Sous prétexte d’évoquer la notion d’effondrement, Samuel Achache et son équipe de musiciens et d’acteurs ( Cie La Sourde) ont produit un spectacle extrêmement jouissif en partant d’une histoire simple et archi banale, à savoir une dispute conjugale se déroulant dans une cuisine, elle-même ordinaire.
Lui (Lionel Dray) acharné à réparer le siphon bouché de l’évier, elle (Sarah Le Picard) lui reprochant des préoccupations triviales, son manque criant de romantisme, donc bien décidée à le quitter. Un démarrage digne d’un théâtre de boulevard. Ça c’est l’aspect anecdotique et mise en bouche mais si, côté cour se dressent les murs non plâtrés aux briques apparentes d’une maison inachevée, (scénographie Lisa Navarro) côté jardin a pris place un petit groupe de musiciens (accordéon, clarinette, saxo, violoncelle direction Florent Hubert) qui ont promis de s’attaquer aux lieder de Schumann, une œuvre emblématique du romantisme. Le clin d’œil commence à apparaitre. Vont alors se succéder, s’entrecroiser des démolitions à l’instar de celles qui surviennent dans ce couple, musique transformée, démolition effective des cloisons et des murs avec participation des musiciens qui quittent leurs instruments pour donner un coup de main au ramassage des gravats.
Le comique de situation s’installe à bon escient, accompagné d’un comique de gestes parfaitement maitrisé par ce collectif habitué à jouer ensemble dont la complicité est manifeste et dont le talent au jeu, comme à la musique est sans conteste.
On joue sur des clichés, des situations prises au premier degré alors qu’on en démasque les grosses ficelles soulignées par la musique qui ne lâche rien, la chanteuse Agathe Peyrat doublant les paroles de l’actrice. L’épisode du cœur arraché par le désespoir, perdu et retrouvé est un gag désopilant que Lionel Dray mène avec brio. La prestation de Léo-Antonin Lutinier, interprétant Tristan dans ce rappel de « Tristan et Iseut » qui intervient en contre- point dans la pièce, est également très savoureuse.
Un succès évident pour une pièce menée tambour battant où
l’humour et le burlesque l’emportent sur le tragique mais n’oblitèrent pas la
réflexion.
Dans
son nouveau livre, Pierre Manenti dresse les portraits de ces hommes qui
accompagnèrent le général de Gaulle
Ils
furent les maréchaux napoléoniens du 20e siècle, ces hommes qui,
partis de l’ombre, suivirent le grand homme de leur temps jusqu’à la gloire,
jusqu’aux sommets du pouvoir. Avec son nouveau livre en forme d’arc de triomphe
de papier, Pierre Manenti, meveilleux guide historique et littéraire, nous
invite à entrer dans le panthéon gaulliste
Les
barons gaullistes naquirent en 1963 sous la plume du Chateaubriand de la presse
française, à savoir Jean Daniel, rédacteur en chef du le Nouvel Observateur. « Trois
caractéristiques semblent propres à ces six hommes et justifient leur
appartenance à ce groupe fermé : une place centrale dans la vie politique
du gaullisme, au sein de ses associations, mouvements, partis et réseaux, une
continuité dans le rapport au général de Gaulle et au gaullisme, enfin un
réseau de relations avec les autres barons » écrit ainsi l’auteur.
Traçant les portraits passionnants des six barons historiques, de Gaston
Palewski, le gardien du temple que De Gaulle rencontra au cabinet de Paul
Reynaud à Olivier Guichard, maître d’œuvre du retour du général en 1958 en
passant par les grandes figures que furent celles de Michel Debré, Jacques
Chaban Delmas, Jacques Foccart ou Roger Frey, aujourd’hui oublié, Pierre
Manenti montre ainsi que le gaullisme naquit de ces six hommes avant de
s’agrandir en cercles concentriques intégrant à la fois fidèles des années de
guerre et nouveaux seigneurs que furent notamment les deux derniers premiers
ministres du général jusqu’au dernier gaulliste Albin Chalandon, ancien garde
des sceaux en 1986, ce « seigneur du gaullisme, porteur d’une mémoire
qui le légitime à porter ce titre » et à qui l’auteur consacra une
biographie remarquée. Des cercles concentriques rejetant également à la marge
ceux qui dévièrent de la doxa énoncée par le grand homme et s’inscrivant dans
une dimension monarchique tirée de cette histoire de France qu’il infusa dans
la constitution de la Ve République. Et l’auteur de montrer sans le dire que le
gaullisme se structura à la manière d’une féodalité qui ressembla par bien des
aspects (fidélité, cooptation, culte du chef, fief politique) à son modèle
médiéval avec ses vassaux, ses affidés, sa vénération. Le livre de Pierre
Manenti rend également justice à ces barons oubliés que furent Jacques
Soustelle ou Louis Terrenoire.
Le livre refermé, le lecteur se demande : y a-t-il encore des gaullistes ? Et l’auteur d’ouvrir dans une astucieuse conclusion la porte à la transformation du gaullisme en gaullien, d’un mouvement en idée aujourd’hui revendiquée de part et d’autre du spectre politique, de barons devenus mémorialistes, et d’un nom devenu adjectif. Dans cette usurpation réside pourtant une forme d’universalité que retranscrit pertinemment ce livre brillant.
Par Laurent Pfaadt
Pierre Manenti, Les barons du gaullisme Aux éditions Passés composés, 368 p.
A lire également :
Pierre
Manenti, Albin Chalandon, le dernier baron du gaullisme, préface de Catherine
Nay, Perrin, 400 p.
Jean-Luc
Barré, De Gaulle, une vie, l’homme de personne, 1890-1944, Grasset, 992 p.
Une exposition fort pertinente invite le visiteur à
considérer le monde sous un autre angle
La
projection Mercator a placé l’Europe au centre du monde et nous avons grandi
avec cette idée. Pourtant, d’autres cartes émanant de civilisations qui
possédaient leur propre centralité, leur propre récit existent.
La
nouvelle exposition du Mucem baptisée « une autre histoire du monde »
prend ainsi le parti de raconter une autre réalité, de produire une autre
vérité, un autre récit car c’est bien de cela qu’il s’agit, de récits émergeant
de ces magnifiques cartes venues de l’Amérique précolombienne comme cette
incroyable Mapa de Sigüanza, un codex préhispanique, ou du Japon. Un récit du
monde qui s’est maintes fois réécrit dans le sang et le commerce et s’est
enrichi d’imaginaires nouveaux, renouvelés, contestés. De la Nouvelle-Calédonie
aux Aztèques en passant le Soudan ou le Dakota, le Mucem invite ainsi ses
visiteurs à voyager en prenant comme guide ces autres civilisations oubliées
parfois méprisées car comme le rappellent les commissaires de l’exposition dans
le magnifique catalogue qui accompagne cette dernière : « il faut
s’affranchir de nos routines intellectuelles au risque d’être d’abord
totalement désorienté, de perdre le nord de la carte et le sens de la flèche du
temps. C’est au prix de cet effort de décentrement que nous pourrons
appréhender l’ensemble du monde ».
Pour
réussir cette entreprise, l’exposition présente près de 150 œuvres tirées du
musée Jacques Chirac du quai Branly qui a prêté quelques-uns de ses incroyables
trésors comme cette magnifique carte d’apparat sioux sur peau de bison, du
musée Guimet ou de la bibliothèque nationale de France qui présente cette carte
japonaise des routes terrestres de Nagasaki à Edo. Ces cartes et objets donnent
ainsi corps à ces autres conceptions du monde, ces autres histoires qui se
fondant sur différents cycles lunaires ou végétaux nous amènent à faire fi du
calendrier grégorien ou du méridien de Greenwich pour reconsidérer notre
système de valeurs et surtout notre propre altérité.
A travers ces cartels extrêmement pédagogiques qui retracent le parcours et l’histoire des œuvres présentées, ou ces histoires orales tirées d’espaces sonores aménagés, l’exposition nous invite à considérer le monde selon des points de vue différents de celui qui nous a été enseigné à l’école, celui d’un Occident qui s’est pendant longtemps érigé en « moteur du devenir historique mondial » tel que le véhicula le discours européen du XIXe siècle et qui a conduit à la colonisation, à la spoliation et à la réécriture de l’histoire. C’est le sens de ces œuvres contemporaines qui cohabitent avec ces anciennes cartes comme pour nous montrer que si la terre est ronde, elle continue, que l’on soit à Delhi, à Moscou ou à Port-au-Prince, à s’écrire différemment.
Par Laurent Pfaadt
Une autre histoire du monde, Mucem Marseille Jusqu’au 11 mars 2024
A lire le catalogue de l’exposition signé Fabrice Argounès, Camille Faucourt, Pierre Sinagaravélou, une autre histoire du monde co-édition Gallimard / Editions du Mucem, 90 images, 200 p.
Plusieurs livres reviennent sur l’histoire des relations
internationales et sur leurs acteurs
En 1911, l’intervention italienne signa le début d’un
engrenage de guerres qui allaient conduire quelques trente ans plus tard au
premier conflit mondial. Une siècle plus tard, en 2011, l’intervention
conjointe de plusieurs pays dont la France et la Grande-Bretagne destinée à se
débarrasser du dictateur Kahdafi accentua une méfiance déjà grande de la part
de la Chine et de Moscou à l’égard de l’Occident qui eut comme conséquences le
recul de l’influence française en Afrique et à la guerre en Ukraine dont nous
ne mesurons pas encore toutes les conséquences sur l’histoire mondiale des
relations internationales.
Entre ces deux dates, il nous est permis grâce au livre
coordonné par Pierre Grosser et appelé à devenir une référence, d’observer,
décennie après décennie, l’émergence de grandes puissances (Etats-Unis, URSS
puis Russie, Chine), mais également ces ruptures comme celle de la doctrine
Carter de protection du Golfe Persique qui engagea durablement les Etats-Unis
au Proche et Moyen Orient. Les évolutions et la résurgence de phénomènes
rythmant un 20e siècle agité sont également analysés avec talent.
Réunissant ainsi de nombreux spécialistes des relations internationales, Pierre
Grosser, professeur à Science Po et spécialiste de la guerre froide installe
avec cet ouvrage une vision globale, sur le temps long, des relations
internationales traitées à l’échelle mondiale. Banissant les détails qui ne
font que nuire à la démonstration, Pierre Grosser rappelle que cette histoire
se doit d’être « généraliste car il faut qu’elle soit
surplombante ». Une clairvoyance qui permet ainsi d’appréhender avec
maestria les conséquences d’évènements qui nous paraissent de prime abord
singuliers mais qui se révèlent être en réalité les secousses de tremblements
de terre à venir.
Sur l’échiquier mondial où se joue ce grand jeu, il faut aux
rois quelques cavaliers pour éviter qu’ils soient, comme le disait Tolstoï, un
peu moins esclaves de l’histoire. Hubert Védrine, ancien conseiller
diplomatique de François Mitterrand puis ministre des affaires étrangères entre
1997 et 2002 a réuni dans un livre appelé à devenir un classique une galerie de
portraits de ces grands diplomates qui ont façonné l’histoire. De Mazarin à
Zhou Enlaï en passant par Talleyrand ou Metternich sous la plume de Charles
Zorgbibe, l’un de nos meilleurs connaisseurs de l’histoire des relations
internationales, l’ouvrage nous emmène sur les différents continents et à
différentes époques historiques. Et si le 20e siècle domine une grande partie de l’ouvrage
et que chacun ira de son commentaire sur les choix opérés dans cette sélection
– l’absence d’Andrei Gromyko, inamovible ministre soviétique des affaires
étrangères partiellement évoqué chez Serguei Lavrov dont on attend toujours la
biographie française de référence – le lecteur est ainsi invité à se promener
dans les salons diplomatiques des siècles précédents où s’est écrite l’histoire
des relations internationales sous les plumes de journalistes, de professeurs,
et de ces grands diplomates-écrivains à l’instar d’un Bernard de Montferrand,
ancien ambassadeur en Allemagne qui livre un magnifique portrait de Vergennes,
secrétaire aux affaires étrangères d’un Louis XVI à «l’intelligence inquiète
et résolue ». Une foisonnante bibliographie d’ouvrages de référence
permet également à la fin de chaque chapitre d’approfondir chaque personnage et
chaque époque.
Henry Kissinger, décédé récemment et son pendant démocrate, Zbigniew Bzrezinski demeurent les grands diplomates d’une deuxième moitié du 20e siècle dominée par les Etats-Unis. Les derniers portraits constituent peut-être les chapitres les plus fascinants car moins étudiés que les Talleyrand ou Metternich et sur lesquels beaucoup de choses ont été écrites. Avec Kofi Annan et surtout Serguei Lavrov peint par une Sylvie Bermann qui l’a connu en tant qu’ambassadrice à Moscou, le livre fait la jonction entre passé et présent, entre histoire et reportage. Mais surtout, avec ce portrait en Talleyrand russe, Sylvie Bermann fait entrer en littérature ce personnage complexe plein de facéties, habile provocateur imperméable à toute humiliation et qui « n’est pas à proprement parler un homme de Poutine ». Une façon de dire comme Pierre Grosser que l’histoire des relations internationales comme celle de ses acteurs est, comme le qualifiait l’historien grec Thucydide, « un éternel recommencement ».
Par Laurent Pfaadt
Histoire mondiale des relations internationales, de 1900 à nos jours sous la direction de Pierre Grosser, collection Bouquins Aux éditions Robert Laffont, 1248 p.
Grands diplomates, les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours, sous la direction d’Hubert Védrine Aux éditions Perrin, 416 p.
Pour aller plus loin, la rédaction d’Hebdoscope vous
conseille également :
Gérard Araud, Henry Kissinger: Le diplomate du siècle, coll. Texto, Tallandier, 252 p.
Sylvie Bermann, Madame l’ambassadeur: De Pékin à Moscou, une vie de diplomate Tallandier, 352 p.
Christian Baechler, Gustav Stresemann, Le dernier espoir face au nazisme Passés composés, 332 p.
Chef d’œuvre absolu qui transcende les générations. Inadaptable. Avec Fondation d’Isaac Asimov et Hypérion de Dan Simmons, Dune demeure l’une des plus importantes sagas littéraires de science- fiction. A l’occasion de la sortie du film de Denis Villeneuve qui prouve que rien ne résiste à l’industrie cinématographique et qu’il existe toujours un œil, pourvu que celui-ci soit talentueux, pour matérialiser la vision d’un créateur, Dune effectue un nouveau retour. Une fois de plus. Depuis maintenant près d’un demi-siècle, le cycle de Frank Herbert continue à occuper le devant de la scène éditoriale. Les sables du temps n’ont donc pas recouvert cette œuvre quand tant d’autres disparaissent ou vieillissent terriblement mal. Pourtant, l’œuvre a mis du temps à s’imposer en France, car le genre était peu estimé et il s’agissait d’« un gros livre, d’un auteur inconnu, dont l’action ne démarrait vraiment qu’au-delà de cent pages au moins, qui était assez obscur, tortueux et demandait de l’attention » comme le rappelle Gérard Klein, le découvreur français de Dune, auteur et créateur de la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont dans le magnifique ouvrage Tout sur Dune, sorte de Bible définitive sur l’œuvre de Frank Herbert où le passionné comme le néophyte retrouvera l’auteur, l’univers, les personnages, les adaptations et une série de réflexions sur la saga. Pour autant, comment expliquer cette permanence qui passe à travers les générations ? Comme expliquer cet engouement qui n’a jamais faibli ?
La première des raisons tient d’abord à sa qualité littéraire. Dune est avant tout une œuvre majeure de la littérature que l’on aime la science-fiction ou pas, et comme peuvent l’être les grands classiques. « C’est un immense roman, bien sûr ! Pourquoi pensez-vous que nous lisons toujours Anna Karénine ou Guerre et Paix ? Je suis surtout surpris que le succès n’ait pas été aussi étendu et rapide chez nous » poursuit Gérard Klein. Pour peu que l’on gratte le vernis de la science-fiction, considéré longtemps comme un genre mineur de la littérature, Dune comporte tous les ingrédients des grandes histoires. A l’instar d’un Howard Philipps Lovecraft ou plus récemment d’un Stephen King qui ont mis du temps à trouver leur juste place dans la littérature américaine d’abord puis mondiale ensuite, Frank Herbert (1920-1986) reste encore assez méconnu. Et le travail qu’il réalisa fut digne des Zola ou des Balzac comme se plaît à le rappeler Fabien Le Roy (interview ci-après). De plus, la mode actuelle des récits littéraires dystopiques offre également une nouvelle jeunesse à l’œuvre d’Herbert.
Outre sa qualité littéraire intrinsèque, le cycle de Dune porte en lui une profonde réflexion écologique qui a trouvé durant ces cinquante dernières années des échos réguliers et plus particulièrement aujourd’hui avec les rapports alarmistes sur la planète. La quête et l’exploitation de l’épice, métaphore des énergies fossiles, l’absence d’eau comme élément nécessaire à toute vie ne peuvent qu’interpeller le lecteur à une époque de raréfaction des ressources naturelles et de montée de tensions géopolitiques autour de l’eau. Avec cet élément que la nature reprendra toujours ses droits. C’est ce qui a marqué Denis Villeneuve, le réalisateur du film qui signe l’une des préfaces de la nouvelle réédition du livre chez Robert Laffont: « C’est pour moi l’image la plus forte du roman : l’humain devant imiter la nature le plus humblement possible afin d’y survivre »
L’exploitation de la planète Arakis par des puissances étrangères successives (les Harkonnen puis les Atreïdes) et la résistance de leurs habitants, les Fremen, inspirés des Bédouins, interpellent fatalement sur le droit des peuples à disposer de leur terre et sur cette liberté confisquée au nom d’intérêts économiques. Ces formes d’asservissement et le destin de Paul Atreïdes, décidé à briser ces dernières, ont fait de Dune, un manifeste célébrant résistance et quête de liberté tout au long d’époques marquées successivement par le colonialisme, la décolonisation, la guerre froide et l’imposition de la démocratie par des puissances extérieures. En plus de sa dimension littéraire et écologique, Dune dispense un message politique renforcé par les derniers tomes de la saga.
Enfin, lorsqu’on parle de quête, il est impossible d’ignorer celle qui, spirituellement, se dégage de Dune. Cet élément théologique que l’on rattache à un syncrétisme avec des tendances islamiques, juives avec le Talmud et la Kabbale ou chrétiens évangéliques a contribué au succès de l’œuvre. Cependant, « dans Dune, les religions n’ont pas de réalité transcendantale ; les expériences auxquelles elles offrent accès relèvent d’expériences psychologiques plus que véritablement mystiques » estime cependant Sarah Teinturier, chargée de cours et spécialiste des religions à l’université de Sherbrooke dans Tout sur Dune. En ces temps d’exacerbation des identités religieuses, cette dimension, mêlée à d’autres, a ainsi continué à entretenir une fascination qui n’a jamais faibli.
Par Laurent Pfaadt
A lire :
Frank Herbert, Le cycle de Dune, 6 tomes, traduction revue et corrigée, collection « Ailleurs & Demain », Robert Laffont.
Tout sur Dune dirigé par Lloyd Chéry, Editions de l’Atalante & Leha, 304 p.
Pour tous ceux qui veulent s’immerger dans l’univers de Dune, nous leur conseillons les jeux de société Dune et Dune Betrayal chez Gale Force Nine et Legendary.
Romantisme
tardif et débuts de la musique moderne caractérisaient les
programmes donnés au cours des deux premiers concerts de l’année
2024 par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Composée
pour une petite formation d’instruments à vent et cinq instruments
à cordes par Arnold Schoenberg en 1908, la Symphonie de chambre
n°1 est une partition pleine de fraîcheur et porteuse des idées
nouvelles qui émergeaient alors en musique comme dans tous les arts.
C’est dans les années 1930, quand il effectuait aussi la
transposition pour grand orchestre du premier quatuor avec piano de
Johannes Brahms, que Schoenberg orchestrera également son œuvre de
jeunesse, lui ôtant du même coup son caractère de symphonie de
chambre. Elle n’en reste pas moins, avec sa thématique originale,
ses cinq mouvements enchainés et sa sonorité charnue et colorée,
d’une écoute fort intéressante, ainsi qu’en témoigna
l’excellente prestation de l’OPS et de son chef Aziz Shokhakimov,
lors du concert du 11 janvier dernier.
L’un
des chefs d’oeuvre de la littérature concertante du XXè siècle,
le Concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, dit ‘’A
la mémoire d’un ange’’, vint ensuite. Nous entendîmes,
pour l’occasion, le grand violoniste américain Gil Shaham que,
sauf erreur, nous n’avions pas vu à Strasbourg depuis 1998, quand
il donna un magnifique second concerto de Bela Bartok. Son approche
de celui de Berg mit au premier plan, avec une sonorité de violon à
la fois ténue et splendide, la dimension émouvante et intime de
l’oeuvre, sans taire pour autant ses côtés âpres et acerbes. Le
plus beau moment fut sûrement celui où, vers la fin de l’oeuvre,
le violon solo entame un dialogue avec les différents groupes des
cordes de l’orchestre : geste inhabituel, Gil Shaham fit alors
se lever successivement les premiers puis les seconds violons et les
altos dans un moment d’échange instrumental de grande intensité.
Petite déception cependant, du côté de l’orchestre, souvent
distant et réservé, notamment à l’entrée de la seconde partie
quand les sections de cuivre poussent ce cri déchirant qui, très
souvent, évoque le fameux tableau éponyme d’Edward Munch. Rien de
tel cependant, ce soir-là.
Le
concert s’acheva par le poème symphonique de Richard Strauss Ainsi
parlait Zarathoustra. Nonobstant
tout ce qui par ailleurs les distingue, une certaine communauté dans
la sonorité orchestrale n’en rapproche pas moins la musique de
Richard Strauss de celle de son contemporain Gustav Mahler. Sachant
Aziz Shokhakimov un interprète d’élection de celle-ci, on se
disait qu’il en serait sans doute de même avec celle-là ;
sauf si, peut-être, il se laissait emporter, comme cela arrive
parfois, par le côté grisant de l’œuvre de Strauss. Contre toute
attente, ce fut l’exact contraire. Dès la célèbre introduction,
rendue populaire par Stanley Kubrick dans son film Odyssée
de l’espace, on fut d’emblée
surpris par la lenteur du tempo et la couleur très mate du tutti
orchestral. Les deux parties suivantes (De ceux des
arrières-mondes et De
l’aspiration suprême) sedéroulèrent pourtant bien,
d’une grande clarté polyphonique et évitant judicieusement les
pianissimi inutiles. Mais, quand advinrent ‘’Des joies
et des passions’’, les
grandes déferlantes orchestrales attendues ne furent pas vraiment
entendues : l’ensemble se traîna et la texture sonore
s’enlisa. Certes les moments retenus et graves comme Le
chant du tombeau ou Le
chant du voyageur nocturne qui
conclut l’oeuvre se présentèrent plutôt bien mais les parties
plus animées comme Le convalescent et
Le chant de la danse, en
dépit du beau cantabile de la super soliste Charlotte Juillard,
manquèrent par trop de virtuosité, d’allant et de couleurs. Une
approche de l’oeuvre évitant, de fait, le clinquant mais
paraissant cependant vidée de sa substance.
Lors
de la seconde exécution de son concerto piano n°3, à New York en
1909, le pianiste et compositeur Sergueï Rachmaninov était
accompagné à l’orchestre par Gustav Mahler. Le soir du 19 janvier
à Strasbourg, nous eûmes la jeune pianiste russe Anna Vinnitskaya,
dont les enregistrements des dernières années, consacrés à
Chopin, Brahms et Rachmaninov ont été très remarqués ; elle
avait, comme partenaire à l’orchestre, son compatriote Andrey
Boreyko, chef issu de la grande école pétesbourgeoise et doté d’un
très vaste répertoire, allant de la musique ancienne jusqu’aux
contemporains. On garde un grand souvenir de son passage au festival
de Colmar au tournant des années 2000 dans un concert Brahms donné
avec l’Orchestre National de Russie. A l’heure actuelle, Andrey
Boreyko est directeur de l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, à
la suite de chefs réputés comme Antoni Vitt et Wiltold Rowicky.
Ce
troisième de Rachmaninov avec Vinnitskaya et Boreyko aura mis
quelque temps à se mettre en place. Si, pour finir, l’atmosphère
conflictuelle et sentimentale du mouvement lent et la verve du final
furent restituées avec virtuosité et sensibilité, en revanche la
neutralité du piano dans le fameux thème introductif de l’oeuvre
et un orchestre pour le moins décousu et aux timbres refroidis nous
valurent un premier mouvement assez déroutant. Après l’entracte,
nous entendîmes un très brillant Scherzo fantastique de
Josef Suk dont on se dit toutefois qu’il eût aussi bien pu ouvrir
le concert, histoire de réchauffer l’orchestre. Le grand moment de
la soirée fut une magnifique suite de L’Oiseau de feu
d’Igor Stravinsky, donné dans
sa version orchestralement allégée de 1945 : un orchestre
pleinement ressaisi et l’interprétation d’Andrey Boreyko,
exceptionnelle d’intelligence et d’inspiration, tant dans
l’énergie rythmique et la subtilité des phrasés que dans la
richesse des couleurs où, comme à l’accoutumé, la section des
cors de l’OPS s’est particulièrement distinguée.