Archives de catégorie : Lecture

Bergson, le penseur de l’imprévisible

De mémoire d’étudiant, il n’y eut jamais à l’Ecole Normale Supérieure, autant d’esprits aussi brillants. En cette année 1878, rue d’Ulm, se côtoyèrent ainsi Henri Bergson et Jean Jaurès. « La question qui agite la rue d‘Ulm est de savoir qui des deux sortira premier de l’agrégation de philosophie » écrit ainsi Emmanuel Kessler dans sa très belle biographie du philosophe. Bergson sortit second devant Jaurès. Le premier ? Rien de mois qu’Emile Durkheim, le père de la sociologie moderne.


Quelques trente six ans plus tard, le 12 février 1914, quatre mois avant la première déflagration mondiale, l’un des plus grands philosophes de son temps était reçu à l’Académie française, lui le juif, l’immigré polonais qui acquit la nationalité française, qui fit et continue de faire rayonner, à l’instar d’une Marie Curie et d’un Guillaume Apollinaire, la France dans le monde entier.

Ces deux dates rythment ainsi cette biographie récompensée par le prix de la Fondation Chanoine Delpeuch – Académie des sciences morales et politiques en 2022. Mêlant histoire et philosophie, elle emmène son lecteur sur les traces de l’un des plus grands penseurs français du 20e siècle mais surtout elle permet de comprendre ce philosophe fascinant qui a anticipé quelques-uns des grands défis de notre époque, du changement climatique à l’irruption des nouvelles technologies en passant par les réseaux sociaux. Chantre de ce qu’Emmanuel Kessler dénomme « le pari de l’ouverture » , Henri Bergson estimait « qu’une société pacifiée et épanouissante pour les femmes et les hommes qui la composent ne peut se constituer dans le paradigme de la clôture ». S’il faut une clôture à la société, celle-ci doti avant tout définir une volonté plaçant l’humain au centre de la société. Plus qu’une leçon de philosophie, Bergson nous invite avec ce livre à un sursaut.

Par Laurent Pfaadt

Emmanuel Kessler, Bergson, le penseur de l’imprévisible,
Alpha, Philosophie, 352 p.

Dans les couloirs du conseil constitutionnel

Les débats sur la loi immigration en fin d’année 2023 a remis le conseil constitutionnel en pleine lumière. D’où l’occasion de se plonger dans cette bande-dessinée fort réussie et surtout extrêmement pédagogique. Accompagnant nos deux autrices, une Marie Bardieux-Valente béate d’admiration pour l’institution et une Gally plutôt trublionne formant ainsi un duo particulièrement drôle, le lecteur entre dans cette institution créée par la constitution de la Ve République et installée le 5 mars 1959. Il y découvre son fonctionnement, son évolution notamment à partir de 1971 où il s’est émancipé de la tutelle politique, les grandes décisions et ses grandes figures telles que Léon Noël, son premier président, Robert Badinter ou Simone Veil grâce à d’habiles flashbacks.


Parfaitement didactique, l’ouvrage réussit le tour de force de rendre compréhensible des sujets complexes. A cette dimension pédagogique, il ajoute une composante instructive fort intéressante qui permet d’apprendre un certain nombre de choses même pour les plus avertis en entrant dans le détail de certaines procédures comme celle de collecte des parrainages.

Dans la droite ligne de l’instauration par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de la QPC, la question prioritaire de constitutionnalité qui permet de saisir le conseil constitutionnel pour vérifier si une disposition législative n’est pas inconstitutionnelle comme dans le célèbre principe de solidarité porté par Cédric Herrou, la bande-dessinée aborde également la volonté du conseil constitutionnel de se rapprocher des citoyens avec la nuit du droit et sa décentralisation en province.

« D’un organe modeste considéré comme marginal et mineur, il est dorénavant de tout premier plan au sein du régime » écrivent ainsi les autrices dans cette bande-dessinée en tous points réussis et qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques scolaires. Et nos autrices de terminer sur une petite pique à propos de la tentation toujours renouvelée de l’exécutif de faire du conseil constitutionnel une chambre d’enregistrement ou un allié institutionnel. Deux mois après la publication de cette BD, le Parlement adoptait la loi immigration. On connaît la suite…

Par Laurent Pfaadt

Marie Bardiaux-Valente, Gally, Dans les couloirs du conseil constitutionnel
Aux éditions du Glénat, 112 p.

Un Charon soviétique

Sacha Filipenko ressuscite avec maestria un maillon de la chaîne de la répression stalinienne

Les grandes purges staliniennes. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes assassinées, des cadres du régime, des intellectuels, des militaires et des anonymes. Personne ne s’est posée la question de savoir où finissaient tous ces cadavres après avoir été exécutés par les bourreaux du NKVD. Personne sauf Sacha Filipenko, écrivain biélorusse vivant en Suisse et opposant aux dictateurs Loukachenko et Poutine.


Ces innombrables victimes arrivaient chez Piotr Illitch Nesterenko, directeur du crématorium de Moscou chargé de brûler tous ces ennemis présupposés du régime et d’en faire disparaître leurs traces, jusqu’aux os. Il était le kremulator, nom ainsi donné à la machine permettant de broyer les ossements du défunt après son incinération. Son dossier dormait dans les archives du KGB jusqu’au jour où l’un des cadres de l’ONG Mémorial le confia à l’auteur d’Un Fils perdu (Noir sur Blanc, 2022) qui allait faire de cette vie un roman à la fois palpitant et subversif, couronné par le prix Transfuge 2024 du meilleur roman européen. Car il est bien connu que le stalinisme fut comme Saturne, il mangea ses propres enfants et Nesterenko se retrouva à son tour, au deuxième jour de l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht, le 23 juin 1941 arrêté pour activité de contre-espionnage et interrogé.

Nous voilà ainsi embarqué dans une série d’interrogatoires où l’auteur, de sa plume mordante conte à la fois l’histoire de cet homme qui eut mille vie mais également le labeur de ce maillon des purges en compagnie du célèbre Vassili Blokhine (1895-1955), célèbre bourreau qui apparaît en personnage froid et dévoué à sa tâche. Anonymes, intellectuels, personnages d’État passèrent ainsi entre les mains de Nesterenko : Lev Kamenev et Grigori Zinoviev, compagnons de Lénine ou encore le poète Vladirmir Maiakovski. Le lecteur avance ainsi dans l’histoire des premières décennies du communisme comme s’il arpentait un cimetière pour y croiser les spectres des victimes du petit père des peuples.

Mais surtout avec une ironie mordante presque jubilatoire, Sacha Filipenko met en scène magistralement la confrontation entre Nesterenko et le jeune tchékiste chargé de son interrogatoire, Pavel Andreïevitch Perepelitsa, dans la prison de Saratov. « C’est qu’en vérité, ma douce, nos objectifs sont différents : lui, il doit me tuer, tandis que moi je suis déterminé à tuer du temps » lance ainsi Nesterenko à sa femme dans un dialogue imaginaire depuis sa prison. Un jeu du chat et de la souris où l’auteur, habilement et il faut bien le dire avec grand talent, dévoile toutes les inepties du système soviétique et à travers lui, tracent des ponts inconscients avec son successeur. Car dans Kremulator, chacun y lira Kremlin.

Par Laurent Pfaadt

Sacha Filipenko, Kremulator, traduit du russe par Marina Skalova
Aux éditions Noir sur Blanc, 208 p.

La montagne maudite

Avec Le banquet de Empouses, Olga Tokarczuk signe certainement l’un de ses plus beaux romans

Il y a un siècle paraissait l’un des monuments de la littérature européenne du 20e siècle, La montagne magique d’un Thomas Mann récipiendaire du prix Nobel de littérature en 1929. Sa lointaine successeuse, Olga Tokarczuk, couronnée quant à elle en 2008, nous propose avec son nouveau roman une étonnante variation.


Nous sommes à la veille de la Première guerre mondiale, en 1913. Un jeune ingénieur dénommé Mieczyslaw Wojnicz arrive au sanatorium de Göbersdorf dans ce coin de Silésie avec ces montagnes des Sudètes entourées de sous-bois humides où rôdent des empouses, ces créatures femelles aux formes diverses qui séduisent les hommes avant de les dévorer. Si le sanatorium a bien existé, construit par le botaniste allemand Hermann Brehmer, en revanche le monde qui l’entoure peuplé de mystères et de dangers est un décor dont seule la prix Nobel a le secret. Car au sein de cette petite communauté d’intellectuels sentant la naphtaline et tenant des propos d’une misogynie éculée, entre champignons hallucinogènes et liqueur maléfique, se joue quelque chose d’étrange et de fascinant que Wojnicz et le lecteur vont progressivement découvrir.

Comme à chaque fois avec Olga Tokarczuk, le fantastique débarque dans le récit sans crier gare donnant à sa prose cette dimension à la fois fascinante et unique. S’il existe un réalisme magique que l’on retrouve chez un Garcia Marquez ou un Murakami, ici, il faudrait plutôt parler de réalisme maudit trempé dans cette atmosphère d’Europe de l’Est avec ses vampires, ses créatures venues des mythologies grecques et romaines, et ce paganisme dont raffole la prix Nobel.

Sa Silésie a ainsi des airs de Transylvanie et constitue un monde sorti de ténèbres prêts à se répandre sur l’Europe. Le banquet des Empouses est une sorte de concentré des Livres de Jakob dans cet aboutissement à produire un univers tenant tout entier dans un livre-monde.

Bien évidemment, derrière le roman se cache comme à chaque fois chez Olga Tokarczuk, une critique de la société moderne. Ici, elle se porte sur le traitement réservé aux femmes. Il y a quelque chose de pourri dans ce banquet d’intellectuels vilipendant des femmes transformées en empouses prêtes à assouvir leur vengeance séculaire. Et le lecteur d’assister avec effroi et jouissance à cette terre qui s’ouvre pour engloutir la montagne du Nobel 1929 sous les coups de boutoir de créatures venues répandre un souffle nouveau sur ces tuberculeux condamnés.

Par Laurent Pfaadt

Olga Tokarczuk, Le banquet des Empouses, traduit du polonais par Maryla Laurent
Aux éditions Noir sur Blanc, 304 p.

« À même pas 60 ans, Dune a encore de belles années devant lui »

Ancien responsable éditorial chez Robert Laffont, Fabien Le Roy a
participé à la nouvelle réédition de Dune en tant qu’éditeur réviseur.
Pour Hebdoscope, il revient sur cette œuvre hors du commun. .

Pourquoi selon vous, Dune continue à susciter tant d’engouement
auprès de générations successives alors que d’autres sagas parfois
très célèbres ont tendance à s’épuiser ?

La saga Dune fait partie des rares œuvres-univers de la littérature
mondiale – à l’instar de celles de J.R.R. Tolkien, de H.P. Lovecraft ou,
dans la sphère francophone et à une plus humble échelle spatio-
temporelle, de La Comédie Humaine de Balzac et des Rougon-
Macquart de Zola – : les thématiques sont extrêmement variées ; on
y retrouve des archétypes (Herbert connaissait bien les travaux de
Jung) que chaque nouvelle génération peut assimiler selon sa
sensibilité et ses repères ; et la distribution des personnages est
aussi riche que diverse. L’effet multiplicateur du cinéma a également
beaucoup joué. À même pas 60 ans, Dune a encore de belles années
devant lui.


En quoi Dune est-il d’abord un grand livre au sens littéraire ?

Dune est une œuvre de maturité que Frank Herbert a débutée à 40
ans environ (et qu’il a poursuivie jusqu’à sa mort en 1986). Cet
autodidacte curieux et touche-à-tout qui fréquentait romanciers,
politiques et psychologues, a agencé toutes ces connaissances en
une weltanschauung – une conception du monde – unique, qui
s’étend sur plus de 34 000 ans et les milliards de planètes que
comptent notre galaxie. C’est un grand livre au sens littéraire parce
que chaque nouvelle lecture réserve des découvertes, parce qu’on
se pose des questions en le lisant et qu’on y trouve des réponses.
Frank Herbert fait également montre au cours des six tomes de la
saga de sa maîtrise des différents genres littéraires, jouant de la tragédie et du sacré avec une grande profondeur de champ.

Frank Herbert n’a t il pas eu l’intuition que notre planète courait à
sa perte lorsqu’il évoque les questions de l’eau et de l’épuisement
des ressources naturelles car l’épice est une sorte de métaphore du
pétrole ?

Dune reste d’une interprétation très ouverte : certains lisent dans
l’épice une métaphore du pétrole, mais d’autres celle du LSD. Mais il
est certain qu’il avait conscience qu’une ressource finie – épice, eau
ou pétrole – se retrouve cause de monopoles et de conflits à grande
échelle. Qui plus est, l’énorme documentation que Frank Herbert a
ingérée lors de ses travaux préalables à l’écriture – 600 ouvrages
tant d’histoire, de religion, de philosophie que de biologie et de
géologie – l’a sans doute aidé à obtenir une perspective
exceptionnelle sur les défis qui attendaient l’humanité. Mais Dune
reste néanmoins un space opera où la Terre n’est plus qu’un lointain
souvenir. En tout cas, Herbert a toujours refusé d’endosser
l’uniforme de prophète, sachant à quels extrémismes les prophètes
pouvaient mener.

En lisant entre les lignes, le jihad ainsi que les Fremen rappellent en
un sens l’Islam. Est-ce à dire, en plus de son côté prophétique –
propre à de nombreuses sagas de SF – que Dune est empreint d’une
profonde dimension théologique ?

Frank Herbert emploie le terme jihad à de nombreuses reprises dans
Dune. Il se serait inspiré du siège de Khartoum en 1885 par les
troupes coloniales britanniques : pour sa planète des sables, endroit
propice où faire naître un prophète, il a en effet modelé ses Fremen
en empruntant aux bédouins du Soudan et à la spiritualité
musulmane, ayant recours à de nombreux mots d’arabe pour ajouter
de la couleur locale et un certain exotisme au texte, mais en y
ajoutant une bonne dose de références au bouddhisme, au
catholicisme avec la Bible Orange Catholique et même au judaïsme
dans un tome ultérieur. Oui, Dune est emprunt d’une profonde
dimension théologique (avec notamment les redoutables Sœurs du
Bene Gesserit !) et je ne saurais que conseiller aux lecteurs friands
de telles considérations de poursuivre au moins jusqu’au tome 4,
L’Empereur-Dieu de Dune, où Herbert réussit le tour de force de nous
faire partager les pensées d’un dieu.

Interview de Laurent Pfaadt

A lire : Dune, 6 tomes, nouvelle traduction, coll. Ailleurs et demain, Robert Laffont.

« Un roman formidable rempli d’énergie et de péripéties »

Écrivain, éditeur, critique, ancien rédacteur en chef du Magazine littéraire, Laurent Nunez a préfacé l’édition collector des Hérétiques de Dune, qui vient de paraître aux Éditions Robert Laffont. Pour Hebdoscope, il nous en dit plus.


Quelle place occupe Les Hérétiques de Dune dans la saga ?

Les Hérétiques de Dune représente le cinquième et avant-dernier tome de la série Dune. Il en constitue donc quasiment l’épilogue, mais il a été écrit à partir d’un coup de génie qui a été mal compris par nombre de fans : l’intrigue de ce roman se déroule en effet 1500 ans après le tome 4, L’Empereur Dieu de Dune. Dès lors, tous les personnages que les fans avaient appris à connaître et à apprécier (Leto II, Siona, Alia, Paul, Jessica) disparaissent de l’histoire ! Quelle hérésie ! En ce sens, le titre du livre est déjà un indice des intentions littéraires de Herbert : il a écrit ce qu’il a voulu, et tant pis si certains ont boudé ce roman formidable, rempli d’énergie et de péripéties auxquelles on ne s’attendait absolument pas.

S’agit-il d’une forme de retour à l’équilibre naturel qui préexistait avant le règne de Leto II ?

Herbert détestait la répétition – et le retour à un équilibre n’est au final qu’une répétition heureuse… Souvenez-vous : dans Les enfants de Dune, Leto II avait vu le pire qui s’annonçait : la fin de l’humanité, si elle s’enfermait dans ses schémas, et si les humains demeuraient dans leurs petites habitudes, dans leurs petites vies. Le fils de Paul avait donc entrepris d’aller là où son père avait reculé : il s’était transformé en monstre des sables, en dieu vivant, pour comploter des siècles et des siècles, et pour offrir à l’humanité 35 siècles de quiétude insupportable. « Des milliers d’années paisibles, dit Leto. Voilà ce que je vais leur donner. » C’est cette paix horrible et artificielle que Leto II et Herbert appelaient le Sentier d’or : un chemin qui mène à l’explosion des désirs, et à l’exploration des mondes.

L’Empereur-Dieu avait contraint les êtres humains à rester immobiles, prisonniers de leurs proches, de leurs habitudes et de leur habitus. Il avait imposé l’inactivité à tout le monde, contenant les possibilités de l’Humanité comme dans une cocotte-minute, ou comme en un immense ressort que l’on comprime, et que l’on a hâte de relâcher. À la mort du Tyran, cette fausse paix vola bien sûr en éclats, provoquant la Grande Dispersion, projetant toute l’Humanité sur des chemins périlleux mais nouveaux. Herbert propulsa de même son intrigue, et son lecteur, dans ce nouveau monde des Hérétiques : et c’est ce monde qui s’ouvre à nous lorsque nous ouvrons ce volume. À nous l’ailleurs qui vient vers nous, et les Honorés Matriarches, les Belluaires, les Futars, tous ces êtres que nous découvrons ! À nous la chance d’éviter la répétition, l’ennui, le psittacisme d’un univers romanesque que nous adorions, mais qui aurait pu tourner encore et toujours sur lui-même !

Après Muad’Dib et Leto II, c’est aussi l’apparition d’un autre personnage central de la saga, Darwi Odrade…

Darwi Odrade — qu’on appelle plutôt Dar dans le livre — est en effet un personnage important des Hérétiques, et de la Maison des Mères, le tout dernier volume de Dune. Cette révérende mère est avant tout une Atréides, et en ce sens elle poursuit la quête de Paul, de Leto II, de Siona : trouver une tierce voie dans un monde trop polarisé. Sa mission, quand elle sera à la tête du Bene Gesserit, sera tout simplement d’éviter la dissolution de ce groupe de femmes, de le faire évoluer sans que son ADN philosophique, éthique, ne change radicalement. C’est un personnage qui fascine, car Odrade est dans le doute constant ; et pourtant elle agit. Elle ne se laisse pas avoir, comme Alia, comme Paul, ou comme son fils, Leto, par les pouvoirs de l’épice, qui lui permettraient peut-être de se rassurer et de voir l’avenir. Au fil des pages, elle tâtonne, essaie, recule, rate souvent, réussit parfois. Elle craint tout et ne craint rien. Elle tient sans doute le rôle le plus humain, le plus pathétique, de ce cycle : c’est une héroïne anti-héroïque.

On sait qu’Herbert écrivit Les Hérétiques de Dune alors que sa femme mourait du cancer. Cela se traduit-il dans cet opus ?

Il est difficile de savoir exactement dans quelle mesure cela a influencé le contenu du livre, mais certains critiques ont fait des observations sur la tonalité plus sombre et introspective de ce livre par rapport aux autres de la série. Les Hérétiques de Dune aborde, en effet, les thèmes de la perte, du deuil, du sacrifice et de la transformation personnelle, qui reflètent évidemment le drame personnel de Herbert à l’époque. Mais si la tonalité de ce livre est plus noire que d’ordinaire, Herbert nous laisse tout de même un message optimiste à travers cet autre message que Leto II, le terrible Empereur, a laissé dans une des salles délabrées du Sietch Tabr, et qu’Odrade déchiffre avec angoisse dans Les Hérétiques :

« JE VOUS LÈGUE MA PEUR ET MA SOLITUDE. À VOUS JE DONNE LA CERTITUDE QUE LE CORPS ET L’ÂME DU BENE GESSERIT CONNAÎTRONT LE MÊME SORT QUE TOUS LES AUTRES CORPS ET QUE TOUTES LES AUTRES ÂMES.

QU’EST-CE QUE LA SURVIE SI L’ON NE SURVIT PAS ENTIER ? DEMANDEZ-LE DONC AU BENE TLEILAX ! QU’EST-ELLE SI L’ON N’ENTEND PLUS LA MUSIQUE DE L’EXISTENCE ? LES MÉMOIRES NE SUFFISENT PAS SI ELLES N’ONT PAS LE POUVOIR D’INSPIRER DE NOBLES FINS ! »

La musique de l’existence : celle qui, toujours, va de l’avant. Celle qui fait danser, et non pas celle qui fait marcher au pas. Il existe une sagesse pratique chez Frank Herbert, que l’on n’a pas assez retenue et qui consiste à s’efforcer de penser davantage au futur qu’au passé. Cela va de pair avec les nobles fins… Leto II semble insinuer cela dans la dernière phrase de son message, que j’aime beaucoup : l’expérience, le savoir, la mémoire seconde, tout qui nous vient des autres, du passé, et qui nous nourrit démesurément, n’est pas d’une si grande valeur si l’on ne s’en sert pour se diriger dans le monde et pour le transformer, pour trouver un but à la fois personnel et collectif. Une raison d’agir propre à soi, mais utile à tous. Une raison d’agir, et de vivre, qui tienne face à la mort. Et la raison d’agir et de vivre de Herbert ? C’était, malgré la perte de sa femme, d’écrire cette saga, qui continue de fasciner et d’influencer des millions de lecteurs dans le monde.

Par Laurent Pfaadt

Que notre joie littéraire demeure

Le festival Italissimo consacré aux littératures italiennes est de retour du 2 au 7 avril 2024

Après une édition 2023 marquée par une programmation conjointe avec le festival du Livre de Paris, ITALISSIMO revient pour sa neuvième édition du 2 au 7 avril 2024 avec quelque trente-cinq écrivains.


Comme tous les ans, le public aura l’occasion de rencontrer les écrivains emblématiques du paysage éditorial italien, ainsi que d’en découvrir les nouvelles plumes, récemment traduites en français.  Lectures, rencontres, projections, ateliers de traduction, d’écriture, jeunes publics, spectacles, rencontres scolaires, vont rythmer ces jours de festival.

Paolo Giordano, Mantoue, Italie, 2018
©Getty – Leonardo Cendamo / Contributeur

Cette année Paolo Giordano sera la tête d’affiche de cette nouvelle édition. L’auteur du désormais cultissime La solitude des nombres premiers, prix Strega, le Goncourt italien, en 2008 et paru au Seuil en 2009 conduira une délégation d’écrivains transalpins désormais connus du grand public et composée des prix Strega Mario Desiati (2019) et Nicola Lagioia (2015) mais également de Lisa Ginzburg, autrice du remarqué Sous ma carapace (Verdier, 2023) ou d’Alessandro Barbaglia et son remarquable coup du fou (Liana Levi, 2022), un roman encensé par Daniel Pennac « qui l’offre à tout le monde » et que nous avions chroniqué : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/la-guerre-des-echecs-aura-lieu/

L’auteur de la saga Malaussène sera lui-aussi présent puisqu’il lira à la Maison de la Poésie Le Lynx (Liana Levi, 2012) de Silvia Avallone. D’autres auteurs comme Marco Missiroli (Chaque fidélité, Calmann-Lévy, 2019) et  Rosella Postorino, autrice il y a quelques années de La goûteuse d’Hitler (Albin Michel, 2019), prix Jean Monnet complèteront cette pléiade d’héritiers de Dante et d’Alberto Moravia.

La Maison de la Poésie comme l’Institut Culturel italien, la Maison de l’Italie, la Sorbonne ou Science Po seront à nouveau les repaires de nos héros littéraires transalpins. C’est d’ailleurs dans la prestigieuse institution de la rue Saint Guillaume que tout débutera avec Karine Tuil et Paolo Giordano.

Tous ces auteurs évoqueront à coup sûr la mémoire de Goliarda Sapienza, la géniale autrice de L’art de la joie (Viviane Hamy) dont 2024 marquera le centenaire de la naissance. Pour l’occasion, un documentaire sera projeté. Côté cinéma, le réalisateur Edoardo de Angelisprésentera Commandant, son nouveau film écrit avec Sandro Veronesi tandis qu’une rencontre professionnelle sur l’édition en France et en Italie se tiendra à l’Institut Culturel italien. Enfin, cette fête de la littérature italienne ne serait pas totale sans la présence du plus italien des auteurs français, Jean-Baptiste Andrea, récent prix Goncourt pour Veiller sur elle (L’Iconoclaste), magnifique saga italienne, qui dialoguera avec Giuseppe Catozzella, auteur de Brigantessa (Buchet-Chastel, 2022), prix des lecteurs aux littératures européennes de Cognac en 2023. Ainsi, quelques mois avant les JO, Paris deviendra l’Olympe des dieux…littéraires italiens.

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toute la programmation d’ITALISSIMO : http://www.italissimofestival.com/

Un quarteron de hérauts en retrait

Dans son nouveau livre, Pierre Manenti dresse les portraits de ces hommes qui accompagnèrent le général de Gaulle

Ils furent les maréchaux napoléoniens du 20e siècle, ces hommes qui, partis de l’ombre, suivirent le grand homme de leur temps jusqu’à la gloire, jusqu’aux sommets du pouvoir. Avec son nouveau livre en forme d’arc de triomphe de papier, Pierre Manenti, meveilleux guide historique et littéraire, nous invite à entrer dans le panthéon gaulliste


Les barons gaullistes naquirent en 1963 sous la plume du Chateaubriand de la presse française, à savoir Jean Daniel, rédacteur en chef du le Nouvel Observateur. « Trois caractéristiques semblent propres à ces six hommes et justifient leur appartenance à ce groupe fermé : une place centrale dans la vie politique du gaullisme, au sein de ses associations, mouvements, partis et réseaux, une continuité dans le rapport au général de Gaulle et au gaullisme, enfin un réseau de relations avec les autres barons » écrit ainsi l’auteur. Traçant les portraits passionnants des six barons historiques, de Gaston Palewski, le gardien du temple que De Gaulle rencontra au cabinet de Paul Reynaud à Olivier Guichard, maître d’œuvre du retour du général en 1958 en passant par les grandes figures que furent celles de Michel Debré, Jacques Chaban Delmas, Jacques Foccart ou Roger Frey, aujourd’hui oublié, Pierre Manenti montre ainsi que le gaullisme naquit de ces six hommes avant de s’agrandir en cercles concentriques intégrant à la fois fidèles des années de guerre et nouveaux seigneurs que furent notamment les deux derniers premiers ministres du général jusqu’au dernier gaulliste Albin Chalandon, ancien garde des sceaux en 1986, ce « seigneur du gaullisme, porteur d’une mémoire qui le légitime à porter ce titre » et à qui l’auteur consacra une biographie remarquée. Des cercles concentriques rejetant également à la marge ceux qui dévièrent de la doxa énoncée par le grand homme et s’inscrivant dans une dimension monarchique tirée de cette histoire de France qu’il infusa dans la constitution de la Ve République. Et l’auteur de montrer sans le dire que le gaullisme se structura à la manière d’une féodalité qui ressembla par bien des aspects (fidélité, cooptation, culte du chef, fief politique) à son modèle médiéval avec ses vassaux, ses affidés, sa vénération. Le livre de Pierre Manenti rend également justice à ces barons oubliés que furent Jacques Soustelle ou Louis Terrenoire.

Le livre refermé, le lecteur se demande : y a-t-il encore des gaullistes ? Et l’auteur d’ouvrir dans une astucieuse conclusion la porte à la transformation du gaullisme en gaullien, d’un mouvement en idée aujourd’hui revendiquée de part et d’autre du spectre politique, de barons devenus mémorialistes, et d’un nom devenu adjectif. Dans cette usurpation réside pourtant une forme d’universalité que retranscrit  pertinemment ce livre brillant.

Par Laurent Pfaadt

Pierre Manenti, Les barons du gaullisme
Aux éditions Passés composés, 368 p.

A lire également :

Pierre Manenti, Albin Chalandon, le dernier baron du gaullisme, préface de Catherine Nay, Perrin, 400 p.

Jean-Luc Barré, De Gaulle, une vie, l’homme de personne, 1890-1944, Grasset, 992 p.

Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/gravir-le-pic-gaulliste/

Le grand jeu et ses cavaliers

Plusieurs livres reviennent sur l’histoire des relations internationales et sur leurs acteurs

En 1911, l’intervention italienne signa le début d’un engrenage de guerres qui allaient conduire quelques trente ans plus tard au premier conflit mondial. Une siècle plus tard, en 2011, l’intervention conjointe de plusieurs pays dont la France et la Grande-Bretagne destinée à se débarrasser du dictateur Kahdafi accentua une méfiance déjà grande de la part de la Chine et de Moscou à l’égard de l’Occident qui eut comme conséquences le recul de l’influence française en Afrique et à la guerre en Ukraine dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences sur l’histoire mondiale des relations internationales.


Entre ces deux dates, il nous est permis grâce au livre coordonné par Pierre Grosser et appelé à devenir une référence, d’observer, décennie après décennie, l’émergence de grandes puissances (Etats-Unis, URSS puis Russie, Chine), mais également ces ruptures comme celle de la doctrine Carter de protection du Golfe Persique qui engagea durablement les Etats-Unis au Proche et Moyen Orient. Les évolutions et la résurgence de phénomènes rythmant un 20e siècle agité sont également analysés avec talent. Réunissant ainsi de nombreux spécialistes des relations internationales, Pierre Grosser, professeur à Science Po et spécialiste de la guerre froide installe avec cet ouvrage une vision globale, sur le temps long, des relations internationales traitées à l’échelle mondiale. Banissant les détails qui ne font que nuire à la démonstration, Pierre Grosser rappelle que cette histoire se doit d’être « généraliste car il faut qu’elle soit surplombante ». Une clairvoyance qui permet ainsi d’appréhender avec maestria les conséquences d’évènements qui nous paraissent de prime abord singuliers mais qui se révèlent être en réalité les secousses de tremblements de terre à venir.

Sur l’échiquier mondial où se joue ce grand jeu, il faut aux rois quelques cavaliers pour éviter qu’ils soient, comme le disait Tolstoï, un peu moins esclaves de l’histoire. Hubert Védrine, ancien conseiller diplomatique de François Mitterrand puis ministre des affaires étrangères entre 1997 et 2002 a réuni dans un livre appelé à devenir un classique une galerie de portraits de ces grands diplomates qui ont façonné l’histoire. De Mazarin à Zhou Enlaï en passant par Talleyrand ou Metternich sous la plume de Charles Zorgbibe, l’un de nos meilleurs connaisseurs de l’histoire des relations internationales, l’ouvrage nous emmène sur les différents continents et à différentes époques historiques. Et si le 20e  siècle domine une grande partie de l’ouvrage et que chacun ira de son commentaire sur les choix opérés dans cette sélection – l’absence d’Andrei Gromyko, inamovible ministre soviétique des affaires étrangères partiellement évoqué chez Serguei Lavrov dont on attend toujours la biographie française de référence – le lecteur est ainsi invité à se promener dans les salons diplomatiques des siècles précédents où s’est écrite l’histoire des relations internationales sous les plumes de journalistes, de professeurs, et de ces grands diplomates-écrivains à l’instar d’un Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur en Allemagne qui livre un magnifique portrait de Vergennes, secrétaire aux affaires étrangères d’un Louis XVI à «l’intelligence inquiète et résolue ». Une foisonnante bibliographie d’ouvrages de référence permet également à la fin de chaque chapitre d’approfondir chaque personnage et chaque époque.

Henry Kissinger, décédé récemment et son pendant démocrate, Zbigniew Bzrezinski demeurent les grands diplomates d’une deuxième moitié du 20e siècle dominée par les Etats-Unis. Les derniers portraits constituent peut-être les chapitres les plus fascinants car moins étudiés que les Talleyrand ou Metternich et sur lesquels beaucoup de choses ont été écrites. Avec Kofi Annan et surtout Serguei Lavrov peint par une Sylvie Bermann qui l’a connu en tant qu’ambassadrice à Moscou, le livre fait la jonction entre passé et présent, entre histoire et reportage. Mais surtout, avec ce portrait en Talleyrand russe, Sylvie Bermann fait entrer en littérature ce personnage complexe plein de facéties, habile provocateur imperméable à toute humiliation et qui « n’est pas à proprement parler un homme de Poutine ». Une façon de dire comme Pierre Grosser que l’histoire des relations internationales comme celle de ses acteurs est, comme le qualifiait l’historien grec Thucydide, « un éternel recommencement ».

Par Laurent Pfaadt

Histoire mondiale des relations internationales, de 1900 à nos jours sous la direction de Pierre Grosser, collection Bouquins
Aux éditions Robert Laffont, 1248 p.

Grands diplomates, les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours, sous la direction d’Hubert Védrine
Aux éditions Perrin, 416 p.

Pour aller plus loin, la rédaction d’Hebdoscope vous conseille également :

Gérard Araud, Henry Kissinger: Le diplomate du siècle, coll. Texto,
Tallandier, 252 p.

Sylvie Bermann, Madame l’ambassadeur: De Pékin à Moscou, une vie de diplomate
Tallandier, 352 p.

Christian Baechler, Gustav Stresemann, Le dernier espoir face au nazisme
Passés composés, 332 p.

Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/le-dernier-espoir/

Histoire d’un messie littéraire

Chef d’œuvre absolu qui transcende les générations. Inadaptable.
Avec
Fondation d’Isaac Asimov et Hypérion de Dan Simmons, Dune
demeure l’une des plus importantes sagas littéraires de science-
fiction. A l’occasion de la sortie du film de Denis Villeneuve qui
prouve que rien ne résiste à l’industrie cinématographique et qu’il
existe toujours un œil, pourvu que celui-ci soit talentueux, pour
matérialiser la vision d’un créateur,
Dune effectue un nouveau
retour. Une fois de plus. Depuis maintenant près d’un demi-siècle, le cycle de Frank Herbert continue à occuper le devant de la scène
éditoriale. Les sables du temps n’ont donc pas recouvert cette œuvre quand tant d’autres disparaissent ou vieillissent terriblement mal. Pourtant, l’œuvre a mis du temps à s’imposer en France, car le genre était peu estimé et il s’agissait d’
« un gros livre, d’un auteur inconnu, dont l’action ne démarrait vraiment qu’au-delà de cent pages au moins, qui était assez obscur, tortueux et demandait de l’attention » comme le rappelle Gérard Klein, le découvreur français de Dune, auteur et créateur de la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont dans le magnifique ouvrage Tout sur Dune, sorte de Bible définitive sur l’œuvre de Frank Herbert où le passionné comme le néophyte retrouvera l’auteur, l’univers, les personnages, les adaptations et une série de réflexions sur la saga. Pour autant, comment expliquer cette permanence qui passe à travers les générations ? Comme expliquer cet engouement qui n’a jamais faibli ?


La première des raisons tient d’abord à sa qualité littéraire. Dune est
avant tout une œuvre majeure de la littérature que l’on aime la
science-fiction ou pas, et comme peuvent l’être les grands
classiques. « C’est un immense roman, bien sûr ! Pourquoi pensez-vous
que nous lisons toujours Anna Karénine ou Guerre et Paix ? Je suis surtout
surpris que le succès n’ait pas été aussi étendu et rapide chez nous »
poursuit Gérard Klein. Pour peu que l’on gratte le vernis de la
science-fiction, considéré longtemps comme un genre mineur de la
littérature, Dune comporte tous les ingrédients des grandes
histoires. A l’instar d’un Howard Philipps Lovecraft ou plus
récemment d’un Stephen King qui ont mis du temps à trouver leur
juste place dans la littérature américaine d’abord puis mondiale
ensuite, Frank Herbert (1920-1986) reste encore assez méconnu. Et
le travail qu’il réalisa fut digne des Zola ou des Balzac comme se plaît
à le rappeler Fabien Le Roy (interview ci-après). De plus, la mode
actuelle des récits littéraires dystopiques offre également une
nouvelle jeunesse à l’œuvre d’Herbert.

Outre sa qualité littéraire intrinsèque, le cycle de Dune porte en lui
une profonde réflexion écologique qui a trouvé durant ces cinquante
dernières années des échos réguliers et plus particulièrement
aujourd’hui avec les rapports alarmistes sur la planète. La quête et
l’exploitation de l’épice, métaphore des énergies fossiles, l’absence
d’eau comme élément nécessaire à toute vie ne peuvent
qu’interpeller le lecteur à une époque de raréfaction des ressources
naturelles et de montée de tensions géopolitiques autour de l’eau.
Avec cet élément que la nature reprendra toujours ses droits. C’est
ce qui a marqué Denis Villeneuve, le réalisateur du film qui signe
l’une des préfaces de la nouvelle réédition du livre chez Robert
Laffont: « C’est pour moi l’image la plus forte du roman : l’humain devant
imiter la nature le plus humblement possible afin d’y survivre »

L’exploitation de la planète Arakis par des puissances étrangères
successives (les Harkonnen puis les Atreïdes) et la résistance de
leurs habitants, les Fremen, inspirés des Bédouins, interpellent
fatalement sur le droit des peuples à disposer de leur terre et sur
cette liberté confisquée au nom d’intérêts économiques. Ces formes
d’asservissement et le destin de Paul Atreïdes, décidé à briser ces
dernières, ont fait de Dune, un manifeste célébrant résistance et
quête de liberté tout au long d’époques marquées successivement
par le colonialisme, la décolonisation, la guerre froide et l’imposition
de la démocratie par des puissances extérieures. En plus de sa
dimension littéraire et écologique, Dune dispense un message
politique renforcé par les derniers tomes de la saga.

Enfin, lorsqu’on parle de quête, il est impossible d’ignorer celle qui,
spirituellement, se dégage de Dune. Cet élément théologique que
l’on rattache à un syncrétisme avec des tendances islamiques, juives
avec le Talmud et la Kabbale ou chrétiens évangéliques a contribué
au succès de l’œuvre. Cependant, « dans Dune, les religions n’ont pas de
réalité transcendantale ; les expériences auxquelles elles offrent accès
relèvent d’expériences psychologiques plus que véritablement mystiques »
estime cependant Sarah Teinturier, chargée de cours et spécialiste
des religions à l’université de Sherbrooke dans Tout sur Dune. En ces
temps d’exacerbation des identités religieuses, cette dimension,
mêlée à d’autres, a ainsi continué à entretenir une fascination qui n’a
jamais faibli.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Frank Herbert, Le cycle de Dune, 6 tomes, traduction revue et corrigée,
collection « Ailleurs & Demain », Robert Laffont.

Tout sur Dune dirigé par Lloyd Chéry,
Editions de l’Atalante & Leha, 304 p.

Pour tous ceux qui veulent s’immerger dans l’univers de Dune, nous leur conseillons les jeux de société Dune et Dune Betrayal
chez Gale Force Nine et Legendary.