Mauvaise

De debbie tucker green

mise en scène Sébastien Derrey

L’inceste est le non-dit qui détruit toute relation familiale car si
chacun soupçonne, devine ou sait il s’installe dans  un déni qui
instaure le silence. Quand sa réalité vient à se faire jour, cela
déclenche des rejets de culpabilité des uns vis à vis des autres.

Cette pièce écrite par l’autrice noire debbie tucker green (qui ne
veut pas de majuscules à son nom), traduite par Gisèle Joly, Sophie
Magnaud, Sarah Vermande, est tout à la fois violente, pesante mais
comme habitée aussi par le repli sur soi qui fait apparaître un
contraste total entre la colère exprimée par les uns et le calme
apparent affiché par les autres.

Explosion et retenue se partagent le jeu des comédiens dans ce huis
clos qui met en contact, le père, la mère , la fille aînée, la cadette, la
benjamine et le frère. Il n’ont pour tout accessoire qu’une chaise où
s’asseoir (scénographie Olivier Brichet). Le père (Jean-René
Lemoine), installé sur la sienne n’en bougera pas et restera au centre,
tranquille et quasiment muet. N’est-il pas le sujet principal de cette
sombre affaire ?

La mère, (Nicole Dogué) occupe la sienne sans la quitter non plus,
manifestant par les mouvements de son corps la douleur que les
accusations de sa fille, « la mauvaise », (Lorry Hardel) fait peser sur
elle. Car, c’est elle, l’aînée, revenue au foyer qui exige la vérité et que
chacun dise ce qu’il a compris, ce qu’il a ressenti de ce qui lui est
arrivé à elle. Elle est l’accusatrice et éructe un flot de paroles,
répétées, hurlées, comme une litanie. Elle va, piétinant le sol,
vitupérant « chienne, chienne » à l’encontre de sa mère. Le ton monte
et la parole meurtrissante envahit l’espace.

Cette entrée en matière est extrêmement impressionnante,
glaçante.

La soeur cadette, (Bénédicte Mbemba), sans lui répondre vraiment,
bredouillera à son tour une sorte de défense, faisant entendre
qu’elle a su, avouant qu’elle s’est contenté de prier pour que sa soeur
ne tombe pas enceinte. Cet aveu détourné étant achevé, elle ira
prendre place sur une chaise et y demeurera, témoin de cet autre
situation bientôt révélée quand le frère, (Josué Ndofusu Mbemba) 
fera comprendre sans que cela soit dit explicitement que, lui aussi, a
été victime du père.

Le mot « inceste » n’est jamais prononcé mais il pèse de toute son
horreur sur les silences et les demi-mots qui émaillent ces prises de
parole, interrompues, suspendues par ces silences hautement
significatifs et ces coupures de lumière qui laissent planer le
suspense (lumière Christian Dubet).

Les regards croisent ceux du père, de la mère puis se dispersent vers
le public.

Rien ne semble acquis de cette vérité que Fille veut faire apparaître
en criant son besoin de reconnaissance alors que Père et Mère 
restent quasiment muets. Lui  ne dira que « Pas obligé » et au final « fait le mauvais choix ».

La complicité de la mère ne peut être totalement masquée comme
en témoigne sa souffrance. En filigrane des mots laisseront
entendre  qu’elle a offert fille et fils à son mari pour ne pas avoir
besoin  de satisfaire ses désirs sexuels.

Alors que la réalité  s’impose peu à peu, un autre discours vient à son
encontre, tenu avec la même impétuosité que celui de l’aînée, celui
de la benjamine, (Océane Caïraty), la plus jeune qui n’a pu être
témoin de la situation et qui place ses propos sur le plan d’une
espèce de rivalité avec cette soeur dont on fait bien trop de cas à son
goût. Elle refuse d’adhérer, d’entrer dans cette histoire et clame une
forme de liberté que souligne sa façon de parler, familière, très
directe, voire agressive.

La langage est une des clés de voûte de ce spectacle par sa radicalité,
sa violence son flux coupé de silence, son rythme qui le rapproche du
rap, ce non-dit qui dit tout,  porté par des comédiens totalement
engagés dans ces rôles on ne peut plus délicats et qui nous ont
bouleversés.

Par Marie-Françoise Grislin

 représentation du 23 mars au TNS

jusqu’au 31 mars en salle Gignoux