Hier, jeudi 3 mars 2022, l’avocat François Sureau, grand défenseur des libertés individuelles et Grand Prix du roman de l’Académie française en 1991 par son roman l’Infortune (Gallimard, 1990) a été reçu à l’Académie française au fauteuil n°24 laissé vacant par l’historien et écrivain Max Gallo. Son élection avait quasiment fait l’unanimité, recueillant 19 voix sur 27 mais surtout aucun bulletin blanc, ni de croix, ce qui est assez rare. Dans son discours de réception où il a, comme le veut la tradition, rendu hommage à son prédécesseur, François Sureau a également rappelé que « La liberté est une étrange chose. Elle disparaît dès qu’on veut en parler. On n’en parle jamais aussi bien que lorsqu’elle a disparu. Elle semble, pour les écrivains en particulier, n’avoir qu’une seule et même source, qui se divise aussitôt en rivières aux cours différents, et souvent opposés. »
Dans son discours, il a également évoqué, sans la nommer, la guerre en Ukraine en citant ces vers des Châtiments d’Hugo « que nous ne devrions pas pouvoir lire aujourd’hui sans frémir » :
« Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour. Tout l’univers aveugle est sans droit sur le jour. »
Victor Hugo, inlassable partisan des Etats-Unis d’Europe dont le linceul s’est paré, ces jours derniers, de bleu et de jaune…
Alors que la guerre en Ukraine fait rage au nom d’une supposée « denazification » voulue par le président Vladimir Poutine et que des frappes russes tombent sur Kiev et le Mémorial de Babi Yar censé rappeler une Shoah perpétrée par les nazis et leurs collaborateurs ukrainiens, nous republions quelques anciennes chroniques et revenons sur un certain nombre d’ouvrages parus récemment qui, en expliquant le passé, permettent d’éclairer la tragédie actuelle où un certain nombre d’acteurs tentent, parfois intentionnellement, de brouiller les cartes.
Cette bibliothèque non exhaustive malheureusement se veut également un cri d’alerte – comme à chaque conflit – relatif aux destructions patrimoniales à venir. Ainsi, la bibliothèque nationale Vernadsky d’Ukraine à Kiev, l’une des plus grandes bibliothèques nationales du monde, possède quelques 525 incunables, soit des livres publiés avant 1500 ainsi que la Bible d’Ostrog, une traduction en slavon de la Bible réalisée au XVIe siècle et dont il ne reste à ce jour que 300 copies. D’autres bibliothèques dans des villes sous le feu russe, sont également en danger. Mobilisons-nous pour les sauver avec le #Saveukrainianlibrary
Petit tour d’horizon des ouvrages à lire :
Concernant Holodomor, la famine organisée par Staline en Ukraine dans les années 30, le lecteur se plongera avec émotion dans le très beau livre de Josef Winkler, l’Ukrainienne(Verdier, 2022) qui raconte l’histoire de cette paysanne venue d’Ukraine hébergeant au début des années 80 l’écrivain alors que celui-ci écrivait son troisième livre. S’en suivit une confiance entre lui et Nietotchka qui fit remonter à la surface les souvenirs de cette femme. En leur compagnie, le lecteur plonge dans les affres de l’Holodomor, cette tragédie peu connue.
A regarder également le film d’Agnieszka Holland, L’Ombre de Staline (2019) qui raconte la révélation de l’Holodomor par un jeune journaliste anglais, Gareth Jones.
Concernant la Shoah, le lecteur pourra se plonger dans plusieurs ouvrages :
Le Livre noir (Livre de poche, 2001) de Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg, un classique qui raconte la Shoah à partir de témoignages recueillis dans les différentes républiques socialistes dont l’Ukraine, notamment auprès de survivants. Des centaines de documents ont ainsi été recueillis par les deux auteurs qui se sont rendus dans les camps de la mort sitôt libérés. Transmis sous forme de rapport au procureur soviétique de Nuremberg, l’ouvrage a ensuite été interdit par le pouvoir soviétique.
Elle venait de Marioupol, à la recherche d’une famille perdue en Union soviétique (Metailié, 2020) de Natascha Wodin, magnifique histoire couronnée par l’un des principaux prix littéraires allemands, le prix Alfred Döblin en 2015, et qui raconte la quête de l’autrice pour reconstituer l’histoire de sa mère, venant de Marioupol aujourd’hui assiégée par l’armée russe, et suicidée à 40 ans. Natascha Wodin livre ici un récit émouvant qui va bien au-delà de la simple enquête.
Timothy Snyder, Terre noire : L’Holocauste, et pourquoi il peut se répéter (Gallimard, 2016) qui se veut une réflexion globale sur l’extermination des populations slaves et juives dans les territoires d’Europe de l’Est et notamment en Ukraine. Fondée sur la notion de Lebensraum, « l’espace vital » cette réflexion s’inscrivit, selon l’historien américain, dans une logique dépassant la seule considération raciale et visant également la captation des ressources naturelles ukrainiennes. A l’heure où près de 5000 juifs ont fui leur patrie après l’invasion russe, « l’holocauste n’est pas seulement histoire, il est aussi avertissement » prévient Timothy Snyder. http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/apres-le-rouge-le-noir/
Babi Yar d’Anatoli Kouznetsov(Tallandier, 2020) relate le massacre perpétré en deux jours (29 et 30 septembre 1941) par les Einsatzgruppen SS et leurs supplétifs ukrainiens qui assassinèrent quelques 33 000 personnes. Raconté par l’un des survivants, ce livre est une quête. De la vérité. De la mémoire. De la vie. http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/babi-yar/
A écouter également la 13e symphonie Babi Yar de Dimitri Chostakovitch dans la version du Symphonieorchester des Bayerisches Rundfunks dirigé par Mariss Jansons (EMI Classics)
Enfin, parcourir le passé de l’Ukraine permet également de tracer l’avenir de cette nation aujourd’hui meurtrie et qui a assurément vocation à rejoindre l’Europe. Se plonger ainsi dans l’ouvrage de Yuri Andrukhovych, Lexique de mes villes intimes, Guide de géopoétique et de cosmopolitique(Editions Noir sur Blanc, 2021) permet d’appréhender une nation « cousue par toutes ces artères et capillaires précisément à l’Europe »http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/lexique-de-mes-villes-intimes-guide-de-geopoetique-et-de-cosmopolitique/