Urgence avant dispersion

Françoise Saur, Ce qu’il en reste

Françoise Saur © Luc Maechel

Pour honorer l’invitation du Musée des Beaux-Arts de Mulhouse
(lancée en 2017, mais mise en œuvre avec la conservatrice Chloé
Tubœuf seulement en 2021 en raison de la pandémie), Françoise
Saur propose une plongée dans la mémoire intime et la décline en
cinq chambres. Deux pistes s’y croisent. Des « photos d’inventaire »
réalisées lors du rangement des biens de ses parents décédés – c’est
sa toute dernière série – et un film projeté dans la « chambre 3 »
réalisé à partir du journal qu’elle tient depuis les années soixante-
dix : Prises de vie.

Un envoûtant travail de mise en beauté du temps.

L’exposition associe des objets réels (photos d’archive, lingerie,
collections, etc.) qui deviennent vestiges de civilisation dans l’espace
muséal avec, aux murs, une mise en scène de ces fragments de vies
photographiées par l’artiste. Son travail sur les rendus en grands
formats leur donne une spectaculaire matérialité – dans un premier
mouvement, le visiteur croit voir l’objet réel dans ses trois
dimensions – et les magnifie jusqu’à la transcendance de certaines
natures mortes ou vanités qui jalonnent l’histoire de la peinture. Au-
delà de la profondeur, c’est le temps et la densité de la mémoire
qu’installe son travail. C’est particulièrement sensible dans la
chambre 1 : Les Malles (anciennes, tapissées de tissu à l’intérieur)
composent d’exubérantes partitions avec leur contenu en déballage.
Françoise a ce don d’élargir le champ des deux dimensions du cadre
vers l’universalité, comme si elle rendait palpable à travers une
banale liste de courses le festin qui suivra.

Si la présentation peut évoquer un cabinet de curiosités (l’inévitable
vintage de certaines pièces l’aiguise), plutôt qu’exotiques, les objets
sont ceux du quotidien d’hier, d’avant-hier anoblis par la distance
temporelle et le regard de l’artiste. Ces reliques – lettres d’amour
(une pile équivalente à une ramette), télégrammes, diplômes, cartes
postales, clefs, médailles, vaisselle, etc. – s’affichent aussi précieuses
que celles de personnalités consacrées par l’histoire et suggèrent la
substance de la Vie plutôt que le récit biographique.

Prises de vie, le film co-réalisé avec Joris Rühl, plonge dans son cercle
familial et amical, capte les moments joyeux et festifs offrant un
contrepoint gorgé de sève aux objets forcément statiques exposés
par ailleurs.
La complicité de Philippe Schweyer (Médiapop) lui a permis d’éditer
en livre les photos utilisées prolongeant Les années Combi de 2017.

L’exposition est aussi emblématique du parcours de la photographe.
Connue pour ses clichés noir et blanc en argentique, elle a toujours
tiré elle-même les épreuves dans sa chambre noire délaissant la
couleur beaucoup trop contraignante. Les logiciels de retouches
d’image lui ont permis de trouver une maîtrise comparable de la
gamme chromatique et de migrer vers le numérique. Compositions
sur le marbre (2019, deux clichés de la série sont visibles au rez-de-
chaussée), exposées au MAMCS durant l’été 2021, avaient déjà permis d’admirer cette évolution. Fascinant passage d’un monde où le noir et blanc captaient l’intensité de la Vie vers la couleur qui en
sédimente les traces luxuriantes comme la poussière sur cette pile
de livre (chambre 2 : Les Accumulations) – le savoir, l’intelligence
délaissés par la culture 2.0 ?

Ce qu’il en reste ?

La délicatesse du temps qui passe, l’air de rien, et la puissance thaumaturge des images de Françoise Saur !

Par Luc Maechel

Musée des Beaux-Arts (Mulhouse) du 5.03 au 15.05.2022
https://beaux-arts.musees-mulhouse.fr
tous les jours sauf mardi et jours fériés de 13h à 18h30
Prises de vie / photographies F. Saur (Mediapop Édition, 16 €)