#Lecturesconfinement : Royan, la professeure de français de Marie NDiaye par Jakuta Alikavazovic

« Je hais les bons parents qui croient tout comprendre »
Un monologue à la beauté implacable — la langue, le style, le monde
de Marie NDiaye sont là tout entiers, dans ces phrases de Gabrielle,
la professeure de français, à laquelle Nicole Garcia devait donner
corps à Avignon au printemps et à Paris à l’automne. On regrette
tant de ne pas avoir pu la voir, l’entendre, on espère vivement que
l’occasion se présentera une fois la crise sanitaire passée. En
attendant, ne vous privez pas de lire ce texte unique qu’est Royan : il
fait corps. Gabrielle et Daniella, l’élève qu’elle évoque avec une telle
ardeur, avec des sentiments si forts, si mêlés, vous briseront le cœur.
La justesse des phrases de Marie NDiaye, elle, vous redonnera du
souffle. Quand vous arriverez à la phrase « Sachez Madame que je suis
votre parafoudre »
, ayez une pensée fugitive pour moi : c’est là que j’ai
pleuré.
Jakuta Alikavazovic est écrivaine,
auteur notamment de Corps Volatils
(L’Olivier), Prix Goncourt du premier
roman 2007. Dernier livre paru :
L’Avancée de la nuit (L’Olivier/Points)
Royan, la professeure de français de Marie NDiaye (Gallimard)
par Jakuta Alikavazovic

#Lecturesconfinement : Un crime sans importance d’Irene Frain par Mohammed Aïssaoui

J’ai aimé le récit d’Irène Frain, Un crime sans importance (Editions du
Seuil). La romancière évoque l’assassinat d’une vieille dame
attaquée sauvagement chez elle. Cette vieille dame n’est autre que
sa sœur aînée, Denise, 79 ans. Irène Frain explique sa démarche :
«J’ai entrepris d’écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le
silence m’est devenu insupportable.»
 Suivent 250 pages qui illustrent à
merveille la puissance de la littérature, cette capacité à rendre la
voix à une sans-voix.
Mohammed Aïssaoui est
journaliste au Figaro littéraire et
écrivain, auteur notamment de
L’Affaire de l’esclave Furcy, Prix
Renaudot de l’essai 2010. Son
dernier ouvrage, Les Funambules
(Gallimard, 2020) a figuré sur la
liste des principaux prix.
Un crime sans importance d’Irene Frain (Seuil)
par Mohammed 
Aïssaoui

#Lecturesconfinement : Station Eleven d’Emily St John Mandel par Laurent Pfaadt

Nul doute que même elle, dans son
imaginaire illimité, ne pensait pas
qu’un jour son histoire deviendrait
réalité. Il y a six ans sortait Station
Eleven
, roman hybride se déroulant
dans un monde post-apocalyptique
ravagé par un virus qui allait se hisser
en finale du National Book Award,
l’un des plus prestigieux prix
littéraires américains.

D’emblée, le roman se place sous le
signe de la tragédie puisqu’un certain
nombre de personnes réunies après le
décès d’un acteur interprétant le Roi Lear succombent à leur tour à
une grippe foudroyante qui va décimer la quasi-totalité de la
population mondiale. Petit prodige des lettres canadiennes
rappelant son illustre aînée, la grande Margaret Atwood, dans ce
côté dystopique absolument fascinant, Emily St John Mandel
construit un récit fascinant et addictif alternant deux époques
placées en miroir avant et après la catastrophe où le lecteur, en
suivant ces survivants jouant Beethoven et Shakespeare, ne peut
s’empêcher de se poser ces questions : où se trouve l’essence même de nos vies et que doit-il rester de nos sociétés ? Et à parcourir les
chapitres au bord des Grands Lacs ou en contemplant ce musée
improvisé d’une société basée sur la technologie qui a disparu
comme avant elle, celle des parchemins, des carrosses et des lavoirs,
s’impose l’idée de la permanence de la culture et des arts que ces
hommes et ces femmes brandissent comme étendard de la vie. Parce
que, comme le rappelle l’auteur, « survivre ne suffit pas ».

Alors oui, est-ce bien le moment de lire ce roman qui, je vous le
rassure, reste pour l’instant un roman ? Evidemment et de toute
urgence car Mandel montre surtout que dans Shakespeare comme
dans Station Eleven, toute tragédie recèle sa lumière, celle d’une
torche qu’il revient à chaque humain, de brandir. « Ce sont les étoiles,
les étoiles tout là-haut qui gouvernent notre existence »
 écrivit
Shakespeare dans Le Roi Lear. Emily St John Mandel nous dit à
travers cet incroyable roman en cours d’adaptation qu’il arrive que
les hommes s’accrochent à ces mêmes étoiles et parviennent à
changer le cours du destin.

Station Eleven d’Emily St John Mandel (Livre de poche)
par Laurent Pfaadt

Lecturesconfinement : Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains par Laurent Pfaadt

Un homme est abattu sur un parking
de l’Ohio. Simple fait divers comme
il s’en produit tant aux Etats-Unis.
Sauf que la victime est médecin et
son meurtrier, un fanatique
religieux. Déroulant leurs vies et
celles de leurs filles respectives, la
grande écrivaine américaine,
toujours absente des lauréats du
Prix Nobel, trace deux routes
parallèles qui s’entrecroisent,
s’entrechoquent, s’affrontent à
l’image de ces deux Amérique plus
divisées que jamais lors de la dernière élection présidentielle.

Avec ce livre, Joyce Carol Oates signe assurément l’un de ses plus
grands chefs d’œuvre qui sont si nombreux. Un livre d’un homme
assassiné car œuvrant pour le bien public. Un homme assassiné par
le fanatisme. Un livre aux multiples échos. Comme un cri poussé
dans la nuit de l’obscurantisme. Un livre appelé à faire date.

Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains (Philippe Rey)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Une famille dans la mafia. Corse, au cœur d’une violence sans fin de Marie-Françoise Stefani par Jacques de Saint-Victor

Ce n’est pas un roman policier. Mais il
peut se lire comme tel.
Malheureusement, c’est une histoire
vraie. En novembre 2011, Angèle et
sa fille, la petite Carla-Serena, qui est
âgée de 10 ans, sont victimes avec
leur père, Yves, d
un attentat féroce.
La petite Carla-Serena, blottie sur le
siège arrière, a le bras déchiqueté.
Elle a pu voir ses agresseurs. Elle va
devenir le témoin crucial d’une des
plus dramatiques affaires judiciaires
de ces dernières années. Avec clarté,
minutie et surtout avec courage, 
Marie-Françoise Stefani,
journaliste à France 3 Corse, décortique cette affaire emblématique
de toutes les dérives mafieuses de la Corse. 
Jacques de Saint-Victor est historien et journaliste
au Figaro littéraire

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ne famille dans la mafia. Corse, au cœur d’une violence sans fin de Marie-Françoise Stefani (Plon)
par Jacques de Saint-Victor

#Lecturesconfinement : Starlight de Richard Wagamese par Laurent Pfaadt

Roman posthume, bouleversant et
sensible de l’écrivain canadien
Richard Wagamese, Starlight est le
nom de Frank Starlight, fermier
d’origine indienne, taiseux et d’une
immense bonté qui aime
photographier les animaux
sauvages et communier avec la
nature. Son objectif croise bientôt
Emmy et la petite Winnie qui fuient
la violence des hommes. Très vite,
dans l’esprit du lecteur commence
alors à germer cette idée qui ne le
lâche plus et le pousse à ne plus
s’arrêter de lire : que va-t-il se passer entre Frank et ces deux êtres
fragiles au milieu de cette nature préservée ? Car pour Frank
Starlight, la nature est la source de toute vie. Mais c’était avant de
rencontrer l’amour, cette « contrée vierge » où « chaque pas qui nous en
rapproche nous transforme. Nous grandit. Change la géographie de qui
nous sommes »
. Tandis qu’il sert de guide à Emmy, celle-ci devient le
sien dans cette autre contrée inexplorée.
La prose de Wagamese se mue alors en une longue mélopée
glorifiant cette nature qui, à l’instar de l’amour, change, avec ses
sensations et ses créatures, les êtres qui s’y abandonnent. A travers
le personnage d’Emmy, magnifique bête blessée qui renaît à la vie
auprès de Frank, le roman devient un magnifique plaidoyer en faveur
de la préservation de ses racines en même temps qu’un manifeste
féminin. Féministe, écologique, un roman total, terriblement actuel.

Starlight
de Richard Wagamese (ZOE)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : Manuels de Lagarde et Michard par Yann Le Bohec

J’entrais en classe de seconde au
lycée de Poitiers et nous
découvrions un nouveau manuel
de littérature française, le
« Lagarde et Michard ». Nous
commencions par le Moyen Âge,
sans doute le plus difficile de la
série et pourtant je fus d’emblée
fasciné. Il me permettait de
découvrir des ouvrages que je
n’avais jamais lus, qui me
passionnaient. Et les textes
étaient accompagnés par des reproductions en couleurs de tableaux très bien choisis. À 77 ans, j’ai toujours conservé mes
« Lagarde et Michard ». À noter que quatre ans plus tard, en khâgne à Louis-le-Grand je suivis les cours de français et latin donnés par
André Lagarde.
Yann Le Bohec est professeur émérite d’histoire romaine à
l’université Paris-Sorbonne et auteur de nombreux ouvrages dont la
vie quotidienne des soldats romains, à l’apogée de l’empire
 (Tallandier)

Manuels
de Lagarde et Michard (Bordas)
par Yann Le Bohec

#Lecturesconfinement : L’art de mettre les choses à leur place de Dominique Loreau par Alexandra Diaconu

Connue pour son Art de la simplicité
(2005), Dominique Loreau aborde
dans cet ouvrage l’art du
rangement. Au-delà du tri, il s’agit
de trouver à chaque chose sa place
en fonction de son utilisation. Le
confinement a révélé notre besoin
d’espace et une maison n’est pas un
entrepôt, ose-t-elle dire très
justement. Se sentir bien chez soi
c’est d’abord prendre plaisir à y
rester. C’est ne pas avoir à ranger
tous les jours ou à perdre du temps
à chercher quelque chose. Sans
donner des recettes toutes prêtes, Dominique Loreau donne des idées, des techniques et invite à en créer pour trouver son propre
système et ranger sans effort. Parce que, souligne-t-elle, mettre de
l’ordre dans son territoire intime, « c’est aussi refuser de se laisser
envahir par la confusion du monde extérieur. »
 Mettre les choses à leur
place c’est aussi leur donner l’importance qu’elles ont vraiment.
Voici une double leçon zen en ces temps chaotiques.

Alexandra Diaconu est la directrice de l’agence de communication
Legato Agency et fondatrice du Prix Littéraire des Musiciens
L’art de mettre les choses à leur place de Dominique Loreau
(Flammarion)
par Alexandra Diaconu