Jackson juge Pétain

Après sa biographie de Charles de Gaulle, l’historien américain s’attaque au procès Pétain

Qui aurait pu imaginer qu’un jour un Jackson jugerait l’ancien chef du régime de Vichy ? Non pas Robert qui fit condamner Hermann Goering et Albert Speer mais bel et bien Julian Jackson. Car à la différence des procès de Nuremberg et de Tokyo, il n’y eut, comme le rappelle l’historien britannique, pas de juge étranger. Le procès Pétain fut donc une affaire franco-française.


Auteur d’une biographie remarquée de Charles de Gaulle, Julian Jackson, professeur d’Histoire à Queen Mary, University of London, s’attaque dans son nouveau livre à un autre mythe de l’histoire française au 20e siècle, Philippe Pétain en revenant sur le procès de ce dernier devant la Haute cour de Paris à l’été 1945.

D’emblée l’historien précise : « ce livre ne cherche pas à « rouvrir » le procès pour montrer que Pétain a été trop durement traité, ou pas assez ». Il n’empêche. Ce livre est une salle d’audience, celle, étouffante de ces trois semaines de l’été 1945 où l’ancien héros devenu paria de France fut jugé. Dès les premières pages, le principal accusé, 89 ans, vient s’asseoir sur le banc des accusés. Puis arrivent le président Mongibeaux, l’accusation emmenée par André Mornet et Pierre Bouchardon surnommé le « Balzac des assises » des années 20, « animé d’une haine animale pour le maréchal Pétain » selon Jacques Isorni, le principal avocat du maréchal.

Dans ce huis clos littéraire oppressant où le lecteur avance en connaissant le verdict, l’historien s’attache tout d’abord à décrire les circonstances du crime historique dont est accusé Philippe Pétain depuis cette poignée de main avec Hitler à Montoire-sur-le-Loir. Puis vient le régime de Vichy, la libération de la France, la fin et les préparatifs du procès.

Le décor de la tragédie parfaitement mis en place, le procès peut alors démarrer. Entre détails et compréhension globale, Julian Jackson s’installe à son tour et place à chaque chapitre son lecteur dans la posture de président, d’avocat de la défense, de l’accusation, de juré et de journaliste pour nous faire prendre conscience de l’importance que revêt ce procès historique. Les témoins à charge et à décharge se succèdent : Paul Reynaud que Pétain supplanta après avoir manœuvré pour assassiner la République, Léon Blum qui triompha du maréchal à Riom, Weygand pour justifier l’armistice. Vient ensuite le 4 août où l’abolition des privilèges de la collaboration a laissé place à la consécration des responsabilités avec un Pierre Laval déjà dans l’antichambre de son propre procès. Puis résonne la plaidoirie de Jacques Isorni : « Magistrats de la Haute Cour, écoutez-moi, entendez mon appel. Vous n’êtes que des juges ; vous ne jugez qu’un homme. Mais vous portez dans vos mains le destin de la France ». Rien n’y fait. Pétain est condamné à la peine de mort et à l’indignité nationale, peine commuée en emprisonnement à perpétuité en raison de son grand âge.

Commence alors un second procès, celui de la mémoire du maréchal, parfaitement mené par Julian Jackson. Un procès qui, si l’on en croit les déclarations de l’actuel Président de la République et d’Eric Zemmour, n’est pas terminé. Un procès où Jackson retrouvant les accents du grand Robert, convoque à la barre de l’Histoire, les spectres de la Shoah et autres révisionnistes. « Et si le procès Pétain est clos, le pétainisme n’est pas mort » tranche-t-il en guise de jugement dans ce livre qui résonne étrangement dans notre époque tourmentée.

Par Laurent Pfaadt

Julian Jackson, Le Procès Pétain, Vichy face à ses juges, traduit par Marie-Anne De Béru
Aux Seuil, 480 p.

Bergson, le penseur de l’imprévisible

De mémoire d’étudiant, il n’y eut jamais à l’Ecole Normale Supérieure, autant d’esprits aussi brillants. En cette année 1878, rue d’Ulm, se côtoyèrent ainsi Henri Bergson et Jean Jaurès. « La question qui agite la rue d‘Ulm est de savoir qui des deux sortira premier de l’agrégation de philosophie » écrit ainsi Emmanuel Kessler dans sa très belle biographie du philosophe. Bergson sortit second devant Jaurès. Le premier ? Rien de mois qu’Emile Durkheim, le père de la sociologie moderne.


Quelques trente six ans plus tard, le 12 février 1914, quatre mois avant la première déflagration mondiale, l’un des plus grands philosophes de son temps était reçu à l’Académie française, lui le juif, l’immigré polonais qui acquit la nationalité française, qui fit et continue de faire rayonner, à l’instar d’une Marie Curie et d’un Guillaume Apollinaire, la France dans le monde entier.

Ces deux dates rythment ainsi cette biographie récompensée par le prix de la Fondation Chanoine Delpeuch – Académie des sciences morales et politiques en 2022. Mêlant histoire et philosophie, elle emmène son lecteur sur les traces de l’un des plus grands penseurs français du 20e siècle mais surtout elle permet de comprendre ce philosophe fascinant qui a anticipé quelques-uns des grands défis de notre époque, du changement climatique à l’irruption des nouvelles technologies en passant par les réseaux sociaux. Chantre de ce qu’Emmanuel Kessler dénomme « le pari de l’ouverture » , Henri Bergson estimait « qu’une société pacifiée et épanouissante pour les femmes et les hommes qui la composent ne peut se constituer dans le paradigme de la clôture ». S’il faut une clôture à la société, celle-ci doti avant tout définir une volonté plaçant l’humain au centre de la société. Plus qu’une leçon de philosophie, Bergson nous invite avec ce livre à un sursaut.

Par Laurent Pfaadt

Emmanuel Kessler, Bergson, le penseur de l’imprévisible,
Alpha, Philosophie, 352 p.

Dans les couloirs du conseil constitutionnel

Les débats sur la loi immigration en fin d’année 2023 a remis le conseil constitutionnel en pleine lumière. D’où l’occasion de se plonger dans cette bande-dessinée fort réussie et surtout extrêmement pédagogique. Accompagnant nos deux autrices, une Marie Bardieux-Valente béate d’admiration pour l’institution et une Gally plutôt trublionne formant ainsi un duo particulièrement drôle, le lecteur entre dans cette institution créée par la constitution de la Ve République et installée le 5 mars 1959. Il y découvre son fonctionnement, son évolution notamment à partir de 1971 où il s’est émancipé de la tutelle politique, les grandes décisions et ses grandes figures telles que Léon Noël, son premier président, Robert Badinter ou Simone Veil grâce à d’habiles flashbacks.


Parfaitement didactique, l’ouvrage réussit le tour de force de rendre compréhensible des sujets complexes. A cette dimension pédagogique, il ajoute une composante instructive fort intéressante qui permet d’apprendre un certain nombre de choses même pour les plus avertis en entrant dans le détail de certaines procédures comme celle de collecte des parrainages.

Dans la droite ligne de l’instauration par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de la QPC, la question prioritaire de constitutionnalité qui permet de saisir le conseil constitutionnel pour vérifier si une disposition législative n’est pas inconstitutionnelle comme dans le célèbre principe de solidarité porté par Cédric Herrou, la bande-dessinée aborde également la volonté du conseil constitutionnel de se rapprocher des citoyens avec la nuit du droit et sa décentralisation en province.

« D’un organe modeste considéré comme marginal et mineur, il est dorénavant de tout premier plan au sein du régime » écrivent ainsi les autrices dans cette bande-dessinée en tous points réussis et qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques scolaires. Et nos autrices de terminer sur une petite pique à propos de la tentation toujours renouvelée de l’exécutif de faire du conseil constitutionnel une chambre d’enregistrement ou un allié institutionnel. Deux mois après la publication de cette BD, le Parlement adoptait la loi immigration. On connaît la suite…

Par Laurent Pfaadt

Marie Bardiaux-Valente, Gally, Dans les couloirs du conseil constitutionnel
Aux éditions du Glénat, 112 p.