Archives de catégorie : Lecture

Affluents de la révolution

Alaa El-Aswany © Joël Saget Agence France-Presse

Les évènements de
la place Tahrir en
2011 vus par Alaa
El-Aswany. Un chef
d’œuvre.

Seul Alaa El-Aswany,
le génial auteur de
l’immeuble Yacoubian
ou d’Automobile Club,
pouvait édifier un tel monument littéraire sur la révolution manquée
de la place Tahrir en 2011 qui vit la chute du « pharaon » Hosni
Moubarak remplacé par Abdel Fatah Al-Sissi. Dans un formidable
roman choral qui reste à ce jour interdit dans son pays, l’écrivain
égyptien revient sur cet évènement majeur pour nous offrir une
impressionnante radiographie de la société de son pays.

Une douzaine de personnages principaux et une vingtaine de
personnages secondaires plus passionnants les uns que les autres
composent une fresque comme autant d’affluents qui se jettent
dans cette mer qu’est la fameuse place Tahrir devenue en même
temps la source des maux d’une nation. Même la mise en place de
tous ces personnages dans un roman qui ne dure que 432 pages, est
admirablement réalisée et on prend plaisir à découvrir ces hommes
et ces femmes truculents, pathétiques, héroïques ou sadiques et à se
familiariser avec leurs quotidiens et leurs névroses qui sont légions.
Quelques-uns sortent du lot : bien évidemment le général Alouani,
chef de la sécurité d’Etat et héros national, qui regardent en secret
des films pornographiques et prend plaisir à superviser la torture
d’opposants pour combler sa frustration sexuelle, Akram, la
servante d’un acteur sur le déclin dont les ébats amoureux – il faut
lire ces pages splendides détaillant comment séduire une servante –
donnent sur cette place où plusieurs révolutions se jouent, ou
l’opportuniste Nourhane, présentatrice à la télévision, qui nous
émeut avec sa volonté de s’élever en prenant sa revanche sur cette
société masculine.

L’auteur montre parfaitement que la révolution est dans toutes les
têtes et surtout sur tous les corps. Il y a bien entendu la révolution
politique, cette quête de liberté et de justice réclamée par certains
personnages comme Asma mais également cette révolution
sexuelle, sorte barrage fissuré prêt à rompre. Du divorce interdit
chez les coptes à la morale sexuelle véhiculée par des exégètes du
Coran, tel le ridicule cheikh Chamel qui frise souvent l’absurde, Alaa
El-Aswany nous fait pénétrer l’intérieur des foyers pour nous
montrer que ce qui est tabou en public se libère, de la façon la plus
sensuelle, dans le privé. Mais cette séparation qui conduit à tous les
excès de frustration, peut-elle, en cette époque de transparence à
outrance, subsister ? La réponse est non et la place Tahrir en devient
le réceptacle.

Les divers modes narratifs tels que la forme épistolaire ou la
confession concourent grandement à l’absence d’ennui et à
maintenir un rythme littéraire qui ne fait que s’accélérer à mesure
que se précipitent les évènements. Ils desservent des personnages
profonds et complexes, à l’image de cette société dont ils essaient,
parfois en vain, de s’extraire, et dont les échos de leurs destinées se
répondent, s’affrontent.

Avec ce roman Alaa El-Aswany montre, s’il est encore nécessaire de
le prouver, qu’il est, en digne successeur de Naguib Mahfouz, non
seulement l’un des plus grands écrivains du monde arabe, mais peut-
être l’un des plus grands tout court.

Par Laurent Pfaadt

Alaa El-Aswany, J’ai couru vers le Nil,
Actes Sud, 432 p.

Marc Fernandez, Bandidos

Il est temps d’embarquer une fois
de plus dans cet avion-cargo
déglingué que constitue chaque
nouvelle enquête de Marc
Fernandez. On y est balancé,
secoué, pris de nausée et on ne sait
jamais si on en sortira indemne.

A la suite de la découverte du
cadavre d’une amie, Diego Martin,
journaliste radio, replonge trente
ans en arrière, dans les affres de la
dictature argentine qu’il croyait
avoir, avec la fin des généraux, définitivement oublié. Et pourtant.

De Madrid à Buenos Aires, cette nouvelle enquête dont
l’atmosphère n’est pas sans rappeler Luis Sepulveda ou Caryl Férey
confirme les talents de conteur d’un Marc Fernandez qui n’a pas son
pareil pour guider ses lecteurs à travers cette forêt de spectres sud-
américaine qu’il connait si bien. Ne nous reste plus qu’à suivre les
traces de sang laissées par ces politiciens et mafieux impliqués dans
cette sale affaire jusqu’au dénouement final.

Signalons du même auteur la sortie en poche de Guerilla social club
(livre de poche, 288 p.)

Par Laurent Pfaadt

Preludes, 320 p.

Nathan Hill, Les fantômes du vieux pays

Lorsque s’ouvre la convention
démocrate à Chicago en cette année
1968, la tension est à son comble.
Assassinats de Martin Luther King et
de Robert Kennedy, question raciale,
guerre du Vietnam, les Etats-Unis sont
plus que jamais divisés. Parmi les
manifestants se trouve alors Faye
Andresen-Anderson, la mère de
Samuel, devenu quelques trente ans
plus tard, professeur d’université. Car,
à la suite d’un nouveau coup d’éclat de
sa mère, Samuel va se lancer dans une
quête des origines et découvrir par la
même occasion la face cachée d’un pays qu’il croyait connaître.

Dans ce roman que seuls les Américains sont capables de produire,
on assiste à une véritable radiographie de la nation américaine. Et le
constat que fait l’auteur, qui a mis dix ans à écrire cet ouvrage, est
implacable. A l’image de ses personnages, on alterne entre désarroi,
consternation et  comédie. Rappelant parfois John Irving, Nathan
Hill s’inscrit d’emblée avec ce premier roman comme l’un des grands
auteurs américains de ces dix dernières années, et surtout comme le
chef de file de cette nouvelle génération d’auteurs où l’on trouve
également la brillante Hannah Kohler, qui ose enfin dévoiler l’envers
du décor du rêve américain. Un grand roman assurément.

Par Laurent Pfaadt

Chez Folio,  960 p.

Viet Thanh Nguyen, Le sympathisant

Quelle est la part de trahison qui
sommeille en chacun de nous ? Quel
est le point de rupture au-delà duquel
tout être humain succombe? C’est à
ces questions que le héros du livre de
Viet Thanh Nguyen, Prix Pullitzer
2016, tente de répondre. Son héros, le
sympathisant, est un bâtard, un être
vil dénué de morale. A-t-il une estime
de soi ? Peut-être. Tout au long de
cette longue confession qui
transforme ce récit d’espionnage en
roman existentialiste, le lecteur se le
demande à chaque page.

Conseiller d’un général du Sud-Vietnam, l’homme est en réalité à la
solde des communistes. Exilé aux Etats-Unis, il assistera en
spectateur averti à la transformation du conflit en instrument de
propagation du mythe américain. Cynique, non dénué d’humour, le
roman se veut alors politique et son grand mérite est de ne jamais
verser, à travers ses diverses mues, dans le manichéisme. Car après
tout, la guerre n’est jamais manichéenne. Au contraire de la paix. Et
de cette lucidité, l’auteur en tiré un livre grandiose.

Par Laurent Pfaadt

10/18, 552 p.

Les étoiles noires

Voyage dans
l’aéronautique nazie.

Michel Heurtault
signe une fresque
épique réussie

Un roman comme une
fusée. Une ambition
presque démesurée. Un rêve inatteignable. Dépasser le genre humain.
Voilà à quoi pourrait se résumer les desseins de l’auteur et de ses
personnages. Car lorsque l’on entreprend un tel voyage, personne ne sait
où il mènera. Et il faut dire qu’à l’instar de ses personnages, le voyage
littéraire que nous propose le nouveau roman de Michel Heurtault va
bien au-delà de ses buts initiaux. Cette épopée spatiale et humaine
propulse ainsi son lecteur dans une contemplation stratosphérique de
l’Histoire, bien au-delà de la surface de la terre, bien plus haut que ces A2,
prototypes d’une mort à venir, qui s’élevèrent dans le ciel de Frise durant
ces années 30 sous les regards admiratifs d’un aréopage assoiffé de
vengeance sans savoir que les rêves de quelques-uns allaient devenir,
quelques années plus tard, les cauchemars de millions d’autres. Parmi
l’assistance où les masques dessinés par Michel Heurtault ne sont pas
encore tombés, se cachent les futurs traîtres, héros et criminels. Seuls
quelques-uns savent qu’il faudra choisir son camp. 

Anton, lui, perçoit le danger à venir grâce notamment à la
clairvoyance d’une femme, Hanne. Notre héros ne rêvait que de
voyage interstellaire et d’étoiles. Il récolta massacres et têtes de
mort. Ses rencontres, d’abord avec le petit génie d’un Troisième
Reich soucieux de contourner le traité de Versailles en matière de
réarmement, Wernher von Braun, le futur architecte des missiles
V2, et surtout avec deux femmes, Hanne et son caractère d’airain
qu’il n’aura de cesse de vouloir séduire, et la belle Adriane vont
décider de son destin.

Grâce à une construction narrative en tout point maîtrisée qui allie
avec bonheur érudition et suspense, l’ouvrage de Michel Heurtault
se lit d’une traite malgré ses quelques sept cent pages. Cette fresque
épique construit une tension qui suit intelligemment la montée des
périls en Europe et déroule sa dramaturgie sur les ravages et la
barbarie de la guerre, bien aidée par une galerie de personnages qui
se complètent à merveille. Il permet surtout au lecteur d’observer
ces hommes et ces femmes se débattre, parfois en vain, avec leurs
idéaux, leurs engagements et surtout leurs consciences.

De l’euphorie berlinoise à l’atroce bombardement de Dresde en
passant par les exactions des SS sur le front russe, Anton va
comprendre, parfois à ses dépens, que des idéaux placés dans de
mauvaises mains, peuvent s’avérer des armes redoutables. Ce cœur
qui haïssait la guerre
, pour emprunter ces vers à Robert Desnos, va
très vite comprendre que ses fusées et ses utopies de jeunesse,
ayant pénétré les orages d’acier qui recouvrent l’Allemagne et
l’Europe, sont devenues des machines de mort. Rongé par la
culpabilité, il n’aura de cesse de vouloir détruire cet énième épigone
de Frankenstein. Mais le mal était fait…

Par Laurent Pfaadt

 Michel Heurtault,
Ce cœur qui haïssait la guerre,
Chez Albin Michel, 687 p.

Mausolée de papier

Les éditions des
Syrtes achèvent la
publication de
l’œuvre poétique de
Marina Tsvetaeva

L’une des grandes
voix russes, Marina
Tsvetaeva (1892-
1941), peut
désormais être lue de tous les Français. Trois ans après la
publication de sa Poésie lyrique, les Grands poèmes sont désormais
disponibles et viennent compléter l’œuvre monumentale de celle qui
fut l’amie de Pasternak et de Rilke.

Comme dans sa Poésie lyrique, ces Grands poèmes, du Magicien écrit
en l’honneur du poète Ellis  qu’elle admira jusqu’aux poèmes
inachevés et le très beau Poème sur la famille du tsar permettent
d’apprécier le style si particulier de Tsvetaeva. Les nombreuses
expériences de sa vie personnelle qui connut tumultes et fracas
servent de matière créatrice aux vers de la poétesse. Qu’il s’agisse
de politique, de folklore (Sur le cheval rouge) ou d’amour, tout devient
chez elle poésie. Les poèmes d’amour sont d’ailleurs d’une beauté
stupéfiante, emprunte d’un mysticisme rarement égalé au vingtième
siècle comme dans celui qui est peut-être le plus connu de tous, le
Poème de la fin,
composé en 1924 à Prague et qui enchanta l’auteur
du Docteur Jivago. « Et c’est le quai. Le dernier. C’est tout. Séparés et sans
main. Nous avançons en timides voisins. Du côté de la rivière/Des pleurs.
Je lèche en passant/Le mercure salé qui descend. Le firmament n’a pas
envoyé, à la rencontre/Des larmes l’énorme lune de Salomon »
écrit-elle
pour relater la rupture avec son amant, Konstantin Rodzevitch.

La luminosité de ses mots se manifeste avec encore plus de brillance
dans ses poèmes-contes, forme hybride de composition, qui
rayonnent de couleurs épiques et baroques. Ces œuvres semblent
ainsi faire le lien avec la littérature russe depuis le XVIe siècle. Mais
à chaque fois, derrière le paravent épique, se révèle la véritable
nature du texte qui renvoie à l’existence même de Marina Tsvetaeva.
Ainsi dans la Princesse-amazone (1920), décèle-t-on derrière ces
vers: « Ainsi, une larme après l’autre, un rayon après l’autre/Dans ce
miroir merveilleux – du côté du couchant –/Sans cesse se répète leur
deuxième rencontre »
cet amour inassouvi, ce manque affectif qui
irrigue toute l’œuvre de la poétesse.

Ce livre est également l’occasion de rendre hommage à Véronique
Lossky, l’une de nos plus grandes traductrices, disparue le 17 mars
2018 et qui avait consacré sa vie à Marina Tsvetaeva. A l’image des
serviteurs des rois d’antan qui s’inhumaient dans le tombeau du
défunt afin de les accompagner dans l’au-delà, Véronique Lossky est
entrée avec son héroïne dans ce mausolée de papier après en avoir
terminé la construction. Aujourd’hui, elle converse avec elle. Ne
reste plus, à nous lecteurs, qu’à découvrir l’œuvre immense et
majestueuse de l’une des plus belles voix russes et à méditer ces
derniers vers tirés d’un fragment du Poème sur la famille du tsar :
« Que demandait-elle/Au bord de la fin/Prière pour la Russie/Ta patrie ».

Par Laurent Pfaadt

Marina Tsvetaeva, Grands poèmes,
éditions des Syrtes

Un renard parmi les loups

Nouvelle biographie
passionnante
d’Erwin Rommel

Depuis quelques
années déjà, les
éditions Perrin ont
entrepris de publier les biographies des principaux acteurs militaires
de la seconde guerre mondiale : Joukov, Patton, van Manstein etc.
Ce nouvel opus consacré à Erwin Rommel, l’un des stratèges les plus
connus du second conflit mondial et objet de plusieurs ouvrages, se
révèle passionnant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il est signé par
l’un des plus grands spécialistes du maréchal, Benoît Rondeau, déjà
auteur d’un remarquable ouvrage sur l’Afrikakorps, l’armée de
Rommel. Ensuite, parce qu’il permet de mieux cerner ce personnage
ambigu et de mettre en lumière ses contractions aussi bien
militaires que psychologiques.

Benoît Rondeau entraîne ainsi son lecteur tout au long de ce destin
qui se confondit avec celui de l’Allemagne que l’on croise au congrès
de Nuremberg en 1936 où Rommel fut chargé de la sécurité d’Adolf
Hitler, sur les dunes africaines où Rommel construisit, à l’ombre des
mythiques pyramides, sa légende, ou en France où il multiplia succès
et erreurs.

Officier durant la Première guerre mondiale, Rommel se rallia très
vite à l’ancien caporal et devint l’un de ses soldats les plus
impétueux. Pendant la campagne de France en 1940, il manifesta
une témérité qui séduisit Hitler, n’hésitant pas à désobéir à son
supérieur, le général Hermann Hoth. Sa profonde connaissance du
personnage permet fort heureusement à Benoît Rondeau de ne pas
tomber dans une hagiographie qui serait forcément réductrice et
nuirait à la pertinence du propos. C’est ainsi qu’il ne passe pas sous
silence les crimes de guerre commis par des soldats de l’auteur de la
guerre sans haine
à Quesnoy-sur-Airaines, le 8 juin 1940 sans pour
autant incriminer Rommel.

C’est bien évidemment dans le désert brûlant de l’Afrique du Nord
que Rommel édifia son mythe, bien desservi au demeurant par une
propagande nazie soucieuse de montrer la supériorité de la
Wehrmacht sur les Britanniques. Un néologisme, Rommeln, qui veut
dire foncer en profondeur sur les arrières de l’ennemi, est même
inventé. En septembre 1942, Rommel est alors au faîte de sa gloire.
Il est devenu le Renard du désert. Goebbels écrit même que «
Rommel est le prochain commandant de l’OKH »
c’est-à-dire le futur
chef de la Wehrmacht. Mais la seconde bataille d’El Alamein décrite
de l’intérieur par un Benoît Rondeau maîtrisant parfaitement les
considérations tactiques, constitua, à juste titre, et selon les mots de
l’auteur, sa Némésis.

Rommel s’accommoda ainsi parfaitement d’un régime et d’un Führer
tant que ces derniers desservaient son insatiable ambition. «
L’ambitieux colonel reste sous le charme d’Hitler dont il apprécie à la fois
l’ascétisme et le courage »
écrit ainsi Benoit Rondeau à la veille de la
seconde guerre mondiale. Mais la roche tarpéienne fut pour lui, plus
qu’aucun autre, proche du Capitole. Ayant rêvé de marcher dans les
pas du Bonaparte d’Alexandrie, il suivit ceux du Napoléon de la
Bérézina et de l’abdication. Reste son implication dans le complot du
20 juillet 1944 et son suicide forcé. Il fallait aux conjurés un leader. Il
n’entra qu’à reculons dans la conjuration mais suffisamment pour se
compromettre. Le mythe devint comme Saturne, il dévora ses
propres enfants. Au final semble dire Rondeau, Rommel s’est voulu
loup mais ne l’a jamais été. Il a certes louvoyé mais s’est dérobé. Et
les loups ont fini par le dévorer.

Par Laurent Pfaadt

Benoit Rondeau, Rommel,
coll. « Maîtres de guerre »,
Chez Perrin, 480 p.

Défilé de morts

Puissant et profond, le
nouveau roman d’Ingrid
Thobois est l’une des belles
surprises de cette rentrée
littéraire.

Le livre refermé, la tentation
est grande de voir à quoi
ressemblait Inela Nogic, cette
jeune fille qui durant le siège
de Sarajevo gagna le concours
de beauté de la ville, offrant
ainsi au monde entier un acte
incroyable de résistance et au
groupe U2 l’un de ses plus célèbres titres.

Si le nouveau roman d’Ingrid Thobois porte le titre éponyme de la
célèbre chanson, elle n’en est qu’un prétexte. Bien entendu, on y
croise Inela confectionnant sa robe, se peroxydant les cheveux ou
discutant avec sa mère Vesna et son frère Zladko. Mais l’important
est ailleurs, à Rouen plus précisément. Car c’est bien de cette ville
française, qui n’a de prime abord aucun lien avec la cité martyre
serbe, qu’il est question dans le livre et de cet appartement où sont
enfermés les spectres de Joaquim, photographe de guerre qui a vécu
la préparation du concours à Sarajevo, dans l’intimité de la famille
Nogic.

Joaquim est entré dans cette Bosnie en guerre presque par hasard.
Mais surtout, à travers son récit très bien construit par l’auteur, il n’a
eu de cesse de croiser ces fantômes qui peuplent son existence : sa
sœur suicidée, sa mère devenue très vite l’ombre d’elle-même, son
père absent, cet enfant qui n’est pas né et Ludmila, cette professeure
bosniaque exilée qui se dérobe. Car l’ancien appartement de ses
parents à Rouen est devenu ce cimetière où règnent les spectres de
Joaquim.

Grâce à un récit fluide, Ingrid Thobois parvient admirablement à
montrer la quête impossible d’un enfant à la recherche de ses
parents devenu un homme à la recherche de son histoire et de
l’Histoire avec un grand H. Joaquim fixe sur la pellicule cette vie qu’il
essaie vainement de construire. Entre les affres de la guerre, de
Sniper Alley et ceux bien plus terrifiants des souvenirs familiaux et
des tabous, l’auteur décrit à merveille les ressorts et les psychoses
qui sous-tendent chaque être humain, ainsi que cette subtile
maîtrise des sentiments et de l’image que l’on souhaite donner de
soi. La routine, morbide à Rouen, devient exceptionnelle à Sarajevo.
« Mais en vérité, c’est que le temps passe sur tout, y compris sur les
tragédies »
écrit-elle. C’est à la fois terrifiant et terriblement
encourageant.

Par Laurent Pfaadt

Ingrid Thobois, Miss Sarajevo,
Buchet/Chastel, 2018

Le livre à emmener à la plage

The Expanse, tome 1 (L’Eveil du
Leviathan) et 2 (La guerre de
Caliban)

Si Jim Holden vous est encore
inconnu, il est grand temps de vous
précipiter sur les deux premiers
volumes de la saga The Expanse de
James SA Corey, qui a déjà conquis
trois millions de lecteurs dont
500 000 en France et est devenue
une série télévisée.

Tout débute par la découverte dans
un vaisseau abandonné d’informations secrètes par Jim Holden,
second d’un vaisseau de transport de glace. L’homme que rien ne
prédestinait à se retrouver là, va devenir le héros de cette saga,
tenant dans ses mains, sans le savoir, le sort de la galaxie. Car déjà
pointent à l’horizon les dangers à venir : invasion extraterrestre et
conspirations politiques en tout genre. Holden devient vite le
témoin gênant qu’il faut éliminer. De Saturne à la Terre en passant
par Ganymède, ce concentré d’actions et d’intrigues politiques ne
vous lâchera pas. Alors prêt à embarquer sur le Rossinante ?

Par Laurent Pfaadt

Chez J’ai lu, 912 p chacun

Le livre à emmener à la plage

David Grann, La note américaine

Après la jungle sud-américaine,
David Grann s’est lancé à l’assaut
des sommets rocailleux de
l’Oklahoma pour une nouvelle
aventure littéraire qui n’en est
pas moins aussi périlleuse. Le
journaliste américain, auteur de
Lost City of Z, ne change pas
d’époque mais d’univers pour se
lancer sur la piste des
mystérieuses morts des Indiens
Osages. Pendant cinq ans, il a
mené une enquête qui l’a conduit en 1921, sur les chemins
tortueux d’une vaste conspiration visant à déposséder cette tribu
indienne de leurs terres.

Et pourtant, ceux qui les avaient décimés au siècle précédent
croyaient en avoir terminé en les confinant sur cette terre
inhospitalière. Ils ne se doutaient pas que le sous-sol regorgeait de
cet or noir qu’il allait faire la fortune des Osages et décupler la
jalousie de leurs ennemis.

A travers l’histoire de la famille Lizzie, David Grann signe une
histoire vraie en forme de thriller où les derniers feux du Far-
West côtoient un vingtième siècle plein de promesses et de
fureur, et où le whisky tue aussi efficacement que les balles de
cette nouvelle police fédérale baptisée FBI. Lisez et vous
comprendrez pourquoi Martin Scorsese n’a pas hésité avant de
s’emparer de cette histoire incroyable !

Par laurent Pfaadt

Chez Globe, 326 p.