Archives de catégorie : Lecture

#Lecturesconfinement : Tais toi! de Anne Gruwez par Nadine Monfils

Anne Gruwez est belge et célèbre
depuis le documentaire (Strip Tease)
« Ni juge ni soumise » (César et
Magritte du meilleur documentaire
et prix de la meilleure actrice au
festival de San Sebastian). Son livre
est un brûlot qui relate son parcours
de juge, avec cette saveur et cette
verve qui la caractérisent. Il reflète
exactement sa personnalité si
attachante et atypique, haute en
couleurs ! On savoure sa manière
d’écrire et ses anecdotes
croustillantes. Cette femme généreuse, drôle et si proche des gens nous livre sa vision de la
justice et elle sait de quoi elle parle !

Nadine
 Monfils a écrit près de 80 romans et pièces de théâtre.
Son thriller Babylone Dream(Belfond) a obtenu le Prix Polar de
Cognac en 2007. Également cinéaste, elle a réalisé Madame
Edouard avec notamment Michel Blanc, Josiane Balasko et
Dominique Lavanant.

Tais toi! 
de Anne Gruwez (éditions Racine)
par Nadine Monfils

#Lecturesconfinement : La Taupe rouge de Julian Semenov par Laurent Pfaadt

Préparez-vous à une plongée en eaux
troubles. Celles du Berlin de la fin de
la seconde guerre mondiale
gouvernée par le chaos où règnent
véritables et faux espions. Dans cette
atmosphère apocalyptique, le lecteur
suit la taupe rouge, Maxime Issaiev,
alias Max von Stierlitz, agent du
NKVD infiltré dans les plus hautes
sphères nazies. Sa mission : empêcher
un complot fomenté par les sbires
d’Himmler pour négocier une paix
séparée avec les Alliés qui nuirait à
Staline.

Cette réédition de ce classique de la littérature d’espionnage russe
est une véritable aubaine littéraire. Sous la plume de ce John Le
Carré soviétique qu’il convient sans attendre de redécouvrir,
véritable « cocktail de Hemingway, Saint-Exupéry et Georges Simenon
pimenté d’interrogations dostoïevskiennes »
 selon l’écrivain russe
Zakhar Prilepine qui signe la préface, les différentes intrigues de ce
grand jeu se déploient avec brio. Leurs acteurs se nomment Walter
Schellenberg ou Alan Foster Dulles. Grâce à un rythme qui ne faiblit
jamais et qui ferait une excellente série télé, Julian Semenov
accroche son lecteur sans lui laisser de répit. Ses chapitres
ressemblent parfois à des rapports secrets. Il faut dire que l’auteur
puisa directement à la source puisqu’il fut le protégé de Iouri
Andropov, chef du KGB devenu le maître de l’URSS. Stierlitz est un
personnage de la trempe littéraire de George Smiley ou de Bernie
Gunther. Le livre refermé, une seule question nous taraude : à quand
le prochain épisode ?

La Taupe rouge
de Julian Semenov (10/18)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Les enfants vont bien de Nathalie Quintane par Arnaud Laporte

Dans ses premiers livres, Nathalie
Quintane se faisait orfèvre, en
montant et assemblant des
fragments, des phrases, des bouts
de récits, pour évoquer des
éléments constitutifs de notre
imaginaire commun, de Jeanne
d’Arc à l’autobiographie, en
passant par le monde du
commerce.

Quintane s’intéresse tout
particulièrement à ce que l’on
appellera, pour faire simple, les
injustices sociales. Ce que je trouve particulièrement
impressionnant avec Nathalie Quintane, c’est sa capacité à trouver
la forme adéquate avec son propos, une forme sans cesse en
mouvement, d’un livre à l’autre, mais toujours la plus juste possible.

Les enfants vont bien est sorti en novembre 2019. C’est un livre de
montage.

Il y a, bien entendu, une différence de taille entre telle ou telle
phrase des présidents de la République ou de leurs ministres de
l’Intérieur déclarant tous, invariablement, année après année et
quelle que soit leur « couleur » politique officielle, qu’il faut « faire
preuve de fermeté » et les batailles incessantes auxquelles se livrent
les réseaux d’aide pour obtenir de quoi chausser, de quoi nourrir, de
quoi mettre à l’abri, ne serait-ce que pour quelques jours, une
famille. Tout le monde n’est pas à mettre dans le même sac – ce livre,
aussi bien, n’est pas un sac.

Chaque fragment a, sur la page et selon sa provenance, une place et
une typographie attribuées : le cynisme et l’opportunisme sans frein
des hommes politiques ont la leur, tout en haut ; puis,
successivement, l’apparente neutralité des textes de loi ; la gestion
administrative à la fois débonnaire et implacablement
bureaucratique et dirigiste des centres d’accueil ; la routine
éditoriale de la presse quotidienne ; et, un peu à part – parce que le
vocabulaire, la syntaxe, la ponctuation n’ont pas le même ton et
témoignent d’une vision réellement différente de la situation –,
l’expression de la ténacité, de la fatigue, du découragement des
réseaux d’aide a sa place, en bas de page…

Ce livre n’est donc pas un récit, il ne raconte pas l’histoire des
réfugiés en France entre 2014 et 2018 ; pourtant, vous pourrez, à la
lecture, suivre sans peine une progression lacunaire, une
chronologie trouée, commençant par l’ouverture d’un centre
d’accueil en province.

L’essentiel se joue, comme pour les réfugiés (et pour nous tous), dans
l’implicite, dans ce qui n’est pas dit – l’officieux, le négociable et le
non négociable, le papier qu’on a, qu’on n’a pas, dont on vous dit que
vous l’aurez et qui ne vient jamais et dont, parfois, vous doutez de
l’existence même.

Ceci posé, qu’est-ce que ce dispotifif procure comme sensation pour
le lecteur ?

Il procure d’abord de la liberté.

On peut le lire page après page

On peut aussi choisir de lire section par section, en commençant par
le haut, par le bas, ou par le milieu.

C’est une autre sorte de ruissellement qui est montré, noir sur blanc,
sur la page. Il y a la parole politique, qui vient d’en haut, et qui écrase
tout le reste, car en dessous, on trouvera des textes de lois ou de
réglementation, les discours médiatiques puis en bas, en tout petit,
les mots de celles et ceux qui sont sur le terrain, au plus près des
migrants.

Parce que ce livre montre en creux une parole absente : celle des
migrants. Une parole absente pour dire aussi une invisibilité, alors
même que tant et tant de gens ne parlent que de ces personnes.
Pourtant, on ne les entend pas, ou si peu. Personne ne leur donne la
parole, ou si peu.

Ils obsèdent notre société, et c’est en même temps comme si leur
existence, leur être été niés.

Et ces autres paroles, celles relevées par Nathalie Quintane, les
assignent à cette place, la plus mauvaise, celle du coupable, mais un
coupable qui est aussi une victime.

C’est donc un livre politique, en ceci qu’il montre combien la parole
d’en bas est inaudible pour les étages d’au-dessus, ceux-là même qui
sont en capacité de changer le réel. Mais de ce réel, ils sont
déconnectés.

C’est un livre politique, poétique, littéraire.

C’est à vrai dire très difficile de parler de ce livre, tant il agite de
questions.

Mais c’est bien cela que l’on attend d’un livre, non ?

Il me faut aussi dire, ce qui n’est pas évident si vous ne l’avez jamais
lu, et que vous la découvrez au travers de mes propos, que les livres
de Nathalie Quintane sont drôles, à leur façon. Drôle d’une ironie
mordante, drôle d’un humour très noir.

Ici, il y a des phrases tellement hors-sol, comparées à la réalité du
bas de page, que l’on ne peut parfois qu’en rire, avec un énorme
frisson dans le dos.

Arnaud Laporte est journaliste, producteur de l’émission La Dispute
sur France Culture.

Les enfants vont bien de Nathalie Quintane (P.O.L)
par Arnaud Laporte

#Lecturesconfinement : Faiseurs d’histoires de Dina Nayeri par Sofia Bengana

Essayiste et écrivaine américaine,
Dina Nayeri confronte sa propre
histoire d’exilée iranienne à celle de
migrants à la rencontre desquels elle
se rend depuis 2016.

Dina a 9 ans lorsque sa mère, jeune
médecin convertie au catholicisme,
décide de fuir l’Iran des Mollahs avec
sa fille et son fils de 5 ans. Elle laisse
derrière elle le père de ses enfants et
une vie confortable. Faiseurs
d’histoires
retrace cette itinérance de
Téhéran à l’Oklahoma, en passant par
deux ans de clandestinité à Dubaï puis dans un camp de réfugiés, en
Italie, dans l’attente d’un visa pour les Etats-Unis. En Amérique, leur
intégration est semée d’embûches. Dina les surmonte grâce à un
travail acharné, qui lui ouvrira les portes des plus grandes
universités (Harvard, Princeton). Après une carrière de scientifique
et un beau mariage, elle décide de se consacrer à l’écriture. Mais la
réussite a un goût amer et en 2016, elle abandonne tout ce qu’elle a
construit pour se consacrer à l’écriture, partir à la recherche de ses
racines.

L’originalité de Faiseurs d’histoires tient tout d’abord à sa
construction : Dina Nayeri entremêle avec une rare virtuosité le
récit de son propre exil avec les témoignages des migrants qu’elle
rencontre à différentes étapes de sa vie, notamment dans des camps
de réfugiés en Europe. Kurdes, Afghans, Irakiens… ils ont quitté un
pays qu’ils aiment, bravant tous les dangers, dans l’espoir d’obtenir
l’asile. Dina Nayeri narre ces destins où s’entrechoquent le
désespoir, l’attente, la solidarité parfois même, le burlesque. Ces
hommes et ces femmes sont confrontés à la même question
cruciale : comment raconter leur histoire pour paraître crédible aux
yeux des services d’immigration ? C’est un enjeu de survie. Pourquoi
l’un sera cru et pas l’autre? Jusqu’où doivent-ils aller pour que leur
demande soit recevable selon les critères de l’administration? Une
administration faisant souvent preuve d’incohérence.

Dina Nayeri donne un visage et des mots à ces anonymes que l’on
évoque à la rubrique « crise des réfugiés ». Son livre est une étude de
caractères à la fois subtile et d’une profonde humanité. Elle n’hésite
pas à questionner la façon dont elle-même considère ces frères et
sœurs d’exil. Mises bout à bout, ces destinées minuscules forment
une fascinante chaîne humaine et, grâce à la plume émouvante et
affutée de Dina Nayeri, un grand, voire même un très grand roman
sur l’exil. Ce livre m’a bouleversée.

Sofia Bengana est la présidente de Place des éditeurs

Faiseurs d’histoires de Dina Nayeri (Presses de la cité)
par Sofia Bengana

#Lecturesconfinement : Les émotions de Jean-Philippe Toussaint par Bruno Racine

J’ai lu récemment avec
délectation Emotions de Jean-
Philippe Toussaint (Éditions de
Minuit). Peut-être parce que le
narrateur, un spécialiste de
prospective au service de l’Union
européenne, me rappelle des
fonctions que j’ai moi-même
exercées et qu’il décrit avec un
réalisme souvent féroce. Mais
surtout parce qu’il nous fait
partager le choc que représente
toujours cet événement
pourtant éminemment prévisible
qu’est la mort du père, ou encore les surprises de l’amour, à travers
le labyrinthe du bâtiment monstrueux qui, à Bruxelles, abrite la
Commission européenne.
Ancien directeur de la Bibliothèque nationale de France, Bruno
Racine dirige aujourd’hui le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana.

Les émotions
de Jean-Philippe Toussaint (Editions de Minuit)
par Bruno Racine

#Lecturesconfinement : Marseille 73 de Dominique Manotti par Thomas Cantaloube

Marseille 73 : derrière ce titre
tristement sobre, le dernier livre
de Dominique Manotti dissimule
en réalité une histoire vive et
complexe. Celle d’une ville, la
seconde de France, gangrénée par
les petits arrangements néfastes
avec la corruption, le racisme, les
mafias, les extrémistes de tous
poils. Des petits arrangements
que leurs promoteurs justifient
toujours au nom d’une paix sociale
qui, in fine, ne vient jamais. Par
contre, les victimes, elles,
continuent de souffrir : de l’exclusion, de la pauvreté, du désintérêt
des pouvoirs publics. En ce sens, si l’enquête policière que narre
Manotti s’ancre dans un moment précis, celui de la queue de comète
de la guerre d’Algérie, lorsque les anciens de l’OAS intègrent la
police française sans se départir de leurs anciennes idées et
pratiques néocoloniales, ce roman aurait aussi bien pu se situer du
côté des docks en 1947, des colleurs d’affiches du FN en 1995 ou de
la rue d’Aubagne en 2018 tant il décrit une réalité marseillaise
intemporelle.
Thomas Cantaloube est écrivain, scénariste et journaliste. Son
roman, Requiem pour une république(Gallimard) a obtenu le Prix
Landerneau Polar en 2019.

Marseille 73
de Dominique Manotti (Les Arènes)
par Thomas Cantaloube

#Lectures confinement : L’amas ardent de Yamen Manaï par David Diop

L’Amas ardent a valu à son auteur
tunisien, Yamen Manai, le Prix des cinq
continents de la francophonie en 2017. Je trouve admirable cette fable
construite autour d’une métaphore
filée liant les hommes et les abeilles : le
récit de 
l’invasion de la Tunisie par des
frelons asiatiques révèle
l’opportunisme de fanatiques religieux
profitant de la Révolution du printemps
2011 pour tenter de s’approprier le
pouvoir. Le personnage principal de
L’Amas ardent, qui est apiculteur, se bat
pour sauver ses filles, ses abeilles, de
frelons sans pitié pour elles. Sa quête d’un remède contre la
meurtrière propagation de l’ennemi est haletante. Elle symbolise un
combat voltairien contre le fanatisme. L’amas ardent est un hymne à
la tolérance et à l’espoir d’arriver à faire reculer un jour l’extrémisme
religieux par l’action courageuse de femmes et d’hommes de bonne
volonté.


David Diop, écrivain, enseigne la littérature à l’université de Pau.
Son roman, Frère d’âme, (Seuil) a obtenu en 2018 le Prix Goncourt
des lycéens.


L’amas ardent
de Yamen Manaï (Elyzad)
par David Diop

#Lecturesconfinement : La cité écologique, Pour un écorépublicanisme de Serge Audier par David Djaïz

Serge Audier produit ici un ouvrage
essentiel, dans lequel il essaie de
croiser deux courants théoriques et
politiques qui dialoguent peu : le
républicanisme civique, auquel il a
consacré d’importants travaux de
recherche, et l’écologie politique, qui
l’a beaucoup occupé ces dernières
années. L’hybridation philosophique
et politique à laquelle il se livre est
des plus réussies : elle permet de
penser d’un seul tenant et sans
exclusive les questions les plus
brûlantes de notre époque – la
question écologique bien sûr, mais aussi la question sociale et la
question démocratique. Un must-read pour tous ceux qui cherchent
un autre chemin que le libéralisme ou le nationalisme identitaire, un
chemin à la fois ambitieux et praticable!
David Djaïz est haut fonctionnaire et essayiste. Il est l’auteur de Slow
démocratie : comment maîtriser la mondialisation et reprendre notre
destin en main
 (Allary, 2019)

La cité écologique, Pour un écorépublicanisme
de Serge Audier
(La Découverte)
par David Djaïz

#Lecturesconfinement : La discrétion de Faïza Guène par Christophe Desmurger

À notre époque où les extrêmes sont
trop à la mode, où l’argent règne en
maître impitoyable, où tout doit aller
vite, un peu de discrétion est
salutaire.
Cette discrétion-là est celle d’une
femme ordinaire. De son village en
Algérie au bitume d’Aubervilliers,
Yamina rase les murs, ne fait aucune
vague.
Un émouvant portrait d’une femme
qui vit sans éclat.
Une très fine analyse du drame de l’exil, de la difficulté d’être un
enfant d’immigré et de grandir l’âme entre deux terres.
Cette discrétion-là est d’une grande subtilité, elle est grave et
poétique, drôle et émouvante.
Une bulle d’humanité en plein cœur d’une société ubérisée.

Vive La discrétion!

Christophe Desmurger est professeur et écrivain.
Dernier livre paru : Zone d’éducation privilégiée (Anne Carrière).

La discrétion
de Faïza Guène (Plon)
par Christophe Desmurger

#Lecturesconfinement : Autobiographie du rouge d’Anne Carson par Alexis Anne-Braun

L’autobiographie du rouge est un
long récit en vers de la poétesse
canadienne Anne Carson.
Une vie de Géryon, monstre ailé et
rouge, qui fut consacrée à la
photographie et à l’amour pour
Héraclès (transposé ici en héros de
la Beat Génération).
Les mots de la poète sont le négatif
des photographies de Géryon. On
y voit des ombres et des lumières, des frères et des mères, des
cuisines et des chambres à coucher.
Qu’un monstre de la mythologie puisse être justement si humain
(sur le chemin de l’école comme dans les gares routières d’Amérique
latine), c’était la grande idée d’Anne Carson.

Sa langue mime celle d’un poète grec oublié, une langue d’adjectifs
et d’épithètes audacieux qui s’imposent à nous avec une évidence
troublante.

Alexis Anne-Braun enseigne la philosophie. Son premier roman,
Ce qu’il aurait fallu dire (Fayard) est paru en septembre 2020.
Autobiographie du rouge d’Anne Carson (L’Arche)
par Alexis Anne-Braun