Une bibliothèque pleine de voitures

L’écrivain Gérard de Cortanze raconte avec passion l’histoire de l’automobile 

Chez les Cortanze, littérature et automobile ont toujours fait bon ménage. Et des rallyes de Monte-Carlo que disputa Charles au prix Renaudot que remporta Gérard en 2002, l’histoire se traverse en voiture et à toute allure. Son dernier livre permet ainsi de choisir sa monture parmi cent modèles afin de parcourir cette histoire de l’automobile mais surtout sa propre histoire. 


Alors retournons dans la bibliothèque de l’écrivain pour emprunter le juste bolide. Sur les rayonnages se trouvent ces voitures cachées dans les livres qui, non seulement, se dévoilent sous nos yeux mais disent aussi quelque chose de l’écrivain.

Il y a cette Delahaye 135 qu’admira aux 24h du Mans en 1938, une Violette Morris victorieuse du Bol d’or automobile en 1927 avant de basculer dans la collaboration à qui l’auteur consacra l’un de ses plus beaux livres, Violette Morris, la femme qui court (Albin Michel, 2019). Il y a cette Jeep Willys avec une Martha Gellhorn (Le roman de Hemingway, Le Rocher, 2011) déployant sa magnifique chevelure blonde en retirant son casque au moment d’entrer dans le camp de Dachau avec les Américains. Cette Renault 4 CV, cette « voiture optimiste » tirée de son Dictionnaire amoureux des sixties (Plon, 2018), une voiture qui « est en soit un roman » et dont la fabrication s’acheva en 1961. Et évidemment l’Alpine 110 Renault, « fille émancipée de la Renault 8 Gordini et de la R8 Major », la marque du cousin André. Enfin, ces Ferrari F355 ou F40, Lamborghini Diablo ou Maserati Quattroporte qu’auraient certainement conduit les Vice-rois s’ils avaient vécu à notre époque.

D’autres voitures apparaissent au fil des pages. Les Américaines rivalisent avec les Allemandes et les Japonaises lorsque se dévoilent la Ford Mustang Shelby GT500, la Porsche 911 ou la Nissan Fairlady dans ce magnifique concours de beauté. La course n’est donc jamais bien loin et atavisme oblige, celui qui écrivit sur les 24 h du Mans ne pouvait oublier la Matra Simca MS670 de Pescarolo et Hill (1972) ou la Peugeot 905 victorieuse au Mans il y a trente ans exactement. 

Vous l’aurez compris, ce livre est bien plus qu’une simple succession d’images. Gérard de Cortanze nous offre ici un voyage extraordinaire dans ce vingtième siècle automobile palpitant. A la manière d’un Phileas Fogg effectuant un tour du monde, le lecteur change de voiture selon ses envies et observe une époque, un moment, un morceau d’histoire, grimpant tantôt dans la Rolls-Royce Phantom, tantôt dans un combi Volkswagen, tantôt dans une Citroën XM. Mais surtout à travers ses choix personnels, Gérard de Cortanze nous accompagne dans notre propre album familial, celui de nos vacances et des récits de courses mythiques des repas du dimanche midi. Pour nous dire, que l’on soit passionné ou non d’automobile, qu’il y a toujours eu une voiture pour accompagner notre vie.

Par Laurent Pfaadt

Gérard de Cortanze, Une histoire de l’automobile en cent modèles mythiques
Chez Albin Michel, 240 p.

International Booker Prize

Maryse Condé, favorite de l’International Booker Prize 2023

L’International Booker Prize qui récompense une œuvre de fiction publiée dans une langue étrangère vient de dévoiler ses finalistes. A l’origine attribué tous les deux ans, il est devenu annuel depuis 2016 et a consacré quelques grands noms de la littérature du 20e siècle notamment Ismaël Kadaré, premier récipiendaire en 2005, deux prix Nobel (Alice Munro et Olga Tokarczuk), Philip Roth et l’Israélien David Grossmann. Un seul écrivain de langue française figure au palmarès, le palois David Diop pour son superbe roman Frères d’âmes (Seuil, 2018), sacré en 2021. Et la présence cette année dans les finalistes de deux livres écrits en français témoigne de la vitalité d’une langue française inscrite dans sa diversité.


Cette année, le jury du prix présidé par la romancière Leila Slimani a publié sa short list et la sélection, influencée par l’actualité, assume une subversion qui se décline dans les livres des divers finalistes. Alors qui succèdera cette année à l’indienne Geetanjali Shree et son roman, Ret Samadhi. Au-delà de la frontière, paru il y a deux ans aux éditions des Femmes ?

Maryse Condé, L’évangile du nouveau monde, Buchet/Chastel & Pocket

La Guadeloupéenne, victorieuse du Prix Nobel alternatif en 2018 fera indiscutablement figure de favorite. Elle représentera avec son dernier roman, L’Evangile du nouveau monde, la chance la plus sérieuse de la langue française d’inscrire une nouvelle fois son nom au palmarès. Dans ce roman qui transpose la vie de Jésus dans une Guadeloupe contemporaine, le lecteur suit les aventures de Pascal, jeune métis né d’une mère musulmane puis adopté par une famille chrétienne et propulsé nouveau messie des Antilles. La tâche de ce dernier s’avère particulièrement délicate, surtout dans ce monde contemporain désincarné en mal d’utopies. D’autant plus que notre brave héros n’est pas très motivé pour faire don de sa personne à l’humanité. Les temps ont décidément bien changé. « J’ai imaginé Dieu comme un Guadeloupéen ordinaire qui vaquait à ses occupations quotidiennes comme jouer aux cartes, boire du rhum ou aller à la fosse aux coqs » affirme ainsi Maryse Condé dans le très beau portrait que lui consacra en avril le New York Times. Après En attendant la montée des eaux (JC Lattès, 2010) et Le Fabuleux Destin d’Ivan et Ivanna (JC Lattes, 2021), L’Evangile du Nouveau Monde se veut, à travers ses personnages incroyables, ses anti-héros, critique de ce monde contemporain si tortueux dans lequel nous vivons. Cette histoire est sublimée, une fois de plus, par la prose magnifique et si intelligente d’une Maryse Condé qui nous rappelle que l’amour peut venir à bout de tous les obstacles et qu’il relève, à chaque fois, du divin. Et si l’International Booker Prize annonçait le Nobel ?

Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila & Le Livre de Poche

Le livre du franco-ivoirien Gauz sera l’autre chance française. Dans Debout-Payé, sacré meilleur premier roman 2014 par le magazine Lire, l’auteur nous relate l’histoire d’Ossiri, un étudiant ivoirien arrivé sans papiers en 1990 et devenu vigile comme son père. Cette saga familiale est le prétexte pour aborder d’autres thèmes tels que le regard de la société française sur ses immigrés ou les relations entre l’Afrique et l’Occident. Avec sa langue piquante, Debout-Payé est aussi un portrait acide de notre société de consommation.

Gueorgui Gospodinov, Le pays du passé, Gallimard

Le très beau roman du bulgare Gueorgui Gospodinov entraîne son lecteur dans une clinique un peu spéciale dirigée par un certain docteur Gaustine. Celle-ci permet à ses patients atteints d’Alzheimer pour la plupart de replonger dans leur passé grâce au décor de chambres inspirées d’une époque favorite de leur vie. Mais la tentation de se replonger dans ses souvenirs peut s’avérer dangereuse surtout quand cette méthode vient à être utilisée par des Etats pour revenir à un passé plus ou moins glorieux. Dans ce livre inclassable à la frontière entre le réel et l’imaginaire, l’auteur, disciple revendiqué du grand Borges, nous propose une réflexion à la fois drôle et glaçante sur la mémoire, le passé et l’utilisation que nous en faisons.

Eva Baltasar, Boulder, Verdier

Dans ce court roman qui a rencontré un beau succès lors de la dernière rentrée littéraire, finaliste du prix des Inrockuptibles 2022, l’écrivain catalane Eva Baltasar suit la cuisinière d’un navire marchand dont la vie est bouleversée par une maternité. Boulder ne souhaitait pas d’enfant mais une histoire d’amour fulgurante, ardente avec une femme rencontrée dans le sud de la Patagonie en a décidé autrement. Ici l’érotisme le plus libéré rivalise avec l’assignation la plus violente sitôt l’amour évaporé. Boulder est ainsi l’histoire d’une femme puissante, d’un granit qui finit par se fissurer avant de se reconsolider. Ce livre, premier roman écrit en catalan à atteindre la finale de ce prix, ne laissera aucun lecteur insensible.

Whale de la sud-coréenne Cheon Myeong-kwan (Europa Editions) et Still Born de la mexicaine Guadalupe Nettel, (Fitzcarraldo Editions), deux ouvrages non traduits en français viennent compléter la liste des finalistes d’un prix qui sera remis le 23 mai prochain.

Par Laurent Pfaadt

Les Gardiens de la Galaxie 3

Un film de James Gunn

Adaptée au cinéma en 2014, la franchise Les Gardiens de la Galaxie a aussitôt rencontré le succès, ce qui a rapidement permis la mise en route de sa suite, sortie en 2017. Les studios Marvel se sont ensuite consacrés à exploiter d’autres personnages (Thor, Docteur Strange, Black Panther), pour finalement revenir sur la fine équipe des Gardiens.

On ne va pas tourner autour du pot, ce troisième opus est aussi réussi que les deux précédents. Tout ce qui a fait le succès de la saga est là, sans que cela paraisse répétitif, et le metteur en scène développe de nouveaux éléments, ainsi que certains déjà présents auparavant. Le film dure, là encore, 15 minutes de plus que le précédent. De là à dire que Marvel donne dans la surenchère il n’y a qu’un pas, que nous ne franchiront pas.

Les premières images sont sombres et, une fois n’est pas coutume, ne donnent pas dans la gaudriole. Un bref aperçu des origines de Rocket, l’irascible et génial petit raton-laveur qui refuse d’être décrit ainsi. Plus tard on en apprendra un peu plus sur ses origines et sur les terribles expériences dont il a été le cobaye. Aussitôt après, on retrouve la bande composée de Star-Lord/Peter Quill, Drax le Destructeur, Nébula, Mantis, Groot et bien sûr Rocket, dont on a vite compris qu’il sera le ressort dramatique du long-métrage.
Sur la planète Knowhere les Gardiens s’occupent comme ils peuvent. En fait chaque membre est surtout chargé au quotidien de veiller à tour de rôle sur Peter, celui-ci passant son temps noyé dans l’alcool, pleurant encore la disparition de sa bien-aimée Gamora. Cette routine déprimante aurait pu se prolonger encore longtemps, mais voilà, un ersatz de méchant “Superman”, Adam Warlock (étonnant Will Poulter, qui interprétait le cousin Eustache dans Le Monde de Narnia et Gally dans Le Labyrinthe), Souverain fils de la grande prêtresse Ayesha, décide de débarquer sur Knowhere en détruisant tout sur son passage, dans l’idée d’enlever Rocket. Dans la bataille qui s’ensuit celui-ci est blessé puis plongé dans le coma. Pour le sortir de là, Peter Quill va devoir dessaouler, et les Gardiens se lancer à la poursuite du Maître de l’évolution, l’apprenti sorcier qui s’est livré à toutes ces expériences sur Rocket et détient le secret permettant de le sauver.

Ce troisième épisode des Gardiens de la Galaxie emprunte une trame assez classique dans le genre, celle d’un être qui se prend pour Dieu et s’est peu à peu éloigné de son idée originelle (créer un monde parfait, peuplé de créatures aussi parfaites), face à un groupe de héros. On croise avec plaisir des personnages secondaires désormais familiers (Sylvester Stallone reprend l’uniforme de chef des ravageurs Stakar Ogord, Nathan Fillion de la série Castle celui de Maître Karja). Comme à son habitude, James Gunn a bâti son film sur trois grands piliers, l’équipe, l’action, et la musique. Les deux premiers sont communs à toutes les productions Marvel, le dernier est ici un personnage à part entière, une partie de l’âme du film.
Le cinéaste a en effet encore une fois composé une bande-son délirante, qui donne à son histoire des faux airs de dessin-animé sous acide. Certaines scènes en deviennent indescriptibles, les couleurs vives le disputant à des mélodies d’une autre époque. Les querelles au sein du groupe sont toujours présentes (elles sont indissociables de la troupe des Gardiens), mais c’est véritablement la musique qui fait des films « Gardiens de la Galaxie » un genre à part au cœur de l’univers Marvel. Star-Lord ne saurait vivre sans musique, il est resté fidèle à ses origines, baratineur, charmeur et pacifiste avant tout. Mais comme tout héros qui se respecte, il ne faut pas s’attaquer à un membre de « son » équipe.

Quand le rideau se lève, le spectateur pourra s’étonner. Peter Quill en a-t-il fini avec les Gardiens ? C’est ce que semblent nous montrer les dernières scènes (deux scènes post-génériques viennent compléter celles présentes dans le générique), et le départ de James Gunn pour le concurrent DC Films tend à le confirmer. À moins que les studios Marvel ne lui trouvent un successeur ?

Jérôme Magne

Entre chien et loup

Spectacle créé au Festival d’Avignon en 2021 par Christiane Jatahy.

Entre théâtre et cinéma comme sait si bien le faire la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy, les comédiens engagés dans ce spectacle nous l’ont joué avec l’authenticité, la proximité du « vrai ». Alors, bien vite on s’est senti dans le coup même si au début on redoutait l’artifice ou le conventionnel.


Un plateau encombré d’objets, tables, chaises, étagères remplies de livres, d’objets divers et variés, et au milieu des gens qui se parlent. Il s’agit d’une troupe de théâtre en train de réfléchir à élaborer une pièce à partir du film « Dogville » du réalisateur danois Lars von Trier parue en 2003 et qui évoque le problème de l’accueil et de l’acceptation de l’autre.

Ça démarre, par la prise de parole d’un certain Tom (Matthieu Sampeur), qui semble être responsable du groupe et qui se présente avant d’appeler chacun à en faire autant  et à préciser le pourquoi de leur rencontre : améliorer l’humain par l’art, un ambitieux projet !

Et justement, il informe la compagnie qui doit entrer en répétition qu’il vient de rencontrer une jeune femme qui a dû fuir son pays et cherche refuge, pourquoi pas auprès d’eux ? En tout cas c’est la proposition de Tom car cela va dans le sens de leurs idées humanitaires « pour ne pas aller vers l’échec de l’humanité ». Gracia (Julia Bernat) sort des rangs des spectateurs et se rend sur le plateau. L’histoire peut commencer, certains, caméras en main filment son approche, les discussions que son arrivée suscite entre eux. Des visages apparaissent sur l’écran placé en fond de scène. Va-t-on, échapper au scénario du film qui montrait comment une jeune fille d’abord accueillie à bras ouverts se retrouvait bientôt asservie et maltraitée ?

Que va-t -il en être de leur hospitalité ? Ils discutent de l’opportunité de l’employer à différentes tâches, puis décident de voter. En retrait, elle attend, fébrile, le verdict qui se révèle positif et déclenche une vraie fête.  On organise une sorte de banquet en rapprochant toutes les tables, y apportant des plats et des boissons à partager. L’aveugle (excellent Philippe Duclos) qui est aussi le sage, le penseur du groupe y va de son petit discours. La musique est de la partie, le piano s’emballe.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Gracia s’amourache de quelques figurines dont elle propose de prendre soin. Elle en reçoit même une en cadeau. On filme alors des visages heureux.

C’était trop beau pour durer. Alors que Gracia s ’évertue à rendre service aux uns et aux autres, le bruit court qu’elle aurait trempée dans des affaires louches. Le doute s’insinue, peu à peu on la met à l’écart. On casse les statuettes qu’elle aimait tant. Sur l’écran on suit cette mise en doute et le souci qui s’imprime sur son visage. Tom résiste à cette mise en place d’un rejet qui semble tous les gagner, du coup, one soupçonne de favoritisme à l’égard de l’inconnue.

La situation empire quand le père de l’enfant qu’on lui a demandé de garder se jette sur elle et la viole sans le moindre scrupule. Classiquement on lui reproche d’avoir aguiché son agresseur.

Traitée en esclave au service de tous elle explique à Tom qu’elle veut partir mais celui-ci à son tour, au prétexte de lui témoigner son affection la contraint à l’embrasser et à accepter ses fougueuses étreintes qui l’obligent à se débattre pour le repousser.

Mais avant ce départ inévitable qui démontre que le changement espéré n’a pu avoir lieu, Gracia s’avance vers le public pour dire dans sa langue, le brésilien comment le fascisme qui a dominé au Brésil tout particulièrement avec Bolsonaro induit  l’intolérance et la haine de l’autre.

Un épilogue en guise d’avertissement pour dire: que le fascisme peut se réveiller dans n’importe quel pays et faire  basculer les meilleures intentions en haine du prochain.

Telle est la cruelle leçon que nous assène Chistiane Jatahy , un avertissement  d’autant plus pertinent qu’il se confronte à une brûlante actualité et qu’il est ici exprimé  d’une façon originale et percutante  avec cet habile tissage  du jeu des comédiens  sur le plateau et des captations projetées sur l’écran.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation au Maillon du 5 mai 2023

72 seasons

Metallica est de retour ! Le onzième album studio du groupe de heavy metal le plus célèbre du monde baptisé 72 saisons renvoie aux 18 premières années (72 saisons) de notre vie qui font ce que nous sommes et auxquelles nous revenons toute notre vie d’adulte. Elles « façonnent notre vrai ou faux moi » selon James Hetfield, guitariste et chanteur du groupe. Les titres de ces nouveaux morceaux traduisent d’ailleurs cette idée majeure, celle d’atteindre, de franchir, de transgresser ces limites que nous fixent la société, nos parents, notre inconscient. « Too far gone ? », « Chasing light » ou « You must burn ! » rappellent cette forme d’asservissement à l’enfance. « Room of Mirrors » renvoie également à cet inconscient que chaque adolescent se construit dans le regard des autres avant de devenir un homme.


Sept ans près Hardwired… to Self-Destruct sorti en 2016, Metallica remet ainsi le couvert avec des morceaux pleins de rythme et de fureur. Plus de quarante ans ont passé depuis la formation de ce quatuor de légende, les chevelures ont grisé mais la fougue et le plaisir de jouer sont demeurés intacts. Musicalement, les 12 titres de ce nouvel album sont une nouvelle fois, une pure merveille. Quelques fois, notamment dans le titre éponyme, avec cette mesure qui bat, on a l’impression d’effectuer un voyage dans le temps, palpant ce cœur qui se déchaîna depuis Kill em All. D’autres morceaux, plus lents comme Crown of Barbed Wire ou Inamorata rappellent ces marches funèbres qui sont désormais la signature du groupe.

Metallica sera en France, dans ce pays qui l’a aimé dès ses débuts, pour deux concerts exceptionnels au stade de France, les 17 et 19 mai. Préparez-vous ainsi à pénétrer cette Lux aeterna, la lumière noire éternelle de cet immense groupe de musique dont l’aura a définitivement dépassé le cadre du heavy metal. L’occasion d’entendre Master of Puppets popularisé par la série Stranger Things, For Whom the Bell tolls, Enter Sandman et bien entendu les titres de 72 seasons. Un concert et un album que vous n’oublierez pas de sitôt et qui ravira autant les fans de toujours que les nouvelles générations !

Par Laurent Pfaadt

Metallica, 72 seasons
Blackened Recordings/Universal Music

Mathieu Tillier, lauréat du Sheikh Zayed Book Award 2023

L’historien français remporte le plus important prix littéraire du monde arabe dans la catégorie culture arabe dans une autre langue

Le professeur d’histoire islamique médiévale à la Sorbonne était plus habitué au silence d’austères bibliothèques universitaires plutôt qu’aux flash et aux ors d’Abu Dhabi. De son propre aveu, ce prix fut une surprise. « Je ne m’attendais pas du tout à ce prix. Le livre qui a été couronné est sorti il y a quelques années. Même s’il a reçu un bon accueil dans la communauté scientifique, le fait qu’il soit écrit en français ne me laissait pas présager qu’il serait remarqué par les organisateurs de ce prestigieux prix » nous a-t-il confié en exclusivité. Il va pourtant devoir s’y faire, surtout lorsqu’un membre de la famille royale des Emirats Arabes Unis viendra lui remettre le prix, fin mai lors de la cérémonie des lauréats. Son livre L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam, publié aux éditions de la Sorbonne, celles de son université en 2017 examine ainsi l’évolution du système judiciaire au cours de la première période islamique, en mettant en lumière diverses questions cruciales, telles que le processus de dépôt des plaintes et des affaires, leur cheminement juridique et les personnes chargées de rendre les jugements définitifs. Voué à demeurer confidentiel avec un tirage limité, ce livre se voit aujourd’hui propulsé dans la lumière grâce au Sheikh Zayed Book Award.


Mathieu Tillier

Après l’écrivain franco-libanais, Amin Maalouf, Prix Goncourt 1993 pour Le Rocher de Tanios, membre de l’Académie française, et récompensé dans la catégorie Personnalité culturelle de l’année en 2016, Mathieu Tillier devient ainsi le second Français à obtenir le Sheikh Zayed Book Award, l’un des plus prestigieux prix littéraires du monde arabe et dont la principale mission est de promouvoir et de rendre hommage aux intellectuels, chercheurs, autrices et auteurs, traducteurs, éditeurs et institutions qui ont apporté une contribution significative à la littérature, aux sciences sociales, à la culture et aux savoirs modernes liés au monde arabe. A travers lui, c’est aussi la France, la langue française et les institutions culturelles françaises qui sont récompensées. « Je suis très touché par cette reconnaissance d’un travail de longue haleine, qui m’a occupé pendant près d’une décennie. C’est pour moi un honneur d’autant plus grand que cette reconnaissance vient d’un jury international composé d’éminents spécialistes de la culture arabe. Cette récompense honore aussi toutes les institutions, françaises et européennes, dont le soutien m’a permis d’aller au bout des recherches qui sont au cœur de cet ouvrage. Qu’un ouvrage en français soit ainsi primé me semble donner quelque espoir à la francophonie, en dépit de la domination de l’anglais dans les échanges scientifiques » poursuit-il.

Le Sheikh Zayed Book Award qui fêtera cette année sa 17e édition fait également coup double puisqu’en plus de couronner un historien français, il gagne en visibilité dans un pays, la France, où il est encore méconnu et parfois, à tort, caricaturé alors qu’il a couronné des écrivains de grand talent comme l’algérien Waciny Laredj, la palestino-américaine Ibtisam Barakat ou l’égyptiennne Iman Mersal en 2021 qui sera présente cette année lors de la remise des prix. Ce prix vient également renforcer un peu plus les Emirats Arabes Unis en tant qu’épicentre culturel du Moyen-Orient.

Mathieu Tillier complète ainsi un palmarès où figurent le poète, critique, professeur à l’université de Bagdad et à l’université Mustansiriyah et rédacteur en chef du magazine Al-Aqlam, Ali Ja’far al-Allaq (Irak), pour son ouvrage Ila Ayn Ayyathouha Al Kaseedah (« Whereto, O Poem? » Une Autobiographie), publié par Alan Publishers and Distributors en 2022 dans la catégorie reine, celle de la littérature, Said Khatibi (Algérie) pour Nehayat Al Sahra’a (La fin du désert), publié par Hachette Antoine / Nofal en 2022 (Jeune Auteur), et Chokri Al Saadi, pour sa traduction de l’anglais vers l’arabe de ‘Al-Ibara wa-al-Mi’na : Dirasat fi Nathariyat al-A’amal al-Lughawiya’ (Expression and Meaning : Studies in the Theory of Speech Acts) du philosophe et linguiste américain John R. Searle, publié par le ministère des Affaires culturelles – Institut tunisien de la traduction en 2021.

La France faillit réussir un doublé mais pour la deuxième année consécutive, les éditions Sindbad ratent le prix dans la catégorie Edition et technologie, au profit de la maison d’édition indépendante égyptienne, ElAin Publishing  (Égypte). Enfin, dans la catégorie critique littéraire et artistique, l’auteure tunisienne Dr. Jalila Al Tritar est couronnée pour son essai Mara’i an-Nisaa’: Dirasat fi Kitabat al-That an-Nisaa’iya al-Aarabiya (Le point de vue des femmes: Études sur les écrits personnels des femmes arabes) publié par La Maison Tunisienne Du Livre en 2021.

Par Laurent Pfaadt

La remise des prix aura lieu le 23 mai à l’occasion de l’Abu Dhabi Book Fair, la Foire internationale du livre d’Abu Dhabi qui se tiendra du 22 au 28 mai. Chaque gagnant se verra remettre une médaille d’or, un certificat de mérite et une somme de 186 337 euros.

Mythanalyse de la couleur

Après un premier ouvrage fort intéressant consacré aux couleurs dans le contrôle social du langage par les pouvoirs religieux, politiques et économiques, ce second livre de l’artiste philosophe Hervé Fischer invite à décrypter la place et l’utilisation des couleurs dans la fabrication des mythes, des plus anciens à ceux de notre époque. Ce qu’il appelle la mythanalyse examine ainsi le système de couleurs à travers une approche sociologique des mythes et légendes qui passe par notre imaginaire social. Celui-ci remonte parfois à des époques reculées, adossé également à des rituels organisés, fabriqués qui encore aujourd’hui, agissent sur nos comportements.


Ce livre dense et érudit est donc un fascinant voyage coloré dans notre imaginaire collectif à travers les siècles. Du bouddhisme aux mythes fabriqués par le capitalisme en passant par le prisme de couleurs de Newton ou l’expérience vécue de Goethe, chaque époque a instauré un système de couleurs qui a sous-tendu un ordre social. Et la désagrégation du premier a souvent a été fatal au second. D’où l’importance pour les religions d’avoir su dompter ces systèmes de couleurs. « Les religions ont asservi l’irrationnalité des couleurs en les codifiant théologiquement dans des symboliques rigoureuses assorties de sanctions » écrit ainsi Hervé Fischer dont l’explication de la symbolique des couleurs dans l’Islam par exemple est proprement fascinante.

Aux religions succéderont d’autres formes de croyances, celles de la science puis du capitalisme qui eux aussi ont eu besoin de forger leurs mythes en utilisant des couleurs afin de développer un langage social et assoir leur pouvoir inconscient sur notre imaginaire collectif. Hervé Fischer montre ainsi que les évolutions technologiques et la recherche sur le cerveau notamment avec Edwin Land ont à la fois permis de comprendre mais également d’utiliser l’intégration des systèmes de couleurs dans la psyché humaine. Celle-ci a ainsi agi comme facteur de bien-être mais a également développé de nouvelles formes d’asservissement par le biais de ces nouveaux mythes mercantiles comme celui par exemple d’une certaine canette de soda rouge. De Bouddha à Coca-Cola, ce livre passionnant permet d’aller bien au-delà des simples apparences.

Par Laurent Pfaadt

Hervé Fischer, Mythanalyse de la couleur, coll. Bibliothèque des sciences humaines
Aux éditions Gallimard, 432 p.

Le poulain devenu étalon

Portrait sensible et passionné de Charles Leclerc, pilote de la Scuderia Ferrari

Ce weekend, pour la deuxième édition du grand prix de Miami, Charles Leclerc aura très certainement à cœur de prendre sa revanche sur Max Verstappen, double champion du monde de formule 1. Car lui aussi aspire à devenir champion du monde. Toute sa vie semble tournée vers cet objectif comme le montre la biographie que lui consacre Rémi Boudoul.


Charles Leclerc
crédit : IMAGO/Motosport images, IMAGO/Steven Tree

Il faut dire que Verstappen et Leclerc, appelés à dominer dans les prochaines années la Formule 1, se connaissent depuis longtemps. Hier en karting, aujourd’hui en F1, on ne compte plus les courses où les deux pilotes se sont affrontés. Issu d’une famille où l’on vit pour le sport automobile, le jeune Charles Leclerc naît le 16 octobre 1997. Sa rencontre avec un ami de son père, Philippe Bianchi et son fils Jules, futur pilote de F1 et parrain du jeune Charles, décida de son avenir.

Progressivement, Charles Leclerc gravit alors tous les échelons de la discipline reine du sport automobile : champion de GP3 puis de Formule 2 en 2017 devant des pilotes installés dans les plus prestigieuses monoplaces du paddock comme Lando Norris (McLaren), Alex Albon (Williams) et Nyck de Vries (Alpha Tauri), Charles Leclerc est recruté par l’équipe Sauber-Alfa Romeo en 2018 alors dirigée alors par le français Frédéric Vasseur, aujourd’hui patron de la Scuderia Ferrari. Rémi Boudoul nous relate cette ascension fulgurante marquée par les décès de Jules Bianchi et surtout de son père Hervé Leclerc. Charles va cependant être transformé par ces épreuves. « C’est comme si la perte de son père ainsi que celle de Jules avaient eu la magie de déclencher chez lui la montée d’une nouvelle force, aux fondations plus solides et puissantes que celles qui habitent les autre pilotes » écrit ainsi Rémi Boudoul.

Avoir la force. Comme un Jedi dans Star Wars auquel l’auteur compare le pilote. La force de marquer ses premiers points à l’occasion de son deuxième grand prix, à Bakou en Azerbaïdjan. Déjà les yeux du cheval cabré semblent fixer cet intrépide cavalier, rêvant de victoires, ce cheval qui n’a pas hésité à se séparer d’autres cavaliers, fussent-ils champions du monde, pour faire de la place dans ses rouges écuries à celui qui avait, quelques années plus tôt, intégré la Ferrari Driver Academy.

Non seulement Charles Leclerc dompta l’étalon mais il le chevaucha avec fougue pour sa première pole position et son premier podium au Grand prix de Bahreïn, l’un des focus du livre, le 31 mars 2019. Puis pour sa première victoire, à Spa Francorchamps trois mois plus tard avant d’offrir aux millions de tifosis du monde, une semaine plus tard, dans l’antre de Ferrari à Monza, une victoire dans ce palio des temps modernes, un triomphe qui fuyait la Scuderia depuis onze ans. Ce jour-là écrit Remi Boudoul, il « est passé en l’espace de cinquante-trois tours du statut de champion en devenir à celui d’icône dans le cœur des tifosis » alimentant ainsi une « leclercmania » qui a très vite conquis la planète entière.

S’il est devenu le « Roi Charles », le pilote monégasque a aussi appris à ses dépens que nul n’est prophète en son pays après cette victoire qui lui tendait les bras à Monaco en mai 2021 et qui s’est dérobée à lui, la faute à cette maudite boîte de vitesses. Malgré la domination des taureaux Red Bull cette saison, ces seigneurs Sith de la F1, le cheval cabré de Maranello n’a pas dit son dernier mot. Et devant ces milliers d’Italiens de Miami, il s’apprête une nouvelle fois à rugir en compagnie de son illustre cavalier. Et si, comme le rappelle l’auteur, Miami allait marquer le retour du Jedi ?

Par Laurent Pfaadt

Rémi Boudoul, Charles Leclerc, le prodige,
Chez City Editions, 288 p.

Diablesses de mer

L’écrivain italien, Emiliano Poddi, suit une Leni Riefenstahl confrontée à ses démons

Tout le monde connaît Leni Riefenstahl, la célèbre « réalisatrice d’Hitler » qui mit en scène le Troisième Reich et sa propagande à travers le congrès de Nuremberg en 1935 et son film Le Triomphe de la Volonté, les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin et le travestissement de la réalité du génocide tsigane. Sa vie semblait s’être arrêtée en 1945. Et pourtant, nous apprend Emiliano Poddi, l’auteur de ce roman fascinant, l’ancienne actrice qui fit tourner un certain nombre de têtes notamment celle de son patron, Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, vécut jusqu’à plus de cent ans. Après une traversée du désert, elle poursuivit une carrière de photographe, aux JO de Munich en 1972, au Soudan et aux Maldives. Dans cet archipel, lieu du roman, l’attend Martha, une jeune biologiste marine devenue le guide de plongée de cette centenaire désireuse de photographier la faune sous-marine.


Mais Martha n’est pas là par hasard et tout le roman tourne autour de cette question : pourquoi accompagne-t-elle Leni Riefenstahl ? On sent bien qu’elle a des comptes à régler avec cette dernière, des comptes datant de la seconde guerre mondiale lorsque sa mère, tsigane, fut recrutée dans le camp de Maxglan près de Salzbourg pour figurer dans le film Tiefland, la dernière fiction de Leni Riefenstahl, sorti seulement en 1954 et relatant la lutte d’un berger espagnol contre un loup dans lequel la réalisatrice joua justement un personnage prénommé Martha. Une mère devenue la figurante d’un film puis expédiée à Auschwitz où elle survécut. Une mère qui a cependant appelé sa fille Martha. Par hommage ou par vengeance ?

Le lecteur s’interroge. Mais qui est Leni Riefenstahl, cette artiste ambitieuse et zélée du nazisme qui pourtant ne possédait pas sa carte du parti ? « Leni a toujours été une contradiction vivante, un casse-tête, un mystère inaccessible pour quiconque a essayé de l’élucider » écrit ainsi Emiliano Poddi. Le portrait que dresse ce dernier est celui d’une personne égocentrique, soucieuse de son image et n’hésitant pas à maquiller la réalité et à utiliser humains comme poissons pour sa propre gloire. Aujourd’hui, les raies manta. Hier les tsiganes. Martha doit ainsi lutter contre sa propre empathie face à cette vieille dame qui lui inspire à la fois dégoût et pitié. Et à chaque page, le lecteur descend un peu plus dans le secret de cette relation sans savoir ce qui l’attend.

Entre plongées dans les abysses et dans l’histoire, l’atmosphère devient vite suffocante à mesure que se rapproche la confrontation finale entre les deux femmes. Le lecteur, lui, est en apnée. Il ne reprend son souffle qu’au terme de la lecture haletante du livre de cette plume transalpine qui fait une entrée remarquée dans le paysage littéraire français. « Pénètre dans l’âme qui dirige chacun et laisse tout autre pénétrer dans ton âme à toi » écrivit l’empereur Marc-Aurèle. Pour cela, il va vous falloir plonger très profondément dans celles de nos deux personnages.

Par Laurent Pfaadt

Emiliano Poddi, Immersion, traduit de l’italien par Sophie Royère
Chez Albin Michel, 304 p.