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Lumière noire

Ce proche de Barack Obama signe un ouvrage sur le rôle et la place des églises afro-américaines dans la société américaine. Un livre passionnant de bout en bout

Absolument fascinant. Henry Louis Gates Jr, directeur du Hutchins Center for African American Research à l’Université de Harvard, nous raconte sur plus de cinq siècles la constitution et l’évolution de l’Eglise noire américaine. Le lecteur découvre non seulement une histoire des Etats-Unis vue par une partie de sa population mais également une histoire globale de ce pays avec ses démons et ses réussites grandioses.


Dans cette histoire à la fois politique, culturelle et religieuse qui s’appuie sur de nombreux témoins aussi divers que le chanteur John Legend, l’ancien maire d’Atlanta et premier ambassadeur noir aux Nations-Unies, Andrew Young ou Oprah Winfrey, Henri Louis Gates Jr montre que les églises afro-américaines furent les refuges d’une population persécutée mais également des lieux d’émancipation ces « incubateur de talents » d’où sortirent quelques grandes personnalités politiques et culturelles qui paradoxalement, participèrent au rayonnement de cette Amérique qui s’est pourtant employée, avec des moyens étatiques considérables, à les persécuter.

Plus vieille et plus importante institution mise en place par les Afro-américains aux Etats-Unis, l’Eglise noire s’est immédiatement donnée pour mission de protéger ses membres du racisme qui les frappait. Elle est devenue alors une « nation dans la nation » tout en s’appuyant sur un message biblique qui donna naissance à de grandes figures oratoires américaines. En imbriquant sa propre histoire et sous l’égide de la figure tutélaire de W.E.B. Du Bois, premier afro-américain à obtenir un doctorat à Harvard et fondateur de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) en 1909 qui allait devenir le fer de lance des droits civiques un demi-siècle plus tard, Henry Louis Gates Jr dresse une magnifique galerie de portraits, de Frederick Douglass à Jesse Jackson en passant bien évidemment par Martin Luther King et ces figures moins connues tels qu’Otis Moss III, fils de l’un des compagnons de MLK ou Barbara C. Harris, première femme ordonnée évêque de l’Eglise épiscopalienne des Etats-Unis. A ce titre, l’auteur réhabilite le rôle des femmes dans cette Eglise noire. « Les femmes noires, qu’il s’agisse de chanteuses célèbres comme Mahalia Jackson ou de simples fidèles impliquées dans tous les aspects de la vie ecclésiale, furent l’élément-clé de la plupart des communautés religieuses et demeurent aujourd’hui encore les leaders indispensables et trop souvent négligées de la lutte non seulement pour le salut, mais aussi pour la libération » écrit ainsi Henry Gates. Ce dernier revient ainsi sur le fameux « I have a dream » du 28 août 1963 qui aurait été soufflé au pasteur américain par Prathia Hall, activiste des droits civiques et théologienne avant que Mahalia Jackson, se tenant derrière la scène ne pousse ce jour-là le leader des droits civiques en lui disant « Parle-leur de ton rêve, Martin ! »

Des femmes qui, aujourd’hui encore, sont à l’avant-garde des défis qui traversent l’Eglise noire, à l’image d’une Oprah Winfrey venant écouter à Dallas, le prédicateur Thomas Dexter Jakes, partisan de l’insertion totale de l’Eglise noire dans le modèle économique américain. Une Eglise noire traversée depuis une quarantaine d’années par un message difficilement audible par la nouvelle génération, une baisse de la religiosité mais également par le mouvement Black Lives Matter et un rapport à Dieu bouleversé après l’épisode du coronavirus. Pour autant, le livre d’Henry Louis Gates Jr nous dit que cette église a su en permanence se réinventer. Elle n’a donc pas fini de nous surprendre.

Par Laurent Pfaadt

Henry Louis Gates Jr, Black Church, De l’esclavage à Black Lives Matter
Chez Labor et Fides, 304 p.

A lire également :

Mon article sur l’ouvrage de W.E.B. Du Bois, Pénombre de l’aube, coll. Compagnons de voyage, Vendémiaire, 420 p.

Fifty rouble

L’auteur de La Soif et de La Rose des vents suit, dans son nouveau roman, la vie d’un rappeur russe

On aurait tort, sous prétexte de guerre ou de russophobie primaire, de se priver de lire la littérature russe. Car, non seulement elle survivra au régime en place comme elle l’a fait dans les siècles passés mais surtout elle raconte une société nous permettant de comprendre une guerre, une époque, un monde.


Dans ce décor, le nouveau roman d’Andrei Guelassimov s’aventure sur le sentier de la drogue en compagnie de Tolian, rappeur de cette Russie qui est entrée tête baissée dans cet ultralibéralisme né avec la chute de l’Union soviétique. La rencontre en Allemagne avec une ancienne fille de sa cité de Rostov-sur-le-Don le fait plonger quelques vingt-cinq ans en arrière. Guelassimov y dépeint une société post-soviétique en pleine déliquescence où tous ses piliers se sont effondrés. Plus d’Etat, plus d’armée, plus de valeurs laissant, sur ce champ de bataille sociétal, la violence régir les rapports humains. Chacun se débrouille comme il peut. On trafique, on deale, on vole les ampoules dans les hôpitaux pour les revendre. Les uns trouvent leur salut dans le rap comme Tolian devenu Pistoletto quand d’autres deviennent les proies du crime organisé. « Evidemment, elle s’était foutue de moi quand, sur notre trajet vers l’hôpital, elle avait suggéré de gagner le fric des truands en composant du rap, mais mon cœur se métamorphosa alors en oreille » dit ainsi Tolian.

Commence alors pour Tolian/Pistoletto, une vie faîte de lumières, blanches comme la poudre et de ces ténèbres que sont la dépendance, les cures de désintoxication et la perte de soi. Sa rédemption, Tolian la trouve auprès du père Mikhail au monastère de Pskov. Là-bas, il redevient Tolian avant d’opérer, tel un saint orthodoxe, une nouvelle transfiguration et devenir Booster, nouvelle icone…du rap.

A l’image de cette dope que l’on revend à Rostov, la prose de Guelassimov, une nouvelle fois magnifiquement traduite par Raphaëlle Pache, est, comme à chaque fois, addictive. Tolian est si attachant qu’on veut en savoir plus, l’accompagner dans sa rédemption. Avant Pskov, Tolian était un mort en sursis et son destin a fini par se confondre avec celui de tout un pays. Après il est devenu un ressuscité millionnaire.

Dans ce chaos de l’après communisme où dans les clubs les portraits de Lénine et de Staline côtoient ceux de femmes nues et où les producteurs de MTV ont remplacé les apparatchiks dans les chambres du Metropol même l’armée n’est plus un élément de stabilité, ravagée par la gangrène de la guerre de Tchétchénie, un thème que l’auteur reprend. Dans La Soif, elle avait mangé le visage de Kostia. Dans Purextase, elle dévore la notion même de paternité privant Tolian de père comme on prive une société de ses repères. Mais Kostia et Tolian ont fini par trouver dans l’art, l’instrument de leur rédemption.

Avec leurs œuvres, les écrivains tracent des perspectives sur le temps long, matérialisent sur le papier des convulsions sous-jacentes qui, telles des microséismes, ne sont pas perceptibles immédiatement mais conduisent aux tremblements de terre les plus violents comme celui du 24 février 2022. Comme Guelassimov, les écrivains ouvrent cependant la voie à des renaissances, celle de Tolian comme celle de la Russie. Des renaissances que seule la littérature russe peut produire. Voilà pourquoi il est impératif de continuer à la lire.

Par Laurent Pfaadt

Andrei Guelassimov, Purextase
Aux éditions des Syrtes, trad. Raphaëlle Pache, 384 p.

Fraternité, conte fantastique

La programmation de la saison nous conduit à découvrir, avec la pièce « Fraternité , conte fantastique » dont elle signe la mise en scène, Caroline Guiela N’Guyen qui vient tout juste d’être nommée directrice du TNS


Fondatrice  en 2OO9 de la Compagnie « Les Hommes Approximatifs »
Caroline Guiela N’Guye n’est pas pour nous une inconnue, puisque, elle était élève de l’Ecole du TNS de 2OO5 à 2008 dans la section
« mise en scène ».

 Et surtout, qu’elle nous avait présenté, ici même, en 2018 « Saïgon », une pièce qui nous avait bouleversés par son côté humain et sa dimension historique.

« Fraternité , conte fantastique » nous touche différemment.

La pièce créée en juillet 2021 au Festival d’Avignon a déjà beaucoup tourné.

 De problèmes humains il en est encore fortement question dans ce nouvel opus mais ceux-ci sont abordés sous l’angle particulier d’une improbable fiction qui met en place la disparition de la moitié de l’humanité lors d’une éclipse d’une rare intensité.

Comment ceux qui ont été épargnés par cette catastrophe vont-ils vivre cette douloureuse, fâcheuse et inattendue absence, de leur famille, de leurs amis ?

Se mettent alors en place des centres de soin et de consolation largement inspirés des centres d’accueil qui, en raison des détresses actuelles, fleurissent autour de nous.

Le dispositif scénique (Alice Duchange) nous montre sur le plateau une grande pièce où vont et viennent nombre de gens qui cherchent à puiser dans ce lieu un peu de réconfort. Se côtoient jeunes, moins jeunes, hommes et femmes que la détresse rassemble et qui essaient de se soutenir comme ils peuvent face à cette épreuve. On sert des cafés, on se prend dans les bras, parfois on se chamaille on y parle plusieurs langues car la catastrophe a touché bien des parties du monde. On erre de ci delà en composant des chorégraphies qui signent ces rencontres aléatoires.

Les yeux braqués sur un écran où figure l’image du cosmos, les gens espèrent qu’une nouvelle éclipse se produira pour ramener vers eux les chers disparus. En attendant cet improbable retour on leur propose d’entrer dans une petite cabine vitrée où, pendant une minute et demie, ils pourront envoyer un message à la personne disparue. Cela donne lieu à des moments pathétiques remplis de déclarions d’amour, de supplications, de larmes et dont ils ressortent désemparés, parfois harassés car, bien sûr, il n’y a pas de réponse, ces moyens technologiques demeurant impuissants à faire le lien tant espéré. Beaucoup d’émotions se lisent sur les visages projetés en gros plan sur un écran en fond de scène. (vidéo Jérémie Scheidler) 

On découvre aussi que le chagrin fait ralentir les battements du cœur et que cela impacte le mouvement des étoiles, éloignant le possible retour de l’éclipse tant souhaitée, ce qui est surveillé par une scientifique de La Nasa qui déambule parmi ces esseulés en uniforme militaire, micro en main et écouteurs sur les oreilles.

Dans une deuxième partie, un autre protocole est proposé à ceux qui ne se résignent plus à attendre et à souffrir. Ils peuvent être reliés à une machine qui a la forme d’un cœur et qui efface les souvenirs trop douloureux. De cruels dilemmes s’ajoutent alors à leur peine : faut-il supprimer certains souvenirs, pourquoi ceux-là plutôt que d’autres ? Là encore le soutien des compagnons de misère est nécessaire. Leurs conseils, leurs encouragements se révèlent précieux, indispensables dans cette confrontation avec la mémoire.

Les treize acteurs, Dan Artus, Saadi Bahri, Boulaina El Fekkak, Hoonaz  Ghojallu ,Yasmine Hadj  Ali, Maimouna Keita, Nanii, Elios Noel, ou Pierric Plathier, Alix Petris, Saaphyra, Vasanth Selvam,  Selvams, Anh Tran Nghia, HiepTran Nghia, professionnels comme amateurs s’engagent avec conviction dans ces rôles de composition répondant ainsi à la demande de la metteure en scène qui considère comme « un désir et une nécessité absolue d’amener sur le plateau des gens qu’on n’y voit habituellement pas ».

La slameuse Saaphyra porte avec fulgurance la peine et l’espoir de tous.

En contrepoint de cette effervescence le très beau chant, très saisissant du contreténor Alix Petris.

C’est le deuxième volet du cycle « Fraternité » commencé en 2020 avec un court métrage « Les engloutis » tourné en prison avec des détenus de la Centrale d’Arles où l’auteure est intervenue pendant huit ans. Un troisième volet intitulé « Kindheitarchive » (Enfance archive) a été créé  en octobre 2022 avec  des comédiennes de la troupe permanente de la Schaubühne de Berlin et parle de l’adoption.

Le prétexte fictionnel de ce conte ne cherche qu’à souligner cette évidence que la puissance des liens au-delà des différences  marque cette fraternité qui ne guérit pas mais allège le poids du chagrin. 

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 12 janvier au TNS

A l’affiche jusqu’au  20 janvier.

Wolfgang Amadeus Mozart

La Messe du couronnement en ut de Mozart est l’une des œuvres sacrées les plus connues du compositeur. Commandée par l’archevêque de Salzbourg, le prince Colloredo-Mansfeld, l’œuvre est empreinte de ce désarroi que ressentit à cette époque le compositeur et qu’il transforma en joie. Dans cet enregistrement, l’Akademie für Alte Musik de Berlin, ensemble de musique de chambre de renom, a parfaitement su retranscrire cette émotion sous la conduite du chef Howard Arman et accompagné une nouvelle fois brillamment par le chœur de la radio bavaroise.

Mozart ne fut pas appelé Amadeus (« qui aime Dieu ») par hasard et cette interprétation d’une beauté rare vient transcender la dimension divine de l’œuvre. Le lyrisme qui s’en dégage, transcendé par des voix sublimes en particulier celle de Katharina Konradi dans cet Agnus Dei à vous donner des frissons, ajoutée aux couleurs vocales de Sophie Harmsen, donne ainsi à l’œuvre une puissance évocatrice proprement stupéfiante. L’ensemble et son chef, après le Requiem et la Grande messe en ut mineur poursuivent ainsi avec brio leur exploration du répertoire sacré du génie autrichien.

Par Laurent Pfaadt

Wolfgang Amadeus Mozart, Coronation Mass, KV317 ; Vesperae solennes de Dominica KV 321, Chor des Bayerisches Rundfunks,
Akademie für Alte Musik, dir Howard Arman
BR Klassik

Parle avec elle

En évoquant le métier de thanatopracteur, Amandine Dhée délivre un véritable manifeste en faveur de la vie

La vie réserve parfois de surprenantes rencontres même pour quelqu’un qui les attend et en fait la matière de son activité créatrice. C’est ce qui arriva à Amandine Dhée, autrice de plusieurs romans dont La Femme brouillon (Contre Allée, 2017), prix Hors Concours qui évoque son expérience de la maternité.


Alors qu’elle fait la promo de son dernier ouvrage, elle rencontre une femme, Gabriele, qui lui parle de son métier : thanatopractrice. Commence alors une relation entre les deux femmes qui allait aboutir à ce livre magnifique.

Comme le dit Gabriele, thanatopracteur est un métier mal connu, qui fait peur. Bien évidemment, il en faut, comme d’autres métiers car sinon, qui s’occuperait de nos morts pour les accompagner lors de leur dernier voyage ? Il faut pourtant, dans l’esprit des gens, un petit grain de folie pour exercer ce métier. Or il s’avère que ce petit grain de folie est, chez Gabriele, une reconversion devenue vocation et transformée en perle de papier par Amandine Dhée.

Gabriele évoque tour à tour dans ce livre les contraintes du métier, sa charge émotionnelle, le mépris des familles. Parfois le récit est caustique quand elle aborde l’aspect du mort qui ne convient pas. Avec cette femme qui a choisi ce métier après une expérience dans la com, le lecteur entre dans cet autre monde du silence où la beauté des sentiments, leur noblesse magnifiquement retranscris par l’autrice n’a rien à envier à ceux de Cousteau. Côtoyer la mort c’est comme nager avec les requins. L’appréhension du début cède vite la place à la puissance de l’émotion.

Amandine Dhée délivre ainsi un récit sensible où beauté et respect se côtoient dans cette antichambre du deuil, entre vie et mort, isolée de cette société où tout n’est que consumérisme. Ici les morts conservent leurs individualités. Et tant pis si le métier de thanatopracteur peut s’apparenter à une illusion. Car ce qui compte n’est pas la finalité, la mort, qui est la même pour tous mais au contraire, le chemin que chacun prend avant d’y arriver. Et celui, c’est-à-dire nous tous, qui accompagne les derniers pas de l’être aimé, a besoin d’une Gabriele pour continuer à vivre, pour continuer à apprécier la brièveté de la vie « comme s’il m’avait fallu fabriquer la vie pour la savoir si fragile » écrit-elle à juste titre.

Sortir au jour n’est donc pas un livre sur la mort, bien au contraire. Il est un manifeste pour la vie et sur ces liens qui nous unissent, sur ces interactions qui constituent la beauté et la singularité de notre espèce.

Par Laurent Pfaadt

Amandine Dhée, Sortir au jour,
Edition La Contre Allée, coll. La sentinelle, 128 p.

Amadine Dhée sera l’invitée de la Grande librairie,
le 18 janvier prochain

Jonas Kaufmann & Ludovic Tézier

Das Festspielhaus Baden-Baden feiert dieses Jahr, sein 25. Jubilaeum, wie es Intendant Benedikt Stampa in seiner herzlichen Ansprache an das Publikum, verkündete.


Als Auftakt des grossartigen Spielplans 2023, erklang ein Opernabend zweier wunderbaren Stimmem, des strahlende Tenors Jonas Kaufmann und des gefeierten Bariton Ludovic Tézier. Das Programm wurde auschliesslich dem italienischen Fach gewidmet. 

Als Erstes, vier Auschnitte aus « La Forza del Destino ». Schon die Ouvertüre, bewies das die feurig spielende Deusche Radio Philharmonie unter Jochen Rieder, eine erstklassige Wahl für den Abend war.

Das Duett « Solenne in quest’ora » wurde von den beiden Protagonisten nicht nur mit Schönklang und Stil vorgetragen, aber auch mit Gefühl und dramatischem Können.

Die Arie des Don Carlos de Vargas die auch im Werk sofort nach dem Duett erklingt, wurde von Ludovic Tézier und seiner grossartigen, typisch  verdischen Baritonstimme, meisterhaft vorgetragen.

Die Arie des Alvaro « la vita e inferno all’infelice », mit seinem melancholischen fabelhaft vorgertragenem Klarinettensolo, wurde zu einem der Höhepunkte des Abends. Jonas Kaufmann gelang es alle Regungen der Gefühlen des unglücklichen Helden mitzuleben. Rein gesanglich, war man verblüfft von dem Nuancenreichtums des Vortrags, vom Hauchdünnen Pianissimo bis zum strahlenden Forte ! 

Das Duett « Invano Alvaro » aus dem vierten Akt blieb auf derselben Höhe. Die beiden Sänger konnten hier ihr Können erweisen, so gut gesanglich wie theatralisch. Die beiden Stimmen passen auch vom Timbre her, herrlich zusammen.

Der zweite Teil des Abends begann mit der Ouvertüre zu Verdis « Les vêpres siciliennes » die unter der Leitung von Jochen Rieder zur Tondichtung geedelt wurde.

Ponchiellis Oper « La Gioconda »ist das einzige Werk des Musiklehrers von Puccini und Mascagni die immer noch auf dem Spielplan der grossen Haüser anzutreffen ist, wenn auch « I Lituani » oder « I promessi sposi » nach Manzoni, viele Schönheiten enthalten.

Das Duett « Enzo Grimaldo » zeigt wieder die beiden Sänger, auf der Höhe ihres Könnens.

Der Tanz der Stunden, aus derselben Oper, wurde vor Allem als Parodie in Walt Disneys « Fantasia »gekannt ! Und doch enthält dieses Ballett schöne, feine Musik, die von dem Orchester völlig ausgekostet wurde.

Die Romanze des Enzo « Cielo e mar », ein Glanzstück aller grossen Tenöre, wurde von Jonas Kaufmann elegant vorgetragen, liess aber eine kaum perzeptible Ermüdung erscheinen.

Otello, Giuseppe Verdis  Alterswerk, ist eines der Meisterwerke der Gattung Oper überhaupt. 

Das « Credo »von Iago, eine nihilistiche Bekennung wurde von Ludovic Tézier mit so viel Feuer und Bosheit vorgetragen, das einem kalt im Rücken wurde. Einer der vielen Höhepunkte des Abends . 

Das Duett Otello Iago « Tu indietro », eigentlich beinahe die Hälfte des zweiten Aktes, erlaubte beiden Sängern nochmals ihr Können zu zeigen. Sie spielten nicht, nein, sie lebten diese schreckliche Szene wo die ganze Verzweiflung von Otello und seine Rachezucht keimt und die Heuchlerei Iagos triumphiert.

Vor dem tosenden Applaus des begeisterten Publikums, gaben die Sänger noch das Duett Rodolfo/Marcello aus dem vierten Aufzug von Puccinis « La Bohème »und ein leider sehr verstümmeltes Duett Carlos/Posa aus Verdis Don Carlos.

Jean-Claude HURSTEL

FESTSPIELHAUS BADEN-BADEN    8. JANUAR 2023
Jonas Kaufmann & Ludovic Tézier
Deutsche Radio Philharmonie Jochen Rieder

Muhammad Ali

Ce fut indiscutablement l’un des évènements télévisuels de 2021. En près de sept heures, le célèbre documentaliste Ken Burns, auteur des magistraux The Civil War (Guerre de sécession) et The War (Guerre du Vietnam, tous deux disponibles chez Arte vidéos) revient sur la vie et la carrière de la légende de la boxe, the
« Greatest » Muhammad Ali. Ken Burns ne produit pas seulement un condensé de la légende sportive mais insère cette dernière dans une époque, dans un récit national fait de heurts, de bouleversements et de transformations majeurs.


Bien évidemment, les grands combats sont là. Contre Sonny Liston. Contre Joe Frazier qui fut le premier à battre Muhammad Ali lors du fameux match du siècle (8 mars 1971) dans un Madison Square Garden où toute l’Amérique s’était donné rendez-vous, des stars d’Hollywood aux ouvriers du Kentucky en passant par les politiques de Washington. Contre George Foreman au Zaïre. Contre Larry Holmes qui fut son protégé dans son antre de Deer Lake et qui finit en octobre 1980 par mettre un terme à la carrière du champion tout en retenant ses coups par respect pour son idole. Des combats devenus mythiques dans l’histoire de la boxe.

Ken Burns convoque ainsi les grands témoins, boxeurs, famille et proches pour nous conter l’histoire de cette étoile de la boxe. Analyses des combats – et le fameux jeu de jambe d’Ali qui alimenta le « vole comme le papillon, pique comme l’abeille » et de leurs conséquences sur l’entourage d’un champion qui ne bouda aucun des plaisirs du succès, le documentaire ne fait l’impasse sur rien. Mais le récit du documentariste va plus loin en glorifiant comme dans ses récits précédents, les vaincus, ceux restés dans l’ombre. En s’attardant sur les adversaires d’Ali, comme par exemple sur la mort mystérieuse d’un Sonny Liston devenu la créature de la mafia ou sur la jeunesse d’un Joe Frazier qui, enfant, ramassait le coton dans des champs de Caroline du sud, Ken Burns réussit à dépeindre à merveille l’Amérique de ces années 60-70.

Déchu de son titre pour avoir refusé de servir sous les drapeaux, Ali mit KO debout le discours patriotique qui voulut l’enfermer dans un rôle qu’il s’est toujours refuser à jouer. Muhammad Ali est alors devenu plus qu’un boxeur, dépassant les frontières de son propre pays et de sa propre condition. Il s’est ainsi érigé en chantre du tiers-monde résumé dans cette fameuse phrase : « je n’ai pas de problème avec les Vietcongs. Les Vietcongs sont des Asiatiques noirs. (…) Je ne veux pas avoir à combattre des Noirs. »

En exacerbant ses outrances, son assurance, son manque d’humilité qu’il conserva cependant devant Elijah Muhammad et l’Islam, Burns raconte de la plus belle des manières le mythe Ali. Celui d’un homme qui ne se soumet pas à la loi de ses semblables. Celui d’un homme qui, défiant les lois du corps humain, finit par être rattrapé par une maladie qui pourtant, ne le vainquit qu’aux poings. Celui d’un homme enfin qui, à la différence de ses adversaires, a tenu la fatalité à bonne garde avant de céder. « Il [Dieu] m’a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n’étais qu’un homme comme les autres, que j’avais des faiblesses, comme tout le monde. C’est tout ce que je suis : un homme. » Un homme drapé de légende qui soumit, le temps d’un round, le monde entier.

Par Laurent Pfaadt

Muhammad Ali, Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon, 3DVD,
Arte éditions

Le phénix de l’humanité

L’universitaire britannique Paul Cartledge signe un ouvrage passionnant sur l’histoire de la démocratie.

On l’a si souvent donné pour morte. Et pourtant, elle renaquit, à chaque fois, de ses cendres. Cela tombe bien car, à l’instar du phénix, cette créature mythologique, le mot démocratie apparut pour la première fois sous la plume du grand historien grec Hérodote. Et comme le rappelle Paul Cartledge dans son ouvrage passionnant, cette histoire-monde de la démocratie, c’est véritablement la Grèce Antique qui fut le berceau de cette autre créature mythique que nous vénérons encore.


Là-bas, à partir de la fin du VIe siècle avant notre ère débuta la codification d’une forme nouvelle de gouvernance qui prit vers 425 av. J-C le nom de demokratia, contraction de « demos », le peuple et de « kratos », le pouvoir. Cet élan se matérialisa avec quelques grands pères fondateurs notamment Clisthène qui organisèrent la prise en main des affaires de la cité – d’abord athénienne – par le peuple. S’en suivit un âge d’or avec des hommes tels que Périclès ou Démosthène qui portèrent la démocratie à un firmament rarement égalé. Mais tel Icare, ce phénix s’y est parfois brûlé les ailes et dans ce livre qui tient à la fois du récit historique et d’une histoire des idées politiques, Paul Cartledge, convoquant les sources – de Thucydide à Polybe en passant par Platon et Aristote – montre que tous ceux qui ont tenté d’affaiblir la démocratie l’ont finalement appris à leurs dépens. Ainsi l’opposition de Sparte « à l’avènement de la démocratie fut un des facteurs les plus puissants du ralentissement de son expansion à travers le monde grec » rappelle l’auteur.

Mille fois fut annoncée la fin de la démocratie. Roi macédonien ou empereur romain, tous crurent avoir dompté la créature. D’ailleurs, l’auteur n’est pas tendre avec Rome qui fit de la démocratie le paravent d’un régime autoritaire symbolisé notamment par l’édit de l’empereur Caracalla en 212 qui conférait la citoyenneté à tous les citoyens de l’Empire. Ce dernier fut avant tout pour Paul Cartledge « le signe le plus évident que la citoyenneté romaine était devenue totalement insignifiante ».

Le phénix mit alors plusieurs siècles à renaître de cendres jamais éteintes. C’est dans l’Angleterre du XVIIe siècle et la France de la Révolution que la démocratie réapparut. Mais celle-ci, nous rappelle l’auteur, ne fut pas le fac-similé de sa lointaine aïeule athénienne, la faute notamment à la méconnaissance des penseurs politiques de la Grèce antique par les Locke, Rousseau et Tocqueville qui privilégièrent les historiens romains. Ouvrant sa focale, l’auteur sort également d’une vision trop européo-centrée pour nous montrer que l’idée de démocratie ne naquit pas en Grèce mais exista au même moment dans d’autres civilisations, notamment indiennes grâce à la convocation salutaire du prix Nobel d’économie, Amartya Sen.

Cet ouvrage qui allie rythme et érudition s’achève sur l’alerte d’un historien qui a, comme toujours, le regard posé sur le temps long pour nous prévenir des dangers contemporains qui guettent nos démocraties. Celles-ci ne sont certes pas parfaites et ne ressemblent plus à l’idéal athénien, mais elles demeurent selon le mot resté célèbre d’un autre phénix, politique celui-ci, « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres. »

Par Laurent Pfaadt

Paul Cartledge, Demokratia, une histoire de la démocratie
Chez Passés composés, 384 p.

Nostalgie 2175

Anne Monfort met en scène une pièce de l’autrice allemande Anja Hilling née en 1975, pièce écrite en 2008, traduite par Silvia Berutti-Ronelt et Jean-Claude Berutti.


Un spectacle dérangeant dont le genre nous échappe quelque peu car peut-être nous attendions -nous à une pièce de science-fiction et qu’en fait, même si en prélude des éléments s’y référant sont bel et bien posés, c’est de relationnel dont il sera essentiellement question.

Nous sommes donc en 2175 et depuis plusieurs années la température a atteint 60 degrés et la vie sur la terre est devenue presque impossible. Le soleil n’apparaît plus, les rivières ne coulent plus et les humains qui, malgré tout se sont adaptés, ne peuvent sortir sans protection sinon leur peau est brûlée et ils meurent. C’est dans ce contexte apocalyptique qu’évoluent les protagonistes, disons les rescapés de cette situation dramatique. Ils sont trois une femme, Pagona et deux hommes, Taschko et Posch , peut-être faudrait-il  dire quatre puisqu’il y a « Bébé », une fille, encore dans le ventre de Pagona, sa mère mais qui va tenir une grande place dans  cette histoire.  Car c’est autour d’elle que tout s’organise.

En effet, Pagona parle à cette enfant conçue par voies naturelles alors que cela  n’est quasiment plus possible et que les statistiques exposent quelques rares cas  qui se sont terminés par la mort des femmes. Pagona, elle, se découvrant enceinte, a décidé de garder l’enfant sachant les risques auxquels elle s’exposait. C’est à Taschko, cet artiste peintre dont elle est amoureuse, qu’elle désire confier l’enfant pour qu’il l’élève.

C’est à elle qu’elle révèle ses rencontres avec Taschko et Posh, le riche patron d’une entreprise qui récupère la peau des morts servant fabriquer des isolants pour les murs des maisons ce qui permet d’y vivre sans ces habits protecteurs indispensables à l’extérieur.

La pièce oscille entre le soliloque de Pagona qui s’adresse simultanément à l’enfant à naître et au public et des scènes reproduisant les rencontres entre les trois protagonistes.

C’est ainsi que l’on pourra suivre ce moment presque romanesque au cours duquel Pagona, serveuse dans un bar, se retrouve avec Taschko, le peintre dermaplaste, chargé de la décoration du lieu qui doit peindre une fresque reproduisant, comme il le fait habituellement, des scènes du temps passé celui où la nature existait, où le ciel était bleu et dont il a connaissance par les cassettes VHS récupérées par son patron Posh. Amoureuse de Taschko, elle voudrait l’embrasser mais il ne peut y consentir car, lors du viol qu’il a subi sa peau a été brûlée et on ne peut plus le toucher ce qui rend leur relation difficile. Néanmoins leur sentiment amoureux reste vif et s’affirme lors de leur rencontre au point que c’est à lui qu’elle veut confier l’enfant conçu avec un autre, en l’occurrence, Posh au cours d’une scène ambigüe, presque scène de viol plus ou moins consenti.

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La dimension politique apparaît nettement ici et domine le côté science-fiction du scénario.

Pour suggérer cet univers dystopique un décor relativement sobre avec des éléments sans vraiment de liens entre eux, un sol brillant, une cabane colorée, des arbres squelettiques suspendus, une barque sur l’eau et un écran pour quelques projections dont celle de la femme -moustique aux ailes déployées sur fond de ciel très bleu, illustrant la nostalgie de l’ancien temps (scénographie et costumes Clémence Kazémi, lumières Cécile Robin)

La musique a la part belle, écrite spécialement pour soutenir ces propos et ces situations par Nùria Giménez-Cosma avec l’appui de l’IRCAM avec les nuances et les trouvailles que cela impose. 

Dans cet univers étrange dont les propos nous interpellent rejoignant nos préoccupations sur l’avenir de la planète et de l’humanité les comédiens se prêtent au jeu avec une belle conviction. 

Judith Henry campe une Pagona sensible parfois incertaine, malgré tout déterminée face au destin qu’elle a choisi et qui la voue à la mort ce dont elle se préoccupe moins que de l’amour qu’elle voue à son enfant et à Taschko .

Jean- Baptiste Verquin réussit un Posh, pas très sympathique, un patron, un capitaliste sans scrupule

Mohand Azzoug donne à Taschko sa fébrilité d’homme blessé, impuissant, dépendant mais amoureux  lui aussi.

En fin de compte, la survie de l’humanité ne va-t-elle pas dépendre essentiellement de sa capacité à aimer envers et contre tout, peut-être est- ce cela que nous dit la pièce d’Anja Hilling ?

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 7 décembre au TNS

Godland

un film de Hlynur Palmason

L’Islande est une terre de littérature. Pays des sagas, il est aussi celui des romans policiers avec des auteurs qui ont assis leur réputation au niveau international. Est-ce le climat et les paysages particuliers de cette île du bout du monde qui invitent à laisser vagabonder l’imagination ? Nourri de littérature et carnets de voyages, Hlynur Palmason sait ce qu’il doit aux livres mais c’est le cinéma son moyen d’expression de prédilection, art dont il apprécie la capacité à s’adresser aux spectateurs en lui permettant de picorer les éléments de manière à faire sa propre interprétation. Son film fait voyager dans l’espace et dans le temps et offre une expérience cinématographique qui vaut le détour sur grand écran absolument.


© Maria von Hausswolff / Snowglobe

D’emblée, le titre s’affiche dans les deux langues, le danois et l’islandais. Il est sorti à l’international sous son titre anglais mais l’enjeu est bien de faire dialoguer ou plutôt dire l’impossibilité de dialoguer entre les Danois et les Islandais, les premiers ayant colonisé les seconds à partir de 1536 et imposé la religion protestante – définitivement – après des siècles de combat contre les païens. 

Aussi, lorsque Lucas, ministre du culte luthérien est missionné à la fin du XIXème siècle par l’église du Danemark pour bâtir une église dans une contrée reculée d’Islande et qu’il est accompagné d’un guide qui ne parle pas danois, le périple s’avère plein d’embuches. Heureusement, Lucas est accompagné d’un traducteur mais le passage d’une rivière en crue aura raison de ce compagnon – sa mort est un choc sentimental pour le jeune curé qui ne s’en remettra pas et il en voudra à Ragnar, cette force de la nature qui comprend la nature, cette figure de démiurge qui sait autant faire preuve de sa force physique que chanter des poèmes. Ragnar est incarné par Ingvar Sigurosson, déjà présent dans le précédent film de Hlynur Palmason (Un jour si blanc 2019), tout comme Elliott Crosset Hove qui joue Lucas. Le réalisateur aime tourner en famille et avec sa famille d’adoption cinématographique, sur les lieux mêmes où il habite. Face à ces paysages qui renvoient à des temps immémoriaux, au monde tel qu’il était aux origines peut-être, on se dit qu’il est bien inspirant son terrain de jeu et de tournage ! 

Il porte ce projet de longue date, ayant anticipé des plans sur deux-trois ans, et après avoir découvert la technique des 1ères photographies et inventé son personnage de curé amateur de photos qui transporte sur son dos son matériel de prise de vue et de développement. Très belle idée qui sous-tend l’esprit du film et sa forme – le format carré. Le voyage du prêtre à travers la nature sauvage où glace et feu coexistent, avec sur son dos l’encombrante caisse de bois renfermant plaques de verre et appareil photo a un côté films démesurés à la Herzog et Campion. On pensera aussi à Joseph Conrad et aux westerns, références assumées par le réalisateur dont le film parle du combat de l’homme contre la nature et contre lui-même.  Hlynur Palmason a fait des recherches pour documenter son film, sur la façon dont on voyageait par exemple, et qu’il situe exactement en 1875, année de l’éruption du volcan Askja qui entraîna avec des conditions climatiques extrêmes une crise économique majeure. Cet ancrage précis et documenté lui a permis une liberté sur des détails et éléments qui ouvrent sur une dimension très actuelle. L’éclairage des visages du prêtre et de son amoureuse à la lumière rouge de la chambre de développement des photos produit un effet très contemporain inattendu et induit un rapport de familiarité entre les personnages et nous. Une séance de pose d’une fillette, Ida (la fille du réalisateur), sur un cheval, fait souffler un vent d’espièglerie et de légèreté qui contraste avec l’austérité ambiante qui règne. Le film s’ouvre sur un postulat : il s’inspire de photos retrouvées dans un coffret. Pure invention qui nourrit le récit et trouve un aboutissement en marge du film. Des photos ont été prises à « l’ancienne » avec du collodion et elles feront l’objet d’affiches pour la sortie du film – une matière de mise en abyme de l’objet filmique – objet de pur cinéma qu’il ne saurait être question d’apprécier ailleurs que dans une salle de cinéma !

Elsa Nagel