L’International Booker Prize 2023 revient à l’écrivain bulgare Gueorgui Gospodinov
Time shelter (Le pays du passé en français) de l’auteur bulgare Gueorgui Gospodinov remporte l’International Booker Prize 2023. Il devient ainsi le premier livre écrit en bulgare à être sacré par le prestigieux prix qui, par le passé, a honoré d’autres écrivains venus de l’Est de l’Europe comme Ismaël Kadaré (2006), Laszlo Krasznahorkai en 2010 et la prix Nobel Olga Tokarczuk (2018) et récompense depuis 2006 un livre étranger traduit en anglais. L’International Booker Prize est également l’occasion de souligner le travail si précieux des traducteurs, ici en l’occurrence celui d’Angela Rodel. Le jury présidé cette année par la romancière Leïla Slimani a vu dans Le pays du passé, un « roman brillant, plein d’ironie et de mélancolie ».
Le très beau roman du bulgare Gueorgui Gospodinov sorti il y a près de dix-mois en France (Gallimard) entraîne ainsi son lecteur dans une clinique un peu spéciale dirigée par un certain docteur Gaustine. Celle-ci permet à ses patients atteints d’Alzheimer pour la plupart de replonger dans leur passé grâce au décor de chambres inspirées d’une époque favorite de leur vie. Mais la tentation de se replonger dans ses souvenirs peut s’avérer dangereuse surtout quand cette méthode vient à être utilisée par des Etats pour revenir à un passé plus ou moins glorieux. Dans ce livre inclassable à la frontière entre le réel et l’imaginaire, l’auteur, disciple revendiqué du grand Borges, nous propose une réflexion à la fois drôle et glaçante sur la mémoire, le passé et l’utilisation que nous en faisons. Ce roman paru avant la guerre en Ukraine a ainsi pris une nouvelle actualité avec celle-ci. De quoi lui redonner une seconde vie dans les librairies.
Par Laurent Pfaadt
Gueorgui Gospodinov, Le pays du passé, traduit du bulgare par Marie Vrinat-Nikolov Coll. du monde entier Gallimard, 352 p.
Une pièce étonnante qui nous a remplis d’un vrai bonheur intérieur, ravivant en nous la joie de vivre. Elle nous vient de Belgique où elle a été créée au Toneelhuis d’Anvers en janvier 2002.
Elle est l’œuvre de Benjamin Abel Meirhaeghe, un jeune auteur belge, né en 1995, qui a déjà acquis une solide réputation de créateur inventif, original dans le monde du théâtre musical.
Quand une déchirure apparaît sur le rideau de scène c’est pour laisser entrevoir des profondeurs sombres comme celles d’une grotte primitive sillonnée d’éclairs et remplis de fumigène (Scénographie et lumière Zaza Dupont) une silhouette de femme qui s’avance, nue vers nous, accompagnée de sons grondants, pour nous, inviter à réfléchir sur nous puis d’une manière surprenante elle se met à émettre des sons avec une voix suraiguë.
Le rideau s’ouvre, le plateau est envahi bientôt par un groupe de jeunes comédiens-danseurs, quatre filles et quatre garçons (Hanako Hayakawa, Alice Giulani ,Els Mondelaers, Lucie Plasschaertghouti, Khaled Baghouti, Clément Corillon, Victor Dumont, Antonio Fajardo) qui se poursuivent, virevoltent, pleins d’aisance dans leur costume de corps nus soulignés d’une ceinture noire, support de leur micro. Rencontres par deux, par trois, par petits groupes. On s’enlace, s’embrasse, s’affronte, « le combat de Tancrède » n’y est pas pour rien superbement chanté à pleine voix par l’un des leurs et puis on se disperse, s’éparpille. On court parfois, on saute parcourant l’espace avec fougue, ou bien on s’affale sur le sol. Toute gestuelle se pratiquant avec élégance, grâce, spontanéité comme dans une improvisation de rencontres intempestives. Il n’y a pas de temps morts mais des plages de silence qui succèdent au chant, à la musique qu’interprètent en live les trois musiciens, Pieter Theuns, théorbe, Rebecca Huber, violon, David Wish, violon, et Wouter Deltour à l’électronique, installés, côté cour en fond de scène.
C’est à eux que revient d’interpréter les extraits de la
musique de Monteverdi pour les « Madrigali
guerrieri et amorosi » que le compositeur italien écrivit en 1638,
les partitions étant arrangées par le compositeur Doon Kanda qui les agrémente
de sons électroniques et la direction
musicale signée Wouter Deltour.
Après s’être égarés, on se rassemble, on se retrouve autour
de ce feu primitif, accroupis, allongés, parfois dans une tendre proximité et
l’on chante, un s’improvise guitariste pour un accompagnement discret, clin
d’œil, ici au feu des hommes préhistoriques, au feu de camp des scouts et l’on
suit cela avec amusement et petit pincement au cœur.
Les intentions du metteur en scène et de sa dramaturge
Louise van den Eode de rapprocher les époques et les arts, la musique, le
chant, la danse, et même la peinture avec ces tableaux qui descendent des
cintres, sans oublier les jeux de lumière avec entre autres ce porteur de faisceaux
laser qui viennent éblouir jusqu’aux spectateurs, leur volonté de s’éloigner du
conventionnel et de l’académisme se manifestent avec pertinence et de façon
incontestablement ludique.
C’est un moment d’une grande intensité émotionnelle et joyeuse
quand, au final ils entonnent en chœur le chant qui les montre encore tous rassemblés
devant nous qui avons hâte de les
applaudir.
Sous-titré La mémoire et la mer, le concert de l’OPS donné les 20 et 21 avril derniers débutait par une création de Bruno Mantovani, suivie d’œuvres de Prokoviev et de Debussy. Alexei Volodin tenait la partie piano et l’orchestre était dirigé par Aziz Shokhakimov.
Inspiré par l’invasion, en septembre 2020, du Haut-Karabagh par un Azerbaïdjan soutenu par l’armée turque, évènement politique vite enterré par le virus Sarcov-2, Mémoria pour orchestre à cordes est le fruit d’une commande passée au compositeur Bruno Mantovani dans le cadre de sa résidence à Strasbourg. Dédiée à la mémoire de quatre étudiants de l’Université française d’Erevan, morts durant les combats, l’œuvre se déploie en un seul mouvement dont le long crescendo initialet le diminuendo finalencadrent une impressionnante cadence pour violon solo, vaillamment soutenue par Charlotte Juillard. Rassemblées au grand complet (64 musiciens), les cordes de l’OPS exécutent une musique insolite, jouant de la division entre les différents pupitres et distillant une atmosphère assez envoutante, à la fois tendue et contemplative.
Net changement d’atmosphère avec le troisième concerto pour piano de Prokoviev, qui s’inscrit dans l’exaltation futuriste des années 1920. Le piano de Prokoviev – grand pianiste lui-même – est toujours une épreuve pour ses interprètes : Rachmaninov lui-même s’avouait en difficulté dans ce troisième concerto ! Dès l’entrée du premier mouvement allegro, Alexei Volodin et Aziz Shokhakimov ne font pas dans la demi-mesure. Ce caractère de combat entre piano et orchestre ne les empêchent pourtant pas de faire sonner les cinq belles variations du mouvement lent avec toute l’éloquence qui sied. Dans le dernier mouvement, d’une énergie roborative, Volodin fait preuve d’une aisance confondante pendant que Shokhakimov allume un feu d’artifice orchestral.
Après l’entracte, il s’est levé un grand vent, le soir de ce 20 avril, sur La Mer de Debussy. Dans la langue de la météo marine, on eût parlé d’une ‘’houle très forte, voire grosse’’. Moyennant un orchestre au brio irréprochable, la traversée ne fut toutefois pas désagréable. Reste cependant qu’à l’écoute d’accords aux accents implacables et d’une lumière très blanche, on s’est bien souvent cru dans le Poème de l’extase d’Alexandre Scriabine plutôt que dans La Mer de Claude Debussy.
Entrer dans le musée Porsche, c’est voir bien plus que
des voitures
Dès le parking souterrain le
visiteur a l’impression d’être dans le musée tant les Porsche des visiteurs s’y
alignent, modèles et couleurs variés. De l’une d’elle, une 911 GT3 RS verte
pomme sortent Christian et Marco, deux frères suisses. « Je suis un
amoureux de Porsche depuis toujours et je suis venu ici plusieurs fois. Mon
frère Marco ne connaissait pas le musée. Alors je l’ai accompagné »
dit-il en souriant, visiblement heureux de revenir.
Qui n’a jamais voulu tourner la
clé de contact d’une Panamera ou entendre rugir sous son pied une 911 ? Ici
dans ce temple monumental de modernité Porsche se vit, se touche. On y croise
toutes les générations, petits comme grands et tout type de visiteurs. Ici un
prêtre en soutane se renseignant sur Porsche pendant la seconde guerre mondiale.
Là un touriste indien se faisant photographier dans la 718 Boxter. Dans le
musée, l’histoire de la saga est bien évidemment relatée, de sa fondation par
Ferdinand Porsche en 1931 jusqu’à aujourd’hui, mais le visiteur côtoie aussi des
modèles qui changent au gré des envies alliant ainsi pédagogie et plaisir.
Ce dernier est comme un enfant.
Il peut toucher les carrosseries comme s’il s’agissait de reliques, les pneus
des F1, le volant qu’à dû tenir James Dean dans sa 550 ou s’assoir dans les
nouveaux modèles. Les enfants se prennent en photo devant la Sally Carrera de Cars.
La 911 trône bien évidemment en majesté avec ses modèles de course ou de
tourisme et toise un peu sa petite sœur 928 qui suscita tant de controverses
avant de rappeler avec les autres membres de la famille, de la mythique 914 S
de 1969 à la fière 718 Cayman T 2019 et sa couleur rouge – petit pied de nez à
sa rivale italienne – que Porsche c’est en 2023, une histoire faîte de 75 ans
de rêves et de passion.
Cette passion, la marque la
brandit dans les plus grandes courses du monde, notamment aux 24h du Mans, de
la 917 de Steve McQueen barrée du logo orange Gulf en 1971 à la 919 hybride,
victorieuse en 2015 avec ses airs de vaisseau spatial en passant bien
évidemment par la mythique 962C qui réalisa un doublé en 1986-1987. Pénétrant
dans la salle des trophées, le visiteur a le choix, via un écran tactile, de
revivre ces grandes courses.
En Formule 1, la McLaren d’Alain
Prost est là pour nous rappeler que Porsche en tant que motoriste remporta deux
titres de champion du monde avec TAG. D’ailleurs, le visiteur aguerri peut
ausculter la mythique mécanique. Chacun y va de son commentaire sur tel
cylindre ou sur le système de freins. Ou tout simplement s’imprégner de
l’esprit Porsche. « J’ai voulu voir ce musée parce que j’adore les
voitures et je préfère les musées spécifiques que les grands musées. Pour
m’imprégner du style Porsche » confie Iouri, un réfugié ukrainien qui
se prend en photo devant la Carrera GT de 2006.
Car Porsche raconte cela. Cet esprit qu’il a insufflé, dans la course, au cinéma et dans la société occidentale moderne. Au terme d’une balade de plusieurs heures, le temps est venu de redescendre sur et sous terre pour retrouver sa voiture dans le parking souterrain. Et en tournant la clé de contact, le visiteur, encore imprégné d’un rêve qui tarde à se dissiper, s’attend toujours à entendre le moteur d’une 911.
A noter que la nouvelle application du musée sera disponible dès le 9 juin 2023
A lire :
Pour tous ceux qui souhaiteraient se replonger dans
l’univers Porsche et découvrir leur modèle favori, on ne saurait trop leur
conseiller le livre de Brian Laban Quintessence Porsche (Glénat)
Un casque jaune barré de vert et de noir. Dans le monde la F1 et au-delà, tout le monde sait qui le portait. Un casque devenu mythique comme le bouclier d’Achille. Ce casque qui, comme son alter ego antique, ne lui servit à rien face à la force du destin qui, il y a 29 ans, s’abattit à Imola, sur lui et sur le talon d’Achille de sa Williams Renault. Ce destin qui le frappa dans le virage du Tamburello de ce 7e tour, alors qu’il était en tête, alors qu’il semblait, comme Achille, invincible.
Reste le mythe forgé dans un
airain inoxydable depuis toutes ces années que viendra encore renforcer la
minisérie à venir sur Netflix en 2023. Avant cela, livres et BD se sont emparés
de ce héros des temps modernes pour raconter la vie de ce prodige trois fois
champion du monde qui remporta 41 grands prix et signa 65 pôles position. Ainsi
dans leur livre consacré aux champions du monde de Formule 1 (Casa éditions),
Daniel Ortelli, Loïc Chenevas-Paule et Jean-François Galeron rappellent que « le
souvenir de son talent immense ne s’est pas encore estompé, bien au
contraire. »
Avec Alain Prost, il écrivit l’une
des plus belles pages de la mythologie automobile, après avoir vaincu un Niki
Lauda sur le déclin à Monaco dans cette course d’anthologie où le pilote
français obtint une victoire de raison. Avec Senna, il y eut quelque chose de
plus qui dépassa le cadre F1 pour affecter même ceux qui ne s’intéressaient pas
aux courses, quelque chose qui le fit entrer dans une pop culture résumée par
les mots de l’écrivain Éric Genetet : « Senna, c’est la grande
classe, il avait dans les mains la magie d’un grand pianiste et dans les yeux
la justesse d’un félin ».
Frères ennemis chez McLaren
Honda, prêts à rejouer l’Iliade sur l’asphalte du monde, dans ce combat
à mort qui anime les hommes depuis la nuit des temps, les deux pilotes se
livrèrent une lutte éternellement recommencée. Ils eurent leur Ulysse (Nigel
Mansell qui dut attendre 39 années pour revenir en vainqueur dans sa patrie),
Enée (Berger, le parfait lieutenant) ou Patrocle (Damon Hill). Deux hommes de
chaque côté d’un miroir en rouge et blanc avec pour affrontement ultime Suzuka,
terre de samouraïs où Achille, s’étant fait hara-kiri, laissa filer le titre à
son ennemi avant de se muer en kamikaze pour, l’année suivante, obtenir une
revanche…homérique
Les Homère du 9e art
racontèrent cet épisode devenu mythique. Ainsi Christian Papazoglakis, Robert
Paquet, Lionel Froissart rappelèrent que le grand guerrier ne fut jamais aussi
fort que sous cette pluie tombée du ciel qui vainquit tous ses adversaires et
qu’il chevaucha des destriers parfois modestes qu’il transforma en étalons et
soumit les plus rétives de ses montures comme la McLaren MP 4/4 pour en faire
l’une des plus belles machines de combat.
Vingt alors la tragédie de ce 7e
tour du Grand Prix d’Imola en 1994, cette année horribilis pour le sport
automobile, une tragédie que le monde entier contempla devant sa télévision « Il
faisait beau et le grand prix des dimanches était un rituel. La scène en
elle-même n’était très impressionnante parce qu’il y avait des sorties de route
assez souvent. Ici, pas d’explosion, juste un tête-à-queue. Donc je crois que
je ne me suis pas rendu compte tout de suite que c’était si grave. A cette
époque on commençait à passer et repasser en boucles les images, je me souviens
d’avoir ressenti une sorte de dégoût de revoir encore et encore les images, de
cette société du spectacle que je ne théorisais pas du tout mais que je
ressentais de cette façon » se souvient Nelly Mladenov, attachée de
presse indépendante qui avait douze ans à l’époque. Septième tour fatidique lorsque
Senna, frappé au talon de sa voiture, rejoignit l’Olympe du sport automobile.
« Dois-je au superbe Achille accorder la victoire ? Son téméraire orgueil, que je vais redoubler, croira que je lui cède, et qu’il m’a fait trembler… » lançait Agamemnon dans l’Iphigénie de Racine à propos du célèbre guerrier grec. Les dieux de la F1, eux, n’ont rien cédé, bien au contraire. Ils ont accueilli sur l’Olympe ce héros dont l’aura continue toujours et encore de se répandre sur nous, simples mortels.
Par Laurent Pfaadt
A lire :
Daniel Ortelli, Loïc
Chenevas-Paule, Jean-François Galeron, Les champions du monde de Formule 1,
Casa éditions, 176 p.
Christian Papazoglakis, Robert
Paquet, Lionel Froissart, Ayrton Senna, Histoires d’un mythe, Coll Plein gaz,
Glénat, 2014
Le musicien et compositeur égyptien
a été désigné personnalité culturelle de l’année 2023 par le principal prix littéraire
du monde arabe
Son nom ne vous dit peut-être pas
grand-chose et pourtant, de l’autre côté de la Méditerranée, Omar Khairat, 75
ans, est l’un des musiciens et compositeurs les plus célébrés du monde arabe. Du
Maroc à Oman, en passant par Tunis ou Abu Dhabi, nombreux sont les habitants de
ces pays à se souvenir de ses notes composées pour le film Le Sixième jour
(1984) ou la série télévisée Le Jugement de l’Islam plus récemment.
C’est également lui qui composa la musique de l’inauguration de l’opéra de
Dubaï où il se produisit à nombreuses reprises en compagnie des plus grandes
voix de la planète notamment José Carreras en 2016.
Le Sheikh Zayed Book Award vient
aujourd’hui récompenser cette personnalité culturelle majeure du monde arabe,
succédant notamment à l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, à l’UNESCO, à l’Emir
de Dubaï, Son Altesse le Sheikh Mohammed Bin Rashed Al Maktoum ou au Dr
Abdullah Al-Ghathami, récompensé l’an passé.
Omar Khairat est né en 1948 au
Caire. Après des études au conservatoire de la capitale égyptienne, il débute
en tant que batteur du groupe populaire de rock égyptien Les Petits Chats à la
fin des années 1960 avant de mettre ses talents de compositeur au service du
cinéma et de la télévision.
Les œuvres de Khairat font désormais
parties du répertoire de la musique égyptienne contemporaine et mêlent dans une
subtile alchimie musique orchestrale et mélodies orientales qu’il a interprété,
en tant que pianiste, lors de concerts restés dans toutes les mémoires. « Au
Sheikh Zayed Book Award, nous nous engageons à mettre en lumière chaque année d’éminentes
personnalités culturelles, artistiques ou créatives, qui ont apporté une
contribution remarquable au mouvement culturel qui sera transmise aux
générations futures. Nous sommes fiers de témoigner notre reconnaissance à
l’une des figures de proue de la musique et de la culture arabes, et le
musicien Omar Khairat est certainement l’une de ces figures ; sa musique
suscitera toujours du sens et de profondes émotions, portant dans ses notes les
marqueurs de notre culture, qu’il a su brillamment mélanger avec d’autres
cultures, créant des chefs-d’œuvre intemporels qui resteront gravés dans notre
mémoire et dans notre identité » a ainsi déclaré Son Excellence Dr Ali
Bin Tamim, secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award.
La désignation de ce compositeur qui a su, dans ses œuvres, tracer des ponts musicaux entre l’Orient arabe et l’Occident vient un peu plus conforter la démarche d’une capitale des Emirats Arabes Unis souhaitant apparaître comme l’un des carrefours culturels majeurs de la planète. Après avoir été désigné ville de la musique en 2021 par l’UNESCO et lieu d’un important festival de musique qui essaime dans le monde entier, Abu Dhabi affirme ainsi son soutien à la musique, instrument de rapprochement du monde arabe et des autres cultures, tout en suscitant le développement d’échanges culturels afin de rapprocher sociétés et générations. Ce prix constitue également une nouvelle étape pour la capitale des Émirats arabes unis dans ses efforts visant à mettre en évidence la richesse de la composition arabe et de l’histoire de la musique et à ainsi réitérer son dévouement aux arts et à la culture sous toutes leurs formes.
Un livre passionnant raconte l’histoire de la Porsche 911
Trois chiffres résonnant comme un mythe, comme une icône. Modèle phare de la marque, la Porsche 911 est entrée, depuis sa conception en 1963, dans l’imaginaire collectif comme nous le rappelle Serge Bellu dans son livre passionnant. Construit comme un journal séquencé en neuf grandes étapes, ce livre relate la vie de cette gamine indomptable depuis ce salon de Francfort où elle dévoila sa ligne inimitable entretenue depuis au gré de looks et de liftings successifs qui lui valurent de nouveaux soupirants ou, au contraire, des amoureux déçus.
Elle eut plusieurs pères : « Butzi », le petit-fils de Ferdinand Porsche qui façonna son berceau, Anatole Lapine qui fit d’elle une femme ou Michael Mauer qui lui retira sa coque en septembre 1997 avant de lui préférer sa petite sœur Panamera. Mais cette fille a de la ressource, croyez-moi. Elle est farouche, en course surtout quand elle a un Martini dans le ventre ou qu’elle a pour amant, un Gérard Larousse qui se passe de mots pour l’emmener au septième ciel. Farouche aussi quand elle s’affuble d’un Carrera sur ses flancs comme on porterait un T-Shirt moulant Armani et qu’elle file à 240 km/h, ou quand elle libère sa chevelure peroxydée pour la laisser voler au vent au début des années 80.
On a tous notre modèle favori
mais il faut bien reconnaître qu’avec sa poitrine opulente (des pare-chocs
renforcés pour satisfaire les exigences américaines), un cul d’enfer avec cet
aileron, et une facilité à emballer, la 911 Turbo sortie en 1974 fut la plus
belle. Notre beauté, cette Claudia Schiffer automobile, n’avait alors que 19
ans et était partie pour conquérir le monde et devenir « la » 911. D’ailleurs,
pour se pardonner d’avoir fait tourner tant de têtes, la marque offrit la
millionième Porsche, une 911, à la police fédérale allemande.
La quarantaine arrivant, elle se
mua en femme fatale avec une poupe affinée et des ailes élargies. La génération
993 devint alors la préférée des Porschistes. Des lunettes jugées trop sages
(996) furent vites remplacées par des lentilles de contact qui lui permirent de
retrouver son regard de braise.
Très vite la 911 est entrée dans notre
imaginaire collectif grâce notamment au cinéma et à la télévision. On ne compte
plus les films et les séries télévisées où elle fit son apparition comme une
actrice débutante avant de jouer les grands rôles aux côtés des plus grands, Belmondo,
Di Caprio ou Tom Cruise dans le dernier Top Gun. Notre Claudia Schiffer devint
Marylin Monroe, Mélanie Griffith ou Scarlett Johansson.
Des autographes, elle en a signé
surtout chez les maîtres du neuvième art. Ainsi, la 911 fut très vite associée
à Ric Hochet, ce célèbre détective créé par André-Paul Duchâteau en 1963,
nettement plus séduisant qu’un Derrick qu’elle accompagna jusqu’à la retraite.
Dans de nombreux albums, Ric Hochet conduit une 911 jaune, devenue au fil des
albums, indissociable du personnage, notamment dans Epitaphe pour Ric Hochet
et sa couverture montrant la 911 écrasée contre un arbre, Le Trio maléfique
ou La ligne de mort. Fidèle en plus. C’est pour cela qu’on l’aime
autant.
Le livre de Serge Bellu raconte tout cela, l’histoire de cette Allemande partie à la conquête du monde. Porschistes de toujours, amoureux de vitrines ou voyeurs de trottoirs, tous se régaleront devant tant de photos, de souvenirs, de détails techniques et de cette histoire inaccessible sans fin qui nous plaît tant.
Par Laurent Pfaadt
Serge Pellu, Anthologie 911,
E.P.A.I.
A lire également : Ric
Hochet, La ligne de mort, Le Lombard, 1975
L’écrivain Gérard de Cortanze raconte avec passion l’histoire de l’automobile
Chez les Cortanze, littérature et automobile ont toujours fait bon ménage. Et des rallyes de Monte-Carlo que disputa Charles au prix Renaudot que remporta Gérard en 2002, l’histoire se traverse en voiture et à toute allure. Son dernier livre permet ainsi de choisir sa monture parmi cent modèles afin de parcourir cette histoire de l’automobile mais surtout sa propre histoire.
Alors retournons dans la bibliothèque de l’écrivain pour emprunter le juste bolide. Sur les rayonnages se trouvent ces voitures cachées dans les livres qui, non seulement, se dévoilent sous nos yeux mais disent aussi quelque chose de l’écrivain.
Il y a cette Delahaye 135 qu’admira aux 24h du Mans en 1938, une Violette Morris victorieuse du Bol d’or automobile en 1927 avant de basculer dans la collaboration à qui l’auteur consacra l’un de ses plus beaux livres, Violette Morris, la femme qui court (Albin Michel, 2019). Il y a cette Jeep Willys avec une Martha Gellhorn (Le roman de Hemingway, Le Rocher, 2011) déployant sa magnifique chevelure blonde en retirant son casque au moment d’entrer dans le camp de Dachau avec les Américains. Cette Renault 4 CV, cette « voiture optimiste » tirée de son Dictionnaire amoureux des sixties (Plon, 2018), une voiture qui « est en soit un roman » et dont la fabrication s’acheva en 1961. Et évidemment l’Alpine 110 Renault, « fille émancipée de la Renault 8 Gordini et de la R8 Major », la marque du cousin André. Enfin, ces Ferrari F355 ou F40, Lamborghini Diablo ou Maserati Quattroporte qu’auraient certainement conduit les Vice-rois s’ils avaient vécu à notre époque.
D’autres voitures apparaissent au fil des pages. Les Américaines rivalisent avec les Allemandes et les Japonaises lorsque se dévoilent la Ford Mustang Shelby GT500, la Porsche 911 ou la Nissan Fairlady dans ce magnifique concours de beauté. La course n’est donc jamais bien loin et atavisme oblige, celui qui écrivit sur les 24 h du Mans ne pouvait oublier la Matra Simca MS670 de Pescarolo et Hill (1972) ou la Peugeot 905 victorieuse au Mans il y a trente ans exactement.
Vous l’aurez compris, ce livre est bien plus qu’une simple succession d’images. Gérard de Cortanze nous offre ici un voyage extraordinaire dans ce vingtième siècle automobile palpitant. A la manière d’un Phileas Fogg effectuant un tour du monde, le lecteur change de voiture selon ses envies et observe une époque, un moment, un morceau d’histoire, grimpant tantôt dans la Rolls-Royce Phantom, tantôt dans un combi Volkswagen, tantôt dans une Citroën XM. Mais surtout à travers ses choix personnels, Gérard de Cortanze nous accompagne dans notre propre album familial, celui de nos vacances et des récits de courses mythiques des repas du dimanche midi. Pour nous dire, que l’on soit passionné ou non d’automobile, qu’il y a toujours eu une voiture pour accompagner notre vie.
Par Laurent Pfaadt
Gérard de Cortanze, Une histoire de l’automobile en cent modèles mythiques Chez Albin Michel, 240 p.
Maryse Condé, favorite de l’International Booker Prize 2023
L’International Booker Prize qui récompense une œuvre de fiction publiée dans une langue étrangère vient de dévoiler ses finalistes. A l’origine attribué tous les deux ans, il est devenu annuel depuis 2016 et a consacré quelques grands noms de la littérature du 20e siècle notamment Ismaël Kadaré, premier récipiendaire en 2005, deux prix Nobel (Alice Munro et Olga Tokarczuk), Philip Roth et l’Israélien David Grossmann. Un seul écrivain de langue française figure au palmarès, le palois David Diop pour son superbe roman Frères d’âmes (Seuil, 2018), sacré en 2021. Et la présence cette année dans les finalistes de deux livres écrits en français témoigne de la vitalité d’une langue française inscrite dans sa diversité.
Cette année, le jury du prix présidé par la romancière Leila Slimani a publié sa short list et la sélection, influencée par l’actualité, assume une subversion qui se décline dans les livres des divers finalistes. Alors qui succèdera cette année à l’indienne Geetanjali Shree et son roman, Ret Samadhi. Au-delà de la frontière, paru il y a deux ans aux éditions des Femmes ?
Maryse Condé, L’évangile du nouveau monde, Buchet/Chastel & Pocket
La Guadeloupéenne, victorieuse du Prix Nobel alternatif en 2018 fera indiscutablement figure de favorite. Elle représentera avec son dernier roman, L’Evangile du nouveau monde, la chance la plus sérieuse de la langue française d’inscrire une nouvelle fois son nom au palmarès. Dans ce roman qui transpose la vie de Jésus dans une Guadeloupe contemporaine, le lecteur suit les aventures de Pascal, jeune métis né d’une mère musulmane puis adopté par une famille chrétienne et propulsé nouveau messie des Antilles. La tâche de ce dernier s’avère particulièrement délicate, surtout dans ce monde contemporain désincarné en mal d’utopies. D’autant plus que notre brave héros n’est pas très motivé pour faire don de sa personne à l’humanité. Les temps ont décidément bien changé. « J’ai imaginé Dieu comme un Guadeloupéen ordinaire qui vaquait à ses occupations quotidiennes comme jouer aux cartes, boire du rhum ou aller à la fosse aux coqs » affirme ainsi Maryse Condé dans le très beau portrait que lui consacra en avril le New York Times. Après En attendant la montée des eaux (JC Lattès, 2010) et Le Fabuleux Destin d’Ivan et Ivanna (JC Lattes, 2021), L’Evangile du Nouveau Monde se veut, à travers ses personnages incroyables, ses anti-héros, critique de ce monde contemporain si tortueux dans lequel nous vivons. Cette histoire est sublimée, une fois de plus, par la prose magnifique et si intelligente d’une Maryse Condé qui nous rappelle que l’amour peut venir à bout de tous les obstacles et qu’il relève, à chaque fois, du divin. Et si l’International Booker Prize annonçait le Nobel ?
Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila & Le Livre de Poche
Le livre du franco-ivoirien Gauz sera l’autre chance française. Dans Debout-Payé, sacré meilleur premier roman 2014 par le magazine Lire, l’auteur nous relate l’histoire d’Ossiri, un étudiant ivoirien arrivé sans papiers en 1990 et devenu vigile comme son père. Cette saga familiale est le prétexte pour aborder d’autres thèmes tels que le regard de la société française sur ses immigrés ou les relations entre l’Afrique et l’Occident. Avec sa langue piquante, Debout-Payé est aussi un portrait acide de notre société de consommation.
Gueorgui Gospodinov, Le pays du passé, Gallimard
Le très beau roman du bulgare Gueorgui Gospodinov entraîne son lecteur dans une clinique un peu spéciale dirigée par un certain docteur Gaustine. Celle-ci permet à ses patients atteints d’Alzheimer pour la plupart de replonger dans leur passé grâce au décor de chambres inspirées d’une époque favorite de leur vie. Mais la tentation de se replonger dans ses souvenirs peut s’avérer dangereuse surtout quand cette méthode vient à être utilisée par des Etats pour revenir à un passé plus ou moins glorieux. Dans ce livre inclassable à la frontière entre le réel et l’imaginaire, l’auteur, disciple revendiqué du grand Borges, nous propose une réflexion à la fois drôle et glaçante sur la mémoire, le passé et l’utilisation que nous en faisons.
Eva Baltasar, Boulder,Verdier
Dans ce court roman qui a rencontré un beau succès lors de la dernière rentrée littéraire, finaliste du prix des Inrockuptibles 2022, l’écrivain catalane Eva Baltasar suit la cuisinière d’un navire marchand dont la vie est bouleversée par une maternité. Boulder ne souhaitait pas d’enfant mais une histoire d’amour fulgurante, ardente avec une femme rencontrée dans le sud de la Patagonie en a décidé autrement. Ici l’érotisme le plus libéré rivalise avec l’assignation la plus violente sitôt l’amour évaporé. Boulder est ainsi l’histoire d’une femme puissante, d’un granit qui finit par se fissurer avant de se reconsolider. Ce livre, premier roman écrit en catalan à atteindre la finale de ce prix, ne laissera aucun lecteur insensible.
Whale de la sud-coréenne Cheon Myeong-kwan (Europa Editions) et Still Born de la mexicaine Guadalupe Nettel, (Fitzcarraldo Editions), deux ouvrages non traduits en français viennent compléter la liste des finalistes d’un prix qui sera remis le 23 mai prochain.
Spectacle créé au Festival d’Avignon en 2021 par Christiane Jatahy.
Entre théâtre et cinéma comme sait si bien le faire la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy, les comédiens engagés dans ce spectacle nous l’ont joué avec l’authenticité, la proximité du « vrai ». Alors, bien vite on s’est senti dans le coup même si au début on redoutait l’artifice ou le conventionnel.
Un plateau encombré d’objets, tables, chaises, étagères remplies de livres, d’objets divers et variés, et au milieu des gens qui se parlent. Il s’agit d’une troupe de théâtre en train de réfléchir à élaborer une pièce à partir du film « Dogville » du réalisateur danois Lars von Trier parue en 2003 et qui évoque le problème de l’accueil et de l’acceptation de l’autre.
Ça démarre, par la prise de parole d’un certain Tom (Matthieu Sampeur), qui semble être responsable du groupe et qui se présente avant d’appeler chacun à en faire autant et à préciser le pourquoi de leur rencontre : améliorer l’humain par l’art, un ambitieux projet !
Et justement, il informe la compagnie qui doit entrer en répétition qu’il vient de rencontrer une jeune femme qui a dû fuir son pays et cherche refuge, pourquoi pas auprès d’eux ? En tout cas c’est la proposition de Tom car cela va dans le sens de leurs idées humanitaires « pour ne pas aller vers l’échec de l’humanité ». Gracia (Julia Bernat) sort des rangs des spectateurs et se rend sur le plateau. L’histoire peut commencer, certains, caméras en main filment son approche, les discussions que son arrivée suscite entre eux. Des visages apparaissent sur l’écran placé en fond de scène. Va-t-on, échapper au scénario du film qui montrait comment une jeune fille d’abord accueillie à bras ouverts se retrouvait bientôt asservie et maltraitée ?
Que va-t -il en être de leur hospitalité ? Ils discutent de l’opportunité de l’employer à différentes tâches, puis décident de voter. En retrait, elle attend, fébrile, le verdict qui se révèle positif et déclenche une vraie fête. On organise une sorte de banquet en rapprochant toutes les tables, y apportant des plats et des boissons à partager. L’aveugle (excellent Philippe Duclos) qui est aussi le sage, le penseur du groupe y va de son petit discours. La musique est de la partie, le piano s’emballe.
Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Gracia s’amourache de quelques figurines dont elle propose de prendre soin. Elle en reçoit même une en cadeau. On filme alors des visages heureux.
C’était trop beau pour durer. Alors que Gracia s ’évertue à rendre service aux uns et aux autres, le bruit court qu’elle aurait trempée dans des affaires louches. Le doute s’insinue, peu à peu on la met à l’écart. On casse les statuettes qu’elle aimait tant. Sur l’écran on suit cette mise en doute et le souci qui s’imprime sur son visage. Tom résiste à cette mise en place d’un rejet qui semble tous les gagner, du coup, one soupçonne de favoritisme à l’égard de l’inconnue.
La situation empire quand le père de l’enfant qu’on lui a demandé de garder se jette sur elle et la viole sans le moindre scrupule. Classiquement on lui reproche d’avoir aguiché son agresseur.
Traitée en esclave au service de tous elle explique à Tom qu’elle veut partir mais celui-ci à son tour, au prétexte de lui témoigner son affection la contraint à l’embrasser et à accepter ses fougueuses étreintes qui l’obligent à se débattre pour le repousser.
Mais avant ce départ inévitable qui démontre que le changement espéré n’a pu avoir lieu, Gracia s’avance vers le public pour dire dans sa langue, le brésilien comment le fascisme qui a dominé au Brésil tout particulièrement avec Bolsonaro induit l’intolérance et la haine de l’autre.
Un épilogue en guise d’avertissement pour dire: que le fascisme peut se réveiller dans n’importe quel pays et faire basculer les meilleures intentions en haine du prochain.
Telle est la cruelle leçon que nous assène Chistiane Jatahy , un avertissement d’autant plus pertinent qu’il se confronte à une brûlante actualité et qu’il est ici exprimé d’une façon originale et percutante avec cet habile tissage du jeu des comédiens sur le plateau et des captations projetées sur l’écran.