Archives de catégorie : Scène

L’oiseau-Lignes

De Chloé Moglia et Marielle Chatain

Cie Rhizome

Le titre est aussi poétique que l’engagement du spectacle qui nous mène à la rencontre de deux jeunes femmes aux talents différents mais bien complémentaires, l’une, Chloé Moglia est une performeuse circassienne, l’autre, Marielle Chatain, une musicienne, compositrice. Une étroite collaboration s’opère entre elles et qui s’exprime notoirement dans la première partie du spectacle consacrée au dessin figuratif.

C’est d’abord sur la face avant d’un gros cube placé à l’avant du plateau que Chloé dessine à la craie,  en quelques traits rapides, un visage et un corps, un personnage qui nous regarde de tous ses yeux. Toujours avec empressement, elle se précipite vers l’immense tableau d’ardoise qui occupe le plateau dans toute sa largeur pour y tracer des traits, comme des signes qu’elle fera se rejoindre en une ligne continue sur laquelle elle dessine de naïfs bonshommes qui dansent. Cet épisode à la fois poétique et quelque peu elliptique est accompagné  par les sons du piano électrique et les effets électro-acoustiques que lance avec constance et efficacité Marielle Chatain depuis sa console de jeu qu’elle déplace parfois pour se rapprocher de sa partenaire, n’hésitant pas à la rejoindre  pour agrémenter, à sa manière,  les productions de celle-ci. Ne faut-il pas ajouter quelques oiseaux à ceux qui volent déjà sur la ligne ?

Quand elles en viennent à tout effacer à grands  coups d’éponge et que le tableau se scinde en deux parties, on pressent qu’on va rencontrer une autre forme d’expression. Ainsi en est-il  lorsque Chloé se saisit d’un des pans du tableau et se met à le faire tourner en le poussant de toutes ses forces avant de l’escalader pour en parcourir l’arête en fine équilibriste puis de s’en servir pour atteindre la ligne  de tubes métalliques qui brille au-dessus de la scène et nous intrigue depuis le début de la représentation conception et réalisation (Eric Noël et Silvain Ohl).

Commence alors une nouvelle exploration. Tout en suspension, elle suit la ligne, s’y installe, se propulse, s’y agrippant, une main après l’autre, à bout de bras et ne se laissant pas démonter quand, à plusieurs reprises, un des tubes de la chaîne vient à se détacher, la laissant exposée à l’absence de support. Sans sourciller, elle poursuit sa périlleuse aventure qui la conduit à nous faire la démonstration de ses talents de trapéziste en effectuant des figures de retournement et d’équilibre virtuose où l’apesanteur semble la règle et donne à ses gestes une légèreté qui nous rappelle  ces images de cosmonautes évoluant dans l’espace pour réparer la station spatiale ou se déplaçant en apesanteur dans leur cabine. Elle procède par mouvements lents et sûrs, s’arrêtant parfois comme l’oiseau sur la branche qui semble attendre avant de reprendre son vol, mû par quelque nécessité qui nous échappe.

Une remarquable performance qu’accompagne, manifestant attention et compréhension, Marielle Chatain, sa partenaire musicienne avec une création sonore, minimaliste, répétitive, indispensable.

Marie-Françoise Grislin

Bajazet, en considérant Le Théâtre et la peste

d’après Jean Racine et  Antonin Artaud

présentée par le TNS  avec le Maillon

Nous retrouvons  avec ce spectacle le metteur en scène Frank Castorf qui dirigea  La Volksbühne de 1992 à 2017, connu pour son théâtre sans concession.

Dans cette nouvelle réalisation il confronte le texte de Racine à celui d’Antonin Artaud, y introduisant même des citations de Fiodor Dostoïevski et Blaise Pascal.

C’est un théâtre d’une extrême violence à l’instar de ce qui se trame à Byzance,  dans le sérail où règne sans partage la sultane Roxane à qui le sultan, Amurat, parti  conquérir Bagdad a donné tous les pouvoirs dont celui d’éliminer son propre frère Bajazet. Mais le grand vizir, Acomat, déconsidéré par le sultan ourdit un complot. Il s’est arrangé pour que Roxane rencontre Bajazet et en tombe amoureuse. Elle lui promet la vie s’il consent à  l’épouser. Ainsi prendrait-il le pouvoir, évincerait son frère et rétablirait le vizir dans ses hautes fonctions. Mais Bajazet qui aime en secret  Atalide dont il est aimé, se montre peu enclin à céder aux propositions de Roxane qui cherche à deviner les raisons de ses réticences et demande à Atalide de l’aider à sonder son coeur. Rien n’est donc acquis et la vie de Bajazet reste suspendue aux tractations que cela engendre, Atalide essayant de persuader Bajazet de feindre cet amour nécessaire à sa survie. Il s’y emploie maladroitement. Roxane découvre sa perfidie , humiliée elle le fait exécuter.  Tandis qu’on apprend  que le sultan a fait assassiner Roxane, Atalide , culpabilisée, désespérée se donne la mort. Le vizir dont le complot a échoué prend la mer et s’enfuit, laissant derrière lui ce carnage.

Le vécu sur scène est d’une intensité telle que parfois on est heurté au sens propre du terme,  bousculé.  Tous les registres de la voix sont explorés, du silence, au chuchotement, aux cris, aux hurlements.

Les corps sont porteurs de l’histoire, ils sont jetés en pâture, dénudés, revêtus de costumes somptueux, parfois presque misérables ou simplement ordinaires, selon, les moments et les personnages. Conçus par Adriana Braga Peretzki, ils sont suspendus à jardin à la disposition des comédiens . Ainsi, Roxane, superbement interprétée par Jeanne Balibar, apparaît-elle, le corps moulé dans un costume de cuir noir, plus tard en tenue légère, soutien-gorge et culotte étincelants de paillettes ou bien encore en somptueuse robe orientale richement brodée quand bien souvent elle  restera nue. La princesse, Atalide, Claire Sermonne se vêtira aussi de beaux atours, tandis que, Acomat, le vizir, Mounir Margoum et Osmin son confident, Adama Diop, choisiront divers costumes contemporains, parfois excentiques en ce qui concerne le vizir. Quant à Bajazet, Jean-Damien Barbin, après son apparition, le visage masqué et le corps drapé dans un lourd tissu noir on le verra à moitié dénudé, misérable comme un prince déchu, une sorte de roi Lear.

Tout est extrêmement étudié et pertinent, en particulier cette scénographie, signée Aleksandar Denic, qui permet aux comédiens d’évoluer entre d’un côté, une tente qui fait penser à une burka où se concentre  la vie intime de la sultane et qui abrite , au milieu des coussins, des tapis des tentures colorées, ses crises de désespoir, de doute et de l’autre, la maquette géante, représentant la tête et le buste du sultan. Avec ses yeux clignotants et son enseigne « Babylon- Bagdad 0-24 » elle a l’aspect d’une boîte de nuit. A l’intérieur c’est l’espace-cuisine, le vizir et Osmin y boivent des coups , Roxane viendra y préparer un pot au feu! La distanciation s’inscrit ici dans la trivialité des activités  qu’on y pratique.

Tout ce qui se passe là nous est transmis sur un écran ,filmé par l’habile vidéaste Andreas Deinert et son perchman Glenn Zao qui captent et nous renvoient en gros plans  les corps qui se tordent, les visages crispés, paralysés  d’effroi, les regards fixes, mouillés parfois adoucis, les corps à corps, les accolades, les rejets, les embrassades, les attouchements, les baisers, les clins d’oeil complices avec le public, tout ce qui en dit long sans dire.

Entre ces lieux clos, l’espace où se montrer dans sa superbe mais aussi dans sa bestialité, s’évaluer, se sauver en courant comme le fait si bien Atalide  poursuivie par ses tourments  et qui apparaît, essoufflée, décoiffée et que le vidéaste devra suivre jusqu’à l’extérieur du théâtre où son angoisse l’a conduite.

Sur le plateau encore cette grande cage en fer , lieu d’enfermement pour ceux que le sort destine à la mort, Bajazet, Atalide y seront tour à tour cruellement amenés.

Cette pièce  met en jeu de manière radicale la souffrance, le calcul, la suspicion, le chantage, l’intérêt, le sacrifice, la tentation, le renoncement, l’abandon, la dérobade, le sursaut, la feinte, la diplomatie, le désespoir, la cruauté, tout ce qui fait que l’on assiste à une pièce de Racine , tout ce qui montre qu’en y introduisant des extraits de l’oeuvre d’Artaud, on touche à l’indicible, à la folie, à l’humain plus qu’humain qui sait si bien détruire ce qu’il prétend aimer.

Frank Castorf et ses comédiens sont si impliqués dans leur jeu qu’ils ne se refusent rien : Jeanne Balibar a ce talent formidable de se montrer tour à tour impérieuse, séductrice, désemparée, enfant gâtée et femme fatale, Claire Sermonne celui de mettre en évidence par une agitation extrême son total désarroi, Jean-Damien Barbin s’adonne sans retenue à la déchéance alors que Mounir Margoum nous amuse par ses fantaisies et sa roublardise. Et si parfois ils donnent dans l’excès c’est que le propos s’y prête, il est organique, politique, nécessairement  radical.

Marie-Françoise Grislin

représentation du 6 avril au Maillon

La seconde surprise de l’amour

De Marivaux

Mise en scène Alain Françon

Après la superbe mise en scène des « Frères Karamazov », le TNS
nous offre encore un grand texte et une très belle représentation 
avec la possibilité attendue par nombre de spectateurs de
retrouver un « classique ».

La pièce écrite en 1727  nous conte l’histoire quelque peu
aventureuse des amours de La Marquise et du Chevalier.

C’est dans un espace scénique épuré et pertinent composé d’un
jardin intérieur avec bassin au centre, présentant de part et d’autre
deux escaliers, l’un côté cour qui mène dans la maison, l’autre, côté
jardin vers l’extérieur, avec au fond un magnifique tableau où
buissonne une nature sauvage, signé Jacques Gabel, c’est là que se
recueille La Marquise, élégante Georgia Scaliett, en longue robe
noire aux prises avec le chagrin d’avoir perdu un mari qu’elle aimait.
Ses soupirs et sa langueur se heurtent à l’énergie de Lisette, sa
suivante (Suzanne De Baecque épatante) débordant de vivacité et
bien décidée avec sa verve et ses commentaires à l’emporte-pièce à
ne pas laisser sa maîtresse se complaire dans la mélancolie.

C’est alors  qu’une visite inattendue s’annonce, celle du Chevalier
(Pierre-François Garel) qui veut quitter la ville, suite au désespoir
dans lequel le plonge l’impossibilité d’épouser Angélique, la jeune
fille qu’il aimait.

D’un coeur brisé à l’autre, une grande compréhension se fait jour. La
compassion  exprimée par La Marquise à l’égard du Chevalier le
touche au point qu’il renonce à partir. S’ensuit, en tout bien tout
honneur, une promesse d’indéfectible amitié.

De leur côté Lubin (Thomas Blanchard), le valet de Chevalier et
Lisette éprouvent, l’un pour l’autre,  une attirance certaine qui ne
pourra aboutir que si leurs maîtres respectifs restent ensemble. Ils
vont s’y employer.

Mais Lisette qui veut redonner envie de vivre à La Marquise
embrouille les relations en faisant croire que cette dernière  ne
repousse pas les avances du Comte (Alexandre Ruby) et que cela
pourrait aboutir à un heureux mariage.  Mis au courant, Le Chevalier
retombe dans le désespoir, ayant compris qu’il était épris de la
Marquise. Celle-ci,  très perturbée par cette annonce d’éventuel
mariage avec le Comte finit par avouer son amour au Chevalier venu
lui faire ses adieux .

Le soir même, maîtres et valets pourront contracter leur mariage.     

La mise en scène d’Alain Françon sait mettre en évidence ce qui fait
le sel de cette pièce, la finesse des répliques,  la richesse de la langue,
son élégance et sa capacité à analyser subtilement les situations, à
rechercher en soi ce que l’on éprouve par rapport à ce que l’on s’est promis de ressentir et dire comment une promesse d’amitié se
transforme à son corps et son esprit défendant en amour, comment
le sentiment l’emporte sur la raison incarnée par le pédant
bibliothécaire Hortensius (Rodolphe Congé) et comment l’amour de
la vie brise les relents de chagrin et de mort.

Par Marie-Françoise Grislin

Les promesses de l’incertitude

De Marc Oosterhoff

Cie Moost

Le déséquilibre étant la chose la moins souhaitée du monde, la voir
représentée, mise en vedette  ne peut que nous interroger, nous
surprendre, voire nous amuser. C’est en effet ce que qu’a produit
sur nous cette mise en scène d’un spectacle conçu et interprété par
Marc Oosterhoff  lors de cette soirée au Kulturburo à Offenburg 
organisée par Le Maillon.

Circassien et danseur, Marc Oosterhoff s’adonne à un jeu
d’équilibre-déséquilibre savamment étudié et maîtrisé qu’il nous
offre comme des aventures à vivre avec risques et périls. Il évolue
sur un plateau encombré de boîtes en carton qui s’écroulent
bruyamment et inopinément et sous les multiples petits sacs de
sable suspendus dans les cintres qui opèrent à leur tour des chutes
inattendues, potentiellement dangereuses. Déambuler dans ce
monde d’objets instables oblige l’artiste à des contorsions pour
éviter les obstacles, le voilà au bord de la chute mais il arrive
toujours à se rattraper de la belle manière, esquissant une
chorégraphie virtuose. Parfois il joue la maladresse et tourne vers le
public un visage crispé, accompagné de regards angoissés dont nous
ne sommes pas dupes et qui font plutôt rire l’assistance.

Il se doit, parfois, de faire face à l’inattendu qui joue à se renouveler,
à l’instar de ces peaux de banane qu’il jette et qui réapparaisse
comme par magie pour le défier.

A un autre moment, il s’impose un superbe exercice d’équilibre en
lestant une planche avec des sacs de sable dont il est le contrepoids
avant que tout finisse par s’écrouler et qu’il se retrouve accroché
dans les cintres et obligé de les parcourir avec les précautions
d’usage jusqu’à cette descente apparemment improvisée le long
d’un pilier extérieur au plateau. Et là, le public retient son souffle et
admire la performance du circassien.

Plus tard, il poussera l’audace jusqu’à nous faire croire qu’il va
mettre le feu au plateau en manipulant un flacon d’alcool et des
allumettes.

Au cours de  toutes ses propositions il avait, un formidable
partenaire de jeu, en la personne de Marcin de Morsier, présent sur
scène qui intervenait  pour l’accompagner avec sa guitare électrique.

Avec son incontestable sens du burlesque Marc Oosterhoff nous a
offert un spectacle ludique et lumineux.

Marie-Françoise Grislin

représentation du 4 mars

Mauvaise

De debbie tucker green

mise en scène Sébastien Derrey

L’inceste est le non-dit qui détruit toute relation familiale car si
chacun soupçonne, devine ou sait il s’installe dans  un déni qui
instaure le silence. Quand sa réalité vient à se faire jour, cela
déclenche des rejets de culpabilité des uns vis à vis des autres.

Cette pièce écrite par l’autrice noire debbie tucker green (qui ne
veut pas de majuscules à son nom), traduite par Gisèle Joly, Sophie
Magnaud, Sarah Vermande, est tout à la fois violente, pesante mais
comme habitée aussi par le repli sur soi qui fait apparaître un
contraste total entre la colère exprimée par les uns et le calme
apparent affiché par les autres.

Explosion et retenue se partagent le jeu des comédiens dans ce huis
clos qui met en contact, le père, la mère , la fille aînée, la cadette, la
benjamine et le frère. Il n’ont pour tout accessoire qu’une chaise où
s’asseoir (scénographie Olivier Brichet). Le père (Jean-René
Lemoine), installé sur la sienne n’en bougera pas et restera au centre,
tranquille et quasiment muet. N’est-il pas le sujet principal de cette
sombre affaire ?

La mère, (Nicole Dogué) occupe la sienne sans la quitter non plus,
manifestant par les mouvements de son corps la douleur que les
accusations de sa fille, « la mauvaise », (Lorry Hardel) fait peser sur
elle. Car, c’est elle, l’aînée, revenue au foyer qui exige la vérité et que
chacun dise ce qu’il a compris, ce qu’il a ressenti de ce qui lui est
arrivé à elle. Elle est l’accusatrice et éructe un flot de paroles,
répétées, hurlées, comme une litanie. Elle va, piétinant le sol,
vitupérant « chienne, chienne » à l’encontre de sa mère. Le ton monte
et la parole meurtrissante envahit l’espace.

Cette entrée en matière est extrêmement impressionnante,
glaçante.

La soeur cadette, (Bénédicte Mbemba), sans lui répondre vraiment,
bredouillera à son tour une sorte de défense, faisant entendre
qu’elle a su, avouant qu’elle s’est contenté de prier pour que sa soeur
ne tombe pas enceinte. Cet aveu détourné étant achevé, elle ira
prendre place sur une chaise et y demeurera, témoin de cet autre
situation bientôt révélée quand le frère, (Josué Ndofusu Mbemba) 
fera comprendre sans que cela soit dit explicitement que, lui aussi, a
été victime du père.

Le mot « inceste » n’est jamais prononcé mais il pèse de toute son
horreur sur les silences et les demi-mots qui émaillent ces prises de
parole, interrompues, suspendues par ces silences hautement
significatifs et ces coupures de lumière qui laissent planer le
suspense (lumière Christian Dubet).

Les regards croisent ceux du père, de la mère puis se dispersent vers
le public.

Rien ne semble acquis de cette vérité que Fille veut faire apparaître
en criant son besoin de reconnaissance alors que Père et Mère 
restent quasiment muets. Lui  ne dira que « Pas obligé » et au final « fait le mauvais choix ».

La complicité de la mère ne peut être totalement masquée comme
en témoigne sa souffrance. En filigrane des mots laisseront
entendre  qu’elle a offert fille et fils à son mari pour ne pas avoir
besoin  de satisfaire ses désirs sexuels.

Alors que la réalité  s’impose peu à peu, un autre discours vient à son
encontre, tenu avec la même impétuosité que celui de l’aînée, celui
de la benjamine, (Océane Caïraty), la plus jeune qui n’a pu être
témoin de la situation et qui place ses propos sur le plan d’une
espèce de rivalité avec cette soeur dont on fait bien trop de cas à son
goût. Elle refuse d’adhérer, d’entrer dans cette histoire et clame une
forme de liberté que souligne sa façon de parler, familière, très
directe, voire agressive.

La langage est une des clés de voûte de ce spectacle par sa radicalité,
sa violence son flux coupé de silence, son rythme qui le rapproche du
rap, ce non-dit qui dit tout,  porté par des comédiens totalement
engagés dans ces rôles on ne peut plus délicats et qui nous ont
bouleversés.

Par Marie-Françoise Grislin

 représentation du 23 mars au TNS

jusqu’au 31 mars en salle Gignoux    

Esthétique des ruines

La dernière nuit du monde
Laurent Gaudé

En lisant le postulat du spectacle – supprimer le sommeil –,
instinctivement c’est le fameux travailler plus pour que le capital
gagne plus qui vient à l’esprit. Et comme c’est l’ingestion d’une
pilule révolutionnaire qui active la capacité de veille, s’invite la
stratégie vaccinale toute récente avec son ambition d’unanimité
totalitaire – et les auteurs revendiquent l’influence de cette
période pandémique dans leur inspiration. Très vite cependant,
avec ce bouleversement des cycles naturels et l’instauration d’une
nuit active, d’autres questions surgissent. Que devient tout cet
espace de liberté brusquement anéanti : le lien et le festif, l’amour,
le rêve, etc. ?

© Kurt van der Elst

Dès l’entrée du public, un gigantesque écran carré au centre du
plateau pulse de visages et de voix. Un premier cadre. Deux
rectangles lumineux au sol s’y ajouteront : les espaces dédiés au
personnage principal, un des promoteurs du projet (joué par le
metteur en scène Fabrice Murgia lui-même), et à sa femme Lou
(Nancy Nkusi) qui imposent d’emblée la distance entre les êtres.
Autour l’environnement reste plus indistinct, se nappe de fumerolles
et sera la neige de la fin. Les lumières d’Emily Brassier sculptent de
belles images focalisées par ce qu’affiche l’écran : des flashs
angoissés (tels des images subliminales), des témoignages venant de
l’autre bout du monde (le projet est planétaire), beaucoup de gros
plans en direct de la comédienne notamment lorsqu’elle chante. Des
visages qui disent, se disent avec régulièrement des répliques qui
font mouche. Les trois cadres structurent le jeu. Si l’écran offre une
dimension cinématographique à Lou qui épure, le dispositif enracine
les comédiens et mène par moments l’acteur vers une
surexpressivité corporelle. Des ego en naufrage sur leur radeau de
lumière ? Un corps qui se rebelle ou pris de convulsions par manque
de sommeil ? À la fin, le couple se retrouvera en dehors de ses
cadres. Dans l’au-delà, au-delà de ce monde qu’il a contribué à
fabriquer… ou à détruire.

Car évidemment tout déraille : les corps, les mécanismes physio-
biologiques avec des conséquences sur l’écosystème et les autres
créatures qui nous tournent le dos : tout est tordu. Une caricature
d’anthropocène.

Sans nuit, les yeux saignent et, avec la nouvelle frénésie, plus
personne ne prend le temps de protéger le peu qui reste. Le système
lui trouve du temps supplémentaire pour travailler à sa propre perte,
produire de nouvelles ruines. Décidément la technologie ne nous
sauvera pas, bien au contraire, elle nous décimera comme l’ont été
les populations amérindiennes par l’irruption des maladies
importées par les conquistadors.
D’ailleurs la technologie sera-t-elle capable de perdurer sans nous ?
Sans le dévouement de ses officiants humains ?

Par Luc Maechel

* scénographie Vincent Lemaire,
création vidéo Giacinto Caponio,
création son Brecht Beuselinck


=> Spectacle donné dans le cadre du festival les Vagamondes avec d’autres belles propositions jusqu’au 27 mars, dont deux expositions à voir en marge (ou non) des représentations : The Nemesis Machine, la vibrionnante métropole high-tech de Stanza jusqu’au 27 mars (sur la mezzanine) et l’apesanteur plastique des photographies de SMITH jusqu’au 7 mai (dans la galerie).

La Filature, festival les Vagamondes
représentation du vendredi 18 mars 2022

Par les bords

Renaud Herbin

Après la prise du pouvoir par les Talibans, les Afgans se sont
trouvés pris au piège d’une idéologie très contraignante,
discriminant les femmes et les artistes. Leur détresse ne laisse
personne indifférent et surtout pas  le directeur du TJP-CDN,
Renaud Herbin qui fit tout son possible pour en accueillir
quelques -uns.

A partir de cette situation, il a élaboré avec la complicité de trois
artistes remarquables un spectacle au titre évocateur « Par les Bords« .
C’est au danseur et performeur Jean-Baptiste André qu’il a confié ce
jeu de scène très pertinent.

Dans le rectangle matérialisé sur le plateau celui-ci va se mouvoir de
façon exemplaire, se roulant sur le sol, allant d’un côté à l’autre en
laissant son corps se déséquilibrer avant de se retrouver sa
verticalité à l’image de ce que l’exil produit d’incertitude pour le
corps comme pour l’esprit. Ainsi se tient-il dans une fragilité
constante, marchant sur les bords  étroits du rectangle, avant de
retomber vers le centre toujours dans ce mouvement d’instabilité.

Accompagné par le oud de Grégory Dargent, il poursuit son
exploration de l’incertitude d’un monde qu’il a dû quitter pour celui
qu’il doit maintenant découvrir. Les sons du oud évoquent cette
distance, cette nostalgie, cette inquiétude qu’il veut signifier. Et puis
il y a la voix merveilleuse de Sir Alice qui dit et chante les poèmes
que les circonstances  ont inspirés à Renaud Herbin et qui expriment
avec sensibilité ce drame de l’exil.

Une forme de reconnaissance et de témoignage  très en phase avec
les drames que connaissent bien des populations sur notre terre.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 5 mars auTJP-CDN

Désactiver l’Incontrôlable !

L’homme qui tua Mouammar Kadhafi
Superamas

Dans le cadre du festival les Vagamondes, la Filature a accueilli une
proposition de théâtre documentaire et interactif sur le
renversement de Kadhafi imaginée par le journaliste politique
Alexis Poulin et le collectif Superamas. Ils ont convaincu un
véritable maître espion en poste à Tripoli de 2007 à 2011 de
témoigner à visage découvert afin de préciser les dessous de
l’implication du Libyen dans la présidentielle française de 2007 et
de son retour en grâce internationale jusqu’à sa chute planifiée le
20 octobre 2011.

© Simon Gosselin

Avec la tension du direct, Alexis Poulin est dans son rôle de
journaliste d’investigation (à un moment, il était question de publier
son enquête en livre). Il détaille l’enchaînement des faits, le rôle des
différents protagonistes matérialisés sur scène par des portraits
manipulés comme des pions sur l’échiquier international. En maître
des horloges, il accueille un ancien agent de la DGSE, l’interroge,
invite les spectateurs à poser leurs propres questions (et ils ne s’en
privent pas).

Les tenants et les aboutissants, les manipulations aussi (les fake news
avancées par Al-Jazeera) s’exposent sous nos yeux et révèlent le
narratif pour « vendre » le renversement de l’incontrôlable dictateur
Libyen par le CNT. L’ex espion (son nom n’est pas mentionné) raconte
sobrement la fin du fantasque dirigeant tempérant le
sensationnalisme de ce moment sordide dont des images avaient
circulé sur les écrans. Il s’interroge aussi sur ce geste de mort :
Qu’est-ce qui compte véritablement dans cette histoire ? Est-ce que c’est
le nom de l’homme qui a appuyé sur la gâchette ou c’est le nom de celui
qui lui en a donné l’ordre ?
C’est d’ailleurs ce sentiment d’être trahi et de ne plus agir pour
l’intérêt général qui lui a fait renoncer à cette carrière.

Le journaliste le rappelle au début : cette forme théâtrale veut
prendre le temps de l’intelligence, ce que ne permet pas le plateau
de télévision (ou les joutes des réseaux sociaux) qui attise l’urgence
et l’affrontement des postures idéologiques plutôt que de poser les
enjeux y compris sous-jacents, ceux de la géopolitique (et de
l’économie !). Contrairement à un livre, elle permet l’échange avec le
public (très impliqué ce soir-là) et donne une densité concrète à ses
événements, ses personnages.

À démonter le complot (le plot des scénarios hollywoodiens), la pièce
interpelle aussi sur la transparence et la vocation de la guerre lancée
au bénéfice d’intérêts privés ou du pouvoir de quelques-uns sous
prétexte de libérer un peuple avec le story telling émotionnel qui assure l’après-vente. La manipulation des masses n’est pas une
exclusivité des régimes totalitaires et nos démocraties ne s’en
distinguent que par quelques nuances de brutalité.
Malheureusement l’actualité nous confronte à une tragédie de plus
où quelques ego se purgent à nouveau dans le sang des autres. Des
autres toujours trop nombreux à pleurer, saigner, mourir.

• Spectacle donné dans le cadre du festival les Vagamondes avec
d’autres belles propositions jusqu’au 27 mars, dont deux expositions
à voir en marge (ou non) des représentations :
The Nemesis Machine, la vibrionnante métropole high-tech de Stanza jusqu’au 27 mars (sur la mezzanine) et l’apesanteur plastique des photographies de SMITH jusqu’au 7 mai (dans la galerie).

Par Luc Maechel

La Filature Mulhouse
représentation du mercredi 16 mars 2022

Le dragon

Foisonnant, délirant, palpitant, euphorisant, ubuesque, baroque,
burlesque, grotesque, éminemment politique, tous ces qualificatifs
conviennent à cette mise en scène par Thomas Jolly d’un conte de
l’auteur russe Evgueni Schwartz écrit en 1943, car le spectacle est
total. Travaillant sur tous ces registres, y introduisant le chant, la
danse, la narration, multipliant les effets scéniques, bruitages,
lumière, décors, costumes et maquillages, le metteur en scène
manifeste une totale maîtrise du plateau, accompagnée d’une
direction d’acteurs qui met les comédiens en demeure de jouer de
leur corps, de leur voix, de leur mimique avec une grande
virtuosité. Tout cela pour nous faire vivre une histoire tragique, un
conte cruel, une situation qui en rappelle un autre.

Dans une ville lointaine, un monstre à trois têtes fait régner sa loi,
exigeant qu’on le nourrisse d’abondance et surtout que chaque
année on lui offre une jeune fille. Les habitants semblent résignés.
Cette fois, c’est Elsa, la fille de l’archiviste Charlemagne qui a été
désignée. Elle aussi semble admettre son sort sans se révolter. C’est
alors qu’arrive un voyageur, Lancelot. Mis au courant de la situation,
il n’entend pas laisser faire et décide d’éliminer le dragon. La
population n’est pas très enthousiaste, pas plus que le bourgmestre
car le dragon leur aurait rendu, autrefois, quelques services dont
celui de leur épargner une épidémie en faisant bouillir l’eau grâce à
son feu légendaire. Le bourgmestre ne sait quelle décision prendre,
se contorsionne et en perd quasiment une  voix qui devient de plus en plus perché accentuant le ridicule du personnage. Les péripéties
se multiplient jusqu’au combat que Lancelot gagne avant de
disparaître au grand dam d’Elsa qui en était tombée amoureuse.

C’est alors que l’histoire devient manifestement politique car le
bourgmestre sans aucun scrupule revendique cette victoire comme
étant la sienne et, sans vergogne, organise son mariage avec Elsa qui
se retrouve ainsi aux prises avec un nouveau monstre d’autant plus
imprévisible qu’il nous avait paru ridicule, certes, mais plutôt
bonhomme.

Le sens de ce conte apparaît clairement et grâce à cette formidable
troupe d’acteurs qui le porte haut et fort il nous touche  vivement:
oui, le pouvoir est pervers et revêt des formes monstrueuses qu’il
n’est pas toujours aisé de détecter car, par sa roublardise, il apparaît
parfois sous des dehors honorables. A nous de savoir le démasquer
pour s’en prémunir telle est la belle  et nécessaire leçon qui nous est
ainsi donnée de la manière la plus ludique qui soit et sans doute, de
ce fait, la plus efficace.

 Marie-Françoise Grislin

Représentation du 8 février au TNS

Paranoid Androids

Un temps fort initié par Le Maillon étalé sur une dizaine de jours 
nous invitait à suivre plusieurs spectacles et rencontres,
interrogeant notre identité d’êtres humains confrontés à
l’existence de créatures imaginées, conçues, construites et mises
en mouvement par des scientifiques et des techniciens, créatures
que l’on peut classer dans la catégorie « robots ».

Une petite cure d’intelligence artificielle ça ne fait pas de mal, ça
intrigue et nous ouvre des perspectives insoupçonnées.

De plus sur le plan artistique cela permet à l’imaginaire de courir et
d’y recourir.

C’est ainsi que l’ont bien compris les metteurs en scène et artistes
dont nous avons vu et apprécié les prestations.

Nous avons commencé ce voyage insolite par un spectacle
justement intitulé « La vallée de l’étrange » de Stefan Kaegi du
collectif Rimini Protokoll.

Nous recherchons les spectacles de Stefan Kaegi  parce qu’ils nous
confrontent de façon originale et pertinente à des problèmes
actuels qu’il sait mettre en évidence. Sans proposer de solution il nous conduit  à les clarifier par nous-mêmes.

Certains de ses spectacles ont été, pour nombre d’entre nous, de
véritables expériences, des aventures. Qu’on se rappelle ce moment
extraordinaire où nous avons pris place dans un camion aménagé en
« salle de spectacle » pour effectuer un voyage fictif entre Strasbourg
et Sofia, en réalité aux abords du port du Rhin et de ses entrepôts,
afin de prendre conscience de la vie d’un chauffeur routier. Nous
étions à la fois dans la vraie vie et dans quelque chose de
fantastique.

« La vallée de l’étrange » corrobore cette démarche  d’investigateur
qui caractérise ce metteur en scène.

Sur le plateau, côté cour, un homme est assis dans un fauteuil, côté
jardin on a placé un écran.

En regardant l’homme assis qui, lui aussi nous regarde, un sentiment
étrange s’empare de nous et nous nous interrogeons « Est-ce un vrai
comédien ou une énorme marionnette? »

Nous savons que Le Maillon vient d’entamer son temps fort « Des
robots et des hommes » ce qui nous incite à penser qu’il s’agit d’un
robot humanoïde mais nous restons intrigués par ce personnage.
D’entrée de jeu, il nous annonce qu’il va tenir une conférence et il se
lance dans des considérations psycho-philosophiques qui évoquent
sa condition de maniaco-dépressif. Les images, sur l’écran, servant à
illustrer ses propos, nous constatons  que celui qui nous parle et
celui qui a été filmé est bel et bien le même, une sorte de sosie. Le
trouble nous habite de nouveau. Mais n’est-ce pas le propre du robot
que de faire jaillir ce malaise? Le robot humanoïde nous interpelle
plus que la marionnette par sa ressemblance avec l’être humain. Et
c’est ce que nous ressentons durant ce spectacle. Peu de signes
extérieurs pour nous détromper si ce n’est cette sorte de posture
empreinte de raideur qui ne se détecte que peu à peu.  Bientôt,
fascinés par sa performance, nous sentons naître en nous  comme
une complicité avec lui, une sorte de sympathie qui nous interroge.
L’homme ne pourrait-il pas être remplacé par cette espèce de
machine ? On sait que c’est déjà le cas dans bien des postes
automatisés dans les usines mais d’être le témoin direct de cette
prestation concernant les sciences humaines où la parole est
particulièrement valorisée et personnalisée a quelque chose
d’intrigant  car on touche à l’identité.

Stefan Kaegi  nous a encore une fois plongé dans des abîmes de réflexion.
(Représentation du 2I janvier)

C’est à la rencontre d’un autre robot humanoïde que Joël Pommerat
nous invite dans son spectacle intitulé « Contes et Légendes » qui met
en scène des adolescents aux prises avec leurs problèmes
spécifiques de rivalité, jalousie, moquerie, amourettes, mais aussi
leur besoin d’être écoutés, compris, câlinés. Le robot, Roby, sera ce
partenaire sensible que les parents ont acheté pour leur tenir
compagnie en leur absence, les aider à faire leur devoirs, les
surveiller, on pourrait presque dire les « élever ». Assis auprès d’eux
dans la salle de séjour, il répond à leurs questions, leur donne des
conseils, partage leur émois en regardant un match à la télé. D’où
cette scène dramatique de la séparation quand, les enfants ayant
grandi, les parents décident de le revendre. C’est le jeune adolescent
qui vante alors auprès du couple d’acquéreurs le bon usage qu’on
peut en faire et cette « déshumanisation du robot-ami a quelque
chose de déchirant.

Dans la pièce une autre scène  vient en contre-point de celle-ci. Il
s’agit d’une scène de « dressage » d’un enfant timide sous la conduite
d’un maître qui, à grand renfort de séances d’entraînement
ponctuées de remarques désobligeantes et qui se veulent
stimulantes, essaie  de le transformer en garçon viril et combatif. En
faire un homme-machine en quelque sorte, disons le « robotiser » et
l’on ne peut que penser à certaines formations militaires. C’est un
spectacle émouvant et qui donne à réfléchir  sur ce moment délicat
de l’adolescence où tout est ressenti à fleur de peau.

Les comédiens ont investi ces rôles avec beaucoup d’authenticité et
l’on a été surpris d’apprendre que ceux qui interprétaient les enfants
n’en étaient pas eux-mêmes mais tout simplement des acteurs formidables.
(Représentation du 28 janvier)

Toujours dans le cycle « Des robots et des hommes », le spectacle
« Man strikes back » venu de Belgique montre une incroyable
rencontre entre un jongleur, un percussionniste et cinq boîtes en
forme de tétraède. Stij Grupping commence, certes, avec habileté,
mais assez sereinement, à lancer ses balles qui rebondissent sur les
boîtes décrivant des trajets harmonieux. Le rythme étant soutenu  à
la batterie  par le musicien Frederik Meulyzer.

Petit à petit les balles jaillissent plus vite, plus haut , le jongleur les rattrapent avec aisance sous le regard admiratif des spectateurs.

Soudain quelque chose d’insolite survient, les boîtes se mettent à
bouger, elles avancent, reculent puis s’immobilisent un instant avant
de reprendre leur mouvement aléatoire. Quelle mouche les a
piquées ? Elles semblent avoir acquis une autonomie qui veut défier
l’humain qui se sert d’elles comme de partenaires passifs. Cela pose
évidemment un gros problème: comment réussir à toucher une cible
qui se déplace constamment ? Jongleur et musicien se concertent,
s’interrogent n’en croyant pas leurs yeux.

Réflexion faite, le jongleur tente le tout pour le tout, reprend ses
balles et un jeu incroyable se déroule sous nos yeux ébahis. Alors
que les boîtes glissent capricieusement sur le plateau les balles
arrivent toujours à les trouver pour rebondir dessus; le jongleur
virevolte pour se positionner et réussir à les envoyer sans les perdre.
Le public  a le souffle coupé devant tant de virtuosité et le musicien
n’en perd pas une, lui qui doit suivre cette cadence improbable. C’est
un moment prodigieux.

Un spectacle superbe, ludique, à la gloire de l’imagination de celui
qui l’a conçu et de ceux qui l’ont si magnifiquement exécutés.(Représentation du 4 février)

La dernière manifestation de ce cycle a été pour nous encore une
grande surprise. II s’agit de « Tank« , un solo exécuté par la
chorégraphe autrichienne Doris Uhlich, enfermée dans un immense
tube de verre d’abord empli d’un brouillard qui en se dégageant peu
à peu laisse entrevoir une main , un bras, une jambe. Une situation
qui ne manque pas de nous interroger sur la possibilité que peut
offrir à une danseuse un lieu aussi exigu. Faisant fi de cette
contrainte, avec application et méthode, elle déploie ses membres,
tente de pousser les parois, y renonce parfois, s’accroupissant
comme atteinte par l’épuisement mais reprenant encore et toujours
ses tentatives d’exploration et de possible sortie.

On pense au corps -machine mais son humanité  transparaît à
l’évidence car on saisit à chaque instant sa volonté de s’extraire de
cette prison de verre et l’on éprouve un vrai soulagement quand elle
y parvient, partagés que nous étions entre malaise et empathie.
Soulignons que toute cette extraordinaire performance était
soutenue par la musique électronique de Boris Kopeinig.

Un spectacle pour le moins fascinant.
Représentation du 4 février

Par Marie-Françoise Grislin