Archives de catégorie : Lecture

#Lecturesconfinement : Ce qui plaisait à Blanche de Jean-Paul Enthoven par Amélie de Bourbon-Parme

C’est un ouvrage à suspens, dont
on rêve de saisir la chute finale
sans jamais vouloir la connaître.
On reste fasciné par l’écriture
magnifique qui décrit le désarroi
du narrateur devant un amour
impossible, inaccompli, sa quête
éperdue pour satisfaire les désirs
de Blanche, son esclavage
volontaire, sa soumission à tout
prix, son étonnement devant sa
propre capitulation. J’ai adoré
suivre ce témoin de sa propre
perdition, qui en décortique
chaque soubresauts sans jamais parvenir à en saisir le sens. Ce qui
s’efface à mesure qu’on avance dans la lecture de ce livre c’est la
définition de l’amour, mystère insondable.
Amélie de Bourbon-Parme est écrivaine et directrice associée de
l’agence Havas Paris. Elle a notamment publié le Secret de l’empereur
(Gallimard, 2015)

Ce qui plaisait à Blanche
de Jean-Paul Enthoven (Grasset)
par Amélie de Bourbon-Parme

#Lecturesconfinement : Putzi de Thomas Snégaroff par Dominique Missika

Après Little-Rock, Thomas
Snégaroff, dans Putzi, nous plonge
au cœur des États-Unis, cette fois-
ci à travers le destin d’un étudiant
d’Harvard. Né à Munich le 2
février 1887, Ernst Hanfstaengl,
allemand par son père et américain
par sa mère, est issu d’une famille
riche qui reçoit chez elle Strauss,
Wagner et Liszt. Alors qu’il mesure
presque deux mètres, on continue
à l’appeler Putzi, qui veut dire en
dialecte bavarois, « petit
bonhomme ».  Son surnom qu’il
porte depuis son enfance lui a été donné par la nurse qui l’élève.
Soutien dès la première heure d’Hitler, il l’accompagne dans son
ascension.  Son atout majeur, c’est son talent de pianiste. Après ses
nombreux discours qui l’épuise, Hitler vient écouter avec Putzi lui
jouer du Liszt et de Wagner. Il l’informe sur les théories racialistes en
vogue aux Etats-Unis. Mais le confident s’échappera de l’Allemagne
nazie, se mettra au service de Roosevelt avant de sombrer dans
l’oubli. Une enquête fascinante sur un personnage trouble.
Dominique Missika est journaliste, écrivaine et directrice éditoriale
aux éditions Tallandier. Dernier livre paru : Un amour de Kessel (Seuil)

Putzi
 de Thomas Snégaroff (Gallimard)
par Dominique Missika

#Lecturesconfinement : White de Bret Easton Ellis par Jennifer Richard

Habituellement hermétique à la
plume de Bret Easton Ellis (ses
énumérations d’objets de marque
entrecoupées de pause cocaïne me
laissent de marbre), j’ai lu son essai
avec délectation. Il décrit la société
américaine élitiste et donneuse de
leçon, celle qui évolue le long des
côtes, dans les habitats privilégiés
d’un pays inégalitaire, celle dont on
trouve un équivalent à Paris, dans les
milieux artistiques et protégés des
tourments de la crise. Un portrait au
vitriol des bien-pensants, des
ayatollahs de la tolérance, des démocrates fondamentalistes, des
extrémistes du vivre-ensemble et des brunches au quinoa. On peut
ainsi lire ce texte comme s’il était écrit par un compatriote, et on
comprend que l’esprit bourgeois, socialement méprisant et
intellectuellement étriqué, ne connaît pas de frontières.
Jennifer Richard est romancière, auteur notamment de Il est à toi ce
beau pays
 (Albin Michel, 2018) et Le diable parle toutes les langues
(Albin Michel), à paraitre en janvier 2021

White
de Bret Easton Ellis (Robert Laffont)
par Jennifer Richard

#Lecturesconfinement : La Colo de Kneller d’Etgar Keret par Inès Benaroya

Etgar Keret est un auteur israélien
complet. Écrivain, scénariste, engagé
dans la création contemporaine, il a
ce talent que j’apprécie tant : son
univers singulier ne ressemble à
aucun autre.
Dans la Colo de Kneller, il imagine une
vie après la mort où seuls les suicidés
se retrouvent. Les personnages
errent dans cet au-delà absurde avec
autant de nostalgie que d’espoir –
mais de quoi ? Quand on n’a plus rien
à perdre, qu’on ne peut plus mourir
de nouveau, comment se met-on à vivre, ou à aimer ?

« Deux jours après m’être suicidé, j’ai trouvé un boulot ici, dans une
pizzeria qui fait partie d’une chaîne, le Kamikaze. »
 L’incipit donne le ton.
L’écriture est sèche, ramassée, et au détour d’une page, quelques
lignes donnent envie de pleurer. Un court texte cinématographique,
foutraque, incroyablement émouvant, à lire lentement pour ne rien
en perdre.
Inès Benaroya est chef d’entreprise et écrivaine. Dernier livre paru :
Quadrille (Fayard)

La Colo de Kneller
d’Etgar Keret (Actes Sud)
par Inès Benaroya

Lecturesconfiement : Les éminences grises de Charles Zorgbibe par Laurent Pfaadt

C’est à un voyage dans l’histoire et
les arcanes du pouvoir que nous
convie Charles Zorgbibe, éminent
spécialiste des relations
internationales et auteur des
biographies de référence de
Metternich, Guillaume II ou
Kissinger (de Fallois). L’éminence
grise est ainsi ce conseiller qui se
tient dans l’ombre de l’homme de
pouvoir pour lui dicter bonnes ou
mauvaises décisions. Notre cher
Alain Rey aurait certainement
précisé qu’éminence, au figuré,
voulait dire, au XVIe siècle, haut degré, excellence et que grise
renvoyait à la robe de capucin du Père Joseph, conseiller de
Richelieu qui joua un rôle fondamental lors des négociations des
traités de Westphalie en 1648 qui redessinèrent la carte de l’Europe
au profit de la France.

C’est d’ailleurs lui qui nous ouvre les portes de ce livre plein
d’érudition (comme à chaque fois avec Charles Zorgbibe) et nous
emmène dans toutes les époques et sur tous les continents à la
rencontre de personnages connus comme Jean Monnet ou Jacques
Foccart et d’autres restés dans l’ombre de l’histoire qu’ils ont
souhaité opaque pour eux-mêmes tel le baron Holstein, enfermé
dans son minuscule bureau de la Wilhelmstrasse qui conseilla le
Kaiser Guillaume II et obtint la tête de l’homme le plus puissant de
son époque, le célèbre Bismarck. Mais c’était sans compter le
projecteur littéraire de notre auteur, toujours prompt à nous
révéler, les côtés obscurs des hommes de pouvoir.

Les éminences grises
de Charles Zorgbibe (éditions de Fallois)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : L’enfance céleste de Maud Simonnot par Emmanuelle de Boysson

En cette période de confinement,
voilà un roman essentiel, une
respiration. On résume l’affaire :
Célian n’aimait pas l’école. Pauvre
Célian. Il était un petit garçon
incompris, sans doute surdoué.
Alors, après une rupture
amoureuse, Mary, sa mère
l’emmena dans une île de la mer
Baltique où, pendant la
Renaissance, l’astronaute, Tycho
Brahe, redessina de son
observatoire la carte du ciel. Dans
cette nature sauvage, ils
s’émerveillent, se lient avec les habitants, pêchent, se promènent,
rêvent aux étoiles. Un roman poétique et sensible, illuminé par la
joie de Célian et l’amour inconditionnel que lui porte sa mère. Avec
Maud Simonnot, on prend le large, un grand bol d’air.

Emmanuelle de Boysson est romancière et critique littéraire. Elle
vient de publier Je ne vis que pour toi(Calmann-Lévy).

L’enfance céleste
de Maud Simonnot (L’Observatoire)
par Emmanuelle de Boysson

#Lecturesconfinement : La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg par Véronique Olmi

Né en 1939, Jean-Claude Grumberg,
dramaturge, auteur de livres pour la
jeunesse et scénariste,
 est l’un des
auteurs contemporains les plus joués
au monde, l’un des plus étudiés dans
les écoles.
 En 1942, son père est
arrêté devant lui, emmené à Drancy
puis déporté à Auschwitz. Séparés
 de
leur mère, son frère ainé et lui sont
emmenés dans une maison d’enfants.
Cette tragédie est
 au cœur de sa vie et
de son œuvre. Dans La plus précieuse
des marchandises
, il est question

justement, d’une partie de la
population appelée « les sans-cœurs », une partie de la population
considérée par une autre, plus nombreuse et donc plus puissante,
comme « non humaine »et acheminée par longs et incessants
convois, vers la mortCe pourrait être un conte, une histoire
impossible, pas vraie. Le livre ne commence-t-il pas par : « Il était une
fois »
 ? Le livre ne parle-t-il pas d’une  bûcheronne qui rêve d’avoir un
enfant et en reçoit un, un jour comme tombé du ciel,un bébé
enveloppé dans un châle, une marchandise jetée hors d’un train
traversant la forêt ?
 Assurément c’est un conte, une histoire
inimaginable, inventée par un romancierMais le dernier chapitre
s’intitule :Appendice pour amateurs d’histoires vraiesL’auteur y
énumère
 des numéros de convois, chiffres, dates, noms, prénoms,
celui de son père, celui de son grand-père… et ce conteque le
lecteur a bien évidemment lu de bout en bout comme une histoire
vraie, abandonne le ton si poignant du roman à la fois
intemporel,poétique et terrifiant, pour celui du constat. Après avoir
alterné les passages dans la forêt et ceux dans les campsaprès avoir
raconté l’histoire avec poésie, tendresse et frayeurJean-Claude
Grumberg nous laisse face à la vérité la plus crue, celle qui pose la
question de l’inhumain chez l’humain.
Véronique Olmi est romancière et auteure de pièces de théâtre. Son
roman Bakhita (Albin Michel, 2017) a été finaliste du prix Goncourt
et a remporté le prix du roman Fnac. Dernier livre paru : Les évasions
particulières
 (Albin Michel, 2020)

La plus précieuse des marchandises
de Jean-Claude Grumberg (Seuil)
par Véronique Olmi

#Lecturesconfinement : Stella Finzi d’Alain Teulié par Dominique Dyens

Rares sont les livres qu’on garde en
mémoire longtemps après les avoir
lus. Pendant cette période de
confinement où le temps est entre
parenthèses, nous avons plus que
jamais besoin de nous perdre dans
une belle histoire et de laisser notre
imaginaire nous emporter ailleurs,
bien loin de notre quotidien.
L’histoire est celle d’un écrivain qui,
après avoir connu le succès fragile
d’un premier roman, se trouve en mal
d’inspiration, ruiné et dépressif et qui
choisit Rome pour lieu de son suicide et de sa disparition du monde.
C’est dans cette ville qu’il rencontre Stella Finzi, personnage aussi
surprenant que fantasque et dont la caractéristique la plus notable
est d’avoir un visage d’une laideur parfaitement repoussante.
L’écrivain la fuit, la riche italienne se retrouve toujours sur son
chemin. Au fil des jours et des semaines, une étrange relation, aussi
troublante que sensuelle, se noue entre eux.
J’ai été transportée de Rome en Toscane, je me suis laissée glisser
dans la peau d’un homme qui a perdu le goût de tout et surtout celui
des autres, j’ai aimé être dérangée par la lecture de ce roman
baroque, surtout à notre époque où tout est tristement consensuel.
Ce roman peut être interprété de différentes façons. Mais au delà
de l’histoire, j’y ai lu une jolie métaphore du processus de création et
de l’inspiration. Là où le désir de l’écrivain s’éteint, celui de se réjouir
comme celui de créer, l’arrivée de Stella est une injonction à vivre.
En lui faisant effleurer le beau et le bon, cette femme au visage
disgracieux, redonne à cet homme de goût, l’envie de prendre soin
de lui, elle éveille son désir et l’aide à retrouver le chemin de la vie.
Dominique Dyens est écrivaine. Dernier livre paru : Cet autre amour
(Robert Laffont, 2017)

Stella Finzi
d’Alain Teulié (Robert Laffont)
par Dominique Dyens

#Lecturesconfinement : M l’enfant du siècle d’Antonio Scurati par Dominique Manotti

Un vrai bouquin pour
période de
confinement, allégé
ou pas : en 850
pages, la montée du
fascisme en Italie
après la guerre de
14, racontée en
roman noir, dans une
belle écriture qui nous embarque. Et une façon nouvelle de ponctuer
de place en place l’écriture romanesque de documents historiques.
Scurati revisite le roman historique, lui donne une vigueur nouvelle.
Il faut le lire pour vivre vraiment cette période, et donc la
comprendre mieux que jamais. Et c’est une urgence pour nous qui,
cent ans plus tard, sommes confrontés à la lente montée d’un régime
policier. Inexorable ? M, le noir de l’Histoire.
Dominique Manotti est auteure de romans policiers. Elle a
notamment remporté le Grand prix de littérature policière en 2011.
Dernier livre paru : Marseille 73 (Les Arènes)

M l’enfant du siècle
d’Antonio Scurati (Les Arènes)
par Dominique Manotti

#Lecturesconfinement : Ida n’existe pas d’Adeline Fleury par Sarah Briand

C’est un roman de la rentrée littéraire qui m’a bouleversée et qui
se lit hors du temps et encore plus
pendant cette période de
confinement où les corps sont
enfermés. J’écris roman mais ce
texte se lit comme un conte dont les
mots vous prennent au corps. Ida
parle à notre cœur, femme
touchante dans sa fragilité et
effrayante face à son enfant dont on
sait dès les premières pages qu’elle
va l’abandonner sur une plage du
nord de la France et dont on sait que
sa petite vie s’arrêtera dans les vagues. Ce roman-récit a trouvé ses
racines dans un fait divers dont certains se souviendront. Mais
qu’importe, cette mère est une femme qui pourrait être soi, et dont
Adeline Fleury nous raconte avec pudeur et sensibilité le parcours
et les doutes. Le lecteur est sans cesse balancé entre empathie et
horreur. Le texte se lit d’un trait jusqu’à ce que nous manquions de
souffle. Un vrai coup de cœur.
Sarah Briand est journaliste et réalisatrice de documentaires. Elle
est également l’auteur de Simone, éternelle rebelle (Fayard, 2015) et
Romy, une longue nuit de silence (Fayard, 2019) Elle a récemment
coordonné l’ouvrage Pour l’amour de Beyrouth (Fayard, 2020)

Ida n’existe pas
d’Adeline Fleury (Editions François Bourin)
par Sarah Briand