rosé, de Vienne à Auschwitz,
Notes de nuit, 500 p.

Tout ce que nous allons savoir

Melody Shee avait une vie simple.
Mais une leçon de piano avec
Martin Toppy, le fils d’un
personnage important de la
communauté des gens du voyage
va changer sa vie à jamais. Dans ce
récit qui avance comme un journal
de grossesse et qui évoque un peu,
du côté maternel, le Dans une coque
de noix
de Mc Ewan, Donal Ryan
montre parfaitement la lente
construction d’une maternité
façonnée par des interdits sociaux. Tout en devenant mère, Melody
doit faire l’apprentissage de la souffrance, de la frustration et du
jugement d’autrui.

Au-delà de sa simple histoire, Tout ce que nous allons savoir entraîne
le lecteur dans quelque chose de plus grand. Le roman parle du
temps qui avance au contact de ces petits évènements, de ces choix
en apparence insignifiants et pourtant fondamentaux et de ces
rencontres qui, au final, modèlent nos vies. C’est l’être humain, dans
sa plus complète essence, confronté à son temps, à ses mœurs et
tentant de lutter contre ces derniers, qui réside entre ces pages.
L’ombre de Mme Bovary plane assurément sur Melody.

Par Laurent Pfaadt

Donal Ryan, Tout ce que nous allons savoir,
Chez Albin Michel, 288 p, 2019

L’étoffe du destin

D’un côté Christophe-Philippe
Oberkampf, le célèbre industriel
français inventeur de la toile de
Jouy au XVIIIe siècle et qui a sa
station de métro. De l’autre, Alina
Diop, migrante sénégalaise fuyant
l’excision et le terrorisme. Dans ce
roman où se croisent des
personnages qui n’ont, a priori,
aucun lien, Sébastien Palle a su
construire un merveilleux récit qui
parle non seulement d’immigration
mais surtout de cette formidable capacité qu’a chaque être humain
de se dépasser et de vaincre l’impossible pour transcender son
destin.

L’un comme l’autre sont des étrangers, des migrants. Oberkampf
l’Allemand et Alina l’Africaine arrivés en France au terme de périples
à risques. Malgré les murs érigés par une France bridée par un corps
social fermé ou des considérations racistes, ils n’ont pas renoncé.
Grâce à la beauté des mots de Sébastien Palle, descendant
d’Oberkampf, ils feront de leurs handicaps des forces qui, couplées à
une forme de génie, leur permettront de convaincre empereurs
d’hier et d’aujourd’hui. A l’heure du repli sur soi, le roman de
Sébastien Palle constitue non seulement une bouffée d’air salutaire
mais fait également œuvre de salubrité publique.

Par Laurent Pfaadt

Sébastien Palle, L’étoffe du destin,
Aux Editions Héloïse d’Ormesson,
352 p, 2019

Mary Queen of Scots

La force d’un grand
film tient bien
souvent à sa
dramaturgie. Mais
celle-ci doit être
portée par une
grande musique.
Souvent de très bons
films ont été
massacrés par une
musique
inappropriée ou
volontairement
décalée. Rien de tel ici, bien au contraire. Grace à la puissance de sa composition, la
musique de Max Richter, compositeur issu du minimalisme,
influencé par Steve Reich notamment et rendu célèbre par sa
réinterprétation des Quatre Saisons de Vivaldi (DG, 2012),
transcende un film à la beauté stupéfiante.

Utilisant dès l’ouverture, un motif répété aux percussions, Richter
donne ainsi le ton, celui d’un récit épique qui avance lentement vers
la tragédie de la reine Marie d’Ecosse. La passion de Richter pour la
musique de la Renaissance est immédiatement perceptible.
Cependant, la grande force et la beauté de sa composition résident
dans sa capacité à la rendre contemporaine. Cela donne au final
quelque chose qui ressemble à l’Akhnaten de Philip Glass. Un récit
historique musical qu’on ne se lasse pas d’écouter et qu’y s’apprécie sans images.

Par Laurent Pfaadt

Max Richter, Mary Queen of Scots
Chez Deutsche Grammophon.

Leopold Mozart

Pendant longtemps,
Léopold Mozart
accepta de vivre dans
l’ombre du génie de
son fils. Il mit entre
parenthèses son
talent de
compositeur qui fut
réel comme en
témoigne cette Missa
Solemnis
si bien que,
pendant longtemps,
on attribua cette œuvre à un éclair de
génie de son jeune fils.

Avec cet enregistrement succédant à celui, unique, de 1982, Léopold
Mozart apparaît non plus comme le père de Wolfgang mais bel et
bien comme le premier des Mozart. Si cette Missa Solemnis s’inscrit
encore dans la musique de son temps dominée par Bach, sa beauté
n’en est pas moins grande. Et à l’écoute de ce disque, il y a
indubitablement un « son » Mozart porté brillamment par
l’orchestre philharmonique de chambre de Bavière, originaire
comme Léopold, d’Augsbourg, qui maintient à merveille les
équilibres sonores avec les chanteurs, et surtout plante les graines
de la future grande messe en ut mineur du fils. A découvrir donc de
toute urgence.

Par Laurent Pfaadt

Missa Solemnis, Bayerische Kammerphilharmonie,
Alessandro de Marchi, Aparté
Chez BR Klassik

Requiem pour L. par Les Ballets C De La B

C’était le 1er Mars au Maillon

Elle, la femme aux cheveux ondulés, en désordre, est en train de mourir. Son image est projetée en gros plan sur l’écran en fond de scène. Cette mort programmée, nous allons devoir l’accompagner jusqu’au bout  et cela déclenche  cette angoisse de l’inévitable que l’on a tous connue lors de la disparition d’un être cher. Elle sera vite balayée par l’animation qui va gagner le plateau sur lequel  sont  alignés de grands plots noirs rectangulaires, des sortes de tombeaux, nombreux, rapprochés les uns des autres. Par les allées arrivent progressivement les protagonistes, chanteurs, danseurs musiciens qui entament bientôt cette longue et belle cérémonie funèbre qui marie de façon subtile et inattendue des extraits du « Requiem » de Mozart et des chants congolais.

C’est ainsi en effet qu’Alain Platel, le chorégraphe et Fabrizio Cassol, le compositeur ont conçu cette rencontre entre la musique classique et celle venue du lointain et africain Congo, créant une oeuvre  captivante et déroutante puisqu’elle  nous déstabilise sans cesse, entre des sonorités, des rythmes différents  que trois musiciens font surgir en live sur le plateau accompagnant les marches, les sauts, les glissades, les évolutions des danseurs  qui réussissent à s’approprier ces espaces étroits, restreints entre les grands tombeaux dont la surface leur sert parfois de piste. Ils font preuve d’une remarquable agilité donnant une incroyable vie à ce champ mortuaire C’est là  aussi que prennent place les chanteurs lyriques pour le répertoire classique en latin et les chanteurs issus de la tradition orale  pour les mélopées dans les langues africaines, lingala, swahili, tshiluba ou kikongo.

Surprenant, envoûtant, ce spectacle nous a bouleversés sans que la tristesse liée à la représentation de la mort nous gagne et nous détourne de ce parti pris d’une célébration tournée vers la vie, vers la rencontre heureuse entre des artistes venus de cultures différentes faisant montre d’un même engagement dans leur prestation.

Ainsi l’universalité de la mort et la nécessité de s’y confronter nous sont-elles  données à voir et à entendre et de la manière la plus créative.

Par Marie-Françoise Grislin

Le Tigre

L’auteur de La vérité sur l’affaire Harry
Québert
signe un petit conte
savoureux. Baptisé le Tigre, ce texte
écrit en 2004 alors qu’il n’a que dix-
neuf ans, est une sorte d’épigone
russe de la Bête du Gévaudan. Un
Tigre décime hommes et troupeaux
en Sibérie. La population effrayée
s’en remet à son tsar qui promet une
montagne d’or à celui qui lui
ramènera le tigre. Ivan, jeune
Pétersbourgeois qui rêve de fortune
et de gloire, part alors sur les traces du monstre.

La très belle narration ainsi que les illustrations de David de Las
Heras plongent immédiatement le lecteur dans cette atmosphère
russe qui n’est pas sans rappeler Gogol. Avec eux, la frontière avec le
fantastique qui sied si bien à ces histoires de monstres, de paysans
massacrés et de vastes étendues est toujours atteinte mais jamais
franchie. Mais très vite, la chasse laisse place à une quête, celle de
l’homme en proie à sa propre peur qui, tel le tigre, croit à mesure
qu’il prend conscience à de sa fragilité.

Par Laurent Pfaadt

Joel Dicker,
Le Tigre,
Aux Editions de Fallois, 64 p.

Poèmes choisis

A l’occasion de son 80e anniversaire, il
nous est possible de découvrir l’œuvre
du poète Volker Braun. Couronné par
le Prix Georg Büchner en 2000 –
l’équivalent du Prix Goncourt pour
l’Allemagne – ces Poèmes choisis qui
s’étalent des années 60 à 2013 offrent
une magnifique palette de l’œuvre de
Volker Braun. Car il faut bien le dire,
Volker Braun est un véritable peintre
des mots. Utilisant tous les styles
poétiques, de la forme classique au
poème en prose, il compose de
magnifiques tableaux littéraires en y
associant des jeux de mots, de l’argot ou des mots coupés.

Comme autant d’éléments disparates, ces derniers forment
ensemble une langue qui ne ressemble à aucune autre. Elle sonne
dans une forme de banalité lyrique, aux antipodes d’un Hölderlin ou
d’un Goethe qui traversent certaines des compositions de Braun et
frappent par son ironie souvent mordante mais toujours lucide. Et
lorsqu’elle s’aventure sur des thèmes tels que ceux de l’écologie, de
l’économie de marché ou de l’immigration, elle fait mouche. Le
propre d’un grand écrivain n’est-il pas de déranger ? Avec Volker
Braun, le vers est dans le fruit…

Par Laurent Pfaadt

Volker Braun,
Poèmes choisis,
Chez Poésie/Gallimard, 192 p.