Archives de catégorie : Lecture

L’Europe doit lire notre littérature et nous devons aussi lire la leur

Son Excellence le Dr Ali Bin Tamim est le secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award et président de l’Abu Dhabi Arabic Language Center. Il a été auparavant président du centre de la Grande Mosquée Sheikh Zayed puis manager général de l’Abu Dhabi Media Company entre 2016 et 2019. A l’occasion de la remise des Sheikh Zayed Book Award, il est revenu sur l’importance de ce prix littéraire, le mieux doté du monde arabe ainsi que sur la littérature arabe.


Dr Ali Bin Tamim
© SZBA

Quels sont les objectifs de ce prix ?

Ils sont de plusieurs natures : apprécier les auteurs, les encourager, supporter les recherches scientifiques et la création. Nous avons une préoccupation dans cette partie du monde arabe, celle de mettre en lumière la langue arabe mais également les recherches qui sont menées sur cette dernière et sur la culture arabe notamment au niveau des rapports qu’elles entretient avec les autres cultures.

Nous célébrons cette année la 17e édition du Sheikh Zayed Book Award. Avez-vous vu des changements, des évolutions dans la littérature, en particulier dans le roman ?

Oui. Il ne fait aucun doute qu’il y a plus d’histoires critiques, d’histoires sombres. Les grandes lignes de la fiction contemporaine arabe ne sont toujours pas définies avec clarté auprès des lecteurs même si les romans des pionniers arabes comme Naguib Mahfouz ou Gamal Ghitany ont tracé des lignes et des courants clairs. C’est pourquoi le Sheikh Zayed Book Award et l’International Prize for Arabic Fiction ont établi différentes listes, longues puis courtes – c’est une nouveauté – afin d’encourager la lecture et de permettre la découverte et la compréhension des différents styles romanesques.

Avez-vous souhaité mettre quelque chose en avant cette année ?

Renforcer l’exigence du prix. Le Sheikh Zayed Book Award est le prix littéraire le plus important dans le monde arabe, le plus complet. Et surtout il est indépendant. Il s’intéresse essentiellement aux livres récents avec une attention particulière aux qualités intellectuelles qu’ils dégagent. C’est pourquoi nous nous attachons, via notre comité scientifique, à soumettre les candidatures à des critères d’évaluation de haut niveau.  

Pourquoi en Europe devrions-nous lire de la littérature arabe selon vous ?

Nous devrions plutôt nous poser la question suivante : pourquoi un arabe devrait-il lire de la littérature arabe ? Cette question est bien plus difficile que la vôtre. Pourquoi les Français en particulier Antoine Galland et les autres Européens ont-ils traduit les Mille et Une nuits ? Pourquoi l’attention des Européens s’est-elle focalisée sur ce livre ? Pourquoi ce dernier a-t-il changé la manière de raconter des histoires ? Ces questions ont été au centre de la réflexion des critiques britanniques et américains. Pourquoi le livre a-t-il changé leur approche centralisée de la vie et pourquoi n’écouteraient-ils pas des gens dont la narration est partie intégrante de leur cœur ? Ils en sont arrivés à la conclusion qu’ils devraient apprendre de l’art de la narration du Moyen-Orient, du monde arabe mais également d’Amérique du Sud et de l’Espagne.

L’art de la narration dans le monde arabe est ancien et divers. Mais pour répondre à votre question, L’Europe doit lire notre littérature et nous devons aussi lire la leur. Pour apprendre d’elle. Pour se renouveler. Mais aussi pour qu’elle apprenne de nous. C’est une rue à double sens. Les premiers romans arabes se sont inspirés de la tradition littéraire européenne comme cette dernière s’est inspirée de nous. Prenez Zaynab de Muhammad Husayn Haykal publié en 1913 et qui peut être considéré comme le premier roman arabe. Il a été influencé par la tradition littéraire européenne. Alors pour répondre à votre question, pourquoi devrions-nous lire de la littérature arabe, peut-être parce qu’après Muhammad Husayn Haykal, ses successeurs notamment Naguib Mahfouz ont élaboré leur propre voix littéraire, celle du nouveau roman arabe en y mêlant cette tradition européenne, l’apport de Muhammad Husayn Haykal et l’art ancestral de la narration arabe.

Par Laurent Pfaadt

L’Olympe sur le Rocher

Le Grand Prix de Monaco fête sa 80e édition

Le Grand Prix de Formule 1 de Monaco a toujours été un grand prix à part. Le plus beau. Le plus prestigieux. Il constitue un rêve, un tournant dans la carrière de chaque pilote. Tous les pilotes et directeurs de course vous le diront. Il est « le plus glamour de l’année, l’un des plus techniques aussi » estiment ainsi Daniel Ortelli et Antoine Grenappin dans leur très beau livre. Toutes les légendes de la Formule 1 se sont illustrées ici : de José Manuel Fangio à Sergio Pérez, dernier vainqueur et premier mexicain en passant par Niki Lauda, Jackie Stewart, Ayrton Senna qui détient le record de victoires (6) notamment celle du « tour parfait » en 1988 selon ces mêmes auteurs et Michael Schumacher. Le GP de Monaco a ainsi vu triompher des pilotes d’exception.


Le Grand Prix de Monaco de 1982 connut quatre changements de leader dans les quatre derniers tours avant la victoire de Patrese qui était pourtant parti à la faute à deux tours de la fin

Pendant longtemps, il est demeuré le seul circuit urbain avant d’être rejoint par Djeddah, Bakou et Singapour. Extrêmement exigeant, il requiert une attention de tous les instants pour dompter un tracé « hors-norme et jusqu’à ces dernières années il ne ressemblait à rien d’existant. Rouler dans les rues étroites de la Principauté au volant d’une F1 est un exercice de fou, quasi impossible à faire » estime ainsi le journaliste de l’Equipe spécialiste de Formule 1, Frédéric Ferret. La moindre erreur de pilotage peut être dramatique et il est extrêmement difficile de dépasser. Si bien que les positions sur la grille de départ déterminent souvent le classement à l’arrivée.

Si Ferrari, vainqueur à dix reprises mais une seule fois ces vingt dernières années avec le quadruple champion du monde, Sébastien Vettel, rêve de glaner cette année un nouveau trophée, le Grand Prix de Monaco ressembla surtout à une promenade des Anglais ou plutôt de britanniques avec, sur la piste, des légendes comme Graham Hill, Stirling Moss qui offrit la première victoire en Formule 1 à une Lotus en 1960, Lewis Hamilton et dans le paddock avec McLaren et ses quinze victoires.

Côté français, Maurice Trintignant dit « Petoulet » fut le premier Français de l’histoire de la Formule 1 à gagner ici un Grand Prix comptant pour le championnat du monde au volant d’une Ferrari 625, exploit qu’il renouvela en 1958. D’autres français ont suivi : Jean-Pierre Beltoise, Patrick Depailler et Olivier Panis sans oublier bien évidemment Alain Prost qui triompha sur le Rocher à quatre reprises. Mais la légende du Grand Prix de Monaco s’écrivit aussi dans le sang, celui d’accidents restés célèbres, de Lorenzo Bondini en 1967, mort dans l’explosion de sa Ferrari, à Karl Wendlinger en 1994.

A Monaco où le spectacle est à la fois sur la piste et dans les tribunes, le Grand Prix a très vite inspiré nombre d’auteurs et de créateurs. En 1966, John Frankenheimer mit en scène dans Grand Prix Yves Montand, James Garner et Eva Marie Saint sur le mythique circuit avec des cameo de Fangio, Hill, McLaren ou Brabham. En 1971, Roman Polanski signa un documentaire sur Jackie Stewart, vainqueur à trois reprises. Son Weekend of a champion en 1972 dépeint parfaitement l’excitation et le danger qui règnent sur le circuit. Tony Stark, le personnage de Marvel, créateur d’Iron Man participa même sous les traits de l’acteur Robert Downey Jr à la course dans le film Iron Man 2 (2010).

Si le 7e art célébra le Grand Prix, le 9e ne fut pas en reste notamment avec Jean Graton, le génial créateur de Michel Vaillant. Le Grand Prix de Monaco est ainsi présent dans de nombreux albums, du célèbre Pilote sans visage (1960) à L’Epreuve (2003) en passant par L’honneur du samouraï (1966) ou Champion du monde (1974). Il lui consacra même un album spécifique devenu culte, Panique à Monaco, paru en 1957. Avec son inoubliable couverture figurant la sortie de piste de la Vaillante d’Hervé Regout, le coéquipier de Michel Vaillant, l’album raconte l’histoire d’un mystérieux maître chanteur menaçant de faire exploser une bombe s’il n’obtient pas les trois millions de francs exigés. D’ailleurs Denis Lapière, le scénariste de la nouvelle série en convient : « Le circuit de Monaco est le préféré de Michel Vaillant. Il est tellement dessingénique ! Tellement particulier. On fait deux cases et les fans savent immédiatement de quel circuit on parle. C’est le plus graphique de tous, ça monte, ça descend, ça tourne ».

Rendez-vous de la jet-set et de personnalités en tout genre, le Grand Prix est aussi cet instant, ce lieu où le monde et ceux qui l’influencent se donnent rendez-vous et se croisent dans le paddock ou sur les terrasses des restaurants étoilés pour assister au spectacle, un verre de champagne à la main, de vingt hommes frôlant la mort comme dans l’amphithéâtre de la Rome antique. Alors lorsque les feux rouges s’étendront comme un pouce impérial tourné vers le bas, ils seront vingt à rêver d’inscrire leur nom dans la légende d’une course à nulle autre pareille qui, depuis quatre-vingts éditions, continue toujours autant de faire rêver le monde entier. 

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Daniel Ortelli et Antoine Grenappin, Histoire de la Formule 1, de Jim Clark à Fernando Alonso, préface de Bernie Ecclestone, nouvelle édition, Casa éditions, 232 p.

Jean Graton, Panique à Monaco, Jean Graton éditeur, Dupuis, 48 p.

A voir :

John Frankenheimer, Grand Prix (1966)

Drive to survive, la série Netflix, en particulier les épisodes qui reviennent sur la victoire de Daniel Ricciardo et l’abandon de Charles Leclerc

Le pays du passé

L’International Booker Prize 2023 revient à l’écrivain bulgare Gueorgui Gospodinov

Time shelter (Le pays du passé en français) de l’auteur bulgare Gueorgui Gospodinov remporte l’International Booker Prize 2023. Il devient ainsi le premier livre écrit en bulgare à être sacré par le prestigieux prix qui, par le passé, a honoré d’autres écrivains venus de l’Est de l’Europe comme Ismaël Kadaré (2006), Laszlo Krasznahorkai en 2010 et la prix Nobel Olga Tokarczuk (2018) et récompense depuis 2006 un livre étranger traduit en anglais. L’International Booker Prize est également l’occasion de souligner le travail si précieux des traducteurs, ici en l’occurrence celui d’Angela Rodel. Le jury présidé cette année par la romancière Leïla Slimani a vu dans Le pays du passé, un « roman brillant, plein d’ironie et de mélancolie ».


Gueorgui Gospodinov
© AFP

Le très beau roman du bulgare Gueorgui Gospodinov sorti il y a près de dix-mois en France (Gallimard) entraîne ainsi son lecteur dans une clinique un peu spéciale dirigée par un certain docteur Gaustine. Celle-ci permet à ses patients atteints d’Alzheimer pour la plupart de replonger dans leur passé grâce au décor de chambres inspirées d’une époque favorite de leur vie. Mais la tentation de se replonger dans ses souvenirs peut s’avérer dangereuse surtout quand cette méthode vient à être utilisée par des Etats pour revenir à un passé plus ou moins glorieux. Dans ce livre inclassable à la frontière entre le réel et l’imaginaire, l’auteur, disciple revendiqué du grand Borges, nous propose une réflexion à la fois drôle et glaçante sur la mémoire, le passé et l’utilisation que nous en faisons. Ce roman paru avant la guerre en Ukraine a ainsi pris une nouvelle actualité avec celle-ci. De quoi lui redonner une seconde vie dans les librairies.

Par Laurent Pfaadt

Gueorgui Gospodinov, Le pays du passé, traduit du bulgare par Marie Vrinat-Nikolov
Coll. du monde entier Gallimard, 352 p.

Un Achille brésilien

Un casque jaune barré de vert et de noir. Dans le monde la F1 et au-delà, tout le monde sait qui le portait. Un casque devenu mythique comme le bouclier d’Achille. Ce casque qui, comme son alter ego antique, ne lui servit à rien face à la force du destin qui, il y a 29 ans, s’abattit à Imola, sur lui et sur le talon d’Achille de sa Williams Renault. Ce destin qui le frappa dans le virage du Tamburello de ce 7e tour, alors qu’il était en tête, alors qu’il semblait, comme Achille, invincible.


Ayrton Senna

Reste le mythe forgé dans un airain inoxydable depuis toutes ces années que viendra encore renforcer la minisérie à venir sur Netflix en 2023. Avant cela, livres et BD se sont emparés de ce héros des temps modernes pour raconter la vie de ce prodige trois fois champion du monde qui remporta 41 grands prix et signa 65 pôles position. Ainsi dans leur livre consacré aux champions du monde de Formule 1 (Casa éditions), Daniel Ortelli, Loïc Chenevas-Paule et Jean-François Galeron rappellent que « le souvenir de son talent immense ne s’est pas encore estompé, bien au contraire. »

Avec Alain Prost, il écrivit l’une des plus belles pages de la mythologie automobile, après avoir vaincu un Niki Lauda sur le déclin à Monaco dans cette course d’anthologie où le pilote français obtint une victoire de raison. Avec Senna, il y eut quelque chose de plus qui dépassa le cadre F1 pour affecter même ceux qui ne s’intéressaient pas aux courses, quelque chose qui le fit entrer dans une pop culture résumée par les mots de l’écrivain Éric Genetet : « Senna, c’est la grande classe, il avait dans les mains la magie d’un grand pianiste et dans les yeux la justesse d’un félin ».

Frères ennemis chez McLaren Honda, prêts à rejouer l’Iliade sur l’asphalte du monde, dans ce combat à mort qui anime les hommes depuis la nuit des temps, les deux pilotes se livrèrent une lutte éternellement recommencée. Ils eurent leur Ulysse (Nigel Mansell qui dut attendre 39 années pour revenir en vainqueur dans sa patrie), Enée (Berger, le parfait lieutenant) ou Patrocle (Damon Hill). Deux hommes de chaque côté d’un miroir en rouge et blanc avec pour affrontement ultime Suzuka, terre de samouraïs où Achille, s’étant fait hara-kiri, laissa filer le titre à son ennemi avant de se muer en kamikaze pour, l’année suivante, obtenir une revanche…homérique

Les Homère du 9e art racontèrent cet épisode devenu mythique. Ainsi Christian Papazoglakis, Robert Paquet, Lionel Froissart rappelèrent que le grand guerrier ne fut jamais aussi fort que sous cette pluie tombée du ciel qui vainquit tous ses adversaires et qu’il chevaucha des destriers parfois modestes qu’il transforma en étalons et soumit les plus rétives de ses montures comme la McLaren MP 4/4 pour en faire l’une des plus belles machines de combat.

Vingt alors la tragédie de ce 7e tour du Grand Prix d’Imola en 1994, cette année horribilis pour le sport automobile, une tragédie que le monde entier contempla devant sa télévision « Il faisait beau et le grand prix des dimanches était un rituel. La scène en elle-même n’était très impressionnante parce qu’il y avait des sorties de route assez souvent. Ici, pas d’explosion, juste un tête-à-queue. Donc je crois que je ne me suis pas rendu compte tout de suite que c’était si grave. A cette époque on commençait à passer et repasser en boucles les images, je me souviens d’avoir ressenti une sorte de dégoût de revoir encore et encore les images, de cette société du spectacle que je ne théorisais pas du tout mais que je ressentais de cette façon » se souvient Nelly Mladenov, attachée de presse indépendante qui avait douze ans à l’époque. Septième tour fatidique lorsque Senna, frappé au talon de sa voiture, rejoignit l’Olympe du sport automobile.

« Dois-je au superbe Achille accorder la victoire ? Son téméraire orgueil, que je vais redoubler, croira que je lui cède, et qu’il m’a fait trembler… » lançait Agamemnon dans l’Iphigénie de Racine à propos du célèbre guerrier grec. Les dieux de la F1, eux, n’ont rien cédé, bien au contraire. Ils ont accueilli sur l’Olympe ce héros dont l’aura continue toujours et encore de se répandre sur nous, simples mortels.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Daniel Ortelli, Loïc Chenevas-Paule, Jean-François Galeron, Les champions du monde de Formule 1, Casa éditions, 176 p.

Christian Papazoglakis, Robert Paquet, Lionel Froissart, Ayrton Senna, Histoires d’un mythe, Coll Plein gaz, Glénat, 2014

A voir :

Ayrton Senna, mini-série (6 épisodes), Netflix, courant 2023

Omar Khairat, Sheikh Zayed Book Award 2023

Le musicien et compositeur égyptien a été désigné personnalité culturelle de l’année 2023 par le principal prix littéraire du monde arabe

Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose et pourtant, de l’autre côté de la Méditerranée, Omar Khairat, 75 ans, est l’un des musiciens et compositeurs les plus célébrés du monde arabe. Du Maroc à Oman, en passant par Tunis ou Abu Dhabi, nombreux sont les habitants de ces pays à se souvenir de ses notes composées pour le film Le Sixième jour (1984) ou la série télévisée Le Jugement de l’Islam plus récemment. C’est également lui qui composa la musique de l’inauguration de l’opéra de Dubaï où il se produisit à nombreuses reprises en compagnie des plus grandes voix de la planète notamment José Carreras en 2016.

Le Sheikh Zayed Book Award vient aujourd’hui récompenser cette personnalité culturelle majeure du monde arabe, succédant notamment à l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, à l’UNESCO, à l’Emir de Dubaï, Son Altesse le Sheikh Mohammed Bin Rashed Al Maktoum ou au Dr Abdullah Al-Ghathami, récompensé l’an passé.

Omar Khairat est né en 1948 au Caire. Après des études au conservatoire de la capitale égyptienne, il débute en tant que batteur du groupe populaire de rock égyptien Les Petits Chats à la fin des années 1960 avant de mettre ses talents de compositeur au service du cinéma et de la télévision.

Les œuvres de Khairat font désormais parties du répertoire de la musique égyptienne contemporaine et mêlent dans une subtile alchimie musique orchestrale et mélodies orientales qu’il a interprété, en tant que pianiste, lors de concerts restés dans toutes les mémoires. « Au Sheikh Zayed Book Award, nous nous engageons à mettre en lumière chaque année d’éminentes personnalités culturelles, artistiques ou créatives, qui ont apporté une contribution remarquable au mouvement culturel qui sera transmise aux générations futures. Nous sommes fiers de témoigner notre reconnaissance à l’une des figures de proue de la musique et de la culture arabes, et le musicien Omar Khairat est certainement l’une de ces figures ; sa musique suscitera toujours du sens et de profondes émotions, portant dans ses notes les marqueurs de notre culture, qu’il a su brillamment mélanger avec d’autres cultures, créant des chefs-d’œuvre intemporels qui resteront gravés dans notre mémoire et dans notre identité » a ainsi déclaré Son Excellence Dr Ali Bin Tamim, secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award.

La désignation de ce compositeur qui a su, dans ses œuvres, tracer des ponts musicaux entre l’Orient arabe et l’Occident vient un peu plus conforter la démarche d’une capitale des Emirats Arabes Unis souhaitant apparaître comme l’un des carrefours culturels majeurs de la planète. Après avoir été désigné ville de la musique en 2021 par l’UNESCO et lieu d’un important festival de musique qui essaime dans le monde entier, Abu Dhabi affirme ainsi son soutien à la musique, instrument de rapprochement du monde arabe et des autres cultures, tout en suscitant le développement d’échanges culturels afin de rapprocher sociétés et générations. Ce prix constitue également une nouvelle étape pour la capitale des Émirats arabes unis dans ses efforts visant à mettre en évidence la richesse de la composition arabe et de l’histoire de la musique et à ainsi réitérer son dévouement aux arts et à la culture sous toutes leurs formes.

Par Laurent Pfaadt

La fille préférée

Un livre passionnant raconte l’histoire de la Porsche 911

Trois chiffres résonnant comme un mythe, comme une icône. Modèle phare de la marque, la Porsche 911 est entrée, depuis sa conception en 1963, dans l’imaginaire collectif comme nous le rappelle Serge Bellu dans son livre passionnant. Construit comme un journal séquencé en neuf grandes étapes, ce livre relate la vie de cette gamine indomptable depuis ce salon de Francfort où elle dévoila sa ligne inimitable entretenue depuis au gré de looks et de liftings successifs qui lui valurent de nouveaux soupirants ou, au contraire, des amoureux déçus.


Elle eut plusieurs pères : « Butzi », le petit-fils de Ferdinand Porsche qui façonna son berceau, Anatole Lapine qui fit d’elle une femme ou Michael Mauer qui lui retira sa coque en septembre 1997 avant de lui préférer sa petite sœur Panamera. Mais cette fille a de la ressource, croyez-moi. Elle est farouche, en course surtout quand elle a un Martini dans le ventre ou qu’elle a pour amant, un Gérard Larousse qui se passe de mots pour l’emmener au septième ciel. Farouche aussi quand elle s’affuble d’un Carrera sur ses flancs comme on porterait un T-Shirt moulant Armani et qu’elle file à 240 km/h, ou quand elle libère sa chevelure peroxydée pour la laisser voler au vent au début des années 80.

On a tous notre modèle favori mais il faut bien reconnaître qu’avec sa poitrine opulente (des pare-chocs renforcés pour satisfaire les exigences américaines), un cul d’enfer avec cet aileron, et une facilité à emballer, la 911 Turbo sortie en 1974 fut la plus belle. Notre beauté, cette Claudia Schiffer automobile, n’avait alors que 19 ans et était partie pour conquérir le monde et devenir « la » 911. D’ailleurs, pour se pardonner d’avoir fait tourner tant de têtes, la marque offrit la millionième Porsche, une 911, à la police fédérale allemande.

La quarantaine arrivant, elle se mua en femme fatale avec une poupe affinée et des ailes élargies. La génération 993 devint alors la préférée des Porschistes. Des lunettes jugées trop sages (996) furent vites remplacées par des lentilles de contact qui lui permirent de retrouver son regard de braise.

Très vite la 911 est entrée dans notre imaginaire collectif grâce notamment au cinéma et à la télévision. On ne compte plus les films et les séries télévisées où elle fit son apparition comme une actrice débutante avant de jouer les grands rôles aux côtés des plus grands, Belmondo, Di Caprio ou Tom Cruise dans le dernier Top Gun. Notre Claudia Schiffer devint Marylin Monroe, Mélanie Griffith ou Scarlett Johansson.

Des autographes, elle en a signé surtout chez les maîtres du neuvième art. Ainsi, la 911 fut très vite associée à Ric Hochet, ce célèbre détective créé par André-Paul Duchâteau en 1963, nettement plus séduisant qu’un Derrick qu’elle accompagna jusqu’à la retraite. Dans de nombreux albums, Ric Hochet conduit une 911 jaune, devenue au fil des albums, indissociable du personnage, notamment dans Epitaphe pour Ric Hochet et sa couverture montrant la 911 écrasée contre un arbre, Le Trio maléfique ou La ligne de mort. Fidèle en plus. C’est pour cela qu’on l’aime autant.

Le livre de Serge Bellu raconte tout cela, l’histoire de cette Allemande partie à la conquête du monde. Porschistes de toujours, amoureux de vitrines ou voyeurs de trottoirs, tous se régaleront devant tant de photos, de souvenirs, de détails techniques et de cette histoire inaccessible sans fin qui nous plaît tant.

Par Laurent Pfaadt

Serge Pellu, Anthologie 911, E.P.A.I.

A lire également : Ric Hochet, La ligne de mort, Le Lombard, 1975

Une bibliothèque pleine de voitures

L’écrivain Gérard de Cortanze raconte avec passion l’histoire de l’automobile 

Chez les Cortanze, littérature et automobile ont toujours fait bon ménage. Et des rallyes de Monte-Carlo que disputa Charles au prix Renaudot que remporta Gérard en 2002, l’histoire se traverse en voiture et à toute allure. Son dernier livre permet ainsi de choisir sa monture parmi cent modèles afin de parcourir cette histoire de l’automobile mais surtout sa propre histoire. 


Alors retournons dans la bibliothèque de l’écrivain pour emprunter le juste bolide. Sur les rayonnages se trouvent ces voitures cachées dans les livres qui, non seulement, se dévoilent sous nos yeux mais disent aussi quelque chose de l’écrivain.

Il y a cette Delahaye 135 qu’admira aux 24h du Mans en 1938, une Violette Morris victorieuse du Bol d’or automobile en 1927 avant de basculer dans la collaboration à qui l’auteur consacra l’un de ses plus beaux livres, Violette Morris, la femme qui court (Albin Michel, 2019). Il y a cette Jeep Willys avec une Martha Gellhorn (Le roman de Hemingway, Le Rocher, 2011) déployant sa magnifique chevelure blonde en retirant son casque au moment d’entrer dans le camp de Dachau avec les Américains. Cette Renault 4 CV, cette « voiture optimiste » tirée de son Dictionnaire amoureux des sixties (Plon, 2018), une voiture qui « est en soit un roman » et dont la fabrication s’acheva en 1961. Et évidemment l’Alpine 110 Renault, « fille émancipée de la Renault 8 Gordini et de la R8 Major », la marque du cousin André. Enfin, ces Ferrari F355 ou F40, Lamborghini Diablo ou Maserati Quattroporte qu’auraient certainement conduit les Vice-rois s’ils avaient vécu à notre époque.

D’autres voitures apparaissent au fil des pages. Les Américaines rivalisent avec les Allemandes et les Japonaises lorsque se dévoilent la Ford Mustang Shelby GT500, la Porsche 911 ou la Nissan Fairlady dans ce magnifique concours de beauté. La course n’est donc jamais bien loin et atavisme oblige, celui qui écrivit sur les 24 h du Mans ne pouvait oublier la Matra Simca MS670 de Pescarolo et Hill (1972) ou la Peugeot 905 victorieuse au Mans il y a trente ans exactement. 

Vous l’aurez compris, ce livre est bien plus qu’une simple succession d’images. Gérard de Cortanze nous offre ici un voyage extraordinaire dans ce vingtième siècle automobile palpitant. A la manière d’un Phileas Fogg effectuant un tour du monde, le lecteur change de voiture selon ses envies et observe une époque, un moment, un morceau d’histoire, grimpant tantôt dans la Rolls-Royce Phantom, tantôt dans un combi Volkswagen, tantôt dans une Citroën XM. Mais surtout à travers ses choix personnels, Gérard de Cortanze nous accompagne dans notre propre album familial, celui de nos vacances et des récits de courses mythiques des repas du dimanche midi. Pour nous dire, que l’on soit passionné ou non d’automobile, qu’il y a toujours eu une voiture pour accompagner notre vie.

Par Laurent Pfaadt

Gérard de Cortanze, Une histoire de l’automobile en cent modèles mythiques
Chez Albin Michel, 240 p.

International Booker Prize

Maryse Condé, favorite de l’International Booker Prize 2023

L’International Booker Prize qui récompense une œuvre de fiction publiée dans une langue étrangère vient de dévoiler ses finalistes. A l’origine attribué tous les deux ans, il est devenu annuel depuis 2016 et a consacré quelques grands noms de la littérature du 20e siècle notamment Ismaël Kadaré, premier récipiendaire en 2005, deux prix Nobel (Alice Munro et Olga Tokarczuk), Philip Roth et l’Israélien David Grossmann. Un seul écrivain de langue française figure au palmarès, le palois David Diop pour son superbe roman Frères d’âmes (Seuil, 2018), sacré en 2021. Et la présence cette année dans les finalistes de deux livres écrits en français témoigne de la vitalité d’une langue française inscrite dans sa diversité.


Cette année, le jury du prix présidé par la romancière Leila Slimani a publié sa short list et la sélection, influencée par l’actualité, assume une subversion qui se décline dans les livres des divers finalistes. Alors qui succèdera cette année à l’indienne Geetanjali Shree et son roman, Ret Samadhi. Au-delà de la frontière, paru il y a deux ans aux éditions des Femmes ?

Maryse Condé, L’évangile du nouveau monde, Buchet/Chastel & Pocket

La Guadeloupéenne, victorieuse du Prix Nobel alternatif en 2018 fera indiscutablement figure de favorite. Elle représentera avec son dernier roman, L’Evangile du nouveau monde, la chance la plus sérieuse de la langue française d’inscrire une nouvelle fois son nom au palmarès. Dans ce roman qui transpose la vie de Jésus dans une Guadeloupe contemporaine, le lecteur suit les aventures de Pascal, jeune métis né d’une mère musulmane puis adopté par une famille chrétienne et propulsé nouveau messie des Antilles. La tâche de ce dernier s’avère particulièrement délicate, surtout dans ce monde contemporain désincarné en mal d’utopies. D’autant plus que notre brave héros n’est pas très motivé pour faire don de sa personne à l’humanité. Les temps ont décidément bien changé. « J’ai imaginé Dieu comme un Guadeloupéen ordinaire qui vaquait à ses occupations quotidiennes comme jouer aux cartes, boire du rhum ou aller à la fosse aux coqs » affirme ainsi Maryse Condé dans le très beau portrait que lui consacra en avril le New York Times. Après En attendant la montée des eaux (JC Lattès, 2010) et Le Fabuleux Destin d’Ivan et Ivanna (JC Lattes, 2021), L’Evangile du Nouveau Monde se veut, à travers ses personnages incroyables, ses anti-héros, critique de ce monde contemporain si tortueux dans lequel nous vivons. Cette histoire est sublimée, une fois de plus, par la prose magnifique et si intelligente d’une Maryse Condé qui nous rappelle que l’amour peut venir à bout de tous les obstacles et qu’il relève, à chaque fois, du divin. Et si l’International Booker Prize annonçait le Nobel ?

Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila & Le Livre de Poche

Le livre du franco-ivoirien Gauz sera l’autre chance française. Dans Debout-Payé, sacré meilleur premier roman 2014 par le magazine Lire, l’auteur nous relate l’histoire d’Ossiri, un étudiant ivoirien arrivé sans papiers en 1990 et devenu vigile comme son père. Cette saga familiale est le prétexte pour aborder d’autres thèmes tels que le regard de la société française sur ses immigrés ou les relations entre l’Afrique et l’Occident. Avec sa langue piquante, Debout-Payé est aussi un portrait acide de notre société de consommation.

Gueorgui Gospodinov, Le pays du passé, Gallimard

Le très beau roman du bulgare Gueorgui Gospodinov entraîne son lecteur dans une clinique un peu spéciale dirigée par un certain docteur Gaustine. Celle-ci permet à ses patients atteints d’Alzheimer pour la plupart de replonger dans leur passé grâce au décor de chambres inspirées d’une époque favorite de leur vie. Mais la tentation de se replonger dans ses souvenirs peut s’avérer dangereuse surtout quand cette méthode vient à être utilisée par des Etats pour revenir à un passé plus ou moins glorieux. Dans ce livre inclassable à la frontière entre le réel et l’imaginaire, l’auteur, disciple revendiqué du grand Borges, nous propose une réflexion à la fois drôle et glaçante sur la mémoire, le passé et l’utilisation que nous en faisons.

Eva Baltasar, Boulder, Verdier

Dans ce court roman qui a rencontré un beau succès lors de la dernière rentrée littéraire, finaliste du prix des Inrockuptibles 2022, l’écrivain catalane Eva Baltasar suit la cuisinière d’un navire marchand dont la vie est bouleversée par une maternité. Boulder ne souhaitait pas d’enfant mais une histoire d’amour fulgurante, ardente avec une femme rencontrée dans le sud de la Patagonie en a décidé autrement. Ici l’érotisme le plus libéré rivalise avec l’assignation la plus violente sitôt l’amour évaporé. Boulder est ainsi l’histoire d’une femme puissante, d’un granit qui finit par se fissurer avant de se reconsolider. Ce livre, premier roman écrit en catalan à atteindre la finale de ce prix, ne laissera aucun lecteur insensible.

Whale de la sud-coréenne Cheon Myeong-kwan (Europa Editions) et Still Born de la mexicaine Guadalupe Nettel, (Fitzcarraldo Editions), deux ouvrages non traduits en français viennent compléter la liste des finalistes d’un prix qui sera remis le 23 mai prochain.

Par Laurent Pfaadt

Mathieu Tillier, lauréat du Sheikh Zayed Book Award 2023

L’historien français remporte le plus important prix littéraire du monde arabe dans la catégorie culture arabe dans une autre langue

Le professeur d’histoire islamique médiévale à la Sorbonne était plus habitué au silence d’austères bibliothèques universitaires plutôt qu’aux flash et aux ors d’Abu Dhabi. De son propre aveu, ce prix fut une surprise. « Je ne m’attendais pas du tout à ce prix. Le livre qui a été couronné est sorti il y a quelques années. Même s’il a reçu un bon accueil dans la communauté scientifique, le fait qu’il soit écrit en français ne me laissait pas présager qu’il serait remarqué par les organisateurs de ce prestigieux prix » nous a-t-il confié en exclusivité. Il va pourtant devoir s’y faire, surtout lorsqu’un membre de la famille royale des Emirats Arabes Unis viendra lui remettre le prix, fin mai lors de la cérémonie des lauréats. Son livre L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam, publié aux éditions de la Sorbonne, celles de son université en 2017 examine ainsi l’évolution du système judiciaire au cours de la première période islamique, en mettant en lumière diverses questions cruciales, telles que le processus de dépôt des plaintes et des affaires, leur cheminement juridique et les personnes chargées de rendre les jugements définitifs. Voué à demeurer confidentiel avec un tirage limité, ce livre se voit aujourd’hui propulsé dans la lumière grâce au Sheikh Zayed Book Award.


Mathieu Tillier

Après l’écrivain franco-libanais, Amin Maalouf, Prix Goncourt 1993 pour Le Rocher de Tanios, membre de l’Académie française, et récompensé dans la catégorie Personnalité culturelle de l’année en 2016, Mathieu Tillier devient ainsi le second Français à obtenir le Sheikh Zayed Book Award, l’un des plus prestigieux prix littéraires du monde arabe et dont la principale mission est de promouvoir et de rendre hommage aux intellectuels, chercheurs, autrices et auteurs, traducteurs, éditeurs et institutions qui ont apporté une contribution significative à la littérature, aux sciences sociales, à la culture et aux savoirs modernes liés au monde arabe. A travers lui, c’est aussi la France, la langue française et les institutions culturelles françaises qui sont récompensées. « Je suis très touché par cette reconnaissance d’un travail de longue haleine, qui m’a occupé pendant près d’une décennie. C’est pour moi un honneur d’autant plus grand que cette reconnaissance vient d’un jury international composé d’éminents spécialistes de la culture arabe. Cette récompense honore aussi toutes les institutions, françaises et européennes, dont le soutien m’a permis d’aller au bout des recherches qui sont au cœur de cet ouvrage. Qu’un ouvrage en français soit ainsi primé me semble donner quelque espoir à la francophonie, en dépit de la domination de l’anglais dans les échanges scientifiques » poursuit-il.

Le Sheikh Zayed Book Award qui fêtera cette année sa 17e édition fait également coup double puisqu’en plus de couronner un historien français, il gagne en visibilité dans un pays, la France, où il est encore méconnu et parfois, à tort, caricaturé alors qu’il a couronné des écrivains de grand talent comme l’algérien Waciny Laredj, la palestino-américaine Ibtisam Barakat ou l’égyptiennne Iman Mersal en 2021 qui sera présente cette année lors de la remise des prix. Ce prix vient également renforcer un peu plus les Emirats Arabes Unis en tant qu’épicentre culturel du Moyen-Orient.

Mathieu Tillier complète ainsi un palmarès où figurent le poète, critique, professeur à l’université de Bagdad et à l’université Mustansiriyah et rédacteur en chef du magazine Al-Aqlam, Ali Ja’far al-Allaq (Irak), pour son ouvrage Ila Ayn Ayyathouha Al Kaseedah (« Whereto, O Poem? » Une Autobiographie), publié par Alan Publishers and Distributors en 2022 dans la catégorie reine, celle de la littérature, Said Khatibi (Algérie) pour Nehayat Al Sahra’a (La fin du désert), publié par Hachette Antoine / Nofal en 2022 (Jeune Auteur), et Chokri Al Saadi, pour sa traduction de l’anglais vers l’arabe de ‘Al-Ibara wa-al-Mi’na : Dirasat fi Nathariyat al-A’amal al-Lughawiya’ (Expression and Meaning : Studies in the Theory of Speech Acts) du philosophe et linguiste américain John R. Searle, publié par le ministère des Affaires culturelles – Institut tunisien de la traduction en 2021.

La France faillit réussir un doublé mais pour la deuxième année consécutive, les éditions Sindbad ratent le prix dans la catégorie Edition et technologie, au profit de la maison d’édition indépendante égyptienne, ElAin Publishing  (Égypte). Enfin, dans la catégorie critique littéraire et artistique, l’auteure tunisienne Dr. Jalila Al Tritar est couronnée pour son essai Mara’i an-Nisaa’: Dirasat fi Kitabat al-That an-Nisaa’iya al-Aarabiya (Le point de vue des femmes: Études sur les écrits personnels des femmes arabes) publié par La Maison Tunisienne Du Livre en 2021.

Par Laurent Pfaadt

La remise des prix aura lieu le 23 mai à l’occasion de l’Abu Dhabi Book Fair, la Foire internationale du livre d’Abu Dhabi qui se tiendra du 22 au 28 mai. Chaque gagnant se verra remettre une médaille d’or, un certificat de mérite et une somme de 186 337 euros.

Mythanalyse de la couleur

Après un premier ouvrage fort intéressant consacré aux couleurs dans le contrôle social du langage par les pouvoirs religieux, politiques et économiques, ce second livre de l’artiste philosophe Hervé Fischer invite à décrypter la place et l’utilisation des couleurs dans la fabrication des mythes, des plus anciens à ceux de notre époque. Ce qu’il appelle la mythanalyse examine ainsi le système de couleurs à travers une approche sociologique des mythes et légendes qui passe par notre imaginaire social. Celui-ci remonte parfois à des époques reculées, adossé également à des rituels organisés, fabriqués qui encore aujourd’hui, agissent sur nos comportements.


Ce livre dense et érudit est donc un fascinant voyage coloré dans notre imaginaire collectif à travers les siècles. Du bouddhisme aux mythes fabriqués par le capitalisme en passant par le prisme de couleurs de Newton ou l’expérience vécue de Goethe, chaque époque a instauré un système de couleurs qui a sous-tendu un ordre social. Et la désagrégation du premier a souvent a été fatal au second. D’où l’importance pour les religions d’avoir su dompter ces systèmes de couleurs. « Les religions ont asservi l’irrationnalité des couleurs en les codifiant théologiquement dans des symboliques rigoureuses assorties de sanctions » écrit ainsi Hervé Fischer dont l’explication de la symbolique des couleurs dans l’Islam par exemple est proprement fascinante.

Aux religions succéderont d’autres formes de croyances, celles de la science puis du capitalisme qui eux aussi ont eu besoin de forger leurs mythes en utilisant des couleurs afin de développer un langage social et assoir leur pouvoir inconscient sur notre imaginaire collectif. Hervé Fischer montre ainsi que les évolutions technologiques et la recherche sur le cerveau notamment avec Edwin Land ont à la fois permis de comprendre mais également d’utiliser l’intégration des systèmes de couleurs dans la psyché humaine. Celle-ci a ainsi agi comme facteur de bien-être mais a également développé de nouvelles formes d’asservissement par le biais de ces nouveaux mythes mercantiles comme celui par exemple d’une certaine canette de soda rouge. De Bouddha à Coca-Cola, ce livre passionnant permet d’aller bien au-delà des simples apparences.

Par Laurent Pfaadt

Hervé Fischer, Mythanalyse de la couleur, coll. Bibliothèque des sciences humaines
Aux éditions Gallimard, 432 p.