Mozart joué par le violoniste David Grimal

Les 24 et 25 février derniers, l’intégrale des cinq concertos pour
violon et orchestre de Mozart joué par le violoniste David Grimal
restera un évènement musical exceptionnel, tant sous l’angle de la
performance technique que par l’engagement esthétique de
l’interprète.

C’est durant la seule année 1775 que Mozart, jeune de ses 19 ans
mais déjà auteur d’œuvres remarquables, compose l’ensemble de ses
concertos pour violon. Si l’aspect divertissant et décoratif de la
forme concertante domine encore les deux premiers, les trois autres
offrent en revanche une inventivité et une complexité d’écriture qui
annoncent les futures grandes œuvres, notamment celles pour piano
et orchestre ; car Mozart, dans sa maturité,  ne reviendra pas au
concerto pour violon si ce n’est lors de tentatives ou d’ébauches
jamais abouties, comme si le genre restait pour lui entaché de la
servitude des années passées au service du prince-archevêque de
Salzbourg.

Même si huit mois seulement séparent leur composition, l’étonnante
progression, qui s’accomplit entre le premier et le dernier de ces
concertos, n’est jamais autant sensible que lorsque l’on a la chance
de les entendre dans leur succession. Fort bien soutenu par un petit
ensemble d’une vingtaine de musiciens et leur premier violon
Charlotte Juillard, David Grimal insuffle dans ce corpus mozartien
une vitalité juvénile hautement stimulante et parfaitement en
situation, si l’on tient compte de la durée d’un concert de presque
trois heures obligeant à aller de l’avant. Les tempi ne s’enlisent pas,
c’est le moins que l’on puisse dire, au risque d’altérer parfois la
volupté mélodique comme, par exemple, dans le premier
mouvement des quatrième et cinquième concertos. Ce n’est
toutefois qu’une mince réserve car, pour le reste, on est surtout
conquis par la grande liberté d’un jeu radieux, tant chez le soliste
que dans l’orchestre. Si la grâce des deux premiers concertos est
particulièrement bien rendue, leur jeu fluide, libre et spontané nous
vaut un des plus beaux troisième qu’il m’ait été donné d’entendre.
Faut-il par ailleurs attribuer aux archets d’époque procurés par
David Grimal cette sonorité de cordes particulièrement douce
entendue ces deux soirs ? Les musiciens jouaient en effet avec des
archets différents (plus courts), mais sur leurs instruments habituels.
Quant aux deux cors, hautbois (et flutes dans le troisième concerto),
il s’agissait de factures actuelles. Un pas dans l’historiquement
informé, un autre dans la modernité puisque Grimal a repris pour
son concert de Strasbourg les cadences (talentueuses) qu’il avait
faites écrire par le compositeur Brice Pauset à l’occasion de son
enregistrement des mêmes concertos effectué en 2015 avec son
ensemble Les Dissonances.

La soirée, celle de vendredi du moins, s’est achevée avec un bis offert
en solidarité avec  l’Ukraine en guerre : le grave de la sonate pour
violon n°2 de Bach, joué du coup avec une extrême gravité, dans un
son de stradivarius d’une beauté renversante.

Par Michel Le Gris

Désactiver l’Incontrôlable !

L’homme qui tua Mouammar Kadhafi
Superamas

Dans le cadre du festival les Vagamondes, la Filature a accueilli une
proposition de théâtre documentaire et interactif sur le
renversement de Kadhafi imaginée par le journaliste politique
Alexis Poulin et le collectif Superamas. Ils ont convaincu un
véritable maître espion en poste à Tripoli de 2007 à 2011 de
témoigner à visage découvert afin de préciser les dessous de
l’implication du Libyen dans la présidentielle française de 2007 et
de son retour en grâce internationale jusqu’à sa chute planifiée le
20 octobre 2011.

© Simon Gosselin

Avec la tension du direct, Alexis Poulin est dans son rôle de
journaliste d’investigation (à un moment, il était question de publier
son enquête en livre). Il détaille l’enchaînement des faits, le rôle des
différents protagonistes matérialisés sur scène par des portraits
manipulés comme des pions sur l’échiquier international. En maître
des horloges, il accueille un ancien agent de la DGSE, l’interroge,
invite les spectateurs à poser leurs propres questions (et ils ne s’en
privent pas).

Les tenants et les aboutissants, les manipulations aussi (les fake news
avancées par Al-Jazeera) s’exposent sous nos yeux et révèlent le
narratif pour « vendre » le renversement de l’incontrôlable dictateur
Libyen par le CNT. L’ex espion (son nom n’est pas mentionné) raconte
sobrement la fin du fantasque dirigeant tempérant le
sensationnalisme de ce moment sordide dont des images avaient
circulé sur les écrans. Il s’interroge aussi sur ce geste de mort :
Qu’est-ce qui compte véritablement dans cette histoire ? Est-ce que c’est
le nom de l’homme qui a appuyé sur la gâchette ou c’est le nom de celui
qui lui en a donné l’ordre ?
C’est d’ailleurs ce sentiment d’être trahi et de ne plus agir pour
l’intérêt général qui lui a fait renoncer à cette carrière.

Le journaliste le rappelle au début : cette forme théâtrale veut
prendre le temps de l’intelligence, ce que ne permet pas le plateau
de télévision (ou les joutes des réseaux sociaux) qui attise l’urgence
et l’affrontement des postures idéologiques plutôt que de poser les
enjeux y compris sous-jacents, ceux de la géopolitique (et de
l’économie !). Contrairement à un livre, elle permet l’échange avec le
public (très impliqué ce soir-là) et donne une densité concrète à ses
événements, ses personnages.

À démonter le complot (le plot des scénarios hollywoodiens), la pièce
interpelle aussi sur la transparence et la vocation de la guerre lancée
au bénéfice d’intérêts privés ou du pouvoir de quelques-uns sous
prétexte de libérer un peuple avec le story telling émotionnel qui assure l’après-vente. La manipulation des masses n’est pas une
exclusivité des régimes totalitaires et nos démocraties ne s’en
distinguent que par quelques nuances de brutalité.
Malheureusement l’actualité nous confronte à une tragédie de plus
où quelques ego se purgent à nouveau dans le sang des autres. Des
autres toujours trop nombreux à pleurer, saigner, mourir.

• Spectacle donné dans le cadre du festival les Vagamondes avec
d’autres belles propositions jusqu’au 27 mars, dont deux expositions
à voir en marge (ou non) des représentations :
The Nemesis Machine, la vibrionnante métropole high-tech de Stanza jusqu’au 27 mars (sur la mezzanine) et l’apesanteur plastique des photographies de SMITH jusqu’au 7 mai (dans la galerie).

Par Luc Maechel

La Filature Mulhouse
représentation du mercredi 16 mars 2022